Synthèse « Linguistique des langues des signes » (SCL C10A). Licence 2. AMU. Faculté ALLSHS d’Aix-en-Provence.
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25.01.15
Introduction de la langue des signes française
auprès dun public denfants dysphasiques
Christel Bultet
Dans son mémoire, « Appropriation de la langue des signes française par des enfants
présentant un trouble complexe du langage », Marie Guillem (2010), alors étudiante en dernière
année à lécole dorthophonie de Lorraine, nous présente, dans le troisième chapitre de son ouvrage,
la langue des signes française (LSF), ainsi que son introduction auprès de publics spécifiques. Sil
est communément admis que la LSF est une langue signée par la communauté sourde de France,
elle est quelquefois utilisée pour faciliter la communication avec des sujets entendants mais atteints
dautres pathologies, comme les autistes et les aphasiques, ou encore les dysphasiques. Lauteure
élargit lutilité de lusage de cette langue auprès des enfants aphasiques et autistes. Elle insiste sur
ladaptation de la LSF pour les enfants dysphasiques et conclut avec les limites de la LSF dans son
utilisation en ce qui concerne ce public: la langue des signes est-elle la réponse pour pallier à toutes
les dysphasies ?
La LSF, outre son utilité reconnue au sein de la communauté sourde, a plusieurs intérêts
auprès de certains publics entendants ayant un déficit du langage oral. En premier lieu, elle
contourne les difficultés de décodage des informations auditives grâce au support visuel quelle
utilise. Deuxièmement, elle ne requiert pas dorganisations cérébrales spécifiques, ce sont les
mêmes aires de langage oral (aires de Broca et de Wernicke) qui entrent en jeu dans la production
de la langue des signes. Enfin, son iconicité favorise lintégration des concepts de langage. Cest en
observant des enfants ayant subi des lésions cérébrales et présentant une aphasie que Benoît Virole
(2006) a mis en évidence lutilisation dune gestuelle foisonnante et imagée et a eu lidée
dintroduire la LSF auprès de ces enfants, les aidant ainsi à communiquer plus aisément. Il a
également travaillé sur un article traitant dun secteur de psychiatrie infanto-juvénile de Paris, où les
enfants autistes, ayant été sensibilisés à la langue des signes, ont montré plus dintérêt à la
communication avec autrui et avaient un meilleur accès à la pragmatique (Virole, 2007).
En ce qui concerne les enfants dysphasiques, il apparaît que lutilisation de la LSF aide à lever
les obstacles du langage verbal (Brun-Hénin, 2002). Dun point de vue théorique, lenfant
dysphasique utilise spontanément une gestuelle pour compenser son handicap. La LSF sert de canal
plus structuré pour enrichir cette gestuelle et permet ainsi à lenfant de redevenir actif dans sa
communication avec autrui. Cest aussi un moyen de facilitation en ce qui concerne lorganisation
du lexique. Enfin, la LS est également une aide dans la mise en place de structures pragmatiques.
Il est à noter que la syntaxe de la LSF est particulièrement visuelle, la phrase commence par le
concept le plus général, pour finir par le verbe, « plantant » ainsi « le décor », pour enfin décrire
laction : elle est donc plus accessible aux enfants dysphasiques.
Selon Michèle Mazeau (1999), il est urgent dintroduire la langue des signes française auprès
des dysphasiques, mais en tant quaide seulement, principalement en tant quaide lexicale et quil
serait bon dy associer lutilisation de pictogrammes.
Il est également souhaitable dinscrire ces enfants dans des établissements spécialisés dans la
déficience auditive, essentiellement pour quils bénéficient de structures et doutils adaptés à
« lexploitation des suppléances visuelles » mais aussi pour quils évoluent parmi un public signeur
(Mazeau, 1999).
En pratique, deux études ont mis en évidence les bienfaits de lintroduction LSF chez un
enfant dysphasique :
- Létude sur Lou (Houzel, 2008), une fillette de 10 ans qui est inscrite depuis 2 ans dans un
programme (Programme dEnrichissement Instrumental) dont lidée est dorganiser le contexte
dapprentissage pour permettre à lenfant, quelle que soit sa pathologie, de surmonter les difficultés
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liées à celle-ci. Son accompagnant thérapeutique, Sylvie, voyant que la petite fille utilise tout
naturellement une gestuelle corporelle et faciale riche, fait intervenir un médiateur sourd, Sid, pour
lui apprendre la langue des signes française. Les progrès de Lou sont alors significatifs, ce qui a
entraîné une collaboration plus étroite entre Sid et Sylvie et linvestissement de tout lentourage
proche de lenfant. Tous ont appris (plus ou moins facilement) la LSF pour assurer un
environnement quasi-bilingue à la fillette. A la fin de létude, Lou, grâce à une communication plus
active, une plus grande facilité à « structurer sa pensée », pouvait « exprimer ses émotions et
donc,se construire » (Marie Guillem , 2010).
- La deuxième étude a émenée pendant 26 semaines par Stephen Von Tetzchner en 1984.
Elle porte sur un enfant de 3 ans, qui ne parlait pas, auquel on a appris un langage gestuel. Après
une appropriation rapide de ce mode de langage, lenfant a pu restituer des mots sans sappuyer sur
les signes. A partir de là, les signes ne servent que dappui pédagogique, de métalangue, pour
expliquer les mots. Létude a conclu sur le fait que, grâce à lutilisation des signes, lenfant avait
progressé dans lutilisation des compétences linguistiques acquises ce qui avait eu pour
conséquence lamélioration de son comportement.
De ces deux études découle que lintroduction de la LSF est un atout majeur dans le déblocage
des compétences langagières des enfants dysphasiques. Pour autant, ce nest pas un outil miracle et
il est nécessaire de connaître les limites de lutilisation de cette langue.
Dune part, il faut que lentourage de lenfant sinvestisse dans la pratique de la LSF. En effet,
un contact occasionnel avec la langue des signes na que peu dimpact sur les progrès de lenfant, il
faut quil soit immergé dans un environnement signeur pour sapproprier, outre le lexique, la
syntaxe et la pragmatique de cette langue. La langue des signes nécessite un apprentissage onéreux
en termes de temps et les proches de lenfant ne sont pas toujours prêts (manque de temps, de
moyens, denvie) à utiliser de façon habituelle ce mode de communication. Ils passeront plus
facilement par le canal oral et ne signeront quoccasionnellement.
Dautre part, la dysphasie étant une pathologie à syndromes multiples, certains patients
présentent un déficit langagier dordre morphosyntaxique. Rappelons que la LSF à une syntaxe qui
lui est propre, différente de la syntaxe du français. Pour ce genre de syndrome, il est inutile
dintroduire la langue des signes ; en effet, quel bénéfice lapprentissage dune syntaxe
supplémentaire pourra-t-il apporter à lenfant ? Aucun, si ce nest une difficulté supplémentaire à
surmonter.
Certains patients, quant à eux, présentent une forme praxique de la dysphasie ; pour eux, la
LSF nest être une langue-outil car ils ont autant de mal à réaliser un signe quà articuler un mot.
Sil apparaît que la langue des signes française est un excellent outil de compensation et
daide à lapprentissage du français chez les enfants dysphasiques, il faut cependant éviter deux
écueils :
- lutilisation systématique de la LSF avec les patients ; il est nécessaire, en amont, de bien
connaître la nature de leurs troubles et du (ou des) syndrome(s) caractérisant leurs pathologies.
- remplacer lutilisation du français par la langue des signes comme langue dusage de lenfant
dysphasique. La LSF ne doit rester quun outil dapprentissage, ne pas devenir une langue de
substitution.
Il nous semble nécessaire de rajouter, quau vue du peu détudes publiées aujourdhui sur
lintégration de la langue des signes françaises auprès des enfants dysphasiques (notamment de par
le caractère longitudinal de ces études de cas, et par la difficultés de trouver des sujets
représentatifs, la dysphasie étant une pathologie pouvant avoir comme conséquence un ou plusieurs
troubles différents de lencodage), lutilisation de la LSF par les dysphasique est une piste de travail
porteuse despoir quil serait bon, non pas de généraliser pour les raisons invoquées ci dessus, mais
dexploiter sur tous les dysphasiques présentant un terrain favorable.
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Référence bibliographique :
Guillem, M. (2010). Appropriation de la langue des signes française par des enfants présentant un
trouble complexe du langage. Mémoire de certificat de capacité dorthophoniste, chapitre 3, p.59-
77, Ecole dorthophonie de Lorraine, université Henri Poincaré, étude non publiée. Récupéré le 08
octobre 2014 à :
http://docnum.univ-lorraine.fr/public/SCDMED_MORT_2010_GUILLEM_MARIE.pdf
Travaux cités par lauteure :
- Brun-Hénin, F. (2002). Intérêt dun bilan pluridisciplinaire dans le diagnostic des dysphasies. In :
Approches et remédiations des dysphasies et dyslexies, sous la direction de Pech-Georgel et George
F. Marseille : Solal.
- Houzel, R. (2008). Lou, au delà des mots. Ce reportage a été diffusé dans lémission L’œil et la
main : http://www.france5.fr/oeil-et-main/archives/28394937-fr.php
- Mazeau, M. (1999). Dysphasies, troubles mnésiques, syndrome frontal chez lenfant. Paris :
Masson.
- Virole, B. (2006). Psychologie de la surdité. Bruxelles : De Boeck.
- Virole, B. & Bufnoir, J. (2007). Utilisation thérapeutique de la langue des signes avec des enfants
autistes non sourds. Consulté le 12/10/2009, http://www.benoitvirole.com
- Von Tetzchner S (1984). Référence non connue.
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