Intervention de Jean-Pierre PINEL – Structures organisationnelles et

publicité
Intervention de Jean-Pierre PINEL – Structures organisationnelles et valeurs
institutionnelles à l’épreuve de l’hyper modernité
Jean-Pierre PINEL – Psychologue à Paris 13 – Champs de la clinique psychanalytique
des institutions et des organisations – Intervenant dans des institutions du champ
sanitaire et médicosocial.
Objectif de l’intervention : proposer une analyse des changements culturels
contemporains qui mettent à mal les équipes dans nos institutions spécialisées.
Première hypothèse : il y a une mutation de l’arrière-plan institutionnel et
organisationnel. Les institutions spécialisées sont les dernières à subir ces
changements, elles ont résisté le plus longtemps. Les conséquences de cette
mutation sont :
-
Une crise voire un effondrement de certaines valeurs fondatrices des
Institutions spécialisées et des structures
-
Un travail de refondation nécessaire
-
L’effacement du collectif dans les théorisations des processus.
Référentiel théorique :
Il faut distinguer :
Institution
≠ institution
Abstraction
services et établissements
≠ organisation
Moyens et méthodes
pour atteindre la finalité
institutionnelle
Notre secteur met davantage l’accent sur les valeurs que sur les moyens. Cela a
pour conséquence notre méconnaissance des effets des organisations.
1
Notes de Geneviève CHALOPIN et de Sandrine FORTINA
Pôle Individuel
Pôle Social
Entre ces deux pôles, il y a tout l’espace des groupes d’appartenance, de
l’organisation. C’est un maillon pour passer d’un pôle à l’autre.cet espace est évincé
de nos formations initiales. Il y a eu un saut épistémologique.
Quelques références :
 WEBER : typologie des organisations (bureaucratiques et charismatiques).
 ENRIQUEZ (E)
 ROUCHY (JC) : les organisations en réseau.
 KAES (R)
Dans les typologies des organisations, on trouve : les organisations coopératives,
technocratiques, en réseau…
Ces organisations appartiennent à notre psyché (KAES). Elles sont même dans la
partie la plus primitive de notre psyché. C’est ainsi que les angoisses les plus
archaïques se libèrent dans la vie des institutions.
Ce qui se joue dans les institutions : Identité – Narcissisme – Jouissance. On y
joue sa peau.
Les liens de coordination et de coopération ne font pas partie par définition des
fonctionnements humains. Il faut sans cesse les mettre en chantier.
L’organisation est faite pour canaliser les investissements vers les idéaux de
l’institution. Les deux scènes (consciente et inconsciente) peuvent être en synergie,
notamment au moment de la fondation (dynamique fondatrice). Parfois, il y a un
clivage
entre
ces
scènes.
Là
apparaissent
les
risques
d’épuisement,
de
fonctionnement en faux, en simulacre.
Les mouvements mortifères coexistent avec ceux de la création et de l’innovation :
Eros et Thanatos.
2
Notes de Geneviève CHALOPIN et de Sandrine FORTINA
On a un lien d’identité et d’identification aux institutions :
Identité verticale : dans les idéaux
Identité horizontale : dans le partage des idéaux.
→ Voir FREUD (S) : Psychologie collective et analyse du moi.
La résistance au changement est une défense naturelle contre une attaque de
l’identification. C’est un mouvement similaire à celui qui se produit dans un trauma.
C’est une protection contre la souffrance.
Les institutions sont traversées par des valeurs transversales. Les conflits portent
sur des valeurs, après la période de fondation. Par exemple, il y a un conflit actuel
et récurent entre aide et contrôle.
Les valeurs centrales et les filiations théoriques des institutions spécialisées des
années 50 à 70 se sont actualisées dans des structures d’organisation qui sont
homomorphes1 des valeurs fondatrices.
1 Les idéaux de la modernité viennent des militants et des résistants :

Elucidation des sources d’aliénation → Position critique
 Promotion et émancipation des personnes et des groupes sociaux
 Liberté du sujet et primat de la responsabilité.
2 Théories :

Sociologie critique (BOURDIEU)
 Psychanalyse
Cette bipolarité théorique a permis une dynamique créative dans les institutions.
Cette conflictualité est reconnue, acceptée. C’est le contraire de la pensée unique.
Ces affrontements théoriques ont agi comme prévention de la violence et comme
moteur de la création.
3 Structures organisationnelles qui en résultent :
Structure charismatique / structure coopérative
1
Vient de l’algèbre : renvoie à une notion d’équivalence.
3
Notes de Geneviève CHALOPIN et de Sandrine FORTINA
Nombre d’institutions sont mixtes. Les institutions charismatiques sont sur un axe
vertical tandis que les institutions coopératives sont sur un axe horizontal. Les
institutions qui sont positionnées au croisement sont les plus fécondes.
Modèle charismatique :
Le modèle charismatique s’est effondré à l’hôpital.
Voir : Serge BLONDEAU – N°82 de la revue Connexions : « Groupes de parole et
crise institutionnelle ».
Ce qui prime c’est la personnalité et les compétences du chef. Chacun a avec lui un
lien individualisé. C’est un lien narcissique, le désir d’être le fils préféré, ce qui
crée une rivalité entre les frères. C’est un mode homosexué et phallique. Il y a une
soumission narcissique au chef. L’ambivalence vient du désir de destruction. La
violence se développe alors à l’endroit du féminin (pas au sens de genre). Le
féminin, c’est la capacité à la RECEPTIVITE, condition nécessaire et préalable à
l’élaboration.
Modèle coopératif :
La cohérence et le partage du sens sont privilégiés. Cohérence n’est pas cohésion
(la
cohésion
renvoie
à
un
fonctionnement
uniforme,
celui
des
organisations
bureaucratiques). Cela implique un ensemble de dispositifs, donc un mode qui prend
du temps. Ce modèle est chronophage, en contradiction avec les exigences
contemporaines. Il fonctionne par la négociation, traite les conflits. Il repose sur
une part d’utopie.
Ces deux modèles ont connu leur fécondité et leurs impasses. Il y a un vécu
nostalgique par rapport à eux.
Le concept d’hyper modernité :
Vient de Marcel GAUCHET : anthropologue contemporain.
On parle d’hyper modernité plutôt que de post modernité. La post modernité
supposerait que l’on ait changé de processus. Or, l’hyper modernité est la pointe
extrême du processus qui donne la mutation. La logique profonde en œuvre est celle
de la montée de l’individualisme et de la démocratie. Lorsque l’individu augmente, le
collectif
diminue.
Voir
DUBET :
la
désinstitutionalisation.
Cette
4
Notes de Geneviève CHALOPIN et de Sandrine FORTINA
désinstitutionalisation contemporaine place les individus et les jeunes professionnels
dans la certitude d’être SANS DETTE. C’est l’oubli de l’hétéronomie.
Le méta cadre se transforme, les institutions sont fragilisées. L’hyper modernité va
développer des troubles du narcissisme et de l’identité (tandis que la modernité
développait des névroses).
Voir Olivier DOUVILLE : la mélancolisation du lien social. La découverte des camps
et d’Hiroshima a provoqué un désenchantement par rapport aux idéaux messianiques
et une poussée démocratique. Cela a aboli la différenciation générationnelle de
l’asymétrie.
Voir la montée des communautés de jouissance et des groupes de parole (modalité
de réponse à la crise).
L’hyper modernité a crée une inversion de la flèche temporelle. Dans les sociétés
traditionnelles, le passé est la référence. Dans les sociétés modernes, le passé
existe et on recherche une amélioration dans le futur. Dans l’hyper modernité,
c’est le futur pur. Cette idéologie du futur attaque la TRANSMISSION.
Attention à ne pas dénier le passé et l’histoire du sujet dans le PROJET de
l’usager.
Le modèle charismatique et l’utopie coopératrice ont perdu leurs fondements
symboliques. On bascule dans des logiques de transparence qui empêchent la
construction narcissique.
Les effets sur les Institutions Spécialisées (IS) :
Les IS sont des ensembles intersubjectifs fragiles. Ils doivent être suffisamment
fragiles pour rendre possible la réceptivité du féminin. C’est cela qui permet
l’accueil de l’Autre et de sa souffrance. C’est une place intermédiaire entre le tissu
social et la mésinscription. Les IS sont des lieux d’accueil de la violence, de la
désespérance où l’on doit se déprendre de la fascination. Elles sont un lieu de
contention. Il faut être fort (pour contenir) et fragile (pour accueillir) en même
temps.
La structure organisationnelle donne un arrière plan de fiabilité et de sécurité.
5
Notes de Geneviève CHALOPIN et de Sandrine FORTINA
La crise des IS résulte de 3 phénomènes concomitants :
-
Mutation des valeurs sociétales
-
Surgissement de psychopathologies
-
Départ des fondateurs
En parallèle, les exigences de plus en plus fortes des tutelles contribuent à
empêcher de penser.
Les 3 P (programme-protocole-procédure) se substituent à la pensée alors qu’ils
peuvent exister après avoir beaucoup pensé. Cette fascination des équipes
s’explique t-elle parce que ces procédures viennent boucher le trop béant de la
perte ? Il y a à faire le travail de l’illusion groupale (ANZIEU). Cette crise
nécessite que nous revisitions les fonctions groupales.
Nous sommes dans une phase de régression théorico-clinique. Cela se manifeste
notamment par le lien que font les équipes entre les pathologies des usagers et les
relations interindividuelles.
Ainsi, le phénomène qui s’est produit dans les hôpitaux psychiatriques : lorsque
deux professionnels ou deux groupes de professionnels étaient en conflit sur le
traitement à adopter, l’état du patient concerné se dégradait. C’est une loi
fondamentale qui organise les processus dans les institutions soignantes et
spécialisées. C’est un début de compréhension des processus institutionnels. La
psyché du sujet est prise dans des liens institutionnels. Cet effet miroir se
développe de manière importante (voir RACAMIER) en France. Le patient utilise
inconsciemment la faille latente des équipes pour trouver un lieu de dépôt de son
fonctionnement clivé. Et cela ne concerne pas seulement les patients psychotiques
mais également les états limites.
C’est aux organisations d’analyser ces processus. Cela fait partie de leur mission.
Il faut revenir à une lecture des fondateurs. Cela permet de revisiter l’histoire et
d’éviter l’effacement.
LE RESEAU :
En phase avec la modernité de "l'horizontalité" – Dispositif permettant l'élaborer la
place de l'autre. C'est une vraie originalité, une innovation. La question cruciale
6
Notes de Geneviève CHALOPIN et de Sandrine FORTINA
sera celle-ci : du fait de l'horizontalité, qui va faire tenir les liens, qui va être à
la tête du réseau (et retrouver les thèmes de verticalité, de charismatisme…) ?
Comment penser les différences qui n'engendrent pas les inégalités ?
L'entreprise est le dernier modèle institutionnel qui reste après l'effondrement de
la famille, des institutions au sens large (Cf : R. KAES). C'est elle qui va devenir
le "modèle" idéologique unique et va diffuser ses valeurs (Cf : démarche qualité).
Dans une institution, il faut qu'il y ait un lieu de bureaucratie (et non que tout soit
bureaucratique !) pour absorber les pulsions archaïques des équipes.
Nous passons d'une culture orale à l'écrit, nous passons du mythe à l'histoire
(FUSTIER). L'historicisation va se coltiner différentes versions pour passer à
l'écrit et il va falloir se mettre d'accord sur une version. Cette démarche permet
de revisiter les fondations.
Il y a effondrement du modernisme : perte de la référence indiscutable et
partagée (le leader charismatique). Ce modèle n'est plus légitime, il n'est plus
reconnu.
Concept repris par ROUCHY pour comprendre la vie des groupes : "incorpora" : est
intériorisé sans être subjectivé (n'a pas été introjecté). Quand on appartient à la
même culture, au même groupe d'appartenance, on ne partage pas, on incorpore
sans introjection. L'incorpora est intimement lié à notre archaïsme et est difficile
à partager. Il s'agit de permettre aux professionnels de penser le processus à
l'œuvre.
7
Notes de Geneviève CHALOPIN et de Sandrine FORTINA
Téléchargement