INTERVENTION DE CHRISTIAN LAJOUX PRESIDENT DES ENTREPRISES DU MEDICAMENT (Leem) DEVANT LA PRESSE LE 20 FEVRIER 2007 Les Français attendent qu’on aborde plus les enjeux de santé dans le débat présidentiel ; ils les considèrent comme un investissement à favoriser et non comme un coût à réduire. Les Entreprises du Médicament interpellent les candidats sur la nécessité de faire de la santé et des sciences de la vie une priorité politique. 1. Le débat présidentiel sur la santé nous apparaît convenu, général et défensif. Il ne prend pas encore en compte la dimension créatrice de valeurs, productive de la santé et l’opportunité positive qu’elle représente pour la France. Le débat, à travers les propositions exprimées par les candidats, est abordé essentiellement à travers les questions de la prise en charge - franchises ou non - et de la couverture des risques (dépendance, prévention, populations jeunes et en difficulté…). De fait, les Français sont fondamentalement attachés au maintien des avantages de notre protection sociale et à son adaptation, pour garantir à tous un droit à la santé, et un droit au médicament. Ce volet reste évidemment nécessaire, car les réalités du système laissent de côté des vrais problèmes sociaux auxquels la collectivité devra répondre. Le sondage que le Leem a confié à l’Ifop pour comprendre les attentes actuelles de l’opinion, démontre bien la réalité du consensus français pour maintenir un haut niveau de solidarité face à la maladie. Mais il est intéressant de noter que l’opinion est moins défensive que les programmes des candidats : 59 % des Français (sondage Leem Ifop - février 2007) disent qu’on parle insuffisamment des enjeux de santé dans cette campagne. Les Français perçoivent bien les sources de progrès : il faut mieux gérer le système dans son ensemble, disent-ils, et il faut miser sur la recherche et les entreprises, dont viendront les solutions durables aux défis sanitaires que tout un chacun connaît ou perçoit ces temps-ci. C’est pourquoi on doit regretter que ce débat n’aborde pas - encore ? - les vrais leviers qui peuvent améliorer le niveau de santé de la population, à savoir l’encouragement de l’innovation thérapeutique et sa mise à disposition pour faire reculer les maladies. Ayons une vision offensive et conquérante des enjeux de santé, comme d’autres pays aujourd’hui, si on veut répondre aux attentes exprimées. 1 2. L’opinion des Français encourage une révision des raisonnements et des clichés qui ont cours sur l’économie de la santé, au moment où vont se définir de nouvelles options. On a mesuré dans des études précédentes que la santé était l’une des préoccupations prioritaires des Français ; ce thème vient régulièrement en 2ème position derrière le chômage, au même niveau que l’éducation et devant les questions de précarité et de retraites (sondage CSA L’Humanité - janvier 2007) ; c’est structurellement un thème que la population suit avec vigilance ; elle est attentive au maintien de notre système de prévoyance mais pas de façon conservatrice, si on en juge par sa demande d’efficacité et sa confiance dans la recherche. Déjà en début d’année, les Français trouvaient qu’on n’en parlait pas comme il convenait (56 % de désagrément dans le sondage CSA L’Humanité) ; ce que notent aussi les blogs sur la campagne ; ils ne veulent pas qu’on les culpabilise et qu’on les inquiète inutilement à ce sujet. Les Français se montrent optimistes sur les crises sanitaires ; ils sont 81 % à penser qu’on peut les prévenir (sondage Opinion Way). Ils veulent qu’on progresse dans le cadre actuel et sont convaincus qu’il est bon mais perfectible et qu’ils ont un rôle à y jouer. Cette conscience collective positive nous encourage à oser parler de la santé autrement, non plus comme une dépense à contraindre, mais comme un investissement à optimiser. C’est ce que prouve exactement le sondage Ifop/Leem de février 2007 : pour 77 % des Français interrogés, la santé, la recherche et le médicament sont des investissements qu’il faut augmenter et non des coûts qu’il faut réduire. On retrouve là les réflexions nouvelles issues du Cercle des Economistes ou d’autres experts reconnus (cf. livres récents de Didier Tabuteau, Christian Saint-Etienne) et que traduisait parfaitement la formule récente du Ministre Xavier Bertrand (conclusions du CSIS du 5 février), en écho à nos propres analyses : « les dépenses de santé sont une chance et non pas seulement une charge » ! Confrontée aux défis du vieillissement, à la demande de bien-être pour chacun et aux potentialités technologiques que nous percevons, notre génération sait qu’elle arrive dans une société de santé, prolongeant celle de la consommation et des loisirs, mobilisant utilement une part croissante des budgets. La société doit répondre à ce besoin d’investir plus et plus dans la durée de vie individuelle. 3. Le sondage Ifop/Leem confirme la demande des Français en faveur d’une nouvelle approche de la santé, plus constructive et plus conquérante, pour notre avenir. Interrogés sur les grandes questions que nous posons dans notre « Manifeste pour l’avenir », les Français mettent leur priorité dans un ordre clair : 96 % disent qu’il faut donner plus de place à la recherche médicale dans les choix budgétaires ; c’est autant que ceux qui disent qu’il faut que l’accès aux soins pour tous demeure garanti. 92 % pensent qu’il faut laisser le médecin prescrire les dépenses nécessaires 87 % disent qu’il faut faire de la santé une priorité politique. On peut parler d’un consensus total. 2 Si l’opinion s’exprime nettement en faveur de mesures d’efficacité et de bonne gestion du système (Sécurité Sociale, abus, hôpital, dossier médical, génériques…), il met en dernier les solutions qui visent à augmenter les cotisations, à diminuer l’accès au médicament. Sur la question des déremboursements justement, on notera que l’opinion ne les souhaite pas ou n’y voit pas là une vraie solution. Comme nous l’avions déjà vérifié dans nos études d’image en 2005 et 2006, les Français voient dans nos entreprises l’un des moyens de faire avancer la santé ; ils font un lien direct entre l’affaiblissement de nos entreprises et le risque de voir la recherche diminuer. Ce risque est plus important pour eux que celui qui peut toucher les effectifs ou l’indépendance nationale. C’est dire qu’ils attendent beaucoup du progrès médical. Et quand on aborde les risques liés à une économie excessive sur le médicament, ils considèrent d’abord que la qualité des soins en pâtira. Contrairement à des idées reçues dans le monde politique, pour l’opinion, il vaut mieux payer le médicament à son prix, pour faire avancer la recherche (53 %), que de demander à l’Etat de faire cette recherche si on abaisse les prix des médicaments (46 %). Ce modèle de financement qui est celui mis en œuvre avec efficacité depuis un demi-siècle est majoritaire en France, sans être général, car on sait qu’il a aussi ses critiques récurrentes. C’est néanmoins une tendance fondamentale dont les gouvernants doivent tenir compte, non seulement parce que c’est le modèle universel aujourd’hui, mais parce que l’opinion perçoit que l’autre modèle faisant porter le financement de la recherche par la collectivité n’est pas envisageable, si on le voulait. Du reste, l’opinion plébiscite la dimension stratégique de notre industrie (86%). Ce réalisme économique est nourri d’une confiance dans le progrès scientifique, à l’intérieur d’une exigence de solidarité et d’efficacité. Il trace le cadre de ce qui doit être pour les Français la politique dynamique de la santé, de façon assez majoritaire. 4. Fortes de cette demande du corps social, les Entreprises interpellent les candidats dans le débat présidentiel, pour leur demander d’adopter une vision positive et productive de la santé. A travers notre Manifeste, nous posons publiquement et directement trois questions qui nous paraissent résumer une autre vision positive de la santé : a. Veut-on faire de la santé une priorité politique pour la France ? b. Veut-on faire de l’économie de la santé un facteur de richesse et de croissance pour le pays ? c. Veut-on parier sur l’innovation d’abord pour améliorer la santé et faire de la France un des grands pays des sciences du vivant ? Nous posons cette question aux équipes présidentielles que nous rencontrons ; nous la posons dans les débats publics que nous organisons ou auxquels nous participons. Nous la posons directement dans les mailings, sur mon blog www.2007prioritesante.com et dans les tribunes que nous animons. Nous sollicitons des réponses que nous publierons en mai, pour sensibiliser les nouveaux députés à la responsabilité qui sera la leur lorsqu’ils devront décider d’allouer les ressources collectives à la santé, à la Défense ou aux aides économiques... 3 En tant que Président des Entreprises du Médicament, 1er investisseur privé de R&D en France, et clé de l’indépendance sanitaire, partenaire majeur des Pouvoirs Publics dans la santé publique et allié indissociable des professionnels de santé, j’appelle chacun à comprendre que la France se doit de rester un des grands pays des sciences de la Vie. Je n’hésite pas à attirer l’attention de tous les collaborateurs de l’industrie auxquels j’adresse un message direct en ce sens, pour qu’ils y réfléchissent bien, en âme et conscience. J’en appellerai aussi aux autres communautés responsables de la santé médecins et professionnels de santé - pour leur proposer de s’associer à nous dans cette ambition en faveur des sciences de la vie. Ce domaine de haute technologie, largement investi aujourd’hui par les Américains, les Japonais, les Indiens et Chinois de plus en plus, déterminera les solutions thérapeutiques de l’avenir. La France gagnera la bataille des sciences de la vie si on veut bien penser et agir autrement dans la santé : nous n’acceptons pas le décrochage des investissements observé depuis quelques années. L’attractivité française n’est pas suffisante. Les mesures prises récemment dans le cadre du Conseil Stratégique des Industries de Santé, en faveur des études cliniques, des pôles de compétitivité, du crédit impôt recherche, de la propriété intellectuelle, s’avèrent des signaux très encourageants. Mais encore faudrait-il que la culture publique qui émergera des votes des Français soit une culture de « l’investissement santé » et non du « déficit » ou de la décroissance des soins. Le déficit n’est-il pas autre chose qu’une insuffisance de ressources qu’on veut allouer : qui d’autre que le corps médical doit définir le juste besoin de santé ? On a confondu le débat sur les modes et la gestion du financement avec celui sur le montant du financement. On confond trop santé et assurance maladie, comme l’a fait remarquer l’un des candidats dans cette campagne. Les Français répondent clairement qu’il faut d’abord mieux dépenser dans la santé et lorsque c’est nécessaire, plus dépenser, pour la recherche dans les pathologies qui tuent, qui invalident ou qui réduisent la vie. On ne progressera pas dans cette dynamique de santé, si on n’associe pas plus et mieux les citoyens et les patients dans les décisions, autour des autorités, des professionnels et des industriels. Responsabilité, prévention mais aussi investissements de recherche en faveur du progrès thérapeutique, sont les moyens qui feront de la santé et de son économie la réponse à nos attentes légitimes. Une vision collective nouvelle doit émerger alliant professionnels, patients, autorités et industriels pour dégager l’offre de soins la plus efficiente en Europe, dans une logique inventive et productive. La croissance des investissements de santé est utile, saine, et facteur d’entraînement pour la France. La santé mérite qu’on en fasse la nouvelle frontière de notre excellence française. « A long terme, il existe peu de sujets aussi cruciaux pour la sécurité économique et la position mondiale d’un pays que la nécessité de s’imposer dans le domaine des sciences de la vie ». Lawrence Summers - Harvard 4