Les organismes qui colonisent le sol sont les moteurs des cycles des éléments nutritifs et des flux
d'énergie dont dépend étroitement le fonctionnement des écosystèmes terrestres (Gobat et al., 2013).
Depuis de nombreuses années, il a été proposé que les réseaux trophiques simples sont moins aptes
de résister et de se remettre d’événements perturbants, tel que la sécheresse, en comparaison aux
réseaux complexes. Cependant, cela n’a jamais été testé sur les sols.
Nous voulons donc tester cette théorie sur le compartiment sol, qui abrite les réseaux parmi les plus
complexes mais aussi les plus sensibles, à l’échelle planétaire. Nous voulons évaluer, à travers des
expérimentations, si la capacité d'un sol à résister, à être résilient et à s'adapter aux événements
perturbants dépend de l'architecture et de la diversité de son réseau trophique, qui régit le taux de
transfert des nutriments et d'énergie à travers le système sol-plante. Pour cela, nous allons tout
d’abord étudier les caractéristiques qui déterminent la stabilité d’un réseau trophique, en
s’intéressant aux interactions des différents types d'organismes dans le sol, tels que les champignons
(saprophytes et mycorhiziens), les organismes détritivores et prédateurs appartenant à la mésofaune,
pour une forêt donnée (chênaie vs pinède) dans la mesure où le réseau trophique est étroitement lié
à la nature de la végétation. En effet, la communauté végétale contrôle la qualité et la quantité de
ressources pour les microorganismes du sol qui sont les principaux acteurs du recyclage des
éléments nutritifs. La faune microbivore (e.g. Collemboles) peut influencer le processus de
décomposition de la litière via leur consommation de bactéries et de champignons, en régulant ainsi
les populations et l’activité microbienne (Beare et al., 1992). La faune prédatrice (e.g. Acariens
Prostigmates et Mésostigmates) régule quant à elle les populations et l'activité de la faune
microbivore (Coleman et al., 2004). Le processus de décomposition de la litière dépend donc de
toute une cascade d’interactions trophiques entre microorganismes, faune microbivore et faune
prédatrice (Sacket et al., 2010). Cependant, les connaissances sur cette diversité biologique des sols,
ces différentes interactions et leurs importances pour le fonctionnement des écosystèmes restent
encore très restreintes.
Nous proposons ensuite d’évaluer si les perturbations du sol associées à la gestion forestière et
notamment le prélèvement de biomasse incluant les feuilles peut i) modifier la structure du réseau
trophique qui assure la stabilité du système sol et ii) ainsi réduire la capacité du sol à résister et à se
remettre des perturbations futures, telles que l’augmentation des périodes de sécheresse estivale. La
sécheresse peut par exemple affecter les relations entre les organismes en modifiant les proportions
entre organismes détritivores et prédateurs ou en entrainant la perte d’organismes et les fonctions
qui leurs sont associées (Santonja et al., 2016).
De cette capacité du sol à résister au changement climatique dépend in fine le fonctionnement et les
services que les écosystèmes forestiers fournissent à l’homme (stockage de carbone et récupération
de biomasse pour la filière bois-énergie).
Notre modèle d’étude est la forêt méditerranéenne, pinède à pin d’Alep et chênaie pubescente. Le
pin d’Alep est une espèce expansionniste qui colonise les friches agricoles. La pinède à pin d’Alep
est donc une formation forestière en pleine expansion depuis l’abandon des terres agricoles avec
une progression de 36 000 ha à la fin du 19ème siècle à 240 000 ha en 2010. La valorisation de ce pin
d’Alep est une préoccupation importante des gestionnaires forestiers de la Région. La chênaie
pubescente est une formation forestière également dominante en Région PACA avec 300 000 ha.
Cependant, elle s’avère potentiellement très sensible aux changements globaux, notamment
climatiques, qui affectent déjà la région méditerranéenne et vont se manifester avec plus d’intensité
dans les décennies à venir. En effet, se situant souvent à la transition de plusieurs influences
climatiques, le chêne pubescent est particulièrement sensible et réceptif aux changements
climatiques (Médail et Diademia, 2006) et constitue donc un modèle de choix pour l’étude de
l’évolution et du fonctionnement des écosystèmes méditerranéens.
De plus, le milieu méditerranéen a été proposé depuis plusieurs années comme une région modèle
pour l’étude des changements globaux (Lavorel et al., 1998) car elle concentre des pressions
humaines importantes (Médail et Diademia, 2006), des changements climatiques annoncés très
marqués et une forte biodiversité (Quézel, 1985 ; Médail et Quézel, 1997).