2. Le coût du capital : apport des théories de la taxation effective et

1
Coût du capital et accumulation de capital physique en Belgique
Olivier Meunier et Michel Mignolet *
Abstract
Pour la théorie économique néoclassique, la demande d’investissement des entreprises est
significativement déterminée par le coût d’usage du capital. Des études empiriques récentes tendent
d’ailleurs à le démontrer. Le coût du capital comprend également, outre la fiscalité, le coût de
financement, la dépréciation économique effective et les aides publiques octroyées. L’objet de ce
chapitre est double. Une première partie survole la littérature économique traitant du coût du capital,
tandis que la seconde souligne l’intérêt de cette statistique pour l’évaluation de la politique
économique. Une attention particulière est accordée aux études ayant pour objet la Belgique et ses
régions, des premiers travaux portant sur la politique industrielle aux développements récents traitant
entre autres de la distribution spatiale des unités au sein des groupes multinationaux aux dispositifs
relatifs aux centres de coordination.
1. Introduction
La littérature sur les déterminants de l’accumulation du capital physique est abondante. Si on
excepte les développements particuliers relatifs à l’investissement résidentiel des ménages et
aux actifs circulants, elle s’emploie à expliquer la formation de capital productif dans les
entreprises.
L’intense activité de recherche destinée à éclairer les moteurs de la demande d’investissement
a conduit à un foisonnement de contributions scientifiques qu’il est malaisé de classifier. A
côté des modèles de base dont la dynamique est implicite (CHIRINKO, 1993), se sont
développés des modèles s’appuyant sur un programme explicite d’optimisation intégrant des
éléments dynamiques.
Les premiers comprennent la théorie de l’accélérateur, les apports de la théorie néoclassique,
les approches fondées sur le taux de taxation moyenne effective et sur le ratio rendement sur
coût ou encore le modèle de cash flow. Le mécanisme de l’accélérateur souligne l’importance
de la demande adressée à l’entreprise dans l’explication de la formation de capital. Le courant
* Les auteurs sont respectivement chercheur et professeur au Centre de Recherche sur l’Economie Wallonne
(CREW) Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix, Namur.
2
néoclassique met en exergue le rôle du coût du capital. FELDSTEIN (1987) est à l’origine des
modèles dits de taxation effective et de rendement sur le coût. Les premiers expliquent
l’investissement net par le rendement réel, après taxe
1
, les seconds en relation avec le
rendement potentiel net maximum. Rompant avec les hypothèses de concurrence parfaite, les
modèles de cash flow admettent le risque de rationnement des sources de financement et
privilégient le recours aux moyens propres générés par l’activité courante de l’entreprise.
D’autres modèles, dits VAR, sont construits sur le principe des vecteurs autorégressifs. Ils
rapprochent la demande courante de capital, de la distribution des penses de capital
observées dans le passé.
L’approche dite « explicite » entend mieux cerner la « dynamique attribuable aux attentes et à
la technologie »
2
. Elle met en évidence les coûts d’ajustement qui pèsent sur la firme. Tout
investissement est en effet source de perturbations dans l’entreprise par la réorganisation et
les besoins de formation du personnel qu’il impose. L’approche dite du q de TOBIN entend
cerner les attentes à travers le rapport du prix de demande sur le prix d’offre des biens en
capital. Le premier mesure la valeur marchande de l’entreprise, le second, le coût de
remplacement de celle-ci. Les modèles reposant sur l’équation d’EULER et les approches
prédictives résolvent le problème des attentes inobservables d’une façon alternative : les
premiers les appréhendent sous certaines hypothèses par les valeurs observées, les secondes,
par une prévision directe.
Quelle que soit l’approche utilisée, tout modèle explicatif de la dynamique de
l’investissement est susceptible de mettre en jeu des variables de volume (la demande
adressée à la firme, sa liquidité), des variables de prix (le coût de financement, la pression
fiscale effective) ou d’autres telles que les chocs technologiques ou l’esprit d’entreprise. Dans
la suite de ce chapitre, nous nous concentrerons sur la deuxième catégorie de variables sous-
tendant la demande d’investissement
3
.
Les variables de prix se composent, pour l’essentiel, du prix d’achat de l’investissement,
d’une part, et de la pression fiscale au sens large, d’autre part. Lorsqu’on veut rendre compte
1
Contrairement à la théorie détaillée par la suite qui fixe l’attention sur l’investissement marginal et dès lors sur
le taux marginal d’imposition effective (cfr. infra), l’approche de FELDSTEIN (1987) utilise un taux moyen de
taxation comme instrument de mesure des incitants à investir.
2
CHIRINKO (1993), p. 21.
3
En effet, la littérature économique contemporaine tend à confirmer l’importance première des variables de prix
parmi les déterminants de la demande d’investissement. Les récents travaux de CHIRINKO, FAZZARI et
MEYER (1999) par exemple, montrent, pour les Etats-Unis que l’élasticité de la formation de capital productif
au coût d’usage de celui-ci est significativement négative et proche de 0,25.
3
de l’influence globale de l’imposition sur les décisions des entreprises, il importe de ne pas
s’arrêter à l’étude des seuls taux de taxation nominaux, mais de considérer le régime fiscal
dans son ensemble. En effet, certaines caractéristiques de ce dernier tendent à compenser ou
au contraire à accentuer les effets d’autres caractéristiques. Aussi, la littérature économique a-
t-elle développé un indicateur synthétique de la pression fiscale nette qui pèse sur les revenus
des investissements : le taux marginal effectif d’imposition.
Le taux marginal effectif de taxation intègre non seulement les taux légaux de taxation, mais
également les autres facteurs, d’ordre fiscal ou non, qui influencent le montant d’impôt à
acquitter et donc la rentabilité de l’investissement. Ces facteurs sont par exemple le mode de
financement choisi, le degré de déductibilité des amortissements et des charges financières, le
régime des pertes reportées ou encore les aides publiques de soutien aux investissements.
D’inspiration néoclassique, le taux marginal effectif de taxation se définit traditionnellement
comme le taux d’impôt qui, appliqué au taux de rendement brut de l’investissement marginal,
donne le rendement net réellement perçu par l’apporteur de capital ultime. Le concept de coût
du capital est donc au cœur de cette approche.
L’investissement marginal est le projet d’investissement dont le rendement attendu est égal au
coût de sa mise en œuvre. En d’autres termes, l’investissement marginal offre le rendement
attendu minimum exigé par l’investisseur (c'est-à-dire l’apporteur de capital) pour
entreprendre le projet. En effet, sur un marché des capitaux compétitif, les bailleurs de fonds
ne consentent à financer un investissement que si ce dernier leur garantit une rentabilité au
moins identique à celle qu’ils pourraient obtenir en prêtant leur épargne sur le marché. Dans
le cas contraire, l’investisseur aurait choisi cette option plus lucrative. Par définition, le coût
du capital coïncide donc avec la productivité marginale de l’investissement le moins rentable.
L’imposition des bénéfices des entreprises conduit généralement à relever le taux de
rendement requis avant impôt de façon à assurer le rendement net de taxes désiré.
L’imposition conduit donc à distinguer deux taux de rendement : d’une part, le rendement
brut de l’investissement (rg), avant impôt et rétribution des sources de financement et, d’autre
part, le taux de rendement (rn) réellement perçu par l’apporteur de capital. La différence entre
ces deux taux, appelée « coin fiscal », mesure la distorsion totale engendrée par l’imposition
4
.
4
Le taux marginal effectif d’imposition (w) s’exprime alors comme le rapport entre le coin fiscal et le taux de
rendement avant impôt rg ou le taux de rendement après impôt rn. Le taux effectif d’imposition est dit « tax
inclusive » dans le premier cas et « tax exclusive » dans le second.
4
Le taux de rendement avant toute imposition, rg, est la différence entre le coût brut du capital
et le taux effectif de dépréciation économique de l’actif.
La section 2 rendra compte des modèles de base d’imposition effective et des
développements contemporains les plus significatifs. La section 3 fera état des nombreux
travaux déployés en Belgique au départ de ce cadre théorique et fournira un aperçu des
mesures obtenues du coût d’usage du capital, d’une part, et des réflexions de politiques
économiques, d’autre part.
2. Le coût du capital : apport des théories de la taxation effective et
extensions au modèle de base
Introduit à l’origine par JORGENSON (1963), le concept de coût du capital devient chez
KING et FULLERTON (1984) l’élément clef de la détermination de la charge fiscale
effective qui pèse sur les revenus d’investissements domestiques. Bien qu’elles portent
également sur les investissements domestiques, les expressions du coût du capital que
dérivent BOADWAY (1987) et BOADWAY, BRUCE et MINTZ (1984) autorisent le recours
aux arbitrages sur le marché international des capitaux. Ensuite, ALWORTH (1988) élargit le
modèle aux investissements transnationaux. Il y intègre les effets de la double imposition
internationale et des montages financiers mis en œuvre par les sociétés multinationales.
Parallèlement à ces innovations majeures, les modèles de coût du capital ont fait l’objet ces
dernières années de nombreuses extensions : une synthèse critique de celles-ci est donnée
dans HESPEL et MIGNOLET (1999). Ces extensions ont trait en partie au caractère
multinational de l’investisseur et aux politiques de financement de l’investissement, mais sont
également fondées sur le relâchement d’hypothèses traditionnelles de la théorie, telles que la
concurrence parfaite, l’absence de prise en compte de risque et de la différentiation spatiale de
la productivité des facteurs ou encore le traitement asymétrique des bénéfices et des pertes.
Dans cette première section, nous présentons l’expression du coût du capital généralement
rencontré dans la littérature économique, ainsi que les principales étapes qui en sous-tendent
la construction. Cette présentation repose pour une large part sur les travaux de BOADWAY
et SHAH (1995). La fin de la section traite de développements significatifs du modèle de
référence initial.
5
2.1. Le coût du capital : apport de la théorie de la taxation effective
Afin de dériver une expression du coût du capital, la littérature économique recourt
traditionnellement au cadre analytique de la théorie néoclassique dynamique de la firme. En
particulier, BOADWAY et SHAH (1995) définissent la fonction objectif de la firme comme
la maximisation intertemporelle de la richesse des actionnaires, c'est-à-dire de la valeur de
l’actif net total de l’entreprise.
La fonction de production de la firme, notée F(K), est une fonction strictement concave du
capital, K
5
. P et Q représentent respectivement le prix de la production et le prix du bien en
capital. Ces prix sont connus avec certitude en raison de la perfection des marchés des
produits et des capitaux. Aussi, en l’absence de nouvelles émissions d’actions, le dividende
net Dt perçu par l’actionnaire s’exprime comme suit :
Dt =
B
)i(1
B
A
)
K
K
(
Q
)(1)
K
F(
P
)(1 ttt
t
tt tt

[1]
- est le taux d’impôt des sociétés, supposé constant au cours du temps par
souci de simplicité
6
;
- est la part des dépenses d’investissement déduites de la base imposable, par
le mécanisme des déductions pour investissements, par exemple ;
-
Kt
et
Bt
représentent respectivement la variation instantanée du stock de
capital et du stock de la dette de la firme ;
- est le taux de dépréciation économique du capital, supposé exponentiel ;
- symbolise le taux d’amortissement fiscal, également exponentiel
7
;
- At est la valeur de la partie du capital non encore amortie fiscalement à la
période t ;
- Bt exprime la valeur du stock de dette de la firme au temps t ;
- i est le taux d’intérêt nominal.
L’expression peut être réécrite plus simplement sous la forme suivante :
5
Les autres arguments de la fonction de production sont omis pour la facilité de la lecture.
6
Il s’agit clairement d’une hypothèse simplificatrice forte. BRADFORD et STUART (1986) montrent comment
une éventuelle réforme fiscale non anticipée peut conduire à une mesure incorrecte du coût du capital. La
généralisation du modèle, en présence de taux de taxation variables dans le temps mais connus d’avance, est
aisée.
7
Le modèle est en mesure de prendre en considération d’autres régimes d’amortissement par exemple de type
linéaire. L’expression analytique de base s’en trouve alors complexifiée.
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