Langue des signes et enfants dysphasiques

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Synthèse « Linguistique des langues des signes » (SCL C10A). Licence 2. AMU. Faculté ALLSHS d’Aix-en-Provence.
Introduction de la langue des signes française
auprès d’un public d’enfants dysphasiques
Christel Bultet
Dans son mémoire, « Appropriation de la langue des signes française par des enfants
présentant un trouble complexe du langage », Marie Guillem (2010), alors étudiante en dernière
année à l’école d’orthophonie de Lorraine, nous présente, dans le troisième chapitre de son ouvrage,
la langue des signes française (LSF), ainsi que son introduction auprès de publics spécifiques. S’il
est communément admis que la LSF est une langue signée par la communauté sourde de France,
elle est quelquefois utilisée pour faciliter la communication avec des sujets entendants mais atteints
d’autres pathologies, comme les autistes et les aphasiques, ou encore les dysphasiques. L’auteure
élargit l’utilité de l’usage de cette langue auprès des enfants aphasiques et autistes. Elle insiste sur
l’adaptation de la LSF pour les enfants dysphasiques et conclut avec les limites de la LSF dans son
utilisation en ce qui concerne ce public: la langue des signes est-elle la réponse pour pallier à toutes
les dysphasies ?
La LSF, outre son utilité reconnue au sein de la communauté sourde, a plusieurs intérêts
auprès de certains publics entendants ayant un déficit du langage oral. En premier lieu, elle
contourne les difficultés de décodage des informations auditives grâce au support visuel qu’elle
utilise. Deuxièmement, elle ne requiert pas d’organisations cérébrales spécifiques, ce sont les
mêmes aires de langage oral (aires de Broca et de Wernicke) qui entrent en jeu dans la production
de la langue des signes. Enfin, son iconicité favorise l’intégration des concepts de langage. C’est en
observant des enfants ayant subi des lésions cérébrales et présentant une aphasie que Benoît Virole
(2006) a mis en évidence l’utilisation d’une gestuelle foisonnante et imagée et a eu l’idée
d’introduire la LSF auprès de ces enfants, les aidant ainsi à communiquer plus aisément. Il a
également travaillé sur un article traitant d’un secteur de psychiatrie infanto-juvénile de Paris, où les
enfants autistes, ayant été sensibilisés à la langue des signes, ont montré plus d’intérêt à la
communication avec autrui et avaient un meilleur accès à la pragmatique (Virole, 2007).
En ce qui concerne les enfants dysphasiques, il apparaît que l’utilisation de la LSF aide à lever
les obstacles du langage verbal (Brun-Hénin, 2002). D’un point de vue théorique, l’enfant
dysphasique utilise spontanément une gestuelle pour compenser son handicap. La LSF sert de canal
plus structuré pour enrichir cette gestuelle et permet ainsi à l’enfant de redevenir actif dans sa
communication avec autrui. C’est aussi un moyen de facilitation en ce qui concerne l’organisation
du lexique. Enfin, la LS est également une aide dans la mise en place de structures pragmatiques.
Il est à noter que la syntaxe de la LSF est particulièrement visuelle, la phrase commence par le
concept le plus général, pour finir par le verbe, « plantant » ainsi « le décor », pour enfin décrire
l’action : elle est donc plus accessible aux enfants dysphasiques.
Selon Michèle Mazeau (1999), il est urgent d’introduire la langue des signes française auprès
des dysphasiques, mais en tant qu’aide seulement, principalement en tant qu’aide lexicale et qu’il
serait bon d’y associer l’utilisation de pictogrammes.
Il est également souhaitable d’inscrire ces enfants dans des établissements spécialisés dans la
déficience auditive, essentiellement pour qu’ils bénéficient de structures et d’outils adaptés à
« l’exploitation des suppléances visuelles » mais aussi pour qu’ils évoluent parmi un public signeur
(Mazeau, 1999).
En pratique, deux études ont mis en évidence les bienfaits de l’introduction LSF chez un
enfant dysphasique :
- L’étude sur Lou (Houzel, 2008), une fillette de 10 ans qui est inscrite depuis 2 ans dans un
programme (Programme d’Enrichissement Instrumental) dont l’idée est d’organiser le contexte
d’apprentissage pour permettre à l’enfant, quelle que soit sa pathologie, de surmonter les difficultés
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liées à celle-ci. Son accompagnant thérapeutique, Sylvie, voyant que la petite fille utilise tout
naturellement une gestuelle corporelle et faciale riche, fait intervenir un médiateur sourd, Sid, pour
lui apprendre la langue des signes française. Les progrès de Lou sont alors significatifs, ce qui a
entraîné une collaboration plus étroite entre Sid et Sylvie et l’investissement de tout l’entourage
proche de l’enfant. Tous ont appris (plus ou moins facilement) la LSF pour assurer un
environnement quasi-bilingue à la fillette. A la fin de l’étude, Lou, grâce à une communication plus
active, une plus grande facilité à « structurer sa pensée », pouvait « exprimer ses émotions et
donc,se construire » (Marie Guillem , 2010).
- La deuxième étude a été menée pendant 26 semaines par Stephen Von Tetzchner en 1984.
Elle porte sur un enfant de 3 ans, qui ne parlait pas, auquel on a appris un langage gestuel. Après
une appropriation rapide de ce mode de langage, l’enfant a pu restituer des mots sans s’appuyer sur
les signes. A partir de là, les signes ne servent que d’appui pédagogique, de métalangue, pour
expliquer les mots. L’étude a conclu sur le fait que, grâce à l’utilisation des signes, l’enfant avait
progressé dans l’utilisation des compétences linguistiques acquises ce qui avait eu pour
conséquence l’amélioration de son comportement.
De ces deux études découle que l’introduction de la LSF est un atout majeur dans le déblocage
des compétences langagières des enfants dysphasiques. Pour autant, ce n’est pas un outil miracle et
il est nécessaire de connaître les limites de l’utilisation de cette langue.
D’une part, il faut que l’entourage de l’enfant s’investisse dans la pratique de la LSF. En effet,
un contact occasionnel avec la langue des signes n’a que peu d’impact sur les progrès de l’enfant, il
faut qu’il soit immergé dans un environnement signeur pour s’approprier, outre le lexique, la
syntaxe et la pragmatique de cette langue. La langue des signes nécessite un apprentissage onéreux
en termes de temps et les proches de l’enfant ne sont pas toujours prêts (manque de temps, de
moyens, d’envie) à utiliser de façon habituelle ce mode de communication. Ils passeront plus
facilement par le canal oral et ne signeront qu’occasionnellement.
D’autre part, la dysphasie étant une pathologie à syndromes multiples, certains patients
présentent un déficit langagier d’ordre morphosyntaxique. Rappelons que la LSF à une syntaxe qui
lui est propre, différente de la syntaxe du français. Pour ce genre de syndrome, il est inutile
d’introduire la langue des signes ; en effet, quel bénéfice l’apprentissage d’une syntaxe
supplémentaire pourra-t-il apporter à l’enfant ? Aucun, si ce n’est une difficulté supplémentaire à
surmonter.
Certains patients, quant à eux, présentent une forme praxique de la dysphasie ; pour eux, la
LSF n’est être une langue-outil car ils ont autant de mal à réaliser un signe qu’à articuler un mot.
S’il apparaît que la langue des signes française est un excellent outil de compensation et
d’aide à l’apprentissage du français chez les enfants dysphasiques, il faut cependant éviter deux
écueils :
- l’utilisation systématique de la LSF avec les patients ; il est nécessaire, en amont, de bien
connaître la nature de leurs troubles et du (ou des) syndrome(s) caractérisant leurs pathologies.
- remplacer l’utilisation du français par la langue des signes comme langue d’usage de l’enfant
dysphasique. La LSF ne doit rester qu’un outil d’apprentissage, ne pas devenir une langue de
substitution.
Il nous semble nécessaire de rajouter, qu’au vue du peu d’études publiées aujourd’hui sur
l’intégration de la langue des signes françaises auprès des enfants dysphasiques (notamment de par
le caractère longitudinal de ces études de cas, et par la difficultés de trouver des sujets
représentatifs, la dysphasie étant une pathologie pouvant avoir comme conséquence un ou plusieurs
troubles différents de l’encodage), l’utilisation de la LSF par les dysphasique est une piste de travail
porteuse d’espoir qu’il serait bon, non pas de généraliser pour les raisons invoquées ci dessus, mais
d’exploiter sur tous les dysphasiques présentant un terrain favorable.
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Synthèse « Linguistique des langues des signes » (SCL C10A). Licence 2. AMU. Faculté ALLSHS d’Aix-en-Provence.
Référence bibliographique :
Guillem, M. (2010). Appropriation de la langue des signes française par des enfants présentant un
trouble complexe du langage. Mémoire de certificat de capacité d’orthophoniste, chapitre 3, p.5977, Ecole d’orthophonie de Lorraine, université Henri Poincaré, étude non publiée. Récupéré le 08
octobre 2014 à :
http://docnum.univ-lorraine.fr/public/SCDMED_MORT_2010_GUILLEM_MARIE.pdf
Travaux cités par l’auteure :
- Brun-Hénin, F. (2002). Intérêt d’un bilan pluridisciplinaire dans le diagnostic des dysphasies. In :
Approches et remédiations des dysphasies et dyslexies, sous la direction de Pech-Georgel et George
F. Marseille : Solal.
- Houzel, R. (2008). Lou, au delà des mots. Ce reportage a été diffusé dans l’émission L’œil et la
main : http://www.france5.fr/oeil-et-main/archives/28394937-fr.php
- Mazeau, M. (1999). Dysphasies, troubles mnésiques, syndrome frontal chez l’enfant. Paris :
Masson.
- Virole, B. (2006). Psychologie de la surdité. Bruxelles : De Boeck.
- Virole, B. & Bufnoir, J. (2007). Utilisation thérapeutique de la langue des signes avec des enfants
autistes non sourds. Consulté le 12/10/2009, http://www.benoitvirole.com
- Von Tetzchner S (1984). Référence non connue.
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