Cahier 8 Le toucher dans les soins infirmiers regard croisé entre la

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Cahier 8 Le toucher dans les soins infirmiers regard croisé entre la discipline infirmière et l’anthropologie Chantal Saint Pier r e, inf, Ph.D Professeure du département des sciences infirmières, UQO Flor ence Vinit, PhD Anthropologie de la santé Septembre 2006
2 Table des matières Introduction 3 1. Regard socio­historique sur le toucher 3 2. Regard anthropologique sur le toucher 5 3. Regard infirmier sur le toucher 7 a. Les typologie du toucher physique dans la pratique infirmière 8 i. L’effet physiologique 10 ii. L’effet psychologique 10 b. L’utilisation du toucher chez divers types de clientèles 11 c. L’expérience du toucher 12 Conclusion 13 Références 15
3 Le toucher demeure au centre des gestes de soins. Quotidiennement infirmières et infirmiers, à travers leurs interventions, utilisent le toucher physique. Bien qu’omniprésent dans les soins infirmiers, le toucher a paradoxalement été peu étudié dans la discipline infirmière. La recension des écrits présentée vise à permettre aux infirmières et infirmiers de jeter un regard réflexif sur le toucher physique dans leur pratique quotidienne. De plus, souhaitons qu’il redonne au toucher comme contact et qualité de présence la place qui lui revient dans le plan thérapeutique infirmier. La recension des écrits permettra d’optimiser ces moments privilégiés de contact thérapeutique en se basant sur des données probantes, et ce, auprès de diverses clientèles. Pour mieux mettre en contexte l’apport spécifique de la discipline infirmière, il a été jugé important de le croiser avec celui d’autres disciplines, plus particulièrement les perspectives socio­historique et anthropologie. Introduction Lorsqu’il n’est pas nié ou dévalorisé, le toucher est souvent réduit à une forme d’évidence, ne justifiant pas en cela d’être interrogé. Or il ne suffit pas de toucher pour rencontrer l’autre : en portant la main sur le corps en vue de le guérir, le soignant passe outre deux tabous qui ne sont pas sans nourrir des réactions défensives : celui de l’intimité (du contact avec la nudité physique autant qu’avec la vulnérabilité du patient) et celui de la fréquentation quotidienne de la souffrance et possiblement de la mort. 1. Regard socio­historique sur le toucher La question du toucher reste, en Occident, indissociable de celle du corps. Marqué, pendant des siècles, du signe du soupçon, boudé par une philosophie mettant en garde contre les tromperies des sens, le corps est l’héritier d’une approche dualiste progressivement inscrite dans l’histoire de la pensée occidentale. Le langage garde pourtant dans ses expressions courantes, la trace d’une connivence sensible avec le monde : nous pouvons « laisser notre empreinte », « toucher une réalité du doigt », « avoir la main heureuse », autant d’expressions indiquant combien le corps n’est pas une surface neutre, mais toujours en résonance avec ce qui l’entoure. Or les récits et analyses rendant compte d’un affinement de la sensorialité, et notamment du toucher, concernent principalement d’« autres cultures », cultures dites traditionnelles lorsqu’elles ne sont pas « primitives ». Notamment en raison de son assimilation traditionnelle à l’un des sens les plus grossiers, le toucher sera ainsi historiquement relié aux tâches domestiques, tâches plus ingrates et allouées aux femmes, mais il sera aussi nimbé d’une inquiétante étrangeté, associé aux personnages des sorcières.
4 Les différentes modalités du contact sont affectées par la singularité de chaque époque. La proximité intime comme les gestes de tendresse envers les enfants sont corrélatives du développement contemporain de la pédiatrie, de la psychologie de l’enfant et de leur diffusion dans le grand public. A l’inverse, au début du siècle, le mouvement hygiéniste proscrivait le fait de toucher les petits enfants, assimilant tout contact physique à un risque de contamination (Watson cité par Field, 1951). Le fait de toucher son propre corps (que ce soit par détente, à travers le bain, le massage ou d’une manière plus sexuelle, à travers la masturbation) est loin d’avoir été une chose commune et acceptée ; toute l’œuvre de Freud témoigne des interdits liés au fait de « se toucher », dans la classe bourgeoise de la fin du XIXième siècle. Le thème du toucher traverse l’histoire du soin et occupe dans le domaine médical et infirmier le toucher occupe une place particulière. Toucher au corps pour le guérir est une pratique immémoriale, présente dans l’histoire de toutes les cultures : des papyrus attestent de son usage par certains pharaons égyptiens de même que dans l’Antiquité par les empereurs romains (tels Hadrien ou Vespasien). A l’instar des miracles opérés par le Christ en touchant le corps des malades, les papes et évêques utilisaient l’imposition des mains comme geste de consécration et de soulagement de la douleur. Ce don de guérison continuera à être un apanage royal, exercé par les monarques de France et d’Angleterre jusqu’au XVIIIième siècle. En ce qui concerne la médecine, puisque le corps a longtemps été mise à distance par l’interdit religieux, la médecine trouve son fondement scientifique dans l’audace de la dissection anatomique qui transforme le corps en un objet d’étude et de représentation. Construit sous le regard médical comme une fascinante mécanique à démonter, le corps s’offre à une investigation de plus en plus poussée : du scalpel du chirurgien au microscope de l’histologiste, de l’enveloppe de peau aux tissus et membranes cellulaires, ses composants révèlent tour à tour leur mystère. Le développement de la méthode expérimentale constitue donc le tournant de cette avancée vers une médecine scientifique. Là où le « toucher au corps » de la dissection se place sous le modèle paradigmatique du rapport au cadavre, l’expérimentation décompose l’organisme en fonctions physiologiques et le dissocie du corps sensoriel, corps vécu par le patient dans le mouvement de son existence. Conjointement à la réforme hospitalière et au développement de nouvelles pratiques cliniques comme l’auscultation, la médecine se donne au XIX ième siècle les moyens de sa prétention thérapeutique. Le monde médical se construit ainsi pour ceux qui y travaillent comme une « forme distincte de la réalité », donnant à voir, à travers son histoire et les différentes avancées de sa thérapeutique, différentes élaborations du
5 corps. Il constitue un lieu clos (dont on peut dégager les caractéristiques et le « mode de fonctionnement ») et pourtant en résonance avec d’autres scènes de la vie sociale comme avec ses propres arrières plans historiques et imaginaires. Le toucher, est donc à la fois un geste spontané de soin, mais également un sens dont la médecine s’affranchira pour accéder à sa forme scientifique, abandonnant progressivement de sa thérapeutique le toucher et les odeurs. Aussi, les savoirs empiriques issues surtout de celles des femmes soignantes sera remplacé par une médecine de la vision et de la distance au corps. Le privilège est alors donné au regard (et à sa lecture des signes cliniques du corps). 2. Regard anthropologique sur le toucher Cette section abordera le toucher selon l'intérêt du thème dans la société actuelle et plus spécifiquement la manière dont le toucher et plus largement le sensible est pensé dans notre culture. Le toucher constitue la structure fondamentale de notre être au monde. Toucher signifie "entrer en contact avec quelqu'un ou quelque chose, de façon légère ou violente" (Robert). Dans le sens abstrait, "toucher" c'est "faire naître des émotions". Le toucher est un de nos sens et un moyen de communication (la peau nous donne de nombreux renseignements sur la température, la douleur, la texture des objets. Elle a aussi un rôle de protection contre les agressions extérieures, comme une enveloppe qui filtre les échanges entre le corps et l’environnement (Barnard, & Brazelton, 1990; Montagu, 1971, 1979). Sur la scène sociale, nous appartenons au Québec à une culture où les contacts entre individus restent très codifiés. Si la promiscuité est imposée par les circonstances, on évitera d’ajouter au toucher un autre type de contact : dans un métro bondé, il est fréquent de sentir l’odeur de son voisin, la forme d’une épaule ou d’un pied ; tout regard prolongé sera en revanche spontanément prohibé, afin d’éviter une situation d’intimité de trop grande ampleur. Si certains lieux proscrivent le toucher, d’autres au contraire se structurent autour de lui. A l’hôpital, chez une esthéticienne, dans un centre de sport ou de massothérapie, l’individu s’attend à la nécessité d’un contact physique, voire même le sollicite. Le toucher mis en œuvre est alors encadré par un « professionnalisme » limitant les échanges trop personnels. D’autres situations seront plus permissives : dans un cours de danse de couple par exemple, les figures imposent un contact avec des zones du corps relativement intimes (les bras, la taille, le torse) sans que les personnes ne se connaissent préalablement. On remarque également dans le social une tendance à l’évitement du toucher au corps par la médiation technologique
6 du contact de plus en plus établie dans la communication quotidienne. Dans une société où le fait « d’être en contact » obéit à une forme de frénésie (en témoigne le succès des messages S.M.S envoyés par le biais du téléphone, ou l’existence d’appareils permettant de faire parvenir immédiatement une photo du lieu où l’on se situe à son correspondant), la présence du corps de l’autre semble de plus en plus évincée. Paradoxalement, le contact proposé dès lors qu’il ne dépend plus de la mise en jeu du corps physique, promet une discontinuité sans faille : le téléphone cellulaire, se trouve porté en permanence, bientôt greffé sur les vêtements ou mis en bracelet, donnant l’impression d’une forme d’organe supplémentaire. Le téléphone, la télévision ou le réseau Internet concrétisent un vaste corps collectif, enveloppant la planète de sa toile numérique. Dans cette interface des rapports individuels permise par l’électronique et l’informatique, la « sexualité virtuelle » propose même de jouir à distance par l’intermédiaire de tenseurs sensibles sur lesquels se branchent chacun des participants de l’interaction : l’évacuation de la nécessité du corps de l’autre prend ici une forme concrète, la stimulation du partenaire se faisant à même son propre corps (Le Breton, 1999). Enfin, le succès d’un « contact » médiatisé par la technologie s’oppose à la multiplication des plaintes de harcèlement sexuel et au climat de suspicion qu’elles viennent poser à l’égard de tout contact corporel. Elle renvoie également à l’augmentation des sites pornographiques, au développement de réseaux de rencontres par Internet ou de « date party 1 », indices de la solitude affective actuelle et de la difficulté à rencontrer véritablement l’autre. Y compris dans son propre rapport à lui­même, l’individu contemporain semble rechercher un sentiment d’habitation plus important avec son propre corps : la pratique de sports extrêmes ou les recours aux massages, actuellement en plein développement tente de lutter contre le « gel des sensations » dans la société contemporaine (Lasch, 1981). La façon de s’adresser au corps du patient, qu’elle soit technique ou apparemment spontanée, n’a pour autant rien de « naturel ». Le geste et la manière dont il est reçu s’élaborent dans la communauté culturelle d’appartenance des personnes en présence. Façonné par le contexte social et culturel qui baigne l’acteur, le corps est ce vecteur sémantique par l’intermédiaire duquel se construit l’évidence de la relation au monde. (…) Il n’y a pas de naturel d’un geste ou d’une sensation. A l’intérieur d’une communauté sociale, toutes les manifestations corporelles d’un acteur sont virtuellement signifiantes aux yeux de ses partenaires. Si le toucher se conjugue différemment selon les lieux sociaux, il varie également selon les âges. Les enfants appellent embrassades et autres
7 câlineries; les adolescents évitent pour leur part, souvent volontairement, d’être touchés par leurs parents, privilégiant les accolades de leur « tribu amicale » : refuser les contacts physiques marque leur besoin d’autonomie à l’égard du groupe familial. Enfin, si la peau délimite, dans le monde occidental, les frontières d’une existence singulière (Hall, 1978), le toucher au corps est réservé socialement à la sphère amoureuse, intime. Quant au corps mort il est mis à distance : dans notre société de spectacle, la mort est vue et mise en scène, sans être pour autant approchée ou intégrée dans le quotidien de la vie. Outre celui de la mort, le travail en gérontologie confronte à un autre tabou, celui du contact avec un corps meurtris, dégradés, en souffrance, avec un corps vieilli qui est à l’opposé de ce qui est habituellement promu dans notre société (corps jeune, beau, lisse). Souffrant d'isolement social, la personne âgée que personne n'approche, ni ne touche depuis longtemps, est sensible au toucher qui lui prouve qu'elle n'est pas rebutante malgré sa « vieille peau » : elle en sait gré par un sourire, une attitude calme, un comportement moins récalcitrant, une réaction d'éveil, un chant, l’expression de plaisir, la collaboration, la reprise des activités, mille remerciements du corps et des yeux. Le corps vieilli comme le corps blessé nous renvoie également à notre propre fragilité, toujours possible et jaillissante, l'intimité des soins nous projetant dans cet « être vers la mort » auquel nous sommes promis. 3. Regard infirmier sur le toucher L’accroissement des connaissances scientifiques, se transpose dans la relation soignante par un accès au corps et à l’intimité du patient, à travers un contact physique permettant l’établissement de la relation, l’administration d’un traitement et les différents gestes exigés par les soins infirmiers. Étymologiquement, le mot " soigner" vient du latin " soniare" qui signifie : s'occuper de. Ainsi, soigner : c'est " s'occuper du bien être et du contentement de quelqu'un " et " s'occuper de rétablir la santé " (ROBERT), c'est " consacrer son activité, son dévouement à la guérison de quelqu'un" et " s'occuper avec sollicitude de quelqu'un " (LAROUSSE). On retrouve donc dans la signification du terme deux éléments qui étaient déjà en jeu dans le toucher au corps : toucher ce fut historiquement connaître le corps, l’explorer (de la même manière que le petit enfant découvre le monde en le touchant, parfois en mettant les objets à la bouche, en le goûtant). Et simultanément, toucher c’est prendre soin et espérer guérir. L’infirmière se trouve donc confronté au corps comme objet de connaissance, au corps comme visée du soin et de la thérapeutique mais aussi au corps comme modalité d’être.
8 Quel est l’effet du toucher tant physiologique que psychologique ? Quand, pourquoi et comment utilise­t­on le toucher dans la pratique infirmière ? auprès de quelle clientèle ? et finalement quelle est l’expérience du toucher, tant dans la réponse du patient, la perception de l’infirmière, le sens donné au toucher, la réaction au toucher que dans les diverses expressions du toucher ? Voilà autant d’angles par lesquels furent abordés les principaux thèmes des études sur le toucher par les chercheures de la discipline infirmière depuis les 35 dernières années. a. Les typologies du toucher physique dans la pratique infirmière Le toucher est présent dans presque toutes les situations de soins infirmiers (Barnett, 1972a; 1972b; Bottorff, 1993; Morse, 1983; Routassolo, 1999); de plus, les infirmières utilisent le toucher plus que tous les autres professionnels de la santé. Plus spécifiquement, le toucher au corps nous semble tout d’abord désigner le contact physique exigé par les différents traitements variant d’un geste physique directement exercé sur le corps du soigné, comme aider un patient à se mobiliser, à la médiation permise par un instrument technique, comme le fait une piqûre. Le toucher représente également la possibilité d’une communication émotionnelle entre patient et soignant (ce que le langage courant désigne par le terme général de « contact ») ainsi que l’expérience d’une présence à soi et à l’autre (Derrida, 2000). En dehors d’une technique spécifique mise en œuvre sur le corps, le toucher possède également une dimension de soin relationnel, à travers l’ensemble des gestes à valeur communicationnelle manifestant une certaine qualité de présence à l’autre et à la relation. Dans la réciprocité du toucher, le corps qui apparaît n’est pas un pur substrat organique, mais le vecteur d’une relation, marqué dès son origine par l’empreinte de l’autre. Dans une recension des écrits en sciences infirmières nous avons répertorié différentes typologies du toucher établies à partir d’analyse de situations de soins infirmiers. La première à le faire est Barnett, (1972a; 1972b) qui parle de deux types de toucher de toucher procédural et de toucher non nécessaire. Weiss (1979) pour sa part parle de 6 dimensions du toucher en pratique infirmière qui sont la durée, la localisation; la manière; l’intensité; la fréquence et la sensation. Vortherms (1991) documente qu’il existe quatre types de toucher selon la finalité recherchée: d’affection, fonctionnel, de protection et non­physique. Quant à Bottorff (1993) il mentionne que le toucher de l’infirmière peut s’avérer soit réconfortant (conforting); soit la manifestation d’un lien (connecting); soit utilitaire (working); soit visant à orienter (orienting) ou soit social. Quant à Adomat &
9 Killingworth (1994), elles identifient deux types de toucher; celui relié à la tâche (work/task touch) et le toucher de sollicitude/social (caring/social touch). Cette typologie rejoint celle de McCann et McKenna (1993) qui pour leur part parlent de toucher instrumental et de toucher d’expression (expressive). Des canadiennes, Estabrooks (1989) et Estabrooks, & Morse (1992) ajoutent à ces deux types de toucher que sont celui de sollicitude et à celui relié à la tâche, un troisième type celui toucher de protection (opposé au toucher de sollicitude). Cette typologie est reprise plus récemment par Routasalo (1999). Le tableau 1 qui suit présente une synthèse des différentes typologies du toucher identifiés dans la pratique infirmière Tableau 1 : Typologie du toucher en situation de soins infirmiers Auteurs Type de toucher Barnett (1972) Toucher procédural (procedural touch) et Toucher non­nécessaire (non­necessary touch) Weiss (1979, 1986) Six symboles tactiles : La durée; La localisation; La manière; L’intensité; La fréquence; La sensation. Bottorff (1993) Réconfortant (conforting); Manifestation d’un lien (connecting); Utilitaire (working); orientant (orienting); social. Adomat & Killingworth toucher relié à la tâche (work/task touch) et toucher (1994), de sollicitude/social (caring/social touch). McCann (1993) et McKenna toucher instrumental et toucher d'expression (expresive) Estabrooks (1989) et toucher de sollicitude; Toucher relié à la tâche, et Estabrooks, & Morse Toucher de protection (opposé au toucher de (1992) sollicitude) Chang (2001) Toucher de promotion du confort physique; Toucher de promotion du confort émotionnel; Toucher de promotion du confort corps­esprit; Toucher de partage spirituel et Toucher relié à l’exercice d’un rôle social. Ainsi, la qualité « soignante » du toucher dans les gestes de la pratique infirmière vient alors rendre compte de la disponibilité d’une présence indépendante de la seule volonté thérapeutique. Envisager le toucher comme un soin revient ainsi à mettre en évidence une dimension affective, non exclusive d’un savoir faire technique mais pouvant s’y ajouter. Le toucher devient soin lorsque l’infirmière accepte de donner place, à travers les gestes qu’elle connaît, aux possibles de la rencontre intersubjective. Cet élément irréductible à la maîtrise invite à la reconnaissance de ses propres limites, tant personnelles que professionnelles, en évitant une fétichisation de sa propre pratique. A l’inverse, un toucher
10 coupé de la compréhension de ce qui se joue à travers lui comme rencontre humaine perdrait toute indentification à la souffrance d’autrui, glissant à terme vers une objectivation radicale pouvant mener aux actes de pire barbarie. i. L’effet physiologique D’abord il est indéniable selon plusieurs auteurs que le toucher utilisé dans diverses situations de soins génère des effets physiologiques bénéfiques pour le patient : Diminution de la T.A. systolique (Fakouri, & Jones, 1987); Diminution de la T.A. diastolique (Weiss, 1990); Diminution du rythme cardiaque (Fakouri, & Jones, 1987); Diminution du cortisol, de l’adrénaline et de la noradrénaline et augmentation des cellules du système immunitaire (Cho, 1999); augmentation de l’apport en nourriture (29 % en calories et 36 % en protéines) (Eaton, Mitchell­Bonair, & Friedmann, 1986) pour n’en nommer que quelques unes. Weiss (1986) qui s’est particulièrement intéressée aux dysrythmies associées au toucher chez des patients dans un environnement de soins intensifs recommande la prudence dans l’utilisation du toucher auprès de ce type de patient. Ainsi elle relate qu’il a été démontré que le toucher a un effet sur le rythme cardiaque qui peut être parfois bénéfique et parfois moins. Les touchers fréquents et de long et intense à la fois, vigoureux et qui visent des parties du corps hautement innervées peuvent augmenter les risque d’arythmie cardiaque. À l’opposé des touchers peu fréquent, dont le but thérapeutique réside dans le réconfort qui sont de courte durée, de faible intensité et qui visent des parties du corps peu innervée (bras, jambes, cage thoracique ou dos) et qui implique peu de mouvement actif de la peau et des organes internes sous­jacents réduisent les stimulations du système nerveux. ii. L’effet psychologique Plusieurs études ont démontré l’effet réconfortant et calmant du toucher (Hollinger, 1986; McCorkle, 1974; Moon, & Cho, 2001; Vannorsdall, Dahlquist, Pendley, & Power, 2004). McCorkle (1974) Le tableau 2 présente une synthèse de ces études :
11 Tableau 2 : Résumé d’études démontrant l’effet psychologique du toucher Auteurs Résumé de l’étude Effet McCorkle, 1974 60 patients gravement malades L’étude a démontré que les hospitalisés sur une unité de patients très gravement malade médecine­chirurgie générale (30 dans interprètent le toucher de le groupe expérimental et 30 dans le l’infirmière comme une marque groupe témoin). L’effet du toucher positive de sollicitude envers est mesuré de 4 façons 1) Interaction eux. Behavior Worksheet; 2) The Bales’ Interaction Process; 3) The post Cependant, aucuns changements ne furent interaction questionnaire; 4) physiologiques observés. Electrocardiographic changes Hollinger, 1986 24 patientes hospitalisées dans une Démontre un accroissement de unité de réadaptation. l’échange verbal entre le patient et l’infirmière quand le toucher est également utilisé. Les patientes ont interprété le toucher comme une marque d’acceptation et d’empathie. Moon, & Cho, 62 patients (30 pour le groupe Diminution significative de 2001 expérimental et 32 pour le groupe l’anxiété dans le groupe témoin). Une échelle visuelle et des expérimental par rapport au entrevues furent utilisées pour groupe témoin. Tenir la main est mesurer l’anxiété. très aidant pour réduire l’anxiété des patients. Vannorsdall, 50 enfants pendant une ponction Le toucher par un parent ne Dahlquist, lombaire réduit pas les comportements de Pendley, & détresse, cependant le toucher Power, 2004 de réconfort de l’infirmière réduit de façon marquée les comportements de détresse. b. L’utilisation du toucher chez divers types de clientèles Des études ont tour à tour démontré l’utilisation bénéfique du toucher dans des situations de soins aux personnes âgées; les personnes vivant avec un problème de santé mentale; les personnes en situation de soins critiques; les enfants et les adolescents et les soins en chirurgie. La majorité des études répertoriées ont été effectuées auprès de patients âgés (Barnett, 1972a; Tobiason, 1981; Eaton, Mitchell­Bonair,
12 Friedmann, 1986; Fakouri, & Jones, 1987; Gleeson, & Timmins, 2004; Hollinger, 1986; Hollinger, & Buschmann, 1993; McCann, & McKenna, 1993; Moore, & Gilbert, 1995; Norberg, Melin, & Asplund, 1986; Pepler, 1991; Routasalo, 1996; Routasalo, & Isola, 1998; Vortherms, 1991). Il est indéniable que le toucher procure des effets positifs chez les patients âgés d’autant plus que le toucher est un sens qui perd peu de son acuité avec l’âge. En effet, Tobiason (1981) a comparé la réaction de 75 étudiantes infirmières lorsqu’elles touchent un bébé ou une personne âgée. La perspective de toucher des personnes âgées lors d’un stage auprès de cette clientèle suscite beaucoup d’anxiété chez les étudiantes. Un intérêt plus récent semble se manifester pour l’utilisation du toucher auprès de patients vivant avec des problèmes de santé en milieu psychiatrique comme en témoigne les deux études répertoriées : Salzmann­ Erikson, & Eriksson (2005) et Gleeson (2004). L’infirmière canadienne Carole Estabrooks (Estabrooks, 1989), dans une étude qui consistait à observer des infirmières dans une unité de soins intensifs elle a même identifié un type de toucher assez paradoxal, « le toucher de protection ». Ce type de toucher, tout à fait à l’opposé du toucher de sollicitude (caring touch) transmet au patient un message de distanciation. En effet, les infirmières participantes de l’étude d’Estabrooks témoignèrent utiliser cette forme de toucher pour se protéger du deuil anticipé par l’éminence ou la forte possibilité du décès de la personne soignée (Adomat, & Killingworth, 1994; Estabrooks, 1989; McCorkle, 1974; O’Mahoney, 2005) Quelques études ont rapportées des effets positifs du toucher chez des enfants ou des adolescents. (Vannorsdall, Dahlquist, Shroff Pendley, & Power, 2004; Weiss, 1990; Weekes, Kagan, James, & Seboni, 1993). Une étude effectuée auprès de 30 patients soumis à une chirurgie de la cataracte sous anesthésie locale a clairement établie que lorsque l’infirmière leur tenait la main il y avait une nette diminution de l’anxiété et du taux sanguin d’épinéphrine (Moon, & Cho, 2001). c. L’expérience du toucher Celle­ci semble varier selon les individus en fonction de leur sexe, de leur âge et la partie du corps qui est touchée. Le toucher physique dans les soins est souvent perçu en terme positif mais des expériences négatives sont aussi rapportées : La perception de l’infirmière (Estabrooks, & Morse, 1992; Rombalski, 2003; Weiss, 1986); Les facteurs influençant la perception du toucher (Hollinger, & Buschmann, 1993; Weiss, 1986); Les expressions du toucher (Routasalo, & Isola, 1998; Routasalo, & Lauri, 1998)
13 Il apparaît donc incontournable pour l’infirmière de devoir prendre conscience des gestes de toucher physique dans sa pratique et de leur effet peu banal. Intervention simple et trop souvent ignorée il devient important de lui redonner sa place de noblesse perdue par l’influence de l’ère technologique. De plus, il devient nécessaire d’enseigner aux futures infirmières non seulement l’importance de toucher les patient mais aussi comment les toucher. Geste spontané face à la douleur et à l’impossibilité de pouvoir soulager, le toucher se résume parfois à la simplicité d’une main posée sur celle de l’autre. Au­delà d’une pulsion d’emprise, le toucher évoque ainsi la caresse, le geste de réconfort, le souffle sur une plaie ou l’étreinte d’un individu souffrant. A l’aube de la mort ou lorsque l’importance des mots se trouve amoindrie, le sens du toucher reste le vecteur d’une relation proprement humaine; la manière de prendre soin du corps de la personne diminuée, âgée ou à l’agonie fera passer dans la concrétude du corps le maintien de sa dignité et de sa valeur. Ainsi, prenant tour à tour la forme d’un soin concret au corps dans la pratique infirmière, d’une technique thérapeutique spécifique ou d’une forme de communication, le toucher rend compte du besoin fondamental de contact propre à l’être humain. Le toucher mis en œuvre par l’infirmière, l’imaginaire d’un corps relié qui sous tend la pratique des touchers énergétiques ou encore l’apaisement procuré par un geste spontané de réconfort témoignent d’une fonction essentielle de toute démarche thérapeutique : la nécessité d’injecter du sens dans l’intolérable de la maladie, de la mort ou de la solitude. Conclusion Parce qu’il est à la base de nos premiers liens d’attachement et de notre mémoire affective et sensorielle (à travers les frottements et vibrations de la paroi utérine puis dans les soins quotidiens dispensés après la naissance) le toucher est bien plus qu’un acte physiologique : le petit de l’homme vit et grandit parce qu’il est nourri de mots, d’affection et de tendresse autant que de lait et de nourritures matérielles. Un mouvement ultérieur, un contact de peau, un geste ou une texture seront toujours susceptibles de faire résonner ces sensations premières, comme si le corps vécu était sans cesse recouvert par un corps tressé de mémoire. Parce qu’il est la possibilité d’une sollicitude à l’égard de l’autre, c’est­ à­dire d’une reconnaissance d’un corps humain et non d’une chose manipulable, le toucher se trouve à la base même de l’éthique : dans la capacité de compatir à la souffrance de l’autre dans un geste, une parole ou une attitude ou à l’inverse en respectant les frontières de son espace
14 corporel. Avec le fait de pouvoir toucher s’inscrit en effet un territoire soustrait à la volonté d’emprise : l’enfant découvre le monde en l’explorant mais également en se heurtant à la résistance de ce qui ne peut et ne doit pas être touché. Le primat donné au corps biologique dans l’histoire de la pratique infirmière, confronte cette dernière à un enjeu éthique fondamental dans le rapport au patient : au­delà de la construction du corps comme objet d’étude et de thérapeutique, comment préserver par la concrétude des gestes effectués, le sentiment d’une reconnaissance de son être propre chez la personne soignée ? A travers l’atteinte corporelle, tout un rapport au monde, à soi et à l’autre se trouvent en effet ébranlés : la mise en œuvre du toucher dans le soin concernera autant le « corps de la maladie » et la prise en charge médicale qu’il nécessite, que « le corps du malade » (à travers le besoin de soutien du patient, la propre résonance affective du soignant et le lien intersubjectif qui les unit). L’infirmière, parce qu’elle travaille en collaboration avec le praticien tout en étant dans le quotidien du patient malade et hospitalisé se trouve en ce sens à la convergence d’un toucher de plus en plus technologisé tout en devant conserver ce qui fait sans doute la vocation première de sa profession : celle de prendre soin du patient par sa présence et par ses gestes.
15 Références Adomat, R., & Killingworth, A. (1994). Care of the critically ill patient : The impact of stress on the use of touch in intensive therapy units. Journal of Advanced Nursing, 19, 912­922. Barnard, K. E., & Brazelton, T. B. (1990). Touch : The foundation of experience. Madison, CT : International University Press. Barnett, K. (1972a). A survey of the current utilization of touch by health team personnel with hospitalized patients. International Journal of Nursing Studies, 9, 195­209. Barnett, K. (1972b). A theoretical construct of the concepts of touch as they relate to nursing. Nursing Research, 21, 102­110. Bottorff, J. L. (1993). The use and meaning of touch in caring for patient with cancer. Oncology Nursing Forum, 20, 1531­1538. Chang, S. O. (2001). The conceptual structure of physical touch in caring. Journal of Advanced Nursing, 33, 820­827. Cho, K. S. (1999). The effects of hand massage programme on anxiety and immune function in clients with cataract surgery under local anaesthesia. Journal of Korean Academy of Nursing, 29, 97­106. Derrida, J., & Hantaï, S. (2000). Le toucher, Jean­Luc Nancy. Paris : Galilée. Eaton, M., Mitchell­Bonair, I. L., & Friedmann, E. (1986). The effect of touch on nutritional intake of Chronic Organic Brain Syndrome patients. Journal of Gerontology, 41, 611­616. Estabrooks, C. A. (1989). Touch : A nursing strategy in the intensive care unit. Heart and Lung, 18, 329­401. Estabrooks, C. A., & Morse, J. M. (1992). Toward a theory of touch : The touching process and acquiring a touching style. Journal of Advanced Nursing, 17, 448­456. Fakouri, C., & Jones, P. (1987). Slow stroke back rub. Journal of Gerontological Nursing, 13, 32­35. Field, T. (1951). Les bienfaits du toucher. Traduit par Françoise Bouillot, Paris : Payot et Rivages. Gleeson, M. (2004). The use of touch to enhance nursing care of older person in long­term mental health care facilities. Journal of Psychiatric & Mental Health Nursing, 11, 541­545.
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