Mardi 30 avril prochain, les rencontres sociologiques se poursuivent

publicité
Les Mardi de Sociologie du mois d’avril 2013
La deuxième rencontre « Les Mardi de Sociologie » aura lieu le Mardi 30 avril 2013 :
Présentation des travaux du Professeur Hassan Majdi :
« Le Culte des Saints et les Pèlerinages des Juifs au Maroc ? »
Présentation :
On ne peut parler des juifs du Maroc, investiguer les us et coutumes d’une communauté qui a
quitté en masse le pays pour le Canada, la France, les USA, le Venezuela, Israël…sans faire
référence à l’un des phénomènes les plus spécifiques de ce pays : le culte des saints.
En effet, les masses populaires juives croyaient obstinément au pouvoir d’intéresser de
nombreux rabbins dont la sépulture attirait des pèlerinages, le plus souvent dans la semaine
anniversaire de leur mort. Ces pèlerinages sont l’un des motifs majeurs des grandes
randonnées à travers le Maroc, des familles entières entreprennent parfois de longs et
périlleux voyages pour accomplir à date fixe, généralement « la Hillulah » le vœu de visiter la
tombe d’un saint parfois situé dans des zones difficilement accessibles.
On aurait pu penser que, lorsque les Juifs quittèrent en masse le Maroc, les structures
traditionnelles de la vénération des saints allaient s’effondrer, étant loin de leur milieu naturel,
des sépultures, du cadre socio-géographique et de l’organisation communautaires. Et de fait,
les grands problèmes de l’absorption matérielle qui ont secoué la grande majorité des
immigrants dans leur nouveau pays, ébranlèrent gravement les bases de la culture
traditionnelle des Marocains, y compris leur vénération de saints. Mais la profondeur de ce
phénomène populaire et sa forte attache au cadre religieux et social lui permirent non
seulement de survivre pendant les difficiles années 1950 et 1960, mais aussi d’accumuler des
forces qui lui permirent plus tard de reprendre et d’élargir le cadre de cette vénération.
L'hagiographie juive du Maroc cesse d'être un phénomène complètement local, limité à des
intérêts étroits. Elle exprime, au contraire, toute une identification avec les idéaux religieux de
tout le peuple juif et nécessite un effort continu de tous les fidèles : c'est là leur contribution
au salut du peuple entier. C'est d'ailleurs sur ce plan que l'on pourrait comprendre les liens
hagiographiques qui rattachaient la Terre Sainte au Maroc, il y a fort longtemps, et la
restauration du culte de ces mêmes saints « transférés » en Israël, après le grand exode des
Juifs.
Le retour des Saints juifs en Israël se fait souvent à travers les rêves de fidèles, ou parfois par
le transfert du corps, réel ou imaginaire, du saint. Cette situation de la transposition de
pratiques d’hagiolâtrie qui mobilisent de nouveaux symboles dans le contexte d’immigration
peut être analysée comme un processus d’« invention de la tradition».
Ces cultes populaires juives présentent d’évidente analogie avec les cultes maraboutiques, la
coexistence harmonieuse et millénaire des Juifs et des Musulmans au Maroc et leur recours
indépendant au même phénomène culturel, ont donné naissance à des usages communs dans
la création des saints et l’accomplissement des rites pendant le pèlerinage.
Même si le phénomène hagiographique chez les Juifs du Maroc comporte des caractéristiques
spécifiquement juives, l’influence musulmane est tellement profonde et nette qu’il n’existe
souvent même pas de cloisons étanches entre les saints reconnus par les Musulmans et
célébrés par les Juifs ; c’est pourquoi, le même Tsaddik (Saint), le même Marabout, reçoivent
souvent et indistinctement la pieuse offrande des Juifs et des Musulmans.
On remarque que bien souvent, en particulier dans les régions montagneuses, les pèlerinages
judéo-musulmans doivent rappeler une survivance de l’époque où des tribus berbères
judaïsées occupaient le pays. Ce phénomène ne saurait surprendre, il est la conséquence
logique du comportement des autochtones dans le domaine spirituel. Chez les juifs et, d’une
manière générale, chez tous les aborigènes issus des tribus en question, selon Slouschz, « on
peut presque affirmer que, partout où l’on rencontre des marabouts judéo-musulmans
antérieurs à l’islam, on trouve aussi les représentants de ces anciennes populations du
Maroc ». Les judéo-berbères seraient donc les principaux instigateurs du culte des saints au
Maroc, ce qui paraît assez normal, comme leurs fractions semblent avoir beaucoup essaimé, il
est probable qu’ils ont eu aussi une grande influence sur son extension.
Certes le culte des saints est un phénomène universel, mais il est particulièrement berbère,
c’est à dire Nord Africain depuis l’aube du temps. Il n’a fait qu’adopter, successivement les
couleurs des trois religions monothéistes. Sa nature parareligieuse et hérétique est gardée.
Pour comprendre le phénomène, il faut d’abord rechercher, comment l’Islam et le Judaïsme
évoluent dans le cadre local.
L’introduction dans l’Antiquité du judaïsme au Maroc, sa propagation chez les autochtones
dont une partie est, en outre, gagnée au christianisme, l’attachement des nouveaux
monothéistes, des gens très frustes, aux vieilles superstitions païennes doivent, au moins dans
les premiers temps, faire souvent confondre des rites qui relèvent de croyances différentes.
Enfin, la plupart des membres des divers groupes religieux appartiennent à la famille berbère
ou ont des attaches avec elle de sorte qu’ils gardent bien des points de contact. Plus tard, la
lutte pour résister aux convertisseurs musulmans accentue vraisemblablement la fréquence
des rapports entre païens, juifs et chrétiens. Puis, lorsque la religion orientale réussit à
s’implanter dans le pays, le christianisme disparaît peu à peu, le Judaïsme reste alors seul en
face de l’Islam. Mais celui-ci est contraint de s’adapter à la mentalité berbère. Ainsi que l’a
écrit Michaux-Bellaire, si les religions modifient les peuples, les peuples modifient aussi les
religions.
Téléchargement