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CARTE BLANCHE
FUYEZ LES PROCES !
Argante
Je veux plaider.
(…)
Scapin
Vous ferez ce qu’il vous plaira ; mais, si
j’étais de vous, je fuirais les procès.
(Molière, Les fourberies de Scapin, acte
II, scène V)
Le tout récent arrêt de la Cour de cassation, approuvant l’arrêt de la Cour d’appel de
Bruxelles, qui avait retenu la responsabilité du pouvoir législatif en ce qui concerne l’arriéré
judiciaire, a suscité des commentaires en sens divers.
Tout le monde semble cependant s’accorder sur le remède : il faut nommer toujours plus de
juges (et de greffiers) pour faire face au nombre sans cesse croissant de procès (civils).
L’article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés
fondamentales ne garantit-il pas le droit à un procès équitable, qui implique notamment que
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans
un délai raisonnable… » ?
Cet afflux d’actions judiciaires n’est cependant ni une bonne chose, ni une fatalité.
Le législateur devait en être convaincu en introduisant, par la loi du 21 février 2005, la
médiation dans le code judiciaire. Cette loi organise la médiation conventionnelle,
indépendante de toute action en justice, d’une part, et permet au juge de proposer aux parties
de soumettre le litige qui les oppose à une médiation ou d’ordonner une médiation en cas
d’accord et garantit la confidentialité de celle-ci, d’autre part.
De quoi s’agit-il, en réalité, et en quoi la médiation se distingue-t-elle radicalement de la
procédure judiciaire classique, relativement bien connue, et de l’arbitrage, par lequel un ou
trois juges privés, choisis, directement ou indirectement par les parties et rémunérés par elles,
tranchent le litige, comme le ferait un juge classique ?
Au commencement était le Verbe, en l’occurrence la négociation, qui est la manière à la fois
normale et idéale de régler les litiges entre individus, groupes ou états.Alors que la
négociation est souvent encore considérée comme un marchandage peu glorieux au cours
duquel chacun essaie d’emporter la plus grande part possible du gâteau, une philosophie et
des techniques provenant des Etats-Unis ont permis, depuis une trentaine d’années, de
négocier autrement, en tenant compte davantage des intérêts véritables des parties en cause,
plutôt que de leurs droits, réputés opposés et inconciliables. L’objectif de la négociation
devient la solution créative, « gagnant-gagnant ». La négociation a également acquis ses
lettres de noblesse, en tant que discipline universitaire à part entière, dans toutes les grandes
facultés de droit (law schools) et écoles de commerce (business schools) américaines.
Si la médiation est très ancienne et se retrouve dans les civilisations les plus diverses, la
médiation contemporaine est l’un des fruits de la recherche en la matière : il a été observé
qu’en cas de blocage, d’impasse lors d’une négociation, le fait d’introduire un tiers, perçu
comme neutre, impartial et indépendant, jouissant de la confiance des parties et chargé de les
aider à trouver elles mêmes une solution au différend qui les oppose, permet (bien) souvent
d’aboutir à un accord.
Contrairement à un juge ou à un arbitre, dont le rôle est, en appliquant les règles du droit, de
rendre une décision qui s’impose aux parties (il y a donc, le plus souvent, un « gagnant » et un
« perdant »…qui peut se révéler un mauvais perdant), le médiateur ne décide rien du tout : il
joue le rôle de confident et de coach des parties sur la route menant au règlement du conflit,
en utilisant diverses techniques, faisant l’objet de formations spécialisées. Tout ce qui se dit
ou s’écrit, dans le cadre d’une médiation, revêt un caractère confidentiel et ne pourra donc
jamais être révélé ultérieurement, à un juge ou à un arbitre, par exemple. Le médiateur
utilisera parfois l’outil du « caucus » (ou entretien séparé) avec chacune des parties, au cours
duquel l’interlocuteur du médiateur sera invité, après avoir reçu l’assurance formelle de la
plus absolue confidentialité, notamment vis-à-vis de l’autre partie, à dévoiler ses véritables
intérêts, motivations et aspirations et également à exprimer librement ses émotions dans le
contexte du litige.
En effet, alors que le juriste classique, avocat, juge ou arbitre, a pour mission d’appliquer le
droit aux faits qui lui sont soumis, le négociateur et le médiateur contemporains, juristes ou
non, ont conscience de l’importance fondamentale des émotions et de l’écoute active de
celles-ci dans la plupart des litiges, familiaux, bien entendu, mais également commerciaux ou
dans les relations de travail. Chaque partie, en négociation directe ou dans le cadre d’une
médiation, sera non seulement écoutée, mais véritablement entendue, ce qui est loin d’être le
cas dans la procédure judiciaire. Or, la volonté d’être entendu et compris n’est-elle pas
souvent ce qui pousse quelqu’un à agir en justice ?
Malheureusement, les facultés de droit belges et européennes sont à la traîne et aujourd’hui
encore, la grande majorité des jeunes licenciés en droit n’ont pas reçu le moindre
enseignement de la négociation et de la médiation (qui peut être définie, en deux mots,
comme une « négociation assistée ») : la seule manière de résoudre les conflits entre les
hommes qui y est enseignée est le recours aux tribunaux. Il n’est donc pas étonnant que ceuxci soient bien plus encombrés qu’ils ne devraient l’être…Que penserait-on d’une faculté de
médecine qui n’enseignerait, comme remède à tous les maux du corps et de l’esprit, que la
chirurgie ? L’accès aux blocs opératoires serait également saturé et ce n’est sans doute pas un
hasard que le même verbe désigne l’activité du juge et celle du chirurgien : trancher !
En mai 2005, l’Ordre des Barreaux Francophones et Germanophone recommandait aux
avocats d’envisager avec leurs clients le recours à la médiation et de leur fournir les
informations qui leur permettront de bien apprécier l’intérêt de ce processus. Six mois plus
tard, le conseil de l’Ordre bruxellois allait plus loin en adoptant une recommandation sur le
devoir de conciliation de l’avocat. Il rappelait utilement que « l’avocat n’est pas seulement un
plaideur(…) mais aussi un expert dans le traitement des différends et la recherche des
solutions », que « l’avocat a un devoir de conciliation, donc l’obligation de privilégier autant
que faire se peut la recherche de solutions amiables » et enfin qu’ « outre qu’elle contribue à
résorber l’arriéré judiciaire, la conclusion d’un accord évite les risques, les lenteurs, les coûts
liés aux procédures, elle laisse aux parties la maîtrise de la solution à laquelle elles adhèrent,
en s’affranchissant des contraintes qu’imposent les règles de droit, elle évite le stress et les
pertes d’énergie engendrés par un procès, elle prévient la prolifération des litiges et elle
favorise enfin la poursuite de relations correctes entre les parties. »
L’ avocat de la province canadienne de l’Ontario a même une obligation déontologique
« d’encourager son client à trouver un compromis ou à régler à l’amiable un litige chaque fois
que cela est raisonnablement possible et de décourager son client d’intenter des procédures
inutiles ».
L’on ne saurait mieux dire.
Tant pour le client que pour son avocat, la solution négociée, directement ou dans le cadre
d’une médiation, devrait donc être la règle et le recours aux tribunaux l’exception, tout
comme le patient et son médecin n’envisageront la chirurgie qu’en dernier ressort.
Cerise sur le gâteau : seuls les litiges qui n’auront pu être réglés autrement aboutiront devant
les tribunaux, ce qui aura pour effet secondaire bienvenu de résorber l’arriéré judiciaire.
Les structures sont en place. Les professionnels, en nombre croissant, se forment à cette
philosophie et à ces techniques de la négociation et de la médiation.
Il suffit à présent à tous, citoyens, avocats et juges, d’avoir le bon réflexe.
Avi SCHNEEBALG
Avocat au barreau de Bruxelles
Médiateur agréé
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