DR SAAD AGOUMI Président du Collège syndical national des médecins spécialistes privés. Doctinews N°54 Avril 2013 Doctinews. Nous avions publié, en mai 2011, une première interview dans laquelle le Collège syndical national des médecins spécialistes privés exprimait un certain nombre de doléances, relatives notamment à la convention de l'Assurance maladie obligatoire (AMO). Deux ans après, comment la situation a-t-elle évolué ? Docteur Agoumi.La situation n'a pas évolué. Nous percevons toujours la même volonté, toujours la même disponibilité, nous recevons toujours la même promesse de la part des autorités de tutelle mais, sur le terrain, rien n'a changé. En ce qui concerne l'AMO, les négociations sont pratiquement au statu quo. Nous étions parvenus à un accord dans le cadre d'un mémorandum d'entente qui comportait un certain nombre de dispositions, toutes validées par les différentes parties prenantes. J'entends par parties prenantes la ministre de la Santé de l'époque, Mme Yasmina Baddou, puisque la signature de cet accord date de la fin de son mandat, les directeurs généraux de l'Anam (Agence nationale d'assurance maladie), de la CNSS (Caisse nationale de sécurité sociale), de la Cnops (Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale), le conseil de l'Ordre des médecins, l'ANCP (Association nationale des cliniques privées) et le Collège. Ces dispositions auraient dû être traduites dans les faits au maximum six mois après la signature. Lorsque nous avons reçu la proposition de l'ANAM relative à la séparation de la convention, le premier point traité dans le mémorandum, elle correspondait à tout sauf à ce que nous attendions. Dans le mémorandum, il est question d'instaurer deux conventions séparées, une pour les médecins et une autre pour les cliniques pour permettre la séparation des honoraires. L'article 1 de cette proposition ne s'attache qu'aux actes réalisés au cabinet du praticien et exclut les actes dispensés en clinique, alors que nous avions longuement discuté de ces aspects allant même jusqu'à détailler la feuille de prise en charge qui serait proposée au médecin. Nous sommes revenus vers l'ANAM qui nous a opposé, pour toute explication, que nous n'avions pas suivi le débat. Faute d'avoir suivi le débat, nous avons arrêté tout débat. il est du ressort du médecin, ou de la clinique qui le souhaite, d'adhérer à la convention et non l'inverse. Et depuis, que s'est-il passé ? Nous avons pris attache avec le ministre de la Santé et le chef du Gouvernement pour les tenir informés de la situation. Depuis, l'ANAM nous a suggéré de modifier la proposition. En collaboration avec l'ANCP, nous avons revu la proposition et en avons adressé la nouvelle mouture à l'ANAM. Avec l'Association nationale des cliniques privées, nous avons appris à travailler ensemble. Car même si certains de nos intérêts divergent, nous nous rejoignons lorsqu'il s'agit de défendre l'intérêt du patient et l'intérêt de la profession. La séparation de la convention n'est pas le seul point de l'accord qui n'a pas été pris en compte. Quelles sont les autres dispositions que n'ont pas été appliquées ? J'en citerais deux, la mise en place du secteur 2 et l'inversion de la convention. La création du secteur 2 doit permettre au médecin d'appliquer les honoraires qui lui conviennent sans pénaliser le patient qui peut tout de même prétendre au remboursement de la consultation selon le tarif conventionnel. Le dépassement d'honoraires reste à la charge de ce dernier, qui en est préalablement informé et conserve sa liberté de choix. L'inversion de la convention vise à permettre à tous les établissements de soins et aux praticiens d'aller ou non volontairement vers ladite convention. Actuellement, la loi 65-00 portant code de la couverture médicale de base stipule que tous les médecins et toutes les cliniques sont conventionnés d'office, sauf s'ils font mention d'un désistement. Nous pensons qu'il est du ressort du médecin, ou de la clinique qui le souhaite, d'adhérer à la convention et non l'inverse. Dans ce cas de figure, le médecin qui appose sa signature pour demander son adhésion signifie clairement qu'il accepte les termes de la convention, au moins jusqu'à échéance de ladite convention. À ce propos, je tiens à préciser que l'échéance légale de la remise en débat de toute convention est triennale. Autrement dit, la convention qui date de 2006 aurait dû être rediscutée en 2009. Nous sommes en 2013 et elle ne l'a toujours pas été. Pourquoi nous dit-on d'un côté que la loi ne permet pas l'inversion de la convention alors que, de l'autre, la loi n'est pas respectée, du moins celle de l'échéance légale. Nous avons chargé nos conseillers juridiques de rédiger des articles de loi pour aller vers la mise en place du secteur 2 et l'inversion de la convention. Nous les avons proposés à l'ANAM afin qu'ils puissent être soumis au circuit légal. Notre proposition est entière. Elle s'attache à la séparation des conventions et inclut le secteur 2 et l'inversion de la convention. Nous ne reviendrons pas sur ces aspects qui avaient fait l'objet d'un accord. Il suffit de peu pour débloquer la situation. Certaines dispositions du projet de réforme de la loi 10-94 relative à l'exercice de la profession étaient également source d'inquiétudes pour le Collège. Avez-vous pu avancer dans les négociations ? Depuis la mise en place de la nouvelle équipe ministérielle, nous n'avons pas été contactés pour discuter de cette loi. Elle a cheminé jusqu'au secrétariat général du Gouvernement avant que le ministère de la Santé ne se ressaisisse du dossier à l'issue de la mise en place de la nouvelle Constitution. Mais aucune discussion n'a été engagée. En attendant, les projets de création d'unités médicales avec des capitaux privés non médicaux se multiplient. Ils sont autorisés, médiatisés et officiellement inaugurés alors que la loi 10-94 impose la présence de médecins dans le capital. Certains projets s'appuient même sur des prête-noms. Que faut-il en penser ? Le Collège national syndical des médecins spécialistes privés a toujours soutenu le projet d'un partenariat entre le secteur public et le secteur privé. Comment avez-vous accueilli les propositions qui ont été formulées dans ce sens ? En mai 2008, nous avons signé un projet de partenariat entre le secteur public et le secteur privé. Ce projet s'inscrit dans une dynamique de partenariat gagnant-gagnant. L'objectif est double. Il s'agit, d'une part, de renforcer les ressources humaines dans le secteur public dont on sait qu'elles accusent un déficit et, d'autre part, de permettre aux médecins du secteur privé d'exercer plus régulièrement. Nous avons reçu, fin 2012, une proposition de rémunération qui s'articule sur un forfait fixé à 259 dirhams par demi-journée d'exercice, soit 195 dirhams nets. Cette proposition, selon un système de forfait, n'est pas acceptable. Nous demandons une rémunération à l'acte à hauteur de 60 dirhams, soit le coût hôpital préconisé dans le cadre de l'AMO, ce qui représente 40 dirhams nets pour le médecin. Ce modèle est plus juste pour l'Etat qui ne perdra pas d'argent, car la consultation sera facturée ce qu'elle coûte aujourd'hui. De plus, l'Etat n'aura pas à payer pour des consultations qui n'auraient pas eu lieu. Il n'y a aucune raison pour qu'un médecin perçoive 259 dirhams s'il effectue une seule consultation dans la matinée. En revanche, un médecin qui effectue 10 consultations sera plus justement rémunéré. Il ne faut pas oublier que, pendant ce temps, le praticien ferme son cabinet privé et ne reçoit pas ses patients. Toutefois, je le rappelle, nous sommes convaincus que le partenariat public-privé peut bénéficier à tous, et encore plus au citoyen, notamment dans le cadre du Ramed. Il est, je pense, une condition sine qua non de la réussite du Ramed. Pour aider à l'avancement du projet, le Collège a proposé que les médecins spécialistes privés travaillent bénévolement la première année (décision validée par son conseil d'administration). Le Ramed (régime d'assistance médicale) a été lancé voilà tout juste un an. Ce projet d'envergure constitue un réel progrès dans le domaine de la santé pour le pays. Comment en analysez-vous les premiers résultats ? La généralisation du Ramed constitue une réelle avancée pour le pays. Il s'agit d'un projet global qui s'adresse à 8,5 millions de personnes, un chiffre conséquent. Il faut être réaliste, on ne peut pas imaginer proposer un système de couverture médicale à un si grand nombre de citoyens en si peu de temps. Il s'agit d'un chantier énorme qui implique plusieurs ministères et pour lequel il a fallu tout construire, mettre en place une organisation, former les ressources humaines… Il n'est pas juste de critiquer, ce n'est pas la bonne attitude à adopter. Bien sûr que tout n'est pas parfait, mais il faut laisser au système le temps de s'installer, de se rôder et, surtout, communiquer. Il faut communiquer à tous les niveaux et plus encore auprès de la population concernée par ce régime pour ne pas la décevoir. Le médicament, et plus particulièrement le prix du médicament, a fait l'objet de l'actualité au cours de ces derniers mois. Pour le médecin prescripteur, l'accès aux médicaments est primordial. Baisse des prix, prescription de médicaments génériques… comment les médecins que vous représentez accueillent toutes ces propositions ? Il est clair que pour nous, médecins, l'accès aux médicaments pour le patient est nécessaire. En ce qui concerne la baisse des prix des médicaments, celle-ci profitera positivement d'abord aux citoyens. Par ailleurs, je tiens à dire que le Collège a toujours argumenté dans le sens de la préservation du chiffre d'affaires des pharmacies par l'instauration de mesures spécifiques. La prescription de médicaments génériques est un autre volet. Nous ne sommes pas opposés à prescrire des médicaments génériques à condition de ne pas y être obligés, et à condition que la qualité de ces médicaments puisse être vérifiée car le médecin est responsable de sa prescription. La mise en place de la législation dans ce domaine était nécessaire, et essentiellement l'obligation de la bioéquivalence pour les produits qui doivent y être soumis. Le dossier de la couverture médicale de base des professions libérales est inscrit au rang de priorité des priorités du ministre de la Santé, le Pr El Houssaine Louardi. Les médecins réclament cette couverture depuis longtemps. Êtes-vous optimiste ? Le ministre de la Santé s'est exprimé à ce sujet et le chef du Gouvernement nous a récemment garanti la mise en place d'un système de couverture médicale de base pour la fin de l'année. Nous espérons et restons optimistes, mais le temps s'écoule vite. La couverture des professions indépendantes, hormis toute modification de la loi, est un dossier sûrement complexe pour la CNSS dans la mesure où de nombreuses professions sont concernées et où bon nombre de professionnels exercent dans l'informel. Pourquoi, dans ce cas, ne pas commencer par mettre en place un système destiné à une certaine catégorie de professionnels et l'étendre par la suite à d'autres professions indépendantes ? Et pourquoi ne pas commencer par les médecins qui sont des citoyens solvables ? Ce discours peut paraître égoïste, mais ce sont tout de même les médecins qui soignent. Et pour soigner, il faut être en bonne santé. Il existe un véritable paradoxe à ce sujet, sans compter que l'on nous demande sans cesse de faire des efforts, mais que personne n'est capable, au jour d'aujourd'hui, de prendre en charge notre assurance maladie. Faute d'un encadrement de la formation médicale continue, les praticiens s'organisent comme ils peuvent pour mettre à jour et développer leurs connaissances. Ne pensez-vous pas qu'il serait temps de mettre un peu d'ordre dans ce domaine ? La formation continue a un coût. Lorsqu'un médecin participe à un congrès, il prend à sa charge les frais d'inscription, de déplacement, d'hébergement… et ferme son cabinet. Les dépenses atteignent rapidement 10 à 15 000 dirhams. Pour tenter de résoudre cette problématique, le Collège avait proposé un modèle viable de financement de la formation continue. Nous avions d'ailleurs été approchés par un membre du ministère, vraisemblablement intéressé par la démarche. Depuis, nous n'avons eu aucune nouvelle. En France, par exemple, le médecin qui s'inscrit et participe à un congrès reçoit une attestation de présence. Elle lui permet d'obtenir le remboursement des frais engagés et de percevoir une compensation pour son absence au cabinet auprès d'un fond dédié. Des solutions existent qui méritent d'être étudiées. La médecine que vous exercez, médecine de spécialité, attirent de plus en plus de candidats au Maroc. Qu'est-ce qui motive, selon-vous, les futurs médecins dans leur choix ? L'une des raisons tient au fait que le rôle du médecin généraliste n'est pas suffisamment valorisé au Maroc. Le médecin généraliste, en tant que médecin de famille, joue un rôle essentiel. Il connaît les antécédents du patient, il connaît son entourage, il est en quelque sorte une référence médicale, ce à quoi ne peut pas prétendre le médecin spécialiste lorsqu'il est consulté ponctuellement pour un problème spécifique. Au Maroc, les médecins généralistes n'ont peut-être pas suffisamment capitalisé sur cet aspect essentiel de leur métier, préférant suivre des formations complémentaires pour se « spécialiser » à leur tour. Il faut aujourd'hui réfléchir à la place du médecin généraliste dans le système de soins pour lui permettre d'exercer pleinement son rôle et d'être reconnu à ce titre.