Méthodologie : Dans le sillage d`un Norbert Elias ou d`un Anthony

publicité
Construction identitaire en Afrique :
Communication stratégique et changement de
comportement citoyen
Louis Roger Kemayou
Université de Douala
Département des sciences
de la communication
INTRODUCTION
Kwame Nkrumah en lançant un cri en faveur de l’unité continentale dès avril 1958, à la première
Conférence des Etats Africains Indépendants, mettant ainsi en évidence la nécessité des indépendances
économiques plutôt que politiques qui confineraient les micro – Etats à l’intérieur des frontières tracées pour
eux, s’est vu contesté cette vision par les tenants de thèses opposées. Léopold Sédar Senghor alors député au
parlement français souhaitait que les Territoires d’Outre-mer soient organisés en fédérations pour ‘’partager les
dépenses et regrouper les moyens’’. Félix Houphouët Boigny quant à lui, prétextant tirer les leçons du
fédéralisme qui avait déjà donné lieu à l’éclatement préjudiciable de l’Afrique Occidentale Française (AOF) et
de l’Afrique Equatoriale Française (AEF), avait milité en faveur de la Loi-cadre dont on avait vu qu’elle avait
permis une semi autonomie interne des colonies françaises en juin 1956. On a pu relever que cette position
d’Houphouët Boigny procédait d’une attitude égoïste, ne souhaitant pas voir la Côte d’Ivoire être la vache à lait
des autres pays de la fédération.
Cet état esprit est à l’œuvre dans l’histoire récente des Etats africains marquée par de nombreuses
tentatives de réalisations infructueuses de l’unité continentale. Cet objectif prioritaire des pères fondateurs de
l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), va être au contraire mis en péril par d’innombrables conflits entre
Etats-membres11 et ce, moins d’une décennie seulement après les indépendances acquises. Cette situation
qui perdure en cette ère de globalisation des économies, porteuse de l’idéologie de la mondialisation est on ne
peut plus préoccupante. Voilà qui nous interpelle quant à la nécessité d’interroger la pertinence des
présupposés ayant présidé à l’adoption des approches sous-tendant jusque là, la problématique de la
construction unitaire. Cette problématique est en effet, confrontée à un hiatus relativement à une appréhension
plutôt approximative par les africains eux-mêmes, de leur continent, selon qu’il s’agit d’une donnée objective
adossée sur la territorialité, les institutions et autres conventions, ou d’une donnée subjective, intériorisée par
les acteurs.
Section 1 - Position du problème et considérations méthodologiques:
La fréquence des conflits (ces dix dernières années) entre Etats ayant pourtant ratifié la charte de l’unité
africaine, témoigne si besoin est, de la difficile concrétisation de cette contradiction entre les préoccupations
identitaires légitimes (de l’ordre de l’individu) et collectives. Au premier niveau, nous voyons que la recherche
de l’identité nationale pour chacun des pays ayant accédé à l’indépendance, si elle est d’abord synonyme de
liberté, au second, elle est facteur d’exclusion. A l’évidence, l’échelle individuelle où se situe la nation fait bien
valoir le lien entre identité et émancipation, d’où les luttes pour cette dernière, passant à l’intérieur des
frontières, par celles relatives à l’affirmation des droits des citoyens : liberté d’aller et de venir dans le continent,
de penser, d’expression, de revendication égalitaire.
1
Conflits Algérie – Maroc ; Ethiopie – Somalie, Guinée – Sénégal, Ouganda – Tanzanie Gabon – Guinée Equatoriale, Cameroun – Nigeria,
Zaïre – Angola, Tchad – Libye…
C’est du reste ce qui explique qu’à l’intérieur des frontières nationales 2, on assiste à des tensions et
autres crises donnant même lieu à des conflits armés. A notre sens, il n’est pas judicieux de les rattacher à une
seule cause, en l’occurrence, la résurgence des insurrections nationalistes observées avant les indépendances
ou même dans la décade qui les a suivi. A tout le moins pouvons-nous suggérer à ce niveau de notre propos,
soit que ces tensions, crises et conflits résultent d’une absence de domestication de la part des pouvoirs
africains, de la culture occidentale adoptée par l’ensemble des Etats de ce continent depuis la colonisation, soit
de la difficile démocratisation de la politique africaine (et cette seconde raison est corollaire de la première).
Tout se passe en effet comme si les Africains au lendemain de l’accession de leurs Etats aux fameuses
‘’souverainetés nationales’’, soucieux qu’ils étaient, de panser les plaies issues de la balkanisation de leur
continent, ont laissé aux ex-puissances coloniales, le soin de définir pour eux, les contours de la
(re)construction de leurs identités respectives. De là, ces deux enjeux contradictoires pour reprendre le mot de
Dominique Wolton3, consistant pour l’essentiel en un défi sisyphien : construire leurs nouvelles identités
nationales autour du combat contre les effets de la balkanisation d’une part, et promouvoir l’unité continentale
d’autre part.
Au moment où des conflits internes, après le Libéria, la Sierra Leone, le Rwanda, le Burundi,
préoccupent un pays comme la Côte d’Ivoire en Afrique de l’Ouest, et que les organisations sous-régionales
(CEDEAO, Conseil de l’entente, CEAO) pas plus que l’organisation continentale rénovée, peinent à aider les
Ivoiriens à retrouver le chemin de l’unité, il y a lieu de se poser des questions relativement à l’image unitaire
qu’aiment à donner d’eux, les Etats africains.
En Afrique de l’Ouest, après avoir donné au monde l’image d’une intégration réussie, pour avoir bien
géré semblait-il alors, les effets de la balkanisation de parts et d’autres de leurs frontières nationales, Ivoiriens,
Burkinabés, et Maliens par exemple en sont venus à se regarder en chiens de faïence, en raison de conflits
internes survenus en Côte d’Ivoire, sur fond de débat politico ethnico religieux. L’Afrique Centrale dans le
même temps se particularisait par une espèce de conflit larvé qui ne permettait pas d’y observer par exemple,
entre Fangs du Cameroun, du Gabon et de Guinée Equatoriale, ou entre Bayas de Centrafrique, du Cameroun
et du Tchad, les relations fraternelles comme il en existe aux frontières de la Côte d’Ivoire, du Togo, du Bénin.
Dès lors se pose le problème de l’écartèlement des citoyens entre les exigences d’une part, de leur identité
africaine sous le rapport de leurs libertés, et d’autre part celles de construction communautaire portées par les
logiques divergentes des populations et de leurs chefs d’Etats respectifs (aux plans de l’ethnie, de la
nationalité, de leur africanité).
§ 1 - Problématique :
La problématique formulée est alors : Peut-on valablement construire une identité africaine sous le seul
rapport d’un cadre institutionnel, sans interroger les causes profondes des crises identitaires et conflits actuels
qui traversent le continent et sans y associer les citoyens ? Cette interrogation en appelle deux autres :
- L’Afrique des citoyens ne devrait-elle pas prendre le pas sur celle des chefs d’Etats dont on voit bien que
de sommet en sommet depuis la naissance de l’OUA, elle n’a pas su réaliser la libre circulation des biens et
des personnes ?
- Comment construire une communauté africaine qui ne porterait pas en elle les germes des tensions
actuelles et qui conférerait aux Africains, une identité sociale forte ?
La réponse à ces ordres de questions passerait à notre sens, par une appréhension judicieuse de théories
sociologiques et communicationnelles des organisations. Et ce, dans une perspective constructiviste pour
apprécier la dynamique des processus de constructions identitaires des populations africaines et leur rapport
2
C’est notamment le cas en République Démocratique du Congo et en Côte d’Ivoire.
3
Dominique Wolton, Penser la communication, Paris, Flammarion, 1996.
aux politiques volontaristes de leurs chefs d’Etats. Ces dernières étant induites par les dispositifs incitatifs d’une
communauté internationale convaincue de la pertinence de l’expertise des institutions de Bretton Woods.
Notre intérêt pour le présent thème est de deux ordres : d’abord personnel car nous avons été migrant
pendant plus d’une décennie en Afrique occidentale et avons pu nous rendre compte des pesanteurs d’une
construction identitaire, ensuite professionnelle pour autant que nous voulons revendiquer pour la
communication des organisations, la place qu’elle doit occuper en Afrique où seule l’emporte, l’optique
médiatique de la communication.
§ 2 - Considérations méthodologiques :
L’objectif poursuivi est de montrer comment à partir de dynamiques internes, les populations africaines
construisent une identité sociale, ce qui semble échapper à leurs leaders. Nos considérations
méthodologiques s’inscrivent dans le sillage d’un Norbert Elias 4 ou d’un Anthony Giddens5 à travers leurs
approches respectives de la configuration et de la territorialité, pour tenter de rendre compte de la construction
identitaire par des agents qui sont en même temps des sujets ayant des représentations de leur vie en société.
Aussi avons-nous recours à la recherche documentaire pour mettre en exergue, le mode de fonctionnement
des groupes nationaux identifiés ici à travers leurs organisations sous régionales, tout en cherchant à accéder à
l’expérience que ces derniers ont de leur propre groupe et des autres groupes.
L’identité dont il est ici question, est un construit par lequel un individu ou un groupe se détermine en
déterminant les autres. Elle consiste soit en une attribution (l’identité pour autrui), soit en un sentiment
d’appartenance (l’identité pour soi). Selon le mot de Claude Dubar6, l’identité dépend autant des jugements
d’autrui que de ses propres orientations et définitions de soi. La construction identitaire africaine nous
l’envisageons comme une identité sociale faite de transactions, l’une étant interne à l’individu et l’autre externe
entre l’individu et les institutions avec lesquelles il entre en interaction. Inscrivant notre propos dans les
sociologies économique, des relations internationales, du changement social et la communication des
organisations, il s’agit de confronter les processus d’autonomisation de la construction identitaire des
populations, à celui de reproduction des institutions (ces dernières étant détentrices de l’autorité, de pouvoir),
de manière à mettre en perspective les notions centrales d’apprentissage et de participation.
En effet, l’organisation, ici la puissance publique (Etats, organismes supranationaux) trouvant son
fondement dans la fonction de préférence autonome non totalement déconnectée de celles des autres agents,
mais les transcendant, est ce ‘’dispositif cognitif ‘’ collectif qui aménage au moyen de contrats et de contraintes,
les interactions individuelles de nature à desserrer par un processus d’Apprentissage Collectif, une contrainte
globale. C’est la dynamique de cet apprentissage qui permettrait aux acteurs individuels et collectifs d’intégrer
les rôles sociaux dont la complexité est à l’image de leurs enjeux socio économique et politique.
Section 2 - Processus de légitimation identitaire en Afrique
§ 1 - Difficile construction identitaire dans les cadres institutionnels
Face à la montée des instabilités et autres incertitudes internationales (du fait de renforcements des
blocs régionaux en Europe et en Amérique), les Etats africains construits sur le modèle des ex puissances
coloniales, sont en butte à un double enjeu individuel et collectif (respectivement sous le rapport des
souverainetés nationales et de la construction communautaire). Ces Etats en tant que construction objective
(indépendante des dirigeants et des dominés) et subjective (intériorisée par les acteurs sociaux), sont
4
Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ? Paris ‘’Agora’’ Pocket, 1981.
5
Anthony Giddens, Eléments de la théorie de la structuration, Paris, PUF, 1987.
6
Claude Dubar, La socialisation ; construction des identités sociales et professionnelles, Paris, A. Colin, Coll. U, 1996.
déterminés par trois éléments constitutifs : la population, le territoire et l’organisation interne. En consacrant le
principe de l’intégrité territoriale d’abord par la charte de l’Organisation de l’Unité Africaine de 1963, ensuite par
la résolution du Caire de 1964 et enfin par l’acte constitutif de l’Unité Africaine de 2000, ces Etats ont tout
simplement adopté l’optique weberienne du territoire comme fondement de la compétence rationae loci de leur
domination. Mais il n’y a qu’à constater sur le continent les velléités sécessionnistes et autres conflits frontaliers
pour se rendre compte que ce concept emprunté à la modernité occidentale est dans le contexte africain, un
concept à géométrie variable. En effet l’espace africain est ce continuum à l’intérieur duquel non seulement les
découpages sont arbitraires mais qui plus est, les frontières nationales qui en délimitent les territoires sont
constamment débordés d’en bas, par l’appartenance à des réseaux transfrontières et d’en haut par les
appartenances multiples à des ensembles qui se chevauchent.
De même, en adoptant le principe de la représentation et de la légitimité politique des ex puissances
coloniales, pour exprimer la volonté nationale, les Etats africains ont ainsi voulu affirmer leur compétence sur
les nationaux, sans que les préalables au régime représentatif y ait été suffisamment pris en compte. En
France, c’est au bout de deux siècles, qu’on est parvenu, non sans difficultés d’applications, à le mettre sur
pied. D’où les difficultés pour les Etats africains à refléter ici et là, l’existence de communautés politiques dignes
de ce nom. En effet, la plupart des Etats africains sont multiethniques ou alors multinationaux, et la force des
sociétés plurales organisées autour de l’ethnie, de la région, de religion, etc., relativise le monopole étatique de
l’allégeance citoyenne. Aussi, quand bien même la compétence personnelle des Etats est sous-tendue par la
nationalité, il apparaît que celle-ci est difficilement exercée pour de multiples raisons. Il s’ensuit par exemple,
des fraudes à la nationalité. Se pose alors aux Etats africains le problème de leurs rapports à la composante
‘’étrangère’’ africaine résidente sur leur territoire. Pour y faire face, les Etats africains ont envisagé encore une
fois, des solutions selon les standards occidentaux, sans tenir compte des spécificités africaines. En
conséquence, on assiste par exemple à des situations d’incompréhension de la part de populations africaines
de l’Ouest qui, quoique ressortissantes de pays membres de la Communauté Economique des Etats de
l’Afrique Occidentale (CEDEAO), sont pourtant considérées comme étrangères en Côte d’Ivoire. Voilà qui
témoigne de la précarité de la situation des africains étrangers en terre africaine, nonobstant l’existence de
cadres institutionnels conçus dans une logique contradictoire d’interaction entre individualisme et
communautarisme. Cette logique est bien entendu, celle des intérêts qui déterminent les dirigeants à mobiliser
à l’occasion, leur population aux fins de la légitimation de politique identitaire nationale sur fond de xénophobie
et d’exclusion, ainsi qu’on peut le voir dans l’ouvrage de Luc Sindjoun 7.
Que l’Etat en Afrique comme expression identitaire d’un groupe soit en crise, ainsi que nous le
montrent les nombreux conflits ouverts ou larvés dans ce continent (Hutu et Tutsi au Rwanda-Burundi, Dioula
de Casamance au Sénégal, Banyamulenge au Congo, chrétiens et musulmans au Nigeria et en Côte
d’Ivoire…), témoignent si besoin est de l’incompétence des Etats africains à réaliser la nation et expliquent par
conséquent, le hiatus entre les discours des dirigeants et la réalité empirique. Ces dirigeants vont souvent
jusqu’à évoquer l’importance supposée ou réelle de la population étrangère africaine sur leur sol pour
exacerber le sentiment nationaliste de leurs concitoyens. C’est ainsi qu’au Gabon, les Béninois, Nigérians et
Camerounais sont régulièrement utilisés dans le sens de la construction xénophobe de la citoyenneté. Dans
cette même lancée nous pouvons citer la question de la nationalité ivoirienne qui s’est posée avec une certaine
acuité à partir de l’année 1995, autour du concept très contesté de l’ivoirité. En Afrique du Sud entre 1988 et
1992, le gouvernement a rapatrié 13 000 Malawites pour les avoir associés à la prolifération de la pandémie du
Sida. A l’heure actuelle au Cameroun, les autorités politiques ne cachent plus leurs inquiétudes face à ce
qu’elles considèrent comme une croissance exponentielle du taux d’immigration étrangère d’origine africaine.
Notons que dans le courant de l’année 2004 les Camerounais étaient massivement expulsés de Guinée
Equatoriale une fois découverte faite dans ce pays d’immenses gisements de pétrole. Tout ceci rend compte de
l’échec récurrent des constructions volontaristes de l’unité africaine ou même tout simplement ‘’d’unions
interafricaines’’.
Dans ce contexte que nous venons de décrire, distinction est rarement faite entre réfugiés et étrangers.
Seuls sont mis en exergue, l’accroissement de la densité humaine, la pression foncière, les transferts
7
Luc Sindjoun, Sociologie des relations internationales africaines, Paris, Karthala, 2002
frauduleux des fonds, l’insécurité et/ou la crainte de l’exportation de conflits… Le moins que l’on puisse dire au
regard de tout ce qui précède, c’est que faute d’avoir pu réaliser la construction unitaire du continent, l’Afrique
n’offre même pas de voir se concrétiser de véritables unions sous régionales en dépit des organismes officiels
aux noms impressionnants, comme la CEDEAO, la CEMAC, la SADC… Comment pouvait-il en aller autrement
quand par ailleurs les Etats africains n’ont pas réussi malgré les déclarations intempestives des dirigeants, à
manifester dans les limites territoriales nationales leur autorité, de manière univoque. Les contestations
communautaires de tous ordres sont là, pour l’attester (Libéria, Sierra Leone, République Démocratique du
Congo, Somalie, Côte d’Ivoire…), auxquelles il convient d’ajouter l’incapacité pour nombre d’entre eux, sinon
de leur totalité, à asseoir l’autorité du pouvoir central dans les zones les plus reculées ou même à construire la
légitimité sociologique (la question de l’autorité de l’Etat camerounais sur l’île de Bakassi en est une
illustration).
§ 2 - L’Afrique des citoyens : une logique de construction identitaire africaine ?
L’identité africaine est cette structure qui permet à l’Africain (individu) de se définir ou non comme
membre compétent d’une organisation sociale (en l’occurrence ici, l’Afrique). La conscience de cette
appartenance n’est pas un élément suffisant pour faire apparaître ce processus qui affecte l’identité même de
l’individu. Il s’agit bien d’une organisation symbolique particulière, cognitivement appropriée par l’individu, qui va
servir de référence centrale qu’il peut donner de lui-même ou des autres, sans qu’il ait pour autant la lucidité de
ces déterminismes. Toutefois à travers les modes d’appropriation de l’espace continental, il nous apparaît que
les africains construisent leur identité sous le rapport de la représentation ou de l’image construite à partir de
laquelle ils élargissent le ‘’nous’’ en faisant reculer la frontière des ‘’autres’’.
Un certain nombre de facteurs se conjuguent pour expliquer la spécificité du processus de construction
identitaire africain. Le premier est d’ordre historique (ancienneté des réseaux qui débordent les frontières
nationales), le second est social (la constitution de l’Etat a tendu à précéder la Nation, d’où ces débordements
des frontières par les acteurs de la société civile et la constitution de périphéries frontalières) ; le troisième est
géographique (14 pays enclavés, faible densité des tailles des pays), le quatrième est économique (inégale
répartition des richesses) ; le cinquième est politique (tentative de résolution de la contradiction entre
appartenances ethniques transfrontalières et construction d’une identité africaine).
Il suit de ce qui précède entre africains de part et d’autres du continent, des relations qui ne se
réduisent pas toujours aux seuls calculs utilitaires. Ainsi, des aires de pâturages au-delà des frontières
nationales, aux logiques de transferts liés aux phénomènes migratoires, on peut voir comment tout ceci répond
davantage à des logiques sociales même si elles sont sous-tendues par l’économique, s’exprimant à travers
une solidarité à base d’appartenance à des groupes de parenté, à des communautés ethniques ou religieuses.
Aussi les acteurs construisent et reconstruisent-ils des stratégies pour faire face aux mesures institutionnelles,
en les redéfinissant et en les détournant à leur profit. A titre illustratif, nous pouvons indiquer les nombreux
exemples de détournements et réinterprétations de politique migratoire de la part de ces acteurs (commerçants,
étudiants…). La notion de citoyenneté au contraire de celle de la nationalité, s’inscrit dans un processus plus
large faisant appel aux vertus éthiques de la société, par lesquelles l’individu est reconnu comme membre
d’une communauté en tant que participant de la société civile. La citoyenneté se distingue de la nationalité au
sens où la nationalité fait référence à un territoire précis. La notion de citoyenneté ne revendique pas cette
appartenance à un lieu, elle suppose simplement que le citoyen décide librement de construire, non pas son
rapport au lieu, mais son rapport aux autres, que cela se fasse dans un territoire précis importe peu. La
citoyenneté qui est du ressort de l’individu, exprime l’ensemble des liens entre celui-ci et une communauté
d’acteur. Aussi ne peut-on pas accorder à l’individu des valeurs citoyennes, sans potentiellement remettre en
cause sa citoyenneté, ou la conditionner à des agencements artificiels, comme la possibilité pour une autorité
d’attribuer ou non des marques de citoyenneté. Il suit de ce qui précède que la citoyenneté ne se réclame pas ;
elle participe de la nature du sujet et ne peut être déterminée par une volonté politique extérieure à l’individu.
D’où, la question de la liberté d’un sujet réfléchissant sur sa place dans la communauté et son lien avec les
autres sans que, ni cette place, ni ce lien ne soit déterminé par une autorité extérieure. Pour corriger les effets
de la balkanisation du continent, qui a induit la méconnaissance de l’histoire de leurs origines par les africains,
la communication passe pour être une approche de solution.
Section 3 POUR UNE COMMUNICATION STRATEGIQUE AUX FINS DE LA
CONSTRUCTION IDENTITAIRE
§ 1 - Nécessité d’une communication organisationnelle
Partant du constat d’échec des approches institutionnelles volontaristes de la construction identitaire
africaine, nous entendons rappeler ici ces préalables sans lesquels, il ne semble pas pertinent d’envisager cette
construction. Le Ghana de Kwame Nkrumah avait en son temps déjà indiqué la voie en stipulant dans l’article 2
de sa constitution, la mise à disposition de son territoire national à tout Africain. Dans une optique
communicationnelle, la construction identitaire par les organisations et les acteurs s’entend comme un
processus qui suppose un pilotage permanent, se traduisant par des effets de socialisation-apprentissage. Elle
implique des règles permettant la coordination des activités ; elle est mise en place par des acteurs dont les
objectifs contradictoires (les conflits et la nécessité d’arbitrages politiques au sein ou entre Etats souverains
qui constituent des obstacles à l’unité continentale et qui ne seraient pas supprimés par l’unification politique)
peuvent être rendus compatibles. Elle se constitue par des jeux de coalition (contre), de coopération (entre), de
concurrence (avec d’autres acteurs). Tout ceci suppose un ou des espaces de concertation entre les acteurs,
de stabilisation des discours et de coordination entre les politiques nationales, condition sine qua non de
l’harmonisation de la construction identitaire en vue de donner à celle-ci, l’expression d’une organisation
d’interdépendance amenée par une synergie.
Les interdépendances durables et difficilement réversibles supposant des systèmes de règles, la
définition d’objectifs communs aux acteurs ou institutions et des processus de socialisation, s’imposent pour
éviter les errements du passé. Sous ce rapport, la communication organisationnelle stratégique passe d’une
part, pour être ce levier opératoire là où, ont prévalu jusqu’à présent le calcul et la rationalité économique,
toutes choses qui ont constitué autant de raison d’opacité des Etats africains tant en interne qu’en externe.
D’autre part, elle permettrait une coordination entre les parties, une fois les objectifs communs clairement
définis, en contribuant à desserrer les contraintes internes et externes et à combattre les facteurs lourds qui
interdisent l’efficacité de la construction identitaire. Voilà qui justifie la nécessité de stratégies de communication
s’inscrivant dans une logique incitatrice qu’il convient de promouvoir.
a) Une politique communicationnelle incitatrice comme facteur de construction identitaire durable
Dans le processus de construction de l’unité africaine, les dirigeants ne sont pas appesantis sur la
notion de citoyen. Or le citoyen africain serait tout membre de la communauté8 africaine sans qu’il soit
nécessaire de s’interroger sur la place des nationalités par rapport à celle des citoyennetés africaines. Ainsi, le
citoyen appartiendrait à l’Afrique et le national aux Etats. Cette question du rapport à l’autre et du rapport au
territoire, ne manque pas de soulever d’autres questions relativement aux approches de solutions possibles :
intégration ou assimilation, reconnaissance des spécificités ou disparition des particularités ? L’assimilation
conduit à ne plus pouvoir exprimer sa singularité. Les acteurs sociaux revendiquent dès lors par leurs
pratiques cette citoyenneté sans pour autant réclamer une nationalité quand ils sont hors de leurs frontières.
Au regard des irrédentismes observés ces dernières années, notamment dans la région des Grands
Lacs, se pose la question de l’autonomie ou de la véritable marge de manœuvre des Etats, tributaires qu’ils
sont, de leurs relations bi ou multilatérales soit avec les nations occidentales et les organisations
8
La notion de communauté est ici prise dans le sens où F. Tönnies l’entendait comme correspondant à la représentation sociale des
hommes, naturelle et spontanée.
supranationales. Cet état de fait vient compromettre à notre sens, la logique d’apprentissage, pour autant que
l’on identifie l’étranger comme déterminant les règles du jeu et seul capable de les imposer. Ainsi l’initiative de
la décision (en termes d’allocations des ressources) revenant aux agents supranationaux extérieurs,
‘’ignorants’’ pour la plupart des réalités africaines et ne cherchant cependant pas à en faire l’apprentissage.
Deux acteurs au moins sont ici sollicités, une société civile digne de ce nom, devant jouer le rôle de
l’incitant (le Principal) et les organisations sous régionales ou régionales (l’incité), celui d’Agent. Ainsi, l’incité
(l’Agent) serait amené à ne pas tricher, à vaincre ses résistances au changement et à adopter un
comportement nouveau. Il s’agit du Principal et de l’Agent comme de deux protagonistes individuels qui dans
les modèles néo-classiques se trouvent dans une situation d’information parfaite et asymétrique. Celui qui pâtit
de l’asymétrie, le Principal, devant élaborer un système de règles contractuelles sous la contrainte d’un niveau
minimal d’utilité assuré à l’Agent. La stratégie du Principal ayant pour but de traduire dans les faits, les
principes démocratiques que l’Agent qui les dissimule, n’est pas toujours disposé à mettre en œuvre.
b) Communication et socialisation sociopolitique
En cette ère d’ouverture qui oblige les organisations et dirigeants politiques à plus de transparence, se
pose à eux la question de la communication, à savoir le passage du ‘’pourquoi communique-t-on ?’’ au
‘’comment communique-t-on ?’’. Cette question interroge en fait plutôt les conduites éthiques des organisations.
Dans la perspective de la spécificité de l’éthique dans le champ de la communication communautaire,
différence doit être faite entre la communication organisationnelle et la communication des organisations. Cette
seconde acception est ici retenue sous le rapport de l’éthique, laquelle évoque l’idée de responsabilité qui
incombe aux organisations. Max Weber oppose ‘’l’éthique de la responsabilité’’ mettant en jeu la détermination
pour accomplir telle ou telle action et la ‘’morale de la conviction’’ mettant en scène des sentiments échappant à
toute perspective sociale. Cette notion d’éthique nous la reprenons ici en regard de ses présupposés grécoromains et chrétiens en ce qu’elle fonde respectivement, la démocratie, la gestion du groupe et les vertus de la
reconnaissance mutuelle. Aussi la communication se construira-t-elle autour d’un certain nombre de concepts
clés : indépendance, responsabilisation, transparence, libre circulation de l’information, ouverture. Il s’ensuit
que les principales vertus de l’organisation communicante seront le respect de la personne et de ses qualités,
sa responsabilisation, la liberté d’aller et de venir sur le continent, la transparence des réseaux d’information...
La dimension sociale de cette communication parfaitement intégrée dans les valeurs de partage, conduirait à
renforcer le sentiment d’appartenance sans lequel on ne peut parler de lien communautaire.
§ 2 - Communication et changement de comportement citoyen
Nous entendons ici par communication communautaire, celle des instances sous-régionales, régionales
appelées à assumer un rôle d’acteur social. Cette communication, nous ne la réduisons pas à la seule
dimension médiatique reposant sur une approche mécanique et statique, ne s’accordant ni à la fonction
organisationnelle, ni encore moins institutionnelle. Etant entendu que les organisations sont structurées autour
de deux modes de fonctionnement (les systèmes fermés et hiérarchiques dominés par l’information
descendante – ascendante et les systèmes ouverts privilégiant le dynamisme organisationnel caractérisé par
les flux transversaux d’information à chaque niveau de l’organisation), nous militons en faveur de cette seconde
approche. C’est en effet, elle qui pose le problème de la place institutionnelle de nos organisations qui se
doivent de s’inscrire résolument dans une vraie logique de communication institutionnelle et publique et par là
témoigner de son engagement actif dans la communauté. Concomitamment se pose la question de
l’appartenance des organisations africaines à la société civile et celle de la fin des Etats jaloux de leurs
privilèges. Les organisations telles la CEDEAO, la CEMAC, la SADC, l’UA… devraient alors se substituer aux
Etats dans leurs rôles de formation, d’éducation, de traitement des inégalités sociales, plutôt que de s’inscrire
dans les seules logiques économicistes des bailleurs de fonds.
Le changement de comportement des citoyens passe par la prise en compte, dans une optique plus large de
satisfaction des besoins sociaux des africains, où qu’ils se trouvent sur le continent. De la sorte la solution aux
problèmes du continent ne se réduirait plus aux seules réflexions portées exclusivement sur les logiques
rationnelle et irrationnelle qui conduisent à considérer que seul importe, le calcul personnel de l’acteur social
qui agit uniquement dan son propre intérêt. La construction identitaire aboutirait de la part de cet acteur, à
combiner équitablement son intérêt, celui de son pays et l’espace public continental. Et ce, dans une
perspective de cohésion sociale, passant entre autres, par la lutte contre toute forme de discrimination,
d’exclusion… La construction identitaire par la communication des organisations, conduirait à envisager le
statut continental comme référent et à ne plus opérer de choix contradictoires entre les Etats (perçus comme
des réserves de matières premières) et le continent (cadre sociétal). Ceci suppose que soit bien pris en
compte, les véritables enjeux de la communication et le statut de l’information son produit, sa place dans les
organisations et dans le continent. D’où la nécessité d’en appeler non simplement à une révolution dans la
manière d’appréhender ce secteur, mais de le domestiquer.
CONCLUSION
S’étant engagé dans une logique d’intérêt, les divergents des Etats africains ont jusqu »à présent
exacerbé, à travers des discours officiels inspirés par l’agir stratégique mis en œuvre de façon ouverte ou
dissimulée, la tension permanente entre l’Un et le Multiple, l’Individuel et le Collectif. Par une manipulation
consciemment engendrée et/ou par une communication média systématique déformée, ils ont produit
inconsciemment l’illusion de l’unité. Aussi en appelons-nous ici à l’agir communicationnel favorable quant à lui à
l’intercompréhension sous-tendue par l’astreinte aux fondamentaux inhérents au dialogue que sont : les
prétentions à l’intelligibilité, à la vérité, à la sincérité, au respect des normes de la situation de communication.
Telle est à notre sens, la voie royale pour le consensus que requiert la construction identitaire africaine
portée par cette pragmatique fondamentale. C’est cette dernière qui correspond à l’hypothèse démocratique
exempte de domination selon laquelle, les conditions d’exercice public de la raison en quoi devrait consister la
démocratie, où seul devrait triompher l’argument du meilleur argument et non l’argument de la force, est
véritablement à l’honneur. Une construction identitaire comme il convient ne peut se faire par une
communication dirigée, empêchée et encore moins détournée. Aussi recommandons-nous que la
domestication des moyens de communication dès l’école et par la facilitation de la circulation de la circulation
des personnes à l’intérieur des frontières, l’Africain se voit offert de percevoir son continent comme disposant
outre des facilités d’action, mais aussi des opportunités. Le continent une fois approprié par les africains, par
un usage judicieux de la communication, tant au plan cognitif qu’émotionnel, l’Afrique serait perçu comme une
extension des Etats, offrant à tous ses fils et filles, les mêmes sécurités d’action. Construire le ‘’soi’’ en le
concevant comme une instance en interaction permanente entre un ‘’je’’ qui représente l’Africain pour lui-même
et un ‘’moi’’ qui a intériorisé les rôles sociaux, passe inéluctablement par le rappel dans les débats politiques et
dans la pratique pédagogique du bien-fondé des dimensions combinatoires, stratégiques et décisionnelles de la
définition des appartenances. Il s’agit dès lors de travailler à la revalorisation de l’histoire et de la culture
africaine, de manière à amener les africains à mieux assumer la continuité et le changement identitaire.
Bibliographie :
Dubar (C.), La socialisation ; construction des identités sociales et professionnelles, Paris, A. Colin, Coll. U,
1996.
Elias (N.), Qu’est-ce que la sociologie ? Paris ‘’Agora’’ Pocket, 1981.
Giddens (A.), Eléments de la théorie de la structuration, Paris, PUF, 1987.
Sindjoun (L.), Sociologie des relations internationales africaines, Paris, Karthala, 2002.
Wolton (D.), Penser la communication, Paris, Flammarion, 1996.
Téléchargement