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La création de contenus peut être un atout précieux pour diffuser cette culture du luxe, qui est
comme le commentaire ou l’infra-texte de l’objet de luxe. La mise à disposition de vidéos sur
les tours de mains, les interviews de créateurs, les livres d’histoire permettent d’initier ou de
guider le consommateur dans ses usages et dans ses goûts, de faire comprendre les choix d’un
style ou d’un motif et finalement d’expliquer en partie les prix pratiqués. L’exemple des
programmes courts Mains et Merveilles dont on a déjà parlé ici illustre la façon dont les
marques peuvent ouvrir leurs tiroirs, montrer les tours de main, le métier d'un artisan du luxe.
Il s’agit moins de « trahir les secrets de fabrication » ou de profaner les mystères d’une
maison que d’alimenter le mythe de la marque en créant de nouveaux relais de fascination
autour des objets et de leurs créateurs. Les artisans sont filmés de très près en très haute
qualité pour ne rien perdre de la dextérité du geste et des manipulations nécessaires à la
fabrication d'un sac, d'une montre, d'une assiette de grand restaurant. Les marques de luxe
regorgent en effet d'un potentiel de contenus éditoriaux souvent très important : Internet
permet d'exploiter ce potentiel et de révéler au grand jour des contenus, des informations et de
donner accès à l'imaginaire de la marque. La création de contenu va bien au-delà du
storytelling : il ne s’agit pas seulement de raconter une belle histoire. Les marques innovantes
créent véritablement des œuvres, des reportages, des expériences culturelles qui font
découvrir des choses et sortent du cadre narratif strict.
Si le grand nombre peut avoir accès, commenter
ou partager des contenus de marque, ces
contenus eux-mêmes peuvent être conçus pour magnifier l’exclusion du plus grand nombre en
dehors des territoires protégés de la marque. Les vidéos des soirées privées ou des défilés
Chanel en libre diffusion du Youtube offrent un spectacle accessible à tous, mais ne font que
réactiver auprès du large public le caractère fermé de ces manifestations, car chacun assiste en
regardant la vidéo à sa propre exclusion d’un événement auquel il n’a pas assisté.
Le contenu éditorial permet enfin de diversifier les degrés d’exclusion, en aménageant
plusieurs strates de références culturelles qui sont autant de niveaux de lecture en fonction des
publics à qui l’on s’adresse (références explicites, sens littéral pour le plus grand nombre,
métaphores ou références cachées pour les initiés). Un même film pourra satisfaire le plus
grand nombre qui trouvera une occasion de vibrer au rythme de l’actualité de la marque, tout
en flattant l’ego de quelques passionnés qui sauront reconnaître une référence cachée, une
allusion stylistique qu’ils se croiront les seuls à détecter.
Conclusion
Sur la dizaine des anti-lois du marketing du luxe exposées dans l’ouvrage Luxe Oblige,
certaines touchent la politique de prix, de localisation des usines ou de gestion de la marque.
On n’a retenu ici que celles qui concernent directement la communication. Elles suffisent
néanmoins à prouver qu’il y a bien plus entre le luxe et le brand content qu’une affinité
passagère, une collusion de circonstance.
La conjoncture accélère ce mouvement. De nombreuses marques étrangères ou hors-luxe
imitent les codes du luxe et obligent les marques de luxe à se différencier, à trouver de
nouvelles voies pour marquer leur unicité. Une marque américaine comme Ralph Lauren,
bien qu'inventée de toutes pièces, à réussi à se forger une légitimité historique par le
La possibilité de commentaire est essentiel : content is comment. La qualité d’un contenu se juge aussi à sa
possibilité d’être commercialisé en tant que tel, et par les commentaires et les discussions qu’il peut alimenter,
notamment sur les réseaux sociaux, au-delà du simple « buzz » (critique informée, analyse, mise en parallèle
avec d’autres œuvres, etc).