Les fondements des échanges internationaux

publicité
C h a p i t r e
2
Les fondements
des échanges
internationaux
I Le libre-échange
A. Les théories traditionnelles du commerce international
B. Les nouvelles théories du commerce international
C. Le libre-échange en débat
II Le protectionnisme
A. Les instruments du protectionnisme
B. La justification du protectionnisme
C. Les coûts du protectionnisme
epuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’ouverture des économies
aux échanges internationaux s’est accompagnée d’une phase de
croissance économique sans précédent. Les faits semblent ainsi vérifier
les effets positifs quant au bien-être mis en avant par les théoriciens
du libre-échange.
Ces auteurs vont fournir diverses explications complémentaires
sur l’intérêt de la spécialisation et ses effets sur l’économie mondiale.
Pourtant, malgré de nettes avancées, le libre-échange n’est pas encore
une pratique totalement généralisée, même parmi les pays les plus
libéraux comme les États-Unis.
Le protectionnisme a été et reste préconisé par d’autres auteurs.
Il est généralement présenté comme un moyen nécessaire à la mise
en place d’une politique de développement dans les pays du tiers-monde
ou à la reconversion de secteurs industriels dans les pays développés.
De nombreuses controverses subsistent sur les avantages et
les inconvénients respectifs de ces deux politiques.
D
@
I N T E R N E T
www.fr.wikipedia.org/wiki/acceuil
(rubrique société)
39
I Le libre-échange
1
Le libre-échange est une doctrine économique qui préconise la liberté
des échanges internationaux de biens, de services et de capitaux. Il
s’oppose donc à toutes formes d’entraves qui limiteraient le commerce
international. Selon cette théorie, la spécialisation qui en résulte permet aux différents pays d’être plus efficients et contribue à la richesse
des nations. 1
1. Quel est l’avantage reconnu
au libre-échange ?
2. Bénéficie-t-il à tous les pays
de manière identique ?
3. Des freins au libre-échange
existent-ils toujours ?
A Les théories traditionnelles du commerce international
Ces théories considèrent que les nations se spécialisent dans
les productions pour lesquelles les coûts sont les plus bas.
La division internationale du travail qui en résulte permet
de parvenir à une situation optimale.
1. La théorie des avantages absolus (A. Smith)
Les avantages de la spécialisation et de l’échange international ont été mis
en évidence à la fin du XVIIIe siècle par Adam Smith (1723-1790), auteur
classique anglais. Il fonde son analyse sur les avantages absolus de coût
qu’un pays peut posséder sur un autre pays :
– Un pays a intérêt à se spécialiser dans la production des biens pour
lesquels ses coûts de fabrication sont plus faibles qu’à l’étranger et à
importer ceux pour lesquels ses coûts sont plus élevés.
– Cette spécialisation permet la réalisation d’une production mondiale optimale puisque les biens sont produits là où les coûts sont les plus bas, et
met en place une division internationale du travail (DIT) entre les différentes nations.
La théorie des avantages absolus comporte cependant un inconvénient
majeur : comment un pays dont les coûts de production sont plus élevés
pour tous les biens peut-il commercer ?
2. La théorie des avantages comparatifs (D. Ricardo) CP
Un autre économiste anglais, David Ricardo (1772-1823), complète la
théorie de Adam Smith :
– Un pays a toujours intérêt à se spécialiser dans la production pour
laquelle il possède un avantage relatif, c’est-à-dire un avantage le plus
élevé en termes de coût ou un désavantage le moins élevé.
– La spécialisation et le commerce international sont expliqués par des coûts
et donc des techniques de production différentes.
– Les nations obtiennent, grâce à l’échange international, une quantité de
biens plus importante que celle dont elles disposaient sans échange. Elles
bénéficient ainsi d’un gain de bien-être.
3. La théorie des dotations de facteurs (Heckscher et Ohlin)
Deux auteurs suédois, Eli Heckscher (1919) et Bertil Ohlin (1930), poursuivant la théorie ricardienne, ont cherché à expliquer la configuration
des échanges.
Selon eux, les avantages comparatifs ne proviennent pas uniquement de la
productivité du travail mais de l’ensemble des facteurs de production
(capital, terres, ressources minérales) dont dispose un pays.
Les Canadiens exportent, par exemple, des produits forestiers vers les ÉtatsUnis, non parce que les bûcherons canadiens sont plus efficaces que les bûcherons américains, mais parce que le Canada est richement doté en ressources
forestières.
David Ricardo
(1772-1823)
© Rue des Archives.
Économiste classique anglais,
auteur Des principes de l’économie
politique et de l’impôt (1817).
Théoricien de l’économie de
marché, il développe les travaux
de son prédécesseur, Adam Smith.
Sa théorie de l’échange
international demeure
le pilier du libre-échangisme.
En écho à la fameuse « main
invisible » de Smith, il écrivait :
« Dans un système de parfaite liberté
du commerce, chaque pays consacre
naturellement son capital et son
travail aux emplois qui lui sont
le plus avantageux. La recherche
de son avantage propre s’accorde
admirablement avec le bien
universel. »
Chapitre 2 40 Les fondements des échanges internationaux
1
La problématique du libre-échange
[
Le commerce a été un moteur
de la croissance au cours
du demi-siècle écoulé…
L’essor des échanges internationaux ces vingt dernières
années, deux fois plus rapide que celui du PIB mondial
réel (6 % contre 3 %), a accéléré l’intégration économique
et relevé les niveaux de vie. Beaucoup de pays en développement ont pris part à ce processus, qui leur a permis de
resserrer l’écart qui les sépare des pays riches et de devenir,
en tant que groupe, un acteur important du commerce
mondial. Leurs échanges ont augmenté plus vite que ceux
des autres groupes et leurs relations commerciales ont
profondément changé par rapport au schéma traditionnel
Nord-Sud.
Ils assurent désormais près d’un tiers du commerce mondial, beaucoup d’entre eux ont fortement accru leurs
exportations de produits manufacturés et de services, et
40 % de leurs exportations vont aujourd’hui à d’autres
pays en développement. Toutefois, bon nombre de pays à
faible revenu n’ont toujours pas intégré l’économie mondiale – sous l’effet conjugué de contraintes externes et
internes – et les plus pauvres d’entre eux ont même vu
leur part des échanges mondiaux diminuer. En dépit de
cet acquis, le système commercial mondial doit encore
relever de formidables défis.
]
Premièrement… la protection restera
élevée et concentrée sur des domaines qui
présentent un intérêt particulier pour les
pays en développement. Dans l’agriculture,
seuls des progrès limités ont été accomplis
dans la réduction des droits élevés et des
subventions qui faussent les échanges.
Deuxièmement, suite aux progrès de l’in-
tégration économique et au recul des tarifs
douaniers et des restrictions quantitatives à
l’importation, l’attention s’est déplacée vers
d’autres obstacles au commerce qui touchent aux politiques nationales, tels que les
subventions industrielles, les droits de la
propriété intellectuelle ou, plus récemment,
l’investissement et la politique de la concurrence. ■
Anne MC GUIRK, « Le programme de Doha »,
Finances et développement, septembre 2002.
PRATIQUE
1. Montrez que la théorie des avantages absolus ne
Les coûts comparatifs
Pour démontrer sa théorie, D. Ricardo présente la situation
suivante qui exprime les conditions de production de deux produits
– le vin et le drap – par deux pays – le Portugal et l’Angleterre :
peut être explicative d’échanges internationaux
dans le cas présent.
2. Calculez le coût total de production d’une unité
Production
d’une unité de vin
Production
d’une unité de drap
de vin et de drap pour chacun des pays, puis le
coût total pour les deux pays, dans l’hypothèse
d’une absence de spécialisation et d’échanges.
Portugal
80 heures de travail
90 heures de travail
3. Expliquez pourquoi le Portugal va se spécialiser
Angleterre
120 heures de travail
100 heures de travail
dans le vin et l’Angleterre dans le drap.
4. Calculez le coût total de production de deux
• Le Portugal a besoin de 80 heures de travail pour produire une unité
de vin et de 90 heures pour fabriquer une unité de drap.
• L’Angleterre a besoin de 120 heures de travail pour produire une unité
de vin et de 100 heures pour fabriquer une unité de drap.
unités de vin par le Portugal et de deux unités
de drap par l’Angleterre, puis le coût total
pour les deux pays dans l’hypothèse d’une
spécialisation et d’échanges internationaux.
5. Déduisez de ces calculs les gains que permet
l’échange international.
6. Comment ces gains peuvent-ils se répartir
entre les deux pays ?
Partie I 41 Les relations économiques internationales
Les pays vont se spécialiser et exporter des produits qui nécessitent des
facteurs de production relativement abondants chez eux (et donc peu
coûteux) et importer des produits recourant à des facteurs de production
relativement rares (et donc onéreux).
2
1. Que signifie « avoir des dotations
factorielles peu différentes » ?
2. Définissez les notions de commerce
international interbranche
et intrabranche.
B Les nouvelles théories du commerce international
Ces nouvelles théories se démarquent des théories traditionnelles
et cherchent à expliquer les échanges de produits similaires
entre les pays. L’existence d’économies d’échelle et la recherche
de différenciation de firmes oligopolistiques, l’unification croissante
du marché mondial et les stratégies des firmes multinationales
en sont les déterminants principaux.
1. Économies d’échelle et commerce international 3
Les économies d’échelle (ou rendements croissants) expriment une réduction
du coût moyen du produit lorsque la quantité fabriquée augmente.
Les firmes les plus efficaces dans un type de production ont donc intérêt
à se spécialiser, à accroître leur volume de production pour réduire leur
coût. Elles se trouvent alors plus compétitives et peuvent exporter leur
production.
À terme, seules les plus grosses firmes resteront efficientes et formeront un
marché mondial oligopolistique.
économiques qui ne sont pas pris en
compte par les théories traditionnelles
du commerce international.
3
méthodo
Il apparaît de plus en plus que les théories traditionnelles sont incapables
d’expliquer les caractéristiques du commerce international actuel. 2
En particulier, la théorie des coûts comparatifs est explicative des échanges
dits « interbranches » alors qu’aujourd’hui, plus de la moitié des échanges
sont « intrabranches ».
À la suite de nombreux autres auteurs, Paul R. Krugman met particulièrement
l’accent sur les économies d’échelle et la différenciation des produits pour
expliquer ces échanges.
3. Relevez et expliquez les phénomènes
1. Définissez la notion d’économie
d’échelle et illustrez-la en recourant
au tableau ci-contre.
2. Expliquez le mécanisme qui permet
une amélioration du bien-être par
le biais des échanges internationaux.
3. En supposant qu’en autarcie les
niveaux de production nationaux,
compte tenu du marché intérieur,
soient de 5 gadgets pour la
Grande-Bretagne et de 10 gadgets
pour les États-Unis, décrivez
le mécanisme qui se mettra en œuvre
en cas d’ouverture des frontières.
2. Marchés oligopolistiques et différenciation des produits
Sur ces marchés oligopolistiques, les firmes cherchent à différencier leurs
produits pour bénéficier d’une situation de monopole. De la sorte, des produits de variétés différentes peuvent être proposés aux consommateurs et
font l’objet d’échanges intrabranches : certains consommateurs français achèteront des véhicules Renault mais d’autres préféreront Fiat ou BMW… ; des
consommateurs italiens ou allemands achèteront des véhicules Peugeot…
3. La stratégie des firmes multinationales 4
L’influence des firmes multinationales est absente des analyses traditionnelles du commerce international.
Or, le développement des firmes multinationales a un impact important sur
les échanges internationaux en générant des flux déterminés par les stratégies
mises en œuvre :
– Lorsqu’il s’agit d’assurer une présence sur les marchés étrangers,
l’implantation d’une firme aura pour effet de réduire les flux d’échanges
internationaux initiaux (production sur place et réduction des exportations
du pays d’origine).
– Toutefois, aujourd’hui, les échanges entre les filiales de groupes multinationaux représentent plus du tiers du commerce mondial. Les raisons sont
multiples : taux d’imposition différents selon les pays, spécialisation des
filiales, coût de la main-d’œuvre, etc.
Chapitre 2 42 Les fondements des échanges internationaux
2
Les insuffisances des
théories traditionnelles
◗ Contrairement aux enseignements de la théorie traditionnelle, le commerce international se développe le plus
entre les nations les plus développées dont les dotations
factorielles sont peu différentes. Il s’agit donc d’un
commerce entre nations très peu différenciées les unes
des autres, alors que la théorie traditionnelle met au
contraire en avant le rôle des caractéristiques différentes
des nations pour expliquer l’échange international.
◗ La part du commerce international intrabranche, qui
existe lorsqu’un pays importe et exporte simultanément
les mêmes biens dans le commerce mondial, est très
significative et est la plus dynamique. La théorie traditionnelle n’a pas d’explication à proposer d’un tel phénomène
qui est incompatible avec sa vision de la spécialisation
internationale.
◗ La théorie traditionnelle ne laisse aucune place aux firmes
multinationales et au commerce intrafirme dans son
schéma, puisque ce sont les nations et elles seules qui
échangent. Cependant, les échanges entre des filiales de
firmes multinationales implantées dans des pays différents représentent plus du tiers du commerce mondial
de marchandises dans les années 1980.
Le commerce international est dit interbranche
si la nation considérée exporte des biens
différents de ceux qu’elle importe, par exemple
le vin et le drap dans l’exemple de
David Ricardo. En revanche, l’importation et
l’exportation simultanées de vin (ou de drap)
est une situation de commerce intrabranche.
Les études empiriques menées dans ce domaine
montrent premièrement que la part du commerce
intrabranche atteint, dans les années
quatre-vingt, environ 50 % du commerce
international des pays développés et
deuxièmement que ce pourcentage a cru
significativement depuis les années 1960.
M. RAINELLI,
La Nouvelle Théorie du commerce international,
coll. « Repères », La Découverte, 2003.
3
E
Économie d’échelle et commerce international
n pratique beaucoup d’industries sont caractérisées
par des économies d’échelle (on
parle aussi de rendements croissants) : la production est alors
d’autant plus efficiente que
l’échelle sur laquelle elle est
faite est importante. Lorsqu’il
y a des économies d’échelle, le
fait de doubler les intrants (1)
dans une industrie augmente
la production de cette industrie de plus du double…
Nous pouvons utiliser cet
exemple pour voir comment
les économies d’échelle donnent naissance à un échange
international. Imaginons un
monde composé de deux pays,
l’Amérique et la Grande-
Bretagne, qui ont tous deux
la même technologie pour la
production de gadgets. Supposons en outre qu’au départ
chaque pays produit 10 gadgets. Le tableau montre que
ceci demande 15 heures de travail dans chaque pays : dans le
monde entier, 30 heures de
travail sont utilisées pour pro-
duire 20 gadgets. Supposons
maintenant que nous concentrions la production mondiale
de gadgets dans un seul pays,
par exemple l’Amérique, où
nous continuons à employer
30 heures de travail. Dans un
seul pays, ces 30 heures de travail peuvent produire 25 gadgets. Ainsi, en concentrant la
production en Amérique, l’économie mondiale peut, avec la
même quantité de travail,
produire 25 % de gadgets en
plus. ■
P. R. KRUGMAN, M. OBSTFELD,
Économie internationale,
De Boeck Université, 1996.
1. nda : intrants = facteurs de production.
Relation des intrants à la production dans une industrie hypothétique
Production
Intrants de travail (heures)
Intrant moyen de travail
5
10
15
20
25
30
10
15
20
25
30
35
2
1,5
1,33
1,25
1,2
1,16
Partie I 43 Les relations économiques internationales
4 Des entreprises
C Le libre-échange en débat
multinationales
pour un marché
mondial ?
À terme, les théoriciens du libre-échange considèrent que
le commerce mondial permet une amélioration globale
du bien-être des pays participant aux échanges.
Pourtant de nombreuses questions restent controversées.
1. Le libre-échange est-il un facteur de croissance
pour tous les pays ? 5
L’échange international est favorable à la croissance de l’économie mondiale.
La division internationale du travail accroît l’efficacité des firmes, et la
concurrence mondiale incite à l’amélioration de la productivité.
Toutefois, les gains réalisés au niveau mondial ne sont pas nécessairement
bien répartis entre les différents pays.
Les nouveaux pays industrialisés ont su bénéficier d’une stratégie de développement axée sur l’insertion dans l’économie mondiale. En revanche, ces dernières années ont été marquées par un appauvrissement relatif de nombreux
pays du tiers-monde. L’ouverture des échanges doit donc être accompagnée
d’une politique de développement très volontariste.
2. La libéralisation des échanges est-elle un facteur
de chômage ? 6
La concurrence internationale est devenue plus vive avec l’ouverture progressive des frontières.
En France, par exemple, de nombreux secteurs économiques (sidérurgie,
textile, habillement, etc.) ont subi la concurrence de pays dits « émergents »
où les coûts de production sont nettement plus bas. La conséquence a été
la destruction de plusieurs centaines de milliers d’emplois. Le libre-échange
engendre donc un coût social important pour certaines régions.
Par contre, de nouveaux débouchés se créent dans d’autres secteurs où la
France reste compétitive (aéronautique, industries agricoles et alimentaires,
automobile, etc.). Le commerce international a donc pour effet de transformer la structure productive du pays.
3. Commerce international et environnement 6
De nombreux auteurs s’interrogent sur le coût écologique de l’expansion
du commerce mondial. Pour bénéficier au maximum de leurs avantages
comparatifs, les pays producteurs de matières premières ont tendance à
intensifier leur production avec des conséquences négatives graves pour
l’environnement : épuisement de ressources naturelles non renouvelables
(pétrole, minerais) ou surexploitation de ressources renouvelables (poissons,
eau, etc.).
Deux logiques
peuvent être à l’origine
du développement
international des firmes.
● La première est d’accéder au marché : une implantation facilite toujours
le développement des ventes. Elle
rend les clients plus confiants et permet de mieux connaître le marché
local. Elle incite les décideurs publics
à adopter un comportement plus favorable. La seconde raison est de produire plus efficacement. Dans un
contexte où le coût des transports et
des télécommunications est orienté
à la baisse, les firmes cherchent à profiter des avantages comparatifs des
différentes régions du monde. Mais
on se tromperait en pensant que la
division internationale du travail entre
sites disséminés dans de multiples
pays du monde est le modèle le plus
répandu.
4
1. Identifiez les deux causes
majeures de l’implantation
des firmes multinationales.
2. Relevez-en les conséquences
sur la localisation des firmes.
5
1. Le libre-échange est-il favorable
à la croissance ?
2. Pourquoi le libre-échange est-il
II Le protectionnisme
un « vecteur » d’inégalités ?
Comment pourrait-on y répondre ?
Le protectionnisme est à la fois une doctrine et une politique économiques.
Il vise à favoriser la production nationale et à décourager la concurrence
étrangère. Malgré les avantages généralement reconnus au libre-échange,
le protectionnisme reste une pratique courante.
A Les instruments du protectionnisme 7
Les pratiques protectionnistes visent à défavoriser les importations
de produits étrangers et à encourager les exportations des firmes
nationales. On distingue trois grands types d’instrument : les barrières
tarifaires, les barrières non tarifaires et le protectionnisme monétaire.
Chapitre 2 44 Les fondements des échanges internationaux
● Certes, les investissements en direction de l’Asie se sont spectaculairement développés durant les années 1990, mais la raison n’en
était pas seulement la faiblesse des salaires locaux. La Chine s’est
effectivement spécialisée dans la vente à bas prix de sa main-d’œuvre
aux firmes étrangères. Mais une grande partie des multinationales
qui ont investi dans la région étaient surtout attirées par la croissance rapide de la zone et par la progression du pouvoir d’achat des
populations. Plutôt que de délocalisations, il vaudrait mieux parler
de relocalisation : l’Asie est devenue un des pôles moteurs du développement du capitalisme. ■
Philippe FRÉMEAUX, in « L’état de l’économie en 2000 »,
Alternatives économiques, hors-série n° 44, 2e trimestre 2000.
5
La
liberté
profite
au
plus
fort
L
’ ouverture des marchés contribue effectivement à rendre l’économie plus
productive : la mise en concurrence fait disparaître les producteurs les moins
efficaces, et l’élargissement des marchés encourage une spécialisation qui
engendre des économies d’échelle. Mais cette belle mécanique profite d’abord aux
plus forts, qu’il s’agisse des individus, des firmes, des territoires ou des pays.
L’ouverture des frontières favorise un mouvement de polarisation de la richesse.
Cela peut se lire au niveau des pays (les nations les plus développées concentrent
les activités à haute valeur ajoutée), des territoires (au profit des grandes
métropoles), des firmes (les multinationales accèdent à tous les marchés et
organisent à leur profit la division internationale du travail), et des hommes (les
plus qualifiés profitent de l’ouverture tandis que les moins qualifiés sont mis en
concurrence). Le libre-échange est donc un vecteur d’inégalités quand aucune règle
commune ou aucune politique compensatoire ne vient en tempérer les effets.
À l’inverse, il peut se révéler profitable lorsqu’il met en concurrence des agents
économiques aux performances voisines, et que des mécanismes collectifs
redistribuent une partie des gains d’efficacité qui en résultent, des gagnants vers
les perdants, afin de les aider à se remettre à niveau. Autrement dit : on peut
trouver avantageux d’acheter des produits textiles à bas prix, mais on doit aussi
accepter de payer les impôts nécessaires pour faciliter la reconversion des salariés
victimes des délocalisations. ■
Philippe FRÉMEAUX, Alternatives économiques, hors-série n° 59, 1er trimestre 2004.
Partie I 45 Les relations économiques internationales
© Pierre Bessard, Rea.
● En pratique, le développement international des firmes vise
surtout à tirer les bénéfices classiques liés à la dimension. Elles
peuvent ainsi allonger les séries produites et bénéficier d’économies
d’échelle croissantes. Elles disposent de meilleurs rapports de force
avec leurs fournisseurs et leurs distributeurs et d’une plus forte notoriété vis-à-vis du consommateur final. En termes organisationnels,
on observe surtout des spécialisations par produit, chaque usine
fabriquant intégralement un produit ou une gamme de produits pour
sa région, voire pour l’ensemble du monde. La libre circulation des
marchandises permet d’allonger les séries de chaque établissement,
tout en apparaissant aux yeux des consommateurs et des États comme
une marque « locale ».
● En bonne logique, les firmes transnationales devraient plutôt chercher à vendre
dans les pays riches, là où sont les principaux marchés, et produire dans les pays
pauvres, où les salaires sont les plus bas.
Cette logique s’applique à de nombreux produits, comme les chaussures de sport, la
confection, l’assemblage électronique…
Mais elle ne doit pas être généralisée. Les
activités mettant en œuvre des équipements
coûteux et une main-d’œuvre qualifiée
demeurent localisées dans les régions les
plus développées. Là sont les savoir-faire
pour produire et les marchés les plus vastes.
● Et puisqu’on peut produire pour l’ensemble du marché mondial à partir d’un
seul point de la planète, certaines firmes
n’ont même plus besoin de multiplier les
implantations : Microsoft concentre la quasitotalité de ses activités à Seattle.
1. Les barrières tarifaires
Elles consistent à élever artificiellement le prix d’un produit importé en lui
imposant une taxe appelée « droit de douane ».
En rendant plus chers les produits étrangers, cette pratique cherche soit à
en réduire la consommation nationale, soit à l’orienter vers des produits
nationaux devenus plus compétitifs.
2. Les barrières non tarifaires
Elles regroupent un nombre important de mesures qui produisent des effets
directs ou des effets indirects beaucoup plus insidieux sur le volume d’importations :
– Les contingents (ou quotas d’importations) fixent des limites quantitatives maximales à l’importation de catégories de produits.
– Les barrières techniques sont mises en place par l’obligation de respecter
certaines « normes » de qualité ou labels. Ces normes contraignent généralement les entreprises étrangères à fabriquer des séries plus courtes et
donc plus coûteuses destinées aux exportations vers le pays qui dicte ces
normes. Les délais d’homologation sont aussi très longs.
– Les barrières administratives ont pour objet d’accroître le coût du
produit ou de rallonger les délais d’entrée sur le territoire national par des
formalités administratives lourdes et pénalisantes.
– Les restrictions volontaires d’exportation sont des mesures par lesquelles
les pouvoirs publics d’un pays importateur s’entendent avec ceux d’un pays
exportateur en vue de restreindre le volume d’exportation de ce dernier.
Elles résultent généralement de pressions du pays importateur, le terme
« volontaire » signifiant simplement qu’il s’agit d’accords bilatéraux.
Ces mesures se sont multipliées ces deux dernières décennies.
– Les subventions à l’exportation, versées par l’État, permettent aux entreprises nationales qui en bénéficient de réduire artificiellement leurs coûts
et d’abaisser leur prix de vente à l’étranger.
6
1. Analysez les causes du déclin
de l’emploi industriel.
2. Analysez les conséquences
de la recherche de compétitivité
à tout prix.
3. Justifiez l’interrogation de l’auteur sur
le coût écologique de l’accroissement
des échanges internationaux.
7
Expliquez le mode de fonctionnement des
mesures protectionnistes présentées dans
le texte.
3. Le protectionnisme monétaire (ou dumping monétaire)
Cette forme de protectionnisme, très pratiquée par les NPI pour assurer leur
décollage industriel, consiste à maintenir la parité de la monnaie nationale
à un cours artificiellement bas pour être compétitif sur les marchés mondiaux et favoriser les exportations.
B La justification du protectionnisme
Le protectionnisme est justifié pour permettre le développement
ou la reconversion d’industries nationales qui ne supporteraient
pas la concurrence étrangère.
1. La protection des « industries dans l’enfance » (F. List)
Cette théorie est proposée par Friedrich List (1789-1846), économiste allemand de la seconde moitié du XIX e siècle.
La mise en place de mesures protectionnistes par un pays est justifiée
par la construction d’avantages comparatifs dans certaines industries
« naissantes » qui n’ont pas encore les moyens de soutenir la concurrence des autres pays industrialisés.
En effet, lorsqu’un pays veut se lancer dans la production d’un nouveau bien,
celle-ci ne peut être compétitive en raison de sa taille limitée (économie
d’échelle insuffisante), des délais d’apprentissage nécessaires et des coûts
fixes importants à amortir. L’État doit donc protéger cette industrie le temps
qu’elle soit en mesure d’affronter la concurrence internationale.
Le dumping est une pratique
qui consiste, pour une entreprise,
à vendre à un prix inférieur à son
coût de revient. Les subventions
à l’exportation ou des monnaies
sous-évaluées, en abaissant
artificiellement le coût
du produit, correspondent
à un dumping déguisé.
Chapitre 2 46 Les fondements des échanges internationaux
6 Les coûts du libre-échange
e développement des importations en
provenance des pays émergents est-il
un facteur de chômage et de montée des
inégalités dans les pays riches ? Certains
économistes et l’opinion publique ont popularisé cette thèse au cours des années
1990, quand le développement des importations en provenance d’Asie s’est accompagné d’un fort déclin de l’emploi industriel dans nos pays, notamment dans les
secteurs employant une importante maind’œuvre peu qualifiée (confection, chaussure, jouet, assemblage électronique). En
fait, si certains secteurs ont payé un lourd
tribut à la concurrence des pays à bas
salaires, le déclin de l’emploi industriel
s’explique plus sûrement par les gains de
productivité observés dans l’industrie, qui
permettent une baisse des prix relatifs de
ses productions, obligeant ainsi la demande
à se tourner toujours plus vers les services,
où l’emploi s’accroît rapidement.
■ La mondialisation des firmes constitue
néanmoins un puissant accélérateur de la
mise en concurrence des territoires et donc
des salariés. Certes, au fur et à mesure que
L
7
progresse le rattrapage, les salaires s’élèvent dans les pays en développement pour
se rapprocher de ceux pratiqués dans les
pays développés, mais le maintien durant
une longue période d’écarts de coûts salariaux supérieurs à l’écart des productivités a eu, et aura encore, des conséquences
sur l’évolution des structures économiques des pays riches.
■ Si l’ouverture des frontières débouche
sur une compétitivité à tout prix, fondée
sur la recherche du moindre coût, notamment via des politiques économiques
restrictives et une pression à la baisse sur
les salaires, la demande intérieure ne peut
augmenter. Les gains de productivité
permis par l’élargissement du marché
n’engendrent pas une croissance qui bénéficie à tous : chaque pays tente d’exporter
son chômage chez l’autre. Les politiques
de désinflation compétitive menées par les
pays européens durant les deux dernières
décennies ont ainsi montré combien
la guerre commerciale pouvait conduire
à brider la croissance. L’ouverture n’est
bénéfique que pour autant que les poli-
tiques économiques nationales et leur
coordination permettent d’assurer une
croissance de l’activité. On est enfin en
droit de s’interroger sur le coût écologique
de l’expansion continue du commerce de
marchandises, facilitée par le trop faible
prix des énergies fossiles. Est-il logique de
vendre de l’eau minérale française aux
États-Unis ou d’importer de la bière du
Mexique ?
■ Le développement des échanges n’est
donc pas en soi synonyme de progrès :
autant l’accès de tous aux médicaments
ou aux équipements de production permettant d’économiser le travail et la peine
apparaît comme un plus pour l’humanité
dans son ensemble (pour autant que ceux
qui en ont besoin aient les moyens d’y
accéder, ce qui n’est pas le cas), autant le
monde à la fois uniforme et inégalitaire
qu’engendrerait un libre-échange sans
règles apparaît peu désirable.
Stéphanie LAGUERODIE, Philippe FRÉMEAUX,
« Le libre-échange est-il bon
pour le développement ? »,
Alternatives économiques, n° 191, avril 2001.
Les formes du protectionnisme
Pays industriels, et pays en développement payent un lourd tribut au protectionnisme. Selon diverses sources,
dont la Banque mondiale (2002), la
levée des obstacles au commerce des
marchandises dégagerait… de 250 à
620 milliards de dollars par an, dont
une part comprise entre un tiers et la
moitié irait aux pays en développement.
Pourtant, le protectionnisme persiste,
sous des formes différentes et dans des
proportions plus fortes que ne le révèlent les références traditionnelles à la
moyenne des taux (1) applicables à la
nation la plus favorisée (NPF). En effet,
ces moyennes ne reflètent pas les droits
spécifiques et contingents tarifaires, les
mesures de rétorsion commerciale (droits
antidumping) ou les effets des normes
d’environnement et règlements techniques. Elles ne permettent pas non plus
de saisir l’impact des crêtes tarifaires ou
de la progressivité des droits ou d’autres
mesures qui, en faisant peser l’incertitude sur l’accès au marché, découragent
les exportations.
◗◗◗ Crêtes tarifaires. Bien que les droits moyens sur les produits industriels soient
tombés entre 6 et 14 % pour les membres de la Quadrilatérale – Canada, États-Unis,
Japon et UE – les lignes tarifaires sont sujettes à des crêtes (droits supérieurs ou
égaux à 15 %). Au Canada et aux États-Unis, les crêtes tarifaires se concentrent sur
les textiles et vêtements ; dans l’UE et au Japon, elles visent l’agriculture, les produits
alimentaires et les chaussures.
◗◗◗ Les pays industriels et les pays en développement jouent sur la progressivité des
droits de douane. Pour protéger un secteur de son industrie manufacturière ou de transformation, le pays importateur impose des droits peu élevés sur les matériaux importés
qu’utilise ce secteur et des droits élevés sur les produits finis qui concurrencent la production nationale. Il fait ainsi obstacle aux pays qui essaient de renforcer leur capacité
technologique en les décourageant de développer leur industrie de transformation et de
diversifier leurs exportations, les condamnant à rester dépendants de produits de base
aux prix souvent volatils.
◗◗◗ Normes. Les normes et règles jouent un rôle important dans le commerce, car elles
assurent la qualité, la sécurité et la compatibilité technique des produits et des processus de production. Cela dit, elles sont parfois plus contraignantes qu’il ne faudrait, et
certains en abusent pour alourdir les coûts de leurs concurrents potentiels. Entre 1996
et 1999, les pays à revenu faible ou intermédiaire ont notifié qu’ils ne pouvaient pas satisfaire aux obligations sanitaires et phytosanitaires sur plus de 50 % de leurs exportations
potentielles de poisson, viande, fruits et légumes dans l’UE. On a pu dire que ces mesures
sont des obstacles plus importants que les droits de douane et les contingents. ■
Hans-Peter LANKES, « Ouvrir les marchés aux pays en développement »,
Finances et développement, vol. 39, n° 3, septembre 2002.
1. Il s’agit de la moyenne des taux des droits de douane appliqués, les crêtes correspondent à des taux très supérieurs
à cette moyenne (nda).
Partie I 47 Les relations économiques internationales
Ces politiques sont appliquées tant par les pays du tiers-monde qui
engagent une politique de développement que par les pays industrialisés
quand ils sont contraints de reconvertir des secteurs industriels vieillissants.
Historiquement, les États-Unis et l’Allemagne au XIX e siècle, le Japon pendant les années 1950-1970 ont développé leur industrie à l’abri de barrières
protectionnistes.
2. « La politique commerciale stratégique » 8
James Brander et Barbara Spencer justifient, dans les années 1980, l’application par un État d’une « politique commerciale stratégique » dans le cadre
de marchés mondiaux oligopolistiques.
Ainsi, un pays peut avoir intérêt à soutenir une entreprise nationale pour
pénétrer sur un marché lorsque la production d’un bien :
– procure de fortes économies d’échelle ;
– se situe sur un marché où la taille critique (1) ne permet l’existence que de
quelques firmes (2) ;
– permet la réalisation de surprofits (3) dont l’entreprise nationale aidée pourra
bénéficier.
8
1. Poursuivez l’analyse de chaque
situation de la première matrice des
gains (sans aide à Airbus) commencée
dans la note des auteurs (nda).
2. Expliquez la raison qui conduit Airbus
à ne pas produire sans aide, alors que
Boeing est déjà présent sur le marché
(premier cas).
3. Décrivez chaque situation de
la deuxième matrice des gains
(deuxième cas) (avec aide à Airbus).
4. Expliquez la raison qui conduit Airbus
à entrer sur le marché, alors que Boeing
est déjà présent (deuxième cas).
9
Comment les coûts du protectionisme
s’expliquent-ils ?
C Les coûts du protectionnisme 9
Pour les auteurs libéraux, les effets du protectionnisme sont
néfastes globalement pour l’économie.
1. Une perte de bien-être
Les effets sont favorables pour certains agents économiques mais défavorables pour d’autres.
Les effets sont positifs :
– pour les firmes nationales de la branche qui bénéficie des mesures
protectionnistes. Selon leur situation, ces firmes peuvent soit majorer leurs
marges, soit devenir compétitives par rapport aux firmes étrangères. Au
total, le surplus du producteur s’accroît ;
– pour l’État qui perçoit les droits de douane.
Les effets sont négatifs :
– pour tous les agents (consommateurs mais aussi entreprises) qui doivent
payer un prix plus élevé pour obtenir le produit taxé et qui vont donc réduire
leur consommation ;
– de manière générale, la perte de bien-être subie par les consommateurs
est supérieure aux gains dont bénéficient certaines entreprises et l’État.
2. Un frein à la capacité d’adaptation des industries nationales
En étant protégées, les industries nationales ne sont pas incitées à innover
pour réduire leurs coûts ou pour présenter de nouveaux produits.
Des entreprises nationales subsistent artificiellement alors qu’il serait plus
profitable que les fonds investis s’orientent vers de nouveaux secteurs.
Finalement, le protectionnisme retarde les mutations et les reconversions
industrielles au prix d’un coût très élevé.
1. Taille nécessaire pour qu’une entreprise soit rentable.
2. Marché oligopolistique.
3. Profits supérieurs à ce qui serait obtenu sur un marché de concurrence parfaite.
Chapitre 2 48 Les fondements des échanges internationaux
La politique commerciale stratégique : Airbus contre Boeing
8
Premier cas
● Supposons qu’on envisage de construire un nouveau
type d’avions de transport qui représente un marché
potentiel de 210 millions de dollars. Si la fabrication
exige un investissement de 110 millions de dollars, le
bénéfice escompté par Boeing sera de 100. Mais si une
autre firme (Airbus) se lance sur le marché, chacune
devant faire le même investissement initial alors qu’elles
se partageront le marché, elles perdront chacune 5 millions de dollars. Dans ces conditions, il est peu probable qu’Airbus entre sur le marché. ■
Boeing
Produit
Produit
Ne produit pas
bénéfice Airbus : – 5
bénéfice Boeing : – 5
bénéfice Airbus : 100
bénéfice Boeing : 0
bénéfice Airbus :
bénéfice Airbus :
bénéfice Boeing :
Airbus
0
Ne produit pas bénéfice Boeing : 100
0
0
NDA : cette matrice des gains se lit de la manière suivante :
■ Zone haut/Gauche : dans l’hypothèse où Boeing et Airbus
produisent le nouveau type d’avion, ils réalisent chacun une
perte de 5 millions de $ ;
Zone bas/Gauche : dans l’hypothèse où Boeing produit le
nouveau type d’avion mais pas Airbus, le bénéfice d’Airbus
est 0 et le bénéfice de Boeing est de 100 millions de $.
■
Second cas
Supposons maintenant que les gouvernements européens versent à Airbus une subvention de 25 millions
de dollars. Il devient alors profitable pour Airbus d’entrer sur le marché, que Boeing se maintienne ou non.
Il est probable également que, face à une telle offensive, Boeing se retire du marché car il perdrait 5 millions de dollars dans l’affaire. Dans ce dernier cas, les
gouvernements européens, en investissant 25 millions
de dollars, auront permis à Airbus de réaliser 125 millions de dollars de bénéfices. ■
●
Frédérique SACHWALD, in Philippe CABIN,
L’Économie repensée, Sciences humaines, 2000.
Boeing
Aide de 25 M de $ à Airbus
Airbus
Produit
Produit
Ne produit pas
bénéfice Airbus : 20
bénéfice Boeing : – 5
bénéfice Airbus : 125
bénéfice Boeing : 0
On comprend alors que les gouvernements européens perçoivent
un intérêt à aider leur firme à entrer sur le marché. Le modèle est
un argument fort en faveur d’une subvention, même si elle vicie
les règles du jeu du commerce international.
Le modèle Brander-Spencer a donc pu être considéré comme un
encouragement à l’adoption d’une « politique commerciale
stratégique » qui constitue une forme d’interventionnisme en faveur
des industries nationales.
Le coût du protectionnisme
9
L
e régime de protection avantage la recherche de rentes
plutôt que la compétitivité économique. Les droits de
douane et certaines autres protections non tarifaires assurent la rentabilité des entreprises qui produisent en remplacement des importations. La demande de protection
se maintiendra, voire se renforcera, si cette rentabilité est
menacée par les progrès techniques et économiques réalisés à l’extérieur ou si une hausse des coûts est enregistrée
à l’intérieur du pays concerné.
L
es subsides et les avantages apportés aux exportations
produisent les mêmes effets de gaspillage et de sclérose.
Étant financés par les prélèvements obligatoires, ils ont
pour effet immédiat une diminution du pouvoir d’achat,
et donc une réduction de la demande domestique, dont
les effets négatifs sur la croissance et l’emploi peuvent
venir compenser, voire dépasser, les effets positifs induits,
à court terme, par les protections sur les entreprises
exportatrices.
Lahsen ABDELMALKI, René SANDRETTO, « Les effets contrastés de la libération de échanges », in Benoît FERRANDON,
Mondialisation et commerce mondial, coll. « Les Cahiers français », n° 325, La Documentation française, Mars-Avril 2005.
Partie I 49 Les relations économiques internationales
ZO O M
Le libre-échange
est-il réellement profitable à tous ?
Les pays pauvres doivent d’abord
compter sur eux-mêmes.
2
Les pays qui se sont bien débrouillés récemment ont réussi grâce à leurs propres
efforts. L’aide et les marchés n’ont joué en la matière qu’un rôle mineur.
Prenons l’exemple d’un pays en développement disposant d’un accès libre et
préférentiel au marché de son grand voisin, qui se trouve être l’économie la
plus puissante au monde. Supposons que ce pays soit capable d’envoyer des
millions de ses citoyens travailler de l’autre côté de la frontière, reçoive un
énorme volume d’investissements étrangers et soit intégré aux chaînes de production internationales. […] La mondialisation ne pourrait se présenter sous
de meilleurs auspices.
Considérons maintenant un second pays. Celui-ci doit faire face à un embargo
commercial sur le plus grand marché mondial, ne reçoit ni aide étrangère ni
soutien de la part du monde occidental. Si ces handicaps extérieurs n’étaient
pas suffisamment débilitants, on peut y ajouter une économie qui érige ellemême des barrières contre le commerce international (commerce d’État, taxes
à l’importation et restrictions quantitatives).Ces pays existent : il s’agit du
Mexique et du Vietnam.
Examinons maintenant les performances économiques de ces deux pays.
Depuis la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) en
décembre 1992, l’économie mexicaine a connu une progression annuelle
moyenne d’à peine plus de 1 % par tête.
Le Vietnam, cependant, a connu une progression annuelle de 5,6 % par tête
depuis les balbutiements de ses réformes économiques en 1988 et le rétablissement des relations diplomatiques avec les États-unis en 1995, et a connu
depuis une croissance rapide et continue au rythme de 4,5 %. Le Vietnam
a vu sa pauvreté baisser de façon spectaculaire, tandis que le Mexique a connu
une chute des salaires réels. Ces pays ont fait l’expérience d’un décollage
prononcé du commerce international et des investissements étrangers, mais
la situation est contrastée dans le domaine le plus important : l’amélioration
des niveaux de vie, surtout pour le plus pauvres.
Ce que ces exemples démontrent c’est que les efforts intérieurs éclipsent les
autres éléments dans la détermination des fortunes économiques d’un pays.
Tout ce que le marché américain avait à offrir au Mexique n’a pas pu contrebalancé les conséquences des erreurs politiques sur le marché intérieur, particulièrement […] d’étendre les gains de productivité obtenus dans les activités tournées vers l’exportation au reste de l’économie.
Ce qui compte le plus reste l’adoption par un pays d’une stratégie de croissance appropriée. Sans aucun des avantages dont a bénéficié le Mexique, le
Vietnam a poursuivi une stratégie centrée sur la diversification de son économie et sur l’amélioration des capacités de production locales. Les expériences d’après-guerre étayent le constat de l’importance majeure des politiques domestiques. La Corée du Sud a décollé au début des années 1960,
non pas lorsque l’aide étrangère était à son summum, mais quand elle a commencé à se tarir. Taïwan n’a pas bénéficié d’aide étrangère ni d’accès privilégié à certains Marchés.
Doc
Doc
1
Un autre monde est-il
n matière de commerce international, les contestataires n’ont pas tort de dénoncer l’hypocrisie
des pays du Nord qui militent pour mettre à bas les
protections des pays en développement alors
qu’eux-mêmes ne s’ouvrent que parcimonieusement aux produits exportés par ces derniers. De
même lorsqu’ils s’élèvent, de plus en plus énergiquement, contre ces subventions du Nord aux exportations de produits agricoles, souvent ruineuses
pour le Sud. Ainsi, par exemple, la Côte-d’Ivoire
produit la viande de bœuf à 1,84 euro le kilo contre
2,65 euros pour l’Europe. Mais, une fois les
subventions de la Politique agricole commune (PAC)
encaissées, l’Europe y vend son bœuf à 1,58 euro,
ce qui, bien sûr, met à mal l’élevage local.
E
◆ De même, on cite souvent l’exemple du coton
américain qui reçoit 5 milliards de dollars de
subventions qui bénéficient à moins de 25 000
producteurs : la conséquence n’est autre que la
ruine de pays africains comme le Mali ou le Bénin
dont plus de la moitié de la population est concernée par cette production.
◆ C’est à bien d’autres niveaux du commerce international qu’on trouve ces dérives qui deviennent
de plus en plus insupportables aux pays qui les
subissent. Toutefois, celles-ci sont, dira-t-on, bien
peu de chose par rapport aux bénéfices énormes
qui résultent de la libération des échanges tant du
côté des consommateurs, avec les baisses de prix
qui accroissent leur bien-être, que des producteurs
eux-mêmes. Ces derniers, s’il n’y avait pas cet
aiguillon permanent de la concurrence internationale, sombreraient dans la routine et les retards de
productivité. D’ailleurs, on sait bien aujourd’hui que
les pays qui demeurent « fermés » sont ceux qui
stagnent et parfois même affament leurs populations (Corée du Nord, Cuba). Il ne saurait, dès lors,
être question de remettre en cause l’énorme travail
de démantèlement des entraves aux échanges entrepris avec le GATT, il y a maintenant presque un
demi-siècle. […]
◆ Dès lors, pourquoi ne pas tenir compte, disent
les contestataires, de tous les coûts externes que
crée le développement exponentiel du commerce
Dani RODRIK, Le Monde du 20 septembre 2005.
Chapitre 2 50 Les fondements des échanges internationaux
Doc
3 Mondialisation des échanges
et environnement
possible ?
international et qui diminuent sensiblement le gain global net de
l’échange et que sont : la consommation d’énergie (le fret maritime
exige une énergie à peu près égale
à celle qui est nécessaire à deux pays
comme le Brésil et la Turquie), les
risques de saturation des grandes
voies maritimes, les atteintes à l’environnement et à la biodiversité, les
fermetures de sites et le chômage
induit, etc. L’altermondialisation
doute, dès lors, de l’intérêt à poursuivre toujours plus avant dans la
voie de l’ouverture. Pourquoi – et
jusqu’où – multiplier, par exemple,
ces convois « croisés » de porteconteneurs qui transportent, en fait,
à peu de chose près les mêmes
biens, avec les risques que l’on sait
de catastrophes maritimes ? De
même, est-il bien rationnel de
conduire des millions de paysans
mexicains (avec l’Aléna) ou indiens
(demain avec l’OMC) à la ruine, au
prétexte d’accepter l’entrée du maïs
américain en franchise ? De la même
façon, jusqu’où les paysans de
Gambie ou du Sénégal doivent-ils
acheter à bas prix les caissettes
d’abats de poulet américain au détriment de l’élevage local ? Qui prendra alors en charge les coûts sociaux
de ces populations dont une partie
viendra grossir les masses qui
s’agglutinent autour des grandes
villes ? Ne faudrait-il pas, dans cette
ligne, intégrer au calcul économique
les avantages de tous ordres de
produire au pays ? ■
Henri BOURGUINAT,
« L’Altermondialisation :
essai d’évaluation »,
Commentaire sur la mondialisation,
Problèmes économiques, n° 2875,
La Documentation française,
11 mai 2005.
La mondialisation fait l’objet de vives critiques, fondées sur des considérations
sociales, politiques, culturelles ou environnementales. Les critiques adressées
à la mondialisation dans ses relations avec l’environnement se résument,
lorsqu’on les synthétise, à deux assertions principales.
m Premièrement, la mondialisation aurait pour effet de donner un avantage compétitif aux
pays les moins rigoureux en matière d’environnement, ce qui aurait pour effet de
conduire, soit à des délocalisations d’entreprises industrielles, soit à un recul des
normes environnementales dans les pays développés.
m Deuxièmement, l’ouverture économique, en stimulant la croissance, conduirait à une aggravation insoutenable des émissions de polluants et des pressions sur le milieu naturel.
[…] On a employé l’expression de « dumping environnemental » pour décrire ce phénomène : les États rivaliseraient pour attirer des firmes multinationales en adoptant des
normes environnementales moins rigoureuses. […]
La mobilité croissante des facteurs de production entre pays fait craindre que la capacité d’action des États en matière environnementale ne soit considérablement réduite.
Dès 1988, les économistes Baumol et Oates ont proposé une modélisation des conséquences de la libéralisation des échanges entre deux pays qui appliquent des normes
environnementales différentes.
m La démonstration de Baumol et Oates suggère que l’application de normes environnementales dans les pays développés transformerait les pays en développement en lieux
d’accueil des activités polluantes. Les pays en développement deviendraient ainsi,
selon ce modèle, des « havres de pollution » (traduction de l’anglais pollution havens).
Les politiques environnementales nationales perdraient de leur portée, du fait des
délocalisations d’activité. L’effet du libre-échange sur la pollution serait géographiquement
différencié : les émissions polluantes se réduiraient au Nord, mais augmenteraient au
Sud. L’effet global serait cependant négatif pour l’environnement, du fait de l’abandon
des technologies propres, et de l’augmentation de la demande pour les produits à bas
coûts fabriqués dans les pays du Sud.
m Naturellement, les États développés victimes des délocalisations seraient découragés
de renforcer leurs normes environnementales (« paralysie réglementaire »), voire pourraient s’engager dans une « course au moins-disant » environnemental (race to the bottom) pour retrouver un avantage comparatif dans certaines productions industrielles.
Dans l’un et dans l’autre cas toutefois (formation de « havres de pollution », ou « course
au moins-disant » environnemental), l’environnement mondial pâtirait de la libéralisation
des échanges. ■
Serge LEPELTIER, « Mondialisation : une chance pour l’environnement ? »,
Les rapports du Sénat, rapport n° 233, mars 2004.
1. Comparez les situations et les résultats des pays pris en exemple. (Doc 1)
2. Quelles conclusions peut-on en tirer à propos des conséquences
du libre-échange sur la croissance ? (Doc 1)
3. Relevez les mesures protectionnistes pratiquées par les pays du Nord,
quels sont leurs effets sur les pays du Sud ? (Doc 2)
4. Quels sont les « coûts externes » générés par le développement du
commerce international et non pris en compte sur un plan économique
pour évaluer les gains de l’échange international ? (Docs 2 et 3)
Partie I 51 Les relations économiques internationales
Prépa BTS examen
Travail méthodologique
2 Ouverture commerciale et développement
1 Ouverture et croissance :
vont-ils de pair ?
un lien discutable
Ce sont indiscutablement F. Rodriguez et D. Rodrik
(1999) qui, au terme d’un vaste travail de synthèse
théorique et de vérifications économétriques, expriment le plus grand doute sur l’existence d’une relation explicite entre ouverture, croissance et bienêtre : « nous sommes sceptiques sur le fait qu’il y ait un
rapport général et non ambigu entre ouverture commerciale et croissance. Il y a des raisons de penser que
ce rapport est contingent et qu’il dépend à la fois de
caractéristiques internes à de nombreux pays, mais aussi
de caractéristiques externes à ces derniers […]. Les politiques commerciales peuvent avoir des effets positifs sur
le bien-être sans affecter le taux de croissance économique. Réciproquement, même si les politiques qui
entravent le commerce international ont pour effet de
réduire la croissance économique, elles ne réduisent pas
nécessairement le niveau du bien-être ».
Le succès de la libéralisation commerciale passe donc
aussi, et sans doute d’abord, par des actions d’envergure sur les structures de production et la qualité des institutions. Un système commercial (acteurs,
marchés et institutions) performant est celui qui forme
un ensemble harmonieux avec les enchaînements
économiques, les processus techniques et les systèmes
de valeurs qui caractérisent chaque nation, toutes
choses qui confèrent au développement sa véritable
signification. I. Bensidoun et A. Chevallier (2002)
soulignent à juste titre que : « la capacité des gouvernements à mettre en œuvre les réformes macro et microéconomiques qui doivent accompagner l’ouverture (réforme
fiscale, amélioration de l’accès des entreprises au financement, réforme juridique, …) est tout aussi essentielle
que l’ouverture elle-même. Dans la mesure où elle se
traduit par une plus grande exposition aux chocs,
l’ouverture réclame des ajustements macroéconomiques
qui peuvent être entravés par la faiblesse des institutions chargées de la gestion des conflits d’intérêts ».
Pour les économistes orthodoxes, le libre-échange favorise l’enrichissement de tous; chaque pays tend à se spécialiser dans les productions
pour lesquelles il est le plus efficace. Ce qui lui permet de vendre plus
et d’accroître son pouvoir d’achat en achetant à d’autres ce qui est
produit ailleurs à moindre coût au lieu de le produire lui-même.
C’est pourquoi le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque
mondiale ont poussé la quasi-totalité des pays du Sud à libéraliser leurs
échanges extérieurs. C’est peu dire que tous les pays n’ont pas réussi
leur développement !
Cette constatation empirique commence à être reconnue par les
économistes : l’ouverture commerciale est une condition nécessaire
au développement (aucun pays ne s’en est sorti par l’autarcie), mais
elle est très loin d’être suffisante. Elle est nécessaire parce qu’elle
permet d’obtenir, en contrepartie, un accès aux marchés des pays
riches et d’acheter les biens d’équipement nécessaires au développement. Mais elle peut aussi empêcher la diversification progressive
du tissu productif national, soumis à la concurrence des producteurs
plus efficaces du reste du monde. Chaque État doit donc mettre
en œuvre des politiques adaptées en matière de formation et de développement des infrastructures, ainsi qu’un soutien à l’offre locale
et à l’accueil de l’investissement étranger.
II devra y parvenir dans un contexte où les pays du Nord continuent à
réguler le commerce international dans un sens défavorable au Sud.
Les barrières tarifaires qu’ils imposent découragent la transformation
des produits par les pays du Sud : ainsi, une fève de cacao, selon qu’elle
est brute, légèrement transformée ou prête à faire du chocolat, est taxée
respectivement à 0,5 %, 9,7 % et 30,6 % par l’Union européenne. Par
ailleurs, les subventions accordées aux producteurs européens encouragent une offre abondante qui tire les prix vers le bas : en 2001-2002,
les États-Unis, l’Europe et la Chine ont ainsi distribué 6 milliards de dollars
de subventions à leurs producteurs de coton, l’équivalent du montant
des exportations mondiales de coton sur la période !
Tout cela ne facilite pas la diversification des économies du Sud.
D’autant que les pays pauvres ressentent bien plus fortement les contrecoups des soubresauts de l’économie mondiale. Certes, l’émergence
de plusieurs pays en Asie et en Amérique latine montre que le pari
n’est pas impossible, mais cette émergence réclame plus qu’une simple
ouverture aux grands vents des échanges.
Dès lors, faut-il croire ou ne pas croire aux vertus
de la libéralisation des échanges ?
Alternatives économiques, n°225, mai 2004.
Lahsen ABDELMALKI, René SANDRETTO,
« La nouvelle géographie du commerce international »,
in Benoît FERRANDON,
Mondialisation et commerce mondial,
coll. « Les Cahiers Français », n° 325,
La Documentation française, Mars-Avril 2005.
Développement structuré
Le libre-échange favorise-t-il la croissance ? (Pour traiter votre
sujet, vous prendrez appui sur la partie méthodologique dont les
documents et les questions posées vous fournissent à la fois les
éléments pour rédiger votre introduction et le développement.)
1. Quels sont les mécanismes qui permettent
de dire que le libre-échange est favorable
à la croissance et au bien-être ?
2. Montrez pourquoi l’ouverture au commerce
mondial est une condition nécessaire
à la croissance mais pas suffisante.
Quelles sont les autres politiques
qui doivent être mises en œuvre ?
3. Pourquoi les conditions actuelles
ne sont-elles pas favorables aux pays
en développement ?
Chapitre 2 52 Les fondements des échanges internationaux
Téléchargement