Coût du capital et accumulation de capital physique en Belgique Olivier Meunier et Michel Mignolet * Abstract Pour la théorie économique néoclassique, la demande d’investissement des entreprises est significativement déterminée par le coût d’usage du capital. Des études empiriques récentes tendent d’ailleurs à le démontrer. Le coût du capital comprend également, outre la fiscalité, le coût de financement, la dépréciation économique effective et les aides publiques octroyées. L’objet de ce chapitre est double. Une première partie survole la littérature économique traitant du coût du capital, tandis que la seconde souligne l’intérêt de cette statistique pour l’évaluation de la politique économique. Une attention particulière est accordée aux études ayant pour objet la Belgique et ses régions, des premiers travaux portant sur la politique industrielle aux développements récents traitant entre autres de la distribution spatiale des unités au sein des groupes multinationaux aux dispositifs relatifs aux centres de coordination. 1. Introduction La littérature sur les déterminants de l’accumulation du capital physique est abondante. Si on excepte les développements particuliers relatifs à l’investissement résidentiel des ménages et aux actifs circulants, elle s’emploie à expliquer la formation de capital productif dans les entreprises. L’intense activité de recherche destinée à éclairer les moteurs de la demande d’investissement a conduit à un foisonnement de contributions scientifiques qu’il est malaisé de classifier. A côté des modèles de base dont la dynamique est implicite (CHIRINKO, 1993), se sont développés des modèles s’appuyant sur un programme explicite d’optimisation intégrant des éléments dynamiques. Les premiers comprennent la théorie de l’accélérateur, les apports de la théorie néoclassique, les approches fondées sur le taux de taxation moyenne effective et sur le ratio rendement sur coût ou encore le modèle de cash flow. Le mécanisme de l’accélérateur souligne l’importance de la demande adressée à l’entreprise dans l’explication de la formation de capital. Le courant Les auteurs sont respectivement chercheur et professeur au Centre de Recherche sur l’Economie Wallonne (CREW) – Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix, Namur. * 1 néoclassique met en exergue le rôle du coût du capital. FELDSTEIN (1987) est à l’origine des modèles dits de taxation effective et de rendement sur le coût. Les premiers expliquent l’investissement net par le rendement réel, après taxe1, les seconds en relation avec le rendement potentiel net maximum. Rompant avec les hypothèses de concurrence parfaite, les modèles de cash flow admettent le risque de rationnement des sources de financement et privilégient le recours aux moyens propres générés par l’activité courante de l’entreprise. D’autres modèles, dits VAR, sont construits sur le principe des vecteurs autorégressifs. Ils rapprochent la demande courante de capital, de la distribution des dépenses de capital observées dans le passé. L’approche dite « explicite » entend mieux cerner la « dynamique attribuable aux attentes et à la technologie »2. Elle met en évidence les coûts d’ajustement qui pèsent sur la firme. Tout investissement est en effet source de perturbations dans l’entreprise par la réorganisation et les besoins de formation du personnel qu’il impose. L’approche dite du q de TOBIN entend cerner les attentes à travers le rapport du prix de demande sur le prix d’offre des biens en capital. Le premier mesure la valeur marchande de l’entreprise, le second, le coût de remplacement de celle-ci. Les modèles reposant sur l’équation d’EULER et les approches prédictives résolvent le problème des attentes inobservables d’une façon alternative : les premiers les appréhendent sous certaines hypothèses par les valeurs observées, les secondes, par une prévision directe. Quelle que soit l’approche utilisée, tout modèle explicatif de la dynamique de l’investissement est susceptible de mettre en jeu des variables de volume (la demande adressée à la firme, sa liquidité), des variables de prix (le coût de financement, la pression fiscale effective) ou d’autres telles que les chocs technologiques ou l’esprit d’entreprise. Dans la suite de ce chapitre, nous nous concentrerons sur la deuxième catégorie de variables soustendant la demande d’investissement3. Les variables de prix se composent, pour l’essentiel, du prix d’achat de l’investissement, d’une part, et de la pression fiscale au sens large, d’autre part. Lorsqu’on veut rendre compte Contrairement à la théorie détaillée par la suite qui fixe l’attention sur l’investissement marginal et dès lors sur le taux marginal d’imposition effective (cfr. infra), l’approche de FELDSTEIN (1987) utilise un taux moyen de taxation comme instrument de mesure des incitants à investir. 2 CHIRINKO (1993), p. 21. 3 En effet, la littérature économique contemporaine tend à confirmer l’importance première des variables de prix parmi les déterminants de la demande d’investissement. Les récents travaux de CHIRINKO, FAZZARI et MEYER (1999) par exemple, montrent, pour les Etats-Unis que l’élasticité de la formation de capital productif au coût d’usage de celui-ci est significativement négative et proche de –0,25. 1 2 de l’influence globale de l’imposition sur les décisions des entreprises, il importe de ne pas s’arrêter à l’étude des seuls taux de taxation nominaux, mais de considérer le régime fiscal dans son ensemble. En effet, certaines caractéristiques de ce dernier tendent à compenser ou au contraire à accentuer les effets d’autres caractéristiques. Aussi, la littérature économique at-elle développé un indicateur synthétique de la pression fiscale nette qui pèse sur les revenus des investissements : le taux marginal effectif d’imposition. Le taux marginal effectif de taxation intègre non seulement les taux légaux de taxation, mais également les autres facteurs, d’ordre fiscal ou non, qui influencent le montant d’impôt à acquitter – et donc la rentabilité de l’investissement. Ces facteurs sont par exemple le mode de financement choisi, le degré de déductibilité des amortissements et des charges financières, le régime des pertes reportées ou encore les aides publiques de soutien aux investissements. D’inspiration néoclassique, le taux marginal effectif de taxation se définit traditionnellement comme le taux d’impôt qui, appliqué au taux de rendement brut de l’investissement marginal, donne le rendement net réellement perçu par l’apporteur de capital ultime. Le concept de coût du capital est donc au cœur de cette approche. L’investissement marginal est le projet d’investissement dont le rendement attendu est égal au coût de sa mise en œuvre. En d’autres termes, l’investissement marginal offre le rendement attendu minimum exigé par l’investisseur (c'est-à-dire l’apporteur de capital) pour entreprendre le projet. En effet, sur un marché des capitaux compétitif, les bailleurs de fonds ne consentent à financer un investissement que si ce dernier leur garantit une rentabilité au moins identique à celle qu’ils pourraient obtenir en prêtant leur épargne sur le marché. Dans le cas contraire, l’investisseur aurait choisi cette option plus lucrative. Par définition, le coût du capital coïncide donc avec la productivité marginale de l’investissement le moins rentable. L’imposition des bénéfices des entreprises conduit généralement à relever le taux de rendement requis avant impôt de façon à assurer le rendement net de taxes désiré. L’imposition conduit donc à distinguer deux taux de rendement : d’une part, le rendement brut de l’investissement (rg), avant impôt et rétribution des sources de financement et, d’autre part, le taux de rendement (rn) réellement perçu par l’apporteur de capital. La différence entre ces deux taux, appelée « coin fiscal », mesure la distorsion totale engendrée par l’imposition4. Le taux marginal effectif d’imposition (w) s’exprime alors comme le rapport entre le coin fiscal et le taux de rendement avant impôt rg ou le taux de rendement après impôt rn. Le taux effectif d’imposition est dit « tax inclusive » dans le premier cas et « tax exclusive » dans le second. 4 3 Le taux de rendement avant toute imposition, rg, est la différence entre le coût brut du capital et le taux effectif de dépréciation économique de l’actif. La section 2 rendra compte des modèles de base d’imposition effective et des développements contemporains les plus significatifs. La section 3 fera état des nombreux travaux déployés en Belgique au départ de ce cadre théorique et fournira un aperçu des mesures obtenues du coût d’usage du capital, d’une part, et des réflexions de politiques économiques, d’autre part. 2. Le coût du capital : apport des théories de la taxation effective et extensions au modèle de base Introduit à l’origine par JORGENSON (1963), le concept de coût du capital devient chez KING et FULLERTON (1984) l’élément clef de la détermination de la charge fiscale effective qui pèse sur les revenus d’investissements domestiques. Bien qu’elles portent également sur les investissements domestiques, les expressions du coût du capital que dérivent BOADWAY (1987) et BOADWAY, BRUCE et MINTZ (1984) autorisent le recours aux arbitrages sur le marché international des capitaux. Ensuite, ALWORTH (1988) élargit le modèle aux investissements transnationaux. Il y intègre les effets de la double imposition internationale et des montages financiers mis en œuvre par les sociétés multinationales. Parallèlement à ces innovations majeures, les modèles de coût du capital ont fait l’objet ces dernières années de nombreuses extensions : une synthèse critique de celles-ci est donnée dans HESPEL et MIGNOLET (1999). Ces extensions ont trait en partie au caractère multinational de l’investisseur et aux politiques de financement de l’investissement, mais sont également fondées sur le relâchement d’hypothèses traditionnelles de la théorie, telles que la concurrence parfaite, l’absence de prise en compte de risque et de la différentiation spatiale de la productivité des facteurs ou encore le traitement asymétrique des bénéfices et des pertes. Dans cette première section, nous présentons l’expression du coût du capital généralement rencontré dans la littérature économique, ainsi que les principales étapes qui en sous-tendent la construction. Cette présentation repose pour une large part sur les travaux de BOADWAY et SHAH (1995). La fin de la section traite de développements significatifs du modèle de référence initial. 4 2.1. Le coût du capital : apport de la théorie de la taxation effective Afin de dériver une expression du coût du capital, la littérature économique recourt traditionnellement au cadre analytique de la théorie néoclassique dynamique de la firme. En particulier, BOADWAY et SHAH (1995) définissent la fonction objectif de la firme comme la maximisation intertemporelle de la richesse des actionnaires, c'est-à-dire de la valeur de l’actif net total de l’entreprise. La fonction de production de la firme, notée F(K), est une fonction strictement concave du capital, K5. P et Q représentent respectivement le prix de la production et le prix du bien en capital. Ces prix sont connus avec certitude en raison de la perfection des marchés des produits et des capitaux. Aussi, en l’absence de nouvelles émissions d’actions, le dividende net Dt perçu par l’actionnaire s’exprime comme suit : Dt = (1 )Pt F(K t) (1 )Qt(Kt K t) A t Bt i(1 )Bt où [1] - est le taux d’impôt des sociétés, supposé constant au cours du temps par souci de simplicité6 ; - est la part des dépenses d’investissement déduites de la base imposable, par le mécanisme des déductions pour investissements, par exemple ; - K t et B t représentent respectivement la variation instantanée du stock de capital et du stock de la dette de la firme ; - est le taux de dépréciation économique du capital, supposé exponentiel ; - symbolise le taux d’amortissement fiscal, également exponentiel7 ; - At est la valeur de la partie du capital non encore amortie fiscalement à la période t ; - Bt exprime la valeur du stock de dette de la firme au temps t ; - i est le taux d’intérêt nominal. L’expression peut être réécrite plus simplement sous la forme suivante : 5 Les autres arguments de la fonction de production sont omis pour la facilité de la lecture. Il s’agit clairement d’une hypothèse simplificatrice forte. BRADFORD et STUART (1986) montrent comment une éventuelle réforme fiscale non anticipée peut conduire à une mesure incorrecte du coût du capital. La généralisation du modèle, en présence de taux de taxation variables dans le temps mais connus d’avance, est aisée. 7 Le modèle est en mesure de prendre en considération d’autres régimes d’amortissement – par exemple de type linéaire. L’expression analytique de base s’en trouve alors complexifiée. 6 5 Dt = Xt Bt i(1 ) Bt [2] où Xt est le cash flow de l’investissement. L’équilibre sur le marché des capitaux implique que le gain en capital et le dividende net perçu par l’actionnaire (supposé être une personne physique) coïncident avec le taux de rendement nominal après impôt requis par l’apporteur de capital. En l’absence d’impôt sur la richesse dans le chef de l’entreprise, la condition d’équilibre du marché des capitaux s’écrit alors de la façon suivante : Et = (1-mg) E t + (1-md) Dt où [3] - exprime le taux de rendement nominal de l’actif total, après impôt, exigé par les actionnaires existants ; - Et égale la valeur de l’actif total de sorte que E t exprime le gain en capital de la période t ; - mg est le taux effectif d’imposition sur le gain en capital, lequel prend en compte le taux inscrit dans la loi et le degré de réalisation des gains en capitaux actés par l’actionnaire ; - md représente le taux effectif de taxation des dividendes dans le chef des personnes physiques. Il intègre, outre le taux nominal d’imposition des personnes physiques, les éventuels mécanismes d’atténuation de la double imposition économique des dividendes. On parle de double imposition économique des dividendes lorsqu’un même revenu est taxé deux fois : dans le chef de l’entreprise, d’abord, dans le chef de la personne physique, ensuite. De manière générale, on distingue trois mécanismes qui permettent de prévenir ou d’alléger la double imposition économique. Le système des deux taux applique un taux d’impôt réduit à la part des bénéfices distribués. Le système d’imputation considère qu’une partie de la taxe payée par la firme est une avance sur l’impôt dont est redevable la personne physique. Celleci bénéficie alors d’un crédit d’impôt à concurrence de ce montant. Enfin, le système de déduction autorise la firme à déduire de sa base imposable une partie du montant des dividendes bruts. Lorsque aucun allégement de la double imposition économique n’est prévu, le système est dit classique8. 8 ALWORTH (1988), 41–46. 6 BOADWAY et SHAH (1995) posent exogène et constant le rapport des dettes sur l’actif total. Celui-ci est noté b. La résolution de l’équation différentielle [3] fournit la fonction objectif suivante de la firme9 : 1 1mg ds Max E t t e N(s t ) Xs b 1md [4] où N est le coût nominal de financement de l’investissement. Le coût financier N de la firme fournit le taux d’actualisation des cash flow de l’investissement. Il diffère selon les sources de financement. En raison de la déductibilité des charges financières, le coût financier d’un emprunt s’élève à : NE i(1 ) [5] Lorsque la firme se finance par prélèvement sur ses bénéfices réservés, le coût financier est égal à : Ng 1 [6] mg Enfin, la firme peut se financer par émission d’actions. Appelons le taux de rendement nominal après impôt exigé par les nouveaux actionnaires. Le coût de financement d’une émission d’actions est alors égal à la somme du coût financier réel et du taux d’inflation ()10 : Nd (1 mg) (1 md) [7] Bien sûr, lorsque le financement est mixte, le coût financier est mesuré par la moyenne pondérée des coûts associés aux différentes politiques financières, soit : (1 mg ) N i(1 ) (1 ) a (1 a ) 1 mg (1 md ) où [8] - représente la part des dettes dans le financement de la firme ; - a symbolise la proportion des bénéfices réservés dans l’autofinancement de la firme. 9 Pour une introduction à la résolution des équations différentielles, voir par exemple CHIANG (1984), 470-548. BOADWAY et SHAH (1995), p. 62. 10 7 Les modèles mesurant le coût du capital considèrent traditionnellement le taux d’inflation comme une donnée exogène. L’impact de l’inflation sur le coût financier de la firme a été étudié par COHEN, HASSETT et HUBBARD (1997). D’après ces auteurs, le signe de cette relation varie selon que l’on considère une économie ouverte ou fermée. Dans une économie ouverte, l’inflation réduit le coût financier de l’emprunt, par le biais de la déduction des charges financières. Dans une économie fermée, cette réduction peut être compensée par le régime d’imposition des personnes physiques, lorsque ce dernier s’applique aux revenus nominaux de l’investissement11. Parallèlement, les auteurs montrent que, dans une économie fermée, l’inflation tend à augmenter le coût de l’autofinancement. L’effet de l’inflation sur le coût du capital est donc ambigu. Toutefois, les recherches empiriques menées par KING et FULLERTON (1984), BOADWAY, BRUCE et MINTZ (1984) ou encore par l’OCDE (1991) montrent une relation positive entre le coût du capital et le taux d’inflation. En d’autres termes, une réduction du taux général d’inflation tend à créer, à la marge, un incitant à l’accumulation de capital12. Les conditions de premier ordre de l’optimisation dynamique conduisent à l’expression suivante du coût du capital13, lequel correspond à la productivité marginale en valeur du dernier franc de capital14 : PF' (K ) ( N ) ( Q/ Q) g 1 Q (1 ) ( N ) où [9] - (N-) est le coût financier réel de l’investissement ; - (- Q/ Q ) constitue la dépréciation économique effective de l’actif ; - est la part des dépenses d’investissement qui peut être déduite de la base imposable ; - N représente la valeur actualisée du gain fiscal associé aux écritures d’amortissement ; - g symbolise la valeur présente d’une subvention en capital. L’impact de l’inflation est alors déterminé en confrontant le niveau du taux d’impôt des sociétés au taux d’impôt des personnes physiques sur les revenus d’intérêt. Le premier permet de déterminer le gain consécutif à la déduction des charges d’intérêt. Le second mesure l’augmentation de l’impôt des personnes qui fait suite à la hausse des revenus nominaux. 12 HESPEL et MIGNOLET (1999), p. 16. 13 La méthode d’optimisation dynamique sous contrainte est clairement présentée par SAVIOZ (1992). 11 8 Le coût brut du capital représenté par le membre de droite de l’équation, s’interprète comme suit. Dans un univers sans taxe, le coût du capital est uniquement déterminé par le coût financier réel de l’investissement et par le taux de dépréciation économique effective de l’actif. L’introduction de la fiscalité sur le revenu de l’investissement perçu par l’entreprise élève le coût du capital : l’expression est divisée par (1-). « Le dernier terme entre parenthèses fait référence à la dépense d’investissement marginal : une unité monétaire moins la valeur actualisée des avantages publics»15. On considère traditionnellement trois types d’incitants publics, à savoir, en valeur actualisée, les économies fiscales consécutives à l’abaissement de la base taxable (par exemple à travers les déductions pour investissement au taux ) ou aux écritures d’amortissement (/N+) et les subventions nettes en capital, g. Notons que les dotations d’amortissement, parce qu’elles sont calculées au du prix d’acquisition plutôt qu’au coût de remplacement, varient de façon négative par rapport au taux d’inflation16. Le taux de rendement de l’investissement avant toute taxe, rg, est la différence entre le coût brut du capital et le taux de dépréciation économique effective, soit 17 : ( N ) ( Q/ Q) 1 g ( Q / Q) rg (1 ) ( N ) [10] 2.2. Les investissements internationaux ALWORTH (1988) montre comment l’expression du coût de capital se modifie lorsqu’on considère des investissements transnationaux. Plus particulièrement, les développements reposent sur le montage suivant : une maison mère située dans le pays de résidence de ses L’expression [9], extraite de BOADWAY et SHAH (1995), a été adaptée afin de répondre aux caractéristiques spécifiques du régime belge de déduction des dépenses d’investissement. 15 HESPEL et MIGNOLET (1999). 16 En Belgique, comme dans la plupart des pays industrialisés, les charges d’amortissement ne sont pas indexées. 17 L’apporteur de capital qui finance l’investisseur perçoit pour le placement de son épargne le rendement de l’investissement déduction faite de toute imposition des personnes physiques [rn]. Ce taux de rémunération de l’épargne est potentiellement différent pour les trois modes d’apport : prêt [i(1-mi)], souscription d’actions [-] et gains en capital [-]. En cas de financement mixte, il est égal à la moyenne pondérée des rendements après taxe des trois modes de financement de la firme. rn = i (1-mi) + (1-)(a + (1-a)) - où mi est le taux d’impôt des personnes physiques sur les revenus d’intérêt. 14 9 actionnaires et une filiale détenue à 100%, localisée à l’étranger dans le pays dit de la source du revenu18. Les deux sociétés du groupe sont soumises à l’impôt des sociétés dans chacun de leur pays. Les revenus générés par la filiale sont donc susceptibles d’être taxés deux fois, d’une part, dans le pays de la filiale, et, d’autre part, dans le pays de la maison mère. En outre, les revenus de l’investissement peuvent faire l’objet d’une retenue à la source dans le pays de la filiale. Pour atténuer les effets de cette double « imposition internationale19 », les pays de la maison mère et de la source ont généralement conclu des accords. Typiquement, ces conventions internationales accordent des systèmes d’allégement qui peuvent prendre l’une des trois formes suivantes : l’exemption, la déduction et l’imputation. Dans le premier cas, le pays de la maison mère renonce à imposer tout ou partie des revenus étrangers. Sous le régime de la déduction, la taxe payée dans le pays de la filiale est déduite du revenu imposable que déclare la société mère. Enfin, le système d’imputation considère que la taxe payée dans le pays de la filiale est une avance sur l’impôt dû dans le pays de la maison mère. Ce crédit d’impôt est généralement limité au montant de la taxe due dans le pays de la maison mère. Si la taxe payée au fisc étranger est supérieure à celle due dans son propre pays, la société se trouve dans une situation « d’excess credit »20. Elle ne peut pleinement valoriser sur l’impôt de la maison mère la charge fiscale acquittée dans le pays de la filiale. Dans le cadre du modèle d’ALWORTH (1988), le paramètre de l’expression [9] devient un taux effectif de taxation qui tient compte de l’imposition dans le pays de la filiale et dans le pays de la maison mère, ainsi que des éventuels mécanismes d’atténuation de la double imposition internationale. D’autres auteurs traitent de certaines questions particulières relatives aux investissements internationaux. SINN (1991 et 1993) et HINES (1994), ainsi que WEICHENRIEDER (1996) étudient les effets sur le coût du capital de différentes mesures de lutte contre l’évasion fiscale et notamment de la disposition fiscale dite « Subpart F » introduite aux Etats-Unis. 18 ALWORTH (1988), p. 68. La double imposition internationale est également appelée double imposition juridique. La maison mère et la filiale détenue à 100% sont de facto un contribuable unique. 20 En outre, les régimes de déduction et d’imputation peuvent être mis en œuvre selon une double modalité : le report ou l’absence de report. Dans ce dernier cas, le revenu est imposable dans le chef de la maison mère dès qu’il est enregistré (sous la forme d’un gain en capital). Dans le premier cas, l’imposition ne survient que lorsqu’il y a versement effectif de dividendes de la part de la filiale. 19 10 WEICHENRIEDER (1995) traite des pratiques de prix de transfert. Il montre que sous certaines conditions, une augmentation des taxes sur les dividendes dans le pays de la filiale conduit à une réduction du coût du capital de la société multinationale. Enfin, ALTSHULER et FULGHIERI (1994) analysent les effets de la réforme fiscale réalisée en 1986 aux EtatsUnis sur le coût du capital des multinationales américaines. Cette réforme a conduit beaucoup de ces sociétés multinationales dans une position « d’excess credit », augmentant de ce fait le coût financier. 2.3. Un coût du capital différentié au niveau spatial Une des principales faiblesses des modèles traditionnels de coût du capital réside dans l’homogénéité supposée de l’espace de localisation des investissements. La productivité marginale d’un investissement est supposée être identique quelle que soit sa localisation géographique. Il s’agit évidemment d’une hypothèse simplificatrice. En réalité, les différences régionales en matière d’infrastructure de transport ou de communication, de structures industrielles, de dotations en facteurs de production, d’économie d’agglomération, etc., conduisent nécessairement à des productivités différentiées en fonction du lieu de localisation. MIGNOLET (1998) dérive les expressions analytiques d’un coût du capital « spatialisé », capable de rendre compte des disparités régionales de productivité. 2.4. Le risque L’incertitude entourant la valeur future de certains paramètres rend la décision d’investir risquée. En particulier BULLOW et SUMMERS (1984) identifient deux types de risques. D’une part, les auteurs définissent le risque de revenu, lorsque l’investisseur, incertain des prix qui prévaudront plus tard sur les marchés, ne peut déterminer exactement son niveau de revenu futur. D’autre part, l’investisseur ne connaît ni le taux d’usure physique de l’actif, ni l’évolution du prix des biens en capital. Par conséquent, il fait face à une seconde incertitude, relative cette fois au taux de dépréciation économique de son investissement. On parle alors de risque de capital21. Comment intégrer le risque dans le calcul du coût du capital ? Traditionnellement, l’investisseur exige une prime de risque comme rémunération du risque qu’il accepte de Le traitement fiscal des pertes de l’entreprise influence l’intensité du risque de revenu supporté par l’investisseur. Le risque de revenu est couvert en tout ou en partie selon que l’autorité fiscale autorise respectivement une compensation complète ou partielle des pertes. Le risque en capital n’est quant à lui jamais couvert : le taux d’amortissement fiscal est définitivement fixé au moment de l’investissement et ne varie donc pas avec le taux de dépréciation réel de l’actif. 21 11 supporter. Aussi, une méthode simple pour rendre compte du risque est-elle d’augmenter le rendement de l’investissement et le taux de dépréciation économique d’une prime couvrant respectivement le risque de revenu et le risque de capital. Par conséquent, l’incertitude et donc le risque contribuent à alourdir le coût du capital. SHOVEN et TOPPER (1992) montrent à cet égard combien la prime de risque peut être importante dans le calcul du coût du capital. 3. Applications aux régions belges La méthodologie de calcul du coût du capital et d’imposition effective dérivée des travaux de KING et FULLERTON (1984) ne constitue pas la seule approche d’estimation de l’impact de la fiscalité sur les décisions d’investissement mais elle présente l’avantage d’être le mode de calcul du coût du capital le plus couramment utilisé dans la littérature économique. Il est devenu le modèle de référence dans le domaine de l’imposition effective de sorte que des organisations internationales telles que l’OCDE ou la Commission Européenne l’ont adoptée dans leur analyse de la fiscalité nationale et internationale. Les autorités fiscales nationales recourent également de plus en plus à ces modèles afin de mesurer a priori les effets des réformes fiscales ou encore d’estimer l’impact des politiques économiques sur la demande d’investissement. L’objet de cette troisième section est de présenter les principaux résultats des études de coût du capital ou d’imposition effective qui se rapportent à la Belgique. Nous présentons d’abord brièvement les résultats des analyses menées au niveau international. Nous décrivons ensuite les études traitant spécifiquement du régime fiscal belge, des premiers travaux portant sur la politique industrielle aux développements récents traitant entre autres de la distribution spatiale des unités au sein des multinationales belges ou des dispositifs relatifs aux centres de coordination. Une attention particulière sera accordée aux exercices différentiant les mesures de coût du capital par Région. 3.1. Les études internationales : la Belgique dans l’OCDE et la CEE Le coût du capital et le taux marginal effectif de taxation se sont progressivement imposés comme mesures de référence des nombreuses études traitant de la comparaison des politiques fiscales nationales. Entre autres études, les travaux de l’OCDE (1991) et de la Commission Européenne (1992), qui traitent des pays développés ou encore les études de l’EBRD (1993) et de BOADWAY et SHAH (1995) qui ont pour objet respectivement les pays dits en 12 transition et les pays en développement ont montré toute la pertinence de cette approche. S’agissant de la Belgique, seuls les deux premiers travaux retiendront notre attention. Le rapport de l’OCDE (1991) propose une comparaison internationale des régimes fiscaux pesant sur les revenus des investissements domestiques et transnationaux. Reprenant les méthodologies de KING et FULLERTON (1984) et d’ALWORTH (1988)22, l’OCDE (1991) cherche à étudier l’impact des différents régimes fiscaux des pays membres sur les mouvements de capitaux. Le rapport constate que dans une économie mondiale de plus en plus intégrée, la charge fiscale effective pesant sur les revenus internationaux est systématiquement plus élevée que celle pesant sur les investissements domestiques. Le rapport met également en lumière l’absence de neutralité de la fiscalité envers les différentes politiques de financement de la firme et les différentes catégories d’actifs. Enfin, l’absence de coordination fiscale au niveau international, mise en évidence par la disparité des taux effectifs d’imposition, conduit nécessairement, selon l’OCDE, à des pratiques d’évasion, voire même de fraude fiscale internationale. Le rapport de la Commission Européenne(1992), dit rapport RUDING, souligne également la nécessité d’une harmonisation fiscale entre les pays membres de la Communauté Européenne. Il apparaît en effet que les différences fiscales entre pays membres peuvent affecter les décisions d’implantation de nouveaux investissements. Il risque d’en résulter une mauvaise répartition des ressources à l’intérieur de la Communauté, entraînant in fine une réduction de la productivité globale de cette dernière par rapport aux pays tiers23. L’OCDE et le rapport RUDING montrent encore que, sans exception, les investissements financés par émission d’actions se heurtent à un régime moins favorable que les investissements financés par emprunt, car contrairement aux charges d’intérêts, le coût d’une émission d’action n’est pas fiscalement déductible. De même, parce qu’il bénéficie souvent d’un crédit d’impôt ou d’une déduction pour les dividendes distribués, le régime fiscal associé à une politique de financement par émissions d’actions nouvelles est en moyenne plus favorable que le recours aux bénéfices réservés. L’absence de neutralité de l’impôt vis-à-vis des modes de financement de l’investissement est illustrée par le tableau 1. Celui-ci mesure le coût brut du capital associé à une unité d’investissement composé à raison de 50% de capital mobile, de 28% d’immobilisés et de 22 23 Dans une version quelque peu ajustée par KEEN (1990). CEE (1992), p. 210. 13 22% d’avoirs en stock. Les estimations font référence aux dispositions fiscales d’application dans les pays membres au 1er janvier 1991. Le taux d’intérêt réel et le taux d’inflation sont fixés respectivement à 5% et 4,5%. L’exercice fait abstraction de la fiscalité sur les personnes physiques24. Le tableau 1 montre que, en moyenne, au sein de l’OCDE, lorsque le coût brut du capital s’élève à 2,8% pour une entreprise qui recourt au financement de l’investissement par emprunt, il se monte à 6,1% et 7,9% respectivement, lorsqu’elle fait appel à l’émission d’actions nouvelles ou qu’elle prélève les ressources sur ses bénéfices réservés. Tableau 1 : Coût du capital (%) Pays Bénéfices réservés 9,0 7,3 7,1 8,1 7,5 8,0 7,3 9,5 7,3 8,0 5,5 9,1 9,0 8,1 7,1 8,3 10,0 7,5 7,8 6,6 6,6 9,8 7,7 7,6 7,9 Modes de financement Nouvelles Emprunt actions 9,0 3,6 7,3 2,3 7,1 2,4 5,5 3,5 7,5 2,8 2,8 2,8 3,1 3,2 1,6 0,6 2,2 2,2 8,0 4,3 5,0 4,5 1,9 1,9 9,0 1,6 8,1 3,0 7,1 2,8 8,3 3,9 4,5 2,4 7,5 2,3 7,8 3,2 4,3 2,7 6,6 3,1 9,8 2,5 4,6 3,5 7,6 2,6 6,1 2,8 Moyenne (*) Australie 7,1 Autriche 5,5 Belgique 5,4 Canada 6,2 Danemark 5,9 Finlande 5,6 France 5,4 Allemagne 5,6 Grèce 5,0 Islande 6,7 Irlande 5,1 Italie 5,9 Japon 6,4 Luxembourg 6,3 Pays-Bas 5,6 Nouvelle-Zélande 6,8 Norvège 6,8 Portugal 5,7 Espagne 6,2 Suède 5,0 Suisse 5,4 Turquie 7,2 Royaume-Uni 5,9 Etats-Unis 5,8 Moyenne 5,9 Source : OCDE (1991). Notes : (*) Il s’agit d’une moyenne pondérée. L’investissement est composé à raison de 50% de capital mobile, 28% d’immobilisés et 22% de stock. Il est financé pour 55% par prélèvement sur les bénéfices réservés, pour 10% par émission actions nouvelles et pour 35%par emprunt. - taux d’intérêt réel = 5% ; taux d’inflation = 4,5% ; pas d’impôt des personnes physiques. Enfin, l’estimation des coûts du capital réalisée par l’OCDE et la CEE indique que les entreprises domestiques bénéficient toujours d’un régime fiscal plus favorable que les sociétés non-résidentes. Le tableau 2 présentant le coût net du capital des investissements domestiques Pour les autres paramètres définissant le scénario de l’exercice, nous renvoyons le lecteur au rapport de l’OCDE (1991), aux pages 89 à 96. 24 14 et transnationaux associés à un taux d’intérêt réel de 5% le montre aisément. Les pays de résidence de la maison mère apparaissent en ligne et les pays de localisation de la filiale, en colonne. Cette dernière est financée à parts égales par bénéfices réservés, par apport en capital de la maison mère et par prêt de la maison mère. Celle-ci se finance à son tour par bénéfices réservés (55%), par émissions d’actions (10%) et par emprunt (35%). Le taux d’inflation est fixé à 3,1%. Il n’est pas tenu compte de l’impôt des personnes physiques25. La diagonale principale du tableau 2 (du coin supérieur gauche au coin inférieur droit) est représentative des investissements domestiques26. La valeur du coût du capital qui est enregistrée est à comparer à celles des autres lignes de la colonne, ces dernières valeurs faisant état du coût du capital transnational. Le coût des investissements domestiques apparaît être systématiquement inférieur à celui des investissements transnationaux. Par ailleurs, la charge fiscale effective pesant sur les investissements réalisés en Belgique ou à l’étranger par des sociétés belges apparaît parmi les moins élevées de la Communauté et proche de celle de l’Irlande ou de la Grèce27. Ceci s’explique, non par un faible taux d’impôt des sociétés, mais par l’ampleur des aides publiques octroyées, comme le montreront les études réalisées au niveau belge (voir section 3.2.). L’unité d’investissement porte sur un ensemble pondéré d’actifs : du matériel (50%), des immeubles (27%) et des avoirs en stock (23%). Le régime fiscal est celui qui était d’application au 1 er janvier 1991. Le lecteur trouvera les autres paramètres de l’exercice aux pages 74 à 78 du rapport de la CEE (1992). 26 Maisons mère et filiale étant dans le même pays. 27 La vague des réformes fiscales étant intervenue, dans les économies européennes, principalement au cours des années 1980, ces conclusions demeurent pour l’essentiel (c'est-à-dire en termes relatifs) valables. 25 15 Tableau 2 : Coût net du capital (%) Belgique 5,4 6,7 6,2 5,4 7,5 7,0 5,6 7,2 6,5 6,1 7,2 Danemark 6,6 5,8 6,1 6,5 5,6 6,5 5,3 6,7 6,4 5,9 5,7 Allemagne 7,7 7,5 5,5 4,9 7,2 7,7 6,1 9,5 6,9 7,4 8,1 Grèce 6,7 9,3 6,5 5,1 8,8 10,3 9,1 7,4 6,5 6,4 8,4 Espagne 6,6 6,7 6,4 6,5 6,1 7,2 6,7 7,0 6,7 6,3 6,0 France 6,2 6,0 5,2 6,0 7,2 5,4 5,4 6,7 6,5 6,2 6,5 Irlande 6,6 6,7 6,4 11,7 14,2 7,3 5,1 6,8 7,0 6,8 14,0 Italie 7,2 7,7 5,4 7,2 8,5 9,5 9,6 6,0 8,0 8,3 7,6 Luxembourg 6,4 6,5 6,4 6,5 7,0 7,0 5,5 7,1 6,2 6,3 7,7 Pays-Bas 6,1 6,2 6,4 5,7 7,0 7,0 5,5 6,3 6,7 5,7 8,4 Portugal 6,6 6,7 6,4 10,9 7,0 7,6 8,4 7,1 9,5 11,1 5,7 Royaume-Uni 5,9 6,0 5,9 5,9 6,9 7,0 7,0 6,1 6,5 6,2 6,6 Source: CEE (1992), p. 87. Notes : - La filiale est supposée être financé pour 1/3 sur ses bénéfices réservés, pour 1/3 par des prêts de la société mère et pour 1/3 par apport en capital de la société mère ; - La société mère se finance pour 55% sur ses bénéfices réservés, pour 10% par émission d’actions et pour 35% par emprunt ; - L’unité d’investuissement est composé à raison de 50% de matériel, 27% d’immeubles et de 23% d’avoirs en stock; - Taux d’inflation = 3,1% ; taux d’intérêt réel = 5% ; pas d’impôt des personnes physiques. 3.2. Coût du capital et régime fiscal belge 3.2.1. Les travaux précurseurs en Belgique Ce sont les travaux de M. GERARD qui font œuvre de pionniers dans l’application des modèles de taxation effective à la Belgique. GERARD (1982), puis GERARD (1984) mesurent l’impact du système fiscal belge sur le coût du capital, sur le mode de financement et le volume des investissements. Ces travaux marquent un véritable progrès dans l’évaluation des politiques fiscales en Belgique, en ce qu’ils reposent sur une approche chiffrée et objective des effets de la fiscalité sur les investissements. GERARD (1987) poursuit l’analyse par la mesure, a priori, des effets anticipés de la réforme fiscale de 1988. L’auteur y analyse la pression fiscale effective associée au régime de globalisation des revenus, d’une part, au régime de cédularité28, d’autre part. Le régime de la globalisation conduit à appliquer un taux (marginal) d’imposition unique au montant total des revenus individuels, les revenus des capitaux étant notamment additionnés aux revenus du travail. A l’inverse, le 28 16 RoyaumeUni Portugal Pays-Bas Luxembourg Italie Irlande France Espagne Grèce Allemagne Danemark Résidence Investissement en provenance de Belgique Pays de la filiale 6,4 5,9 6,9 7,0 6,7 6,4 7,3 9,0 6,2 6,2 7,0 5,9 de CALLATAY et GERARD (1990), comme de CALLATAY (1990), fournissent une estimation du coût du capital pour la Belgique au cours des années 1980. Ils analysent en particulier certaines mesures de politique industrielle, notamment les dispositions en faveur du capital à risque. Cette analyse est approfondie par MIGNOLET et THIRION-MATHIEU (1994). Les méthodologies développées dans ces différentes études s’inspirent, dans leur esprit au moins, des travaux de KING (1977) et surtout de KING et FULLERTON (1984). Dans la suite de la section, la description de ce cadre analytique de référence précède la présentation des principaux résultats des travaux menés en Belgique. A. Le modèle de référence : KING et FULLERTON (1984) KING et FULLERTON (1984), largement inspirés par KING (1977), dérivent une méthodologie de calcul de la charge fiscale effective qui pèse sur les revenus d’un investissement marginal domestique perçus par un apporteur de capital individuel (voir schéma 1). Schéma 1 : Le montage financier chez KING et FULLERTON (1984) Apporteur de capitaux personne physique Entreprise qui investit Note : la flèche indique l’orientation du flux de financement. L’apporteur de capital est indifférent quant à la forme de son apport : acquisition d’actions29, souscription d’obligations ou rétention de profit dans l’entreprise. KING et FULLERTON (1984) déterminent une expression du coût du capital pour chacun des ces trois modes de financement. Contrairement à BOADWAY et SHAH (1995), l’investissement est ici complètement financé par l’un ou l’autre mode de financement. Lorsque plusieurs sources de régime de la cédularité attribue un taux (marginal) d’imposition spécifique à chaque catégorie de revenu de l’individu. Sous le régime de la globalisation, les précomptes mobiliers sur les intérêts et sur les dividendes ne sont qu’une avance sur l’impôt définitif des personnes physiques. Aussi, lorsqu’en 1984, le gouvernement belge rendait le précompte mobilier libératoire, il abandonnait par là même le principe de la globalisation au profit du régime de la cédularité. 29 Le modèle suppose une économie fermée. L’avenir est connu avec certitude. Il n’y a donc pas de prime de risque sur les apports en fonds propres. 17 fonds sont utilisées, KING et FULLERTON (1984) calculent, ex post, une moyenne pondérée sur base des taux marginaux effectifs de taxation calculés. La condition d’arbitrage qui sous-tend ce raisonnement porte soit sur la variable rg, soit sur la variable r. Dans le premier cas, l’investissement marginal est supposé garantir un taux de rendement constant avant tout prélèvement fiscal, quel que soit son mode de financement. Dans le second cas, l’apporteur de capital attend de l’investissement un revenu après imposition de la firme identique, quelle que soit la forme de son apport. Enfin, le modèle de KING et FULLERTON (1984) rend compte des mécanismes d’atténuation de la double imposition économique au travers d’une variable spécifique, . Cette variable se définit comme le coût d’opportunité des bénéfices réservés en terme de dividende brut perçu par l’actionnaire. En d’autres termes, lorsque la firme distribue un franc supplémentaire de profit, l’actionnaire perçoit franc : la charge fiscale effective est donc égale à (1-). Lorsqu’il existe un mécanisme de prévention de la double imposition, le paramètre est supérieur à l’unité. B. Les résultats Les études relatives au coût du capital des investissements domestiques en Belgique font apparaître une double influence du régime fiscal : sur les politiques de financement des entreprises d’abord, sur le volume de l’investissement, ensuite. (1) Le financement de l’investissement Les premières estimations du coût du capital en Belgique confirment la discrimination fiscale existant entre les divers modes de financement de l’investissement, en faveur de l’endettement. GERARD (1987) et de CALLATAY et GERARD (1990) constatent que, tant le principe de globalisation des revenus, inscrit dans la loi, que le régime de cédularité observé de facto et qui résulte de l’absence de déclaration fiscale des revenus mobiliers par les contribuables conduisent à défavoriser le financement par fonds propres. Cette discrimination en faveur de l’emprunt s’est encore renforcée depuis 1984, avec le caractère libératoire du précompte mobilier. Le coût du capital pour la Belgique des années 1980 est reproduit dans le tableau 3. Pour cet exercice, les auteurs font abstraction des aides publiques en faveur de l’investissement. Ils supposent également que le taux d’inflation et le taux de dépréciation économique sont tous 18 deux égales à zéro. Le taux d’intérêt est fixé à 8%. Par ailleurs, pour les années 1980 à 1983, il est fait une distinction entre le régime légal d’imposition – la globalisation – et la cédularité que certains contribuables mettaient en œuvre de facto en omettant de déclarer leurs revenus mobiliers à l’impôt des personnes physiques. Enfin, les estimations du coût du capital pour les années 1990 à 1992 ont été obtenues en posant diverses hypothèses sur les paramètres fiscaux attendus. Tableau 3 : Le coût du capital en Belgique au cours des années 1980 à 1992 (%) Modes de financement Années Emission d’actions Emprunt Bénéfices réservés 1980 10,53 8,00 7,42 (1980) (15,38) (8,00) (12,31) 1981 15,30 8,00 7,42 (1981) (15,38) (8,00) (12,31) 1982 10,53 8,00 7,23 (1982) (15,38) (8,00) (12,31) 1983 10,32 8,00 6,87 (1983) (14,55) (8,00) (11,64) 1984 14,55 8,00 10,91 1985 14,55 8,00 10,91 1986 14,55 8,00 10,91 1987 14,55 8,00 10,91 1988 14,04 8,00 10,53 1989 14,04 8,00 10,53 1990 (*) 13,56 8,00 10,17 1991 (*) 15,74 8,00 11,80 1992 (*) 14,77 8,00 11,08 Source : de CALLATAY et GERARD (1990), p. 178. Notes : (…) précompte mobilier libératoire de facto ; (*) Ces estimations – à l’inverse de celles qui concernent les années 1980 à 1989 – reposent sur diverses hypothèses quant à la valeur attendue par les auteurs sur les paramètres fiscaux. Certaines de ces hypothèses n’ont pas effectivement été observées dans la réalité ; - Taux d’intérêt réel = 8% ; taux d’inflation = 0 ; taux d’usure de l’investissement = 0 - Pas d’incitants financiers ou fiscaux ; Pour faire face à cette situation, les pouvoirs publics belges ont adopté de nombreuses mesures visant à favoriser la formation du capital à risque : exonération partielle à l’impôt des sociétés et à l’impôt des personnes physiques des revenus afférents à des actions nouvelles, création de réserves immunisées et surtout les « aides à la recapitalisation » prévus par les Arrêtés royaux n° 15 et 150. « Timides d’abord, et inefficaces par leur insuffisance même, ces mesures ont fini par permettre le renversement de la discrimination à l’encontre des émissions d’actions, lorsqu’elles sont devenues plus franches »30. Le tableau 4 reproduit les coefficients de discrimination (en faveur du financement par emprunt) pour différentes politiques de promotion du capital à risque. Le coefficient de discrimination en faveur de l’emprunt rapporte le coût financier associé à une stratégie 19 financière particulière (émission d’actions ou prélèvement sur les bénéfices réservés) et celui attaché au financement par emprunt. Lorsque le coefficient de discrimination est supérieur à l’unité, le système fiscal favorise le financement par emprunt, lorsqu’il est inférieur à un le recours à l’endettement est fiscalement défavorisé. Lorsque le coefficient égale l’unité, le régime fiscal est neutre. Analytiquement, les équations [5] à [7] nous permettent d’exprimer les coefficients de discrimination de la façon suivante : (1 m g) dd = Nd = NE (1 m d) (1 )i dg = Ng NE = 1 mg (1 )i [11] Sur un marché parfait des capitaux, l’apport en numéraire ou le prélèvement sur les réserves doit être rémunérés de manière égale à la rémunération offerte par les placements alternatifs offerts par le marché, c'est-à-dire l’acquisition d’obligation. Aussi, , le taux de rendement nominal exigé après impôt par les nouveaux actionnaires et , le taux de rendement minimum de l’actif total, après impôt, exigé par les actionnaires existants doivent tous deux être égaux à (1-mi)i avec mi, le taux marginal effectif d’imposition des personnes physiques sur les revenus d’intérêt31. La situation de référence du tableau 4 correspond au régime fiscal ordinaire d’application pour l’exercice 1982, sans dispositions correctrices particulières. Le taux marginal d’impôt des personnes physiques est posé par hypothèse égal à 50%. On observe que le régime fiscal de base, dépouillé de toutes aides publiques pénalise le financement par émission d’actions et privilégie le recours à l’emprunt et aux bénéfices réservés. Pour ce dernier mode de financement, ce résultat doit toutefois être considéré comme atypique et résultant des hypothèses particulières de l’exercice32. En réalité, nous l’avons constaté à la lecture du tableau 3, c’est l’ensemble du financement par fonds propres qui est généralement défavorisé par le système d’imposition ordinaire. Le reste du tableau 4 est consacré à l’étude de l’impact de trois mesures de promotion du capital à risque. Premièrement, les détenteurs d’actions nouvelles émises entre mars 1977 et décembre 1982 ont bénéficié d’une exonération à l’impôt des sociétés, pendant 5 ans et à 30 GERARD (1984), p. 221. Sous le régime de la globalisation, les taux marginaux d’imposition des individus sur les revenus d’intérêts (mi), sur les dividendes (md) et sur les gains en capitaux (mg) sont identiques et égaux au taux marginal d’impôt des personnes physiques. 32 En particulier le taux marginal des personnes physiques. 31 20 raison de 5% de l’apport en numéraire libéré. Ensuite, une disposition prise au début 1981 et abrogée un an plus tard, exonère les profits destinés à constituer une réserve d’investissement appelée « réserve immunisée ». Enfin, en 1982 le gouvernement adopta plusieurs dispositifs « d’aides à la recapitalisation », rendus d’application par les Arrêtés royaux nos 15 et 150. Ces dispositions comprenaient un double volet: d’une part, le volet « Cooreman » accordait une exonération de l’impôt des sociétés jusqu’à 13% des apports en numéraires pendant 9 à 10 années et, d’autre part, le volet « de Clercq » autorisait la déduction à l’impôt des personnes physiques des montants affectés à l’achat d’actions33. Ces dispositifs sont considérés dans le tableau 4, respectivement à travers les colonnes 3 à 7. Tableau 4 : Coefficients de discrimination (en faveur de l’emprunt) Situation de référence Exonération partielle à l’Isoc (1) Réserves immunisées Volet Cooreman (2) Volet de Clercq (3) Volets Cooreman et de Clercq Emission d’actions 1,316 1,080 1,316 0,870 0,645 0,470 Endettement 1 1 1 1 1 1 Bénéfices réservés 0,962 0,962 0,500 0,962 0,962 0,962 Source : GERARD (1984), p. 221. Notes : (1) Exonération à l’impôt des sociétés, pendant 5 ans, à raison de 5% de l’apport en numéraire libéré ; (2) Volet Cooreman : exonération de l’impôt des sociétés jusqu’à 13% des apports en numéraires pendant 9 à 10 années ; (3) Volet de Clercq : déduction à l’impôt des personnes physiques des montants plafonnés consacrés à l’achat d’actions ; l’hypothèse retenue fait état d’un taux marginal des personnes physiques égal à 50%. La lecture du tableau 4 montre clairement que l’application isolée d’un seul volet, Cooreman ou de Clercq, permet de renverser la discrimination en faveur de l’emprunt. Pour les émissions d’actions, le coefficient de discrimination devient inférieur à un : de 1,316 pour la situation de référence, il tombe à 0.870 et 0,645, respectivement lorsque sont mis en œuvre les dispositions des volets Cooreman et de Clercq. L’application conjointe de ces deux dispositifs renverse totalement la discrimination en faveur de l’emprunt, rendant le financement par actions plus de deux fois moins onéreux que l’emprunt. En pratique, certaines politiques visant à renverser la discrimination à l’encontre des fonds propres semblent donc avoir été mal ajustées et sont apparues trop généreuses, « les gouvernements belges allant même, confondant l’industriel et le financier, jusqu’à favoriser l’achat d’actions existantes. Cette dernière étape peut paraître aller "une étape trop loin" sauf à préparer l'avènement d'un système d'impôt sur les dépenses plutôt que sur le revenu »34. Ces 33 34 Lesquels étaient plafonnés. GERARD (1984), p. 245. 21 résultats, particulièrement cruciaux dans un contexte de rigueur budgétaire, illustrent l’intérêt des analyses ex ante des mesures du coût financier du capital. (2) Le volume de l’investissement Outre les mesures visant à influencer les politiques financières des entreprises, les différents gouvernements belges ont développé depuis les années 1950 un important arsenal de politiques économiques ayant pour but d’encourager et d’orienter le volume de l’investissement privé, via un abaissement du coût du capital. Cette insistance laisse clairement apparaître le rôle privilégié attribué par les pouvoirs publics belges à la fiscalité au sens large comme déterminant à l’investissement35. L’objectif des pouvoirs publics est ici double : d’une part, encourager l’investissement dans les régions du Royaume plus touchées par la crise économique et, d’autre part, orienter l’investissement vers des secteurs d’activité réputés porteurs pour la croissance économique, en particulier les secteurs de haute technologie. de CALLATAY (1990), de CALLATAY et GERARD (1990) ou encore MIGNOLET et THIRION-MATHIEU (1994)36 fournissent une mesure de l’effet incitatif des dispositions fiscales d’encouragement à l’investissement en Belgique durant les années 1980. L’impact de trois de ces politiques sur le coût du capital et le coin fiscal des entreprises domestiques fait l’objet du tableau 5. Il s’agit des aides à la recapitalisation prévues par les A.R. nos 15 et 150 (voir section 3.2.1.), du statut de « sociétés novatrices », qui accorde à de sociétés nouvelles développant des produits ou procédés inédits en Belgique une exonération à l’impôt des sociétés de 13% pendant 10 ans et de la déduction pour investissement, qui réduit la base imposable de la firme d’un certain pourcentage de la dépense d’investissement (5% en 1990). Les paramètres macro-économiques et fiscaux sont ceux observés pour les années de référence (1982 et 1990) : le taux d’intérêt nominal et le taux d’inflation s’élèvent respectivement à 11,01% et 2,84%. 35 GERARD (1984), 246-247. MIGNOLET et THIRION-MATHIEU (1994) reprennent la méthodologie d’IWAMOTO (1992), elle même variante de l’approche de KING et FULLERTON (1984), et l’étendent à la fiscalité frappant l’apporteur de capital personne physique. 36 22 Tableau 5 : Effets des politiques de soutien aux investissements menées en Belgique durant les années 1980 : coût du capital et le coin fiscal (%) Année de référence 1982 Année de référence 1990 Situation de référence Aides à la Situation de Société novatrice Déduction pour recapitalisation référence (2) investissement (1) (3) Coût du capital 18,17 -1,31 20,74 2,92 17,94 Coin fiscal 6,24 -63,24 11,43 -40,81 8,62 Source : MIGNOLET et THIRION-MATHIEU (1994), 237-237. Notes : (1) Exonération de l’impôt des sociétés jusqu’à 13% des apports en numéraires pendant 9 à 10 années et déduction à l’impôt des personnes physiques des montants plafonnés consacrés à l’achat d’actions ; (2) Exonération de 13% à l’impôt des sociétés pendant 10 ans ; (3) Déduction à l’impôt des sociétés de 5% de la dépense d’investissement ; - Taux d’intérêt nominal : 11,01% ; taux d’inflation : 2,84%. Le résultat de ces estimations permet d’appréhender l’ampleur, parfois considérable, de certaines politiques d’aide. En particulier, l’application des aides à la recapitalisation37 et les dispositifs relatifs aux sociétés novatrices induisent même un coin fiscal largement négatif. En d’autres termes ces aides sont d’une telle importance qu’elles conduisent même à encourager des investissements sous-productifs : l’investissement pourrait ne plus être entrepris dans un objectif de production, mais uniquement pour des considérations financières. « Toutefois, comme les investissements antémarginaux sont par définition plus rentables, (l’existence d’un subside aux investissements marginaux) n’empêche pas le taux moyen d’imposition effective d’être positif »38. Signalons pour être complet – d’autres études en font état39 – que les études montrent que les entreprises établies en Région flamande font un usage plus intensif des immunisations fiscales que celles situées en Régions wallonne ou bruxelloise. Le recours aux modèles de coût du capital fondés sur les théories de la taxation effective permet de déterminer l’impact de la fiscalité sur les décisions d’investissement conçues par les entreprises en Belgique. Ces modèles fournissent également une mesure de l’efficacité des politiques industrielles menées depuis la moitié des années 1950. Toutefois, comme le soulignent déjà de CALLATAY et GERARD (1990), la modélisation du coût du capital nécessite d’être étendue, afin de rendre compte d’une gamme plus large de dispositifs fiscaux, Le coin fiscal, négatif lorsque l’on ne considère que l’impôt des sociétés, devient très largement négatif lorsque l’on intègre la fiscalité pesant sur l’apporteur de capital personne physique. Ceci confirme donc que le seul volet des A.R. nos 15 et 150 traitant de l’impôt des sociétés (le volet Cooreman) constituait un incitant à l’investissement suffisant. Comme le signalait déjà GERARD (1984), l’adoption du volet portant sur l’impôt des personnes physiques (volet de Clercq) allaient une « étape trop loin ». 38 de CALLATAY et GERARD (1990), p. 184. 39 BINON, DEJARDIN, THIRION-MATHIEU (1997), p. 34. 37 23 d’une part, et des investissements réalisés par des entreprises multinationales, d’autre part. C’est l’objet de la dernière section. 3.2.2. Investissements internationaux et coût du capital L’édification de l’Union européenne et, plus largement, l’intégration croissante des marchés financiers mondiaux, parce qu’elles augmentent la mobilité des capitaux, tendent à accentuer la concurrence entre les régions pour la localisation des investissements internationaux. Ce phénomène est d’autant plus sensible s’agissant d’une petite économie ouverte comme la Belgique – et de ses Régions – dans laquelle les investissements transnationaux (d’origines belge ou étrangère) occupent une place grandissante. Ainsi une large part des travaux menés en Belgique a-t-elle pour objet l’étude du coût du capital associé aux décisions d’investissements des sociétés multinationales. MIGNOLET, PIRAUX et VEREECKE (1997a et b) étudient la charge fiscale grevant les revenus d’investissement réalisés en Belgique par les multinationales américaines ou allemandes. Les auteurs mesurent encore les effets d’un certain nombre d’aides publiques incitatives dans diverses régions belges, britanniques, françaises et luxembourgeoises, notamment les statuts d’objectifs 1 et 2. GUIOT et MIGNOLET (1995) réalisent le même exercice pour les Antilles françaises et le Hainaut belge. MEUNIER (1998) discute de l’efficacité des politiques de zones franches – ou tax holidays – en Belgique. PIERRE (1996) analyse les stratégies de « treaty shopping » des groupes multinationaux. HESPEL, MIGNOLET et PIERRE (1998), sur base de HESPEL (1997) montrent comment se modifie la charge fiscale effective des revenus d’investissement réalisés par le biais d’une société financière, un centre de coordination, par exemple. Tous ces travaux se fondent sur le modèle d’ALWORTH (1988) déjà évoqué plus haut et que nous nous proposons d’expliciter avant de parcourir les résultats. A. Le modèle de référence : ALWORTH (1988) Le modèle de coût du capital développé par ALWORTH (1988) constitue un outil précieux pour évaluer l’efficacité relative des politiques d’incitants aux investissements internationaux. Dans le calcul du coût du capital sont intégrées les matières de la taxation internationale et le jeu complexe des mécanismes d’atténuation des impositions multiples inscrits dans les 24 régimes fiscaux nationaux. Il prend par ailleurs en compte les aides publiques, de nature fiscale ou financière. L’approche, explicitée dans la section 2.2, repose sur le schéma 2 associant une société binationale. Schéma 2 : la société binationale Apporteur de capital Personne physique Pays de résidence Maison mère Pays de résidence Filiale qui investit Pays de la source Note : les flèches indiquent le sens des flux financiers. Le taux d’intérêt réel est déterminé sur les marchés des capitaux internationaux : il est donc identique dans le pays de la maison mère et le pays de la filiale 40. Cette condition d’arbitrage est le point d’ancrage du modèle d’ALWORTH (1988). Elle découle de la volonté de l’auteur de mettre l’accent sur l’étude des flux financiers au sein de la multinationale et, plus largement, de la formalisation des conventions fiscales bilatérales41. L’approche d’ALWORTH (1988) permet de considérer une gamme élargie de politiques de financement. Le modèle en considère essentiellement neuf. La stratégie de financement réalisée par la filiale peut soit être autonome, soit dépendre de la maison mère. Le financement autonome est identique aux politiques financières décrites par KING et FULLERTON (1984) : la filiale emprunte, émet des actions ou prélève sur ses bénéfices réservés. Les politiques financières associant la maison mère peuvent être de divers types. La maison mère peut accorder un prêt ou acheter des actions directement à la filiale. Dans ce cas, la maison mère se financera elle-même par prêt, émission d’actions ou rétention de profit. Pour chaque mode de financement, ALWORTH (1988) dérive une expression du coût financier. Il s’agit de l’hypothèse d’un rendement r, avant imposition des personnes physiques, constant chez KING et FULLERTON (1984). 41 D’autres hypothèses existent cependant. GERARD et VALENDUC (1990), par exemple, définissent une règle d’arbitrage multilatérale ou « superarbitrage ». Ils supposent « que les taux internes des pays concernés s’adaptent de manière à assurer un revenu identique quel que soit le lieu d’épargne ».[GERARD et VALENDUC (1990), p. 91]. 40 25 B. Les résultats Dans quelle mesure le système fiscal belge au sens large ou encore les dispositifs d’aides publiques à caractère régional sont-ils en mesure d’attirer les investissements directs étrangers ? Quelle est l’efficacité relative des incitants fiscaux aux investissements étrangers offerts par la Belgique, par rapport aux régimes d’imposition des lieux alternatifs de localisation des multinationales ? Des comparaisons internationales, réalisées sur base d’un calcul du coût du capital, il apparaît que le régime fiscal est souvent plus favorable aux investisseurs étrangers en Belgique que dans les pays limitrophes (GERARD et VALENDUC, 1990) ou même dans la plupart des pays européens (OCDE, 1991 et CEE, 1992). Les disparités observées dans les taux effectifs d’imposition trouvent, pour une large part, leur source dans les différentes politiques nationales ou régionales d’incitant aux investissements. MIGNOLET, PIRAUX et VEREECKE (1997a et b) mesurent les effets d’un certain nombre d’aides publiques dans des régions européennes limitrophes : en Belgique, les régions bruxelloise, flamande et wallonne, la région Nord-Pas-de-Calais en France, le South East britannique et le Grand Duché de Luxembourg. La maison mère du groupe multinationale est tantôt localisée aux Etats-Unis, tantôt en Allemagne, de façon à comparer deux régimes de taxation internationale radicalement différents. Le tableau 6 reprend les principaux résultats de MIGNOLET, PIRAUX et VEREECKE (1997a). L’année de référence de l’exercice est 1994 : par hypothèse, le taux d’inflation est fixé à 2% et le taux d’intérêt réel, à 5%42. La Région wallonne semble offrir aux investisseurs étrangers le régime fiscal le plus favorable des six régions considérées43. Par exemple, le fait d’établir une filiale en Wallonie (hors objectif) plutôt que dans les Régions bruxelloise ou flamande permet à la firme multinationale de réduire le coût brut du capital de son projet respectivement de 4,7% et 2,75%. Par ailleurs, le tableau 6 montre que la charge fiscale effective qui pèse sur les revenus des investissements réalisés par les sociétés multinationales allemandes est systématiquement plus faible que celle pesant sur les revenus des sociétés américaines. Le lecteur trouvera les valeurs des paramètres de l’exercice, en particulier les nombreux dispositifs des aides publiques régionales dans MIGNOLET, PIRAUX et VEREECKE (1997a). 43 Excepté lorsque les dispositions du statut d’Objectif 1 sont d’application. 42 26 Tableau 6 : Les aides à l’investissement dans 6 régions européennes : le coût brut du capital (%) Filiale Maison mère allemande Belgique : Région bruxelloise 23,17 Région wallonne Hors objectif 18,47 Objectif 2 17,48 Objectif 1 15,65 Région flamande Hors objectif 21,22 Objectif 2 20,77 France : Nord-Pas-de-Calais Zone PAT 0% 24,74 Zone PAT 17% 20,88 Obj. 2 (PAT 25%) 17,89 Obj. 1 (PAT 28%) 15,63 Grand Duché de Luxembourg Zone sans aide 22,47 Zone blanche 20,90 Zone Nord 18,79 Zone Sud 18,27 Zone industrielle 17,21 Royaume-Uni (South East) Zone sans aide 21,58 Zone aidée n.c. Source : MIGNOLET, PIRAUX et VEREECKE (1997a). Notes : - Taux d’inflation = 2% ; taux d’intérêt réel = 5%. Maison mère américaine 26,41 20,84 19,75 17,68 24,22 23,74 28,04 23,51 20,14 17,60 26,31 24,50 22,10 21,49 20,29 24,94 n.c. Les résultats de MIGNOLET, PIRAUX et VEREECKE (1997a) soulignent l’impact réellement significatif de ces politiques sur « l’attractivité » des régions d’investissement considérées44. En particulier, la politique européenne des fonds structurels abaisse significativement le coût du capital des sociétés multinationales. Cependant, « le jeu complexe des divers systèmes de taxation des profits, tant à la charge des personnes morales que des personnes physiques, et les méthodes préventives de la double imposition affectent largement l’impact des incitants publics à l’investissement accordés dans le pays de la source du profit. Tantôt l’avantage est atténué, tantôt il s’en trouve renforcé »45. Parallèlement aux subventions en capital, certaines politiques d’aide publique prennent la forme d’une réduction du taux de taxation. Cette réduction, totale ou partielle, souvent limitée à une période initiale, porte le nom de « tax holidays » et est parfois traduit par « congés fiscaux temporaires ». BOADWAY et SHAH (1995) déterminent une expression analytique du coût du capital qui est associé à cette mesure. Quelle est l’efficacité de cet instrument de 44 Rappelons toutefois que pour être effectivement attractive, la baisse du coût du capital ne doit pas se trouver être compensée par le différentiel de productivité entre la Région wallonne et les régions limitrophes. (voir section 3.4). 45 GUIOT et MIGNOLET (1995). 27 politique économique ? La relation positive directe entre réduction du taux d’imposition et baisse du coût du capital est, paradoxalement, loin d’être toujours acquise. Deux raisons peuvent être avancées. D’une part, les revenus de l’investissement, peu ou pas taxés dans le pays de la filiale, peuvent néanmoins faire l’objet, dans certains cas, d’une hausse de l’imposition dans le pays de la maison mère46. MINTZ et TSIOPOULOS (1994) étudient cette problématique dans le cas des multinationales américaines : les tax holidays tendent à réduire de façon plus importante le coût du capital des entreprises en position « d’excess credit ». D’autre part, la baisse des taux d’imposition entraîne une réduction de la valeur présente des écritures d’amortissement et dans certains cas, une hausse du coût financier. MEUNIER (1998) montre comment ce phénomène influe sur l’efficacité de la politique de tax holidays menée en Belgique47. Le tableau 7 illustre l’effet de ce régime d’exonération totale temporaire à l’impôt des sociétés sur le coût net du capital pour un groupe de sociétés belge et une multinationale américaine. Les paramètres fiscaux correspondent à l’exercice d’imposition 1997. Le taux d’intérêt réel et le taux d’inflation s’élèvent respectivement à 5% et 3%. Les entreprises établies dans une zone d’emploi bénéficient d’une exonération totale de l’impôt des sociétés pendant les 10 premières années de leur activité48. Tableau 7 : Les zones d’emploi et le coût du capital (%) Maison mère belge Situation de Zone référence d’emploi (1) Maison mère américaine Situation de Zone référence d’emploi Financement autonome de la filiale Par emprunt Par bénéfices réservés : 4,77 8,4 5,12 4,98 4,78 8,03 4,83 7,74 La maison mère prête à la filiale La maison mère se fiance par emprunt La maison mère se finance par émission d’actions La maison mère utilise ses bénéfices réservés 4,77 12,19 8,26 5,12 9,61 6,89 4,78 10,2 8,24 4,83 9,84 7,78 La maison mère capitalise la filiale La maison mère prête à la filiale 4,94 2,99 5,52 5 La maison mère se finance par émission d’actions 12,36 7,24 10,95 9,99 La maison mère utilise ses bénéfices réservés 8,4 4,98 8,88 7,91 Source : MEUNIER (1998). Notes : (1) Exonération totale à l’impôt des sociétés pendant les dix premières années de l’activité de la firme ; - Taux d’inflation = 3%, taux d’intérêt réel = 5%. C’est le cas lorsque, les revenus de l’investissement bénéficient d’un crédit d’impôt dans le pays de la maison mère (système d’imputation), pour un taux d’impôt domestique supérieur au taux de taxation étranger. 47 Il s’agit ici de la politique visant à créer des zones franches. En Belgique, le régime a été d’application dans les zones d’emploi, en application de l’Arrêté royal n°118, du 22 décembre 1982. 48 Les entreprises installées dans une zone d’emploi avant 1991 bénéficiaient également de l’octroi d’un précompte mobilier fictif. 46 28 Le calcul du coût du capital met en évidence certains résultats surprenants. Pour deux modes de financement, l’emprunt direct de la filiale et le double emprunt, le coût du capital d’une firme bénéficiant d’une exonération totale est plus important que celui qui découle du régime ordinaire de taxation. Ce résultat s’explique par la perte de l’avantage fiscal associé à la déductibilité des charges d’intérêt de la filiale à l’impôt des sociétés 49. MIGNOLET (1998) montre que, pour la même raison, l’octroi d’une subvention en capital constitue un instrument (relativement) plus efficace qu’une réduction équivalente du taux de taxation, quel que soit le système de prévention de la double imposition ou le mode de financement de la firme multinationale. Ce résultat revêt une importance particulière en Belgique où, si la politique fiscale demeure une compétence fédérale (taux et base de l’imposition), l’octroi de subventions en capital est une compétence des Régions. Initialement limité aux seuls investissements directs dans ALWORTH (1988), le coût du capital rend compte également à présent des stratégies des firmes multinationales qui impliquent le recours à une (ou plusieurs) société(s) intermédiaire(s). Deux applications sont particulièrement intéressantes : le treaty shopping et l’intermédiation de sociétés financières. La pratique du treaty shopping naît de l’hétérogénéité des traitements fiscaux des revenus étrangers entre les différents pays. Cette stratégie consiste pour la multinationale à interposer une ou plusieurs sociétés intermédiaires dans un ou plusieurs pays disposant de conventions de double imposition favorables, dans le but de réduire la charge fiscale totale du groupe. PIERRE (1996) développe le modèle d’ALWORTH (1988) pour tenir compte des effets de ce type de montages financiers. Outre les pratiques de treaty shopping, les stratégies fiscales internationales ont également tiré avantage des régimes favorables accordés par certains pays européens aux centres financiers et aux quartiers généraux des firmes multinationales. HESPEL (1997) évalue le gain qui résulte d’une politique de financement mettant en œuvre un centre de coordination belge. Reprenant cette méthodologie, HESPEL, MIGNOLET et PIERRE (1998a et b) étendent l’analyse aux principales structures de financement en Europe : les centres de coordinations belges, les sociétés financières irlandaises (IFSC) et néerlandaises et les sociétés luxembourgeoises disposant d’une succursale suisse. Le tableau 8 illustre l’intérêt pour une société mère américaine d’abandonner une politique de financement direct de la filiale au profit d’un montage financier qui interpose entre la maison Par ailleurs, l’avantage fiscal octroyé par le régime des zones d’emploi semble être relativement faible pour l’investisseur américain. En réalité, les revenus de la filiale, exonérés d’impôt en Belgique, sont frappés 49 29 mère et la filiale une société de financement bénéficiant d’avantages fiscaux. Le tableau 8 distingue deux hypothèses : d’une part, lorsque la maison mère prête directement les fonds à la filiale et, d’autre part, lorsque la maison mère capitalise une société de financement (soit, dans l’exercice, un centre de coordination, une IFSC, une société luxembourgeoise disposant d’une succursale suisse ou une société de financement néerlandaise), qui prête à son tour les fonds à la filiale. L’évaluation fait référence aux paramètres fiscaux d’application au 31 juillet 1996. Le taux d’intérêt réel égale 6% et le taux d’inflation s’élève à 2%. La base imposable du centre de coordination correspond à un pourcentage de ses frais de fonctionnement, hors frais de personnel et charges financières. Le centre est exonéré de précompte mobilier mais doit acquitter d’une taxe forfaitaire de 400 000 francs par travailleur. L’IFSC bénéficie d’un taux d’impôt des sociétés réduit à 10% pour les opérations menées en monnaies étrangères. Les montages financiers mettant en œuvre une société luxembourgeoise disposant d’une succursale financière en Suisse connaissent quant à eux ces dernières années une popularité grandissante. L’avantage fiscal est double : d’une part, l’autorité fiscale du Grand Duché accorde une large exonération (95%) de l’impôt sur les revenus de la succursale suisse et, d’autre part, cette dernière est soumise à un taux de taxation réduit, proche du régime fiscal des banques suisses50. Enfin, la société de financement néerlandaise est autorisée à déduire de sa base imposable jusqu’à 80% des revenus des opérations de financement intra-groupe, au titre de provision pour risque de change et de défaut de paiement. d’imposition aux Etats-Unis, le régime fiscal d’application étant l’imputation. 50 Le régime fiscal de la société luxembourgeoise disposant d’une succursale suisse est réglé par une convention fiscale de janvier 1994 conclue entre ces deux pays. Pour un aperçu plus large du régime d’imposition de ce type de structure, nous renvoyons le lecteur à HESPEL, MIGNOLET et PIERRE (1998a). 30 Tableau 8 : Coût du capital d’une société multinationale américaine intégrant une société de financement – centre de coordination, IFSC, société luxembourgeoise disposant une succursale suisse et société de financement néerlandaise (%) Pays de la filiale ALLEMAGNE PAYS-BAS Financement direct de la filiale : la maison mère prête les fonds à la filiale La maison mère se finance par emprunt 5,87 5,92 La maison mère se finance par émission 12,40 11,48 d’actions La maison mère utilise ses bénéfices réservés 10,27 9,49 ITALIE BELGIQUE 5,79 13,81 5,89 11,99 11,45 9,92 Financement indirect de la filiale : la maison mère capitalise la société intermédiaire, qui à son tour, prête à la filiale Utilisation d’un centre de coordination belge (1), d’une société financière irlandaise (IFSC) (2) ou d’une société luxembourgeoise disposant d’une succursale en Suisse (3) La maison mère se finance par emprunt 5,87 5,92 5,79 5,89 La maison mère se finance par émission 12,40 11,48 13,81 11,99 d’actions La maison mère utilise ses bénéfices réservés 10,27 9,49 11,45 9,92 Utilisation d’une société de financement néerlandaise (4) La maison mère se finance par emprunt 6,89 6,95 6,89 6,93 La maison mère se finance par émission 14,18 13,11 15,87 13,70 d’actions La maison mère utilise ses bénéfices réservés 12,48 11,46 12,97 10,02 Source : HESPEL, MIGNOLET, PIERRE (1998b). Notes : (1) Imposition sur base d’un pourcentage du montant des frais de fonctionnement, hors frais de personnel, ce à quoi s’ajoute une taxe forfaitaire de 400 000 francs par travailleur ; (2) Taux d’imposition réduit à 10% sur les opérations menées en monnaies étrangères ; (3) La société luxembourgeoise est exonérée (à 95%) d’impôt sur les revenus provenant de la succursale suisse ; cette dernière est imposée à un taux réduit ; (4) Exonération de 80% des revenus générés par les opérations de financement intra-groupe ; - Taux d’intérêt réel = 6% ; taux d’inflation = 2%. Lorsque la société mère est établie aux Etats-Unis, le recours à un centre de coordination, à une IFSC ou à une société luxembourgeoise (détenant une succursale en Suisse) procure le même avantage fiscal. Ce résultat est la conséquence du mécanisme d’allégement de la double taxation internationale appliqué par le Département du Trésor américain. En effet, les firmes qui ne sont pas en position d’excess credit sont, en définitive, taxées au taux d’impôt américain51. Ainsi, l’utilisation d’un centre financier par une multinationale américaine « permet uniquement d’éviter les situations d’excess credit fréquentes étant donné les hauts taux d’imposition appliqués par la plupart des pays européens »52. De façon plus générale, les résultats montrent que, si, dans la majorité des cas, l’intermédiation de centres de financiers Ce n’est pas le cas pour les montages impliquant une société de financement néerlandaise. En effet, dans ce cas, si la société de financement bénéficie d’une exonération partielle, elle demeure soumise à un taux de taxation supérieur à celui des Etats-Unis. 52 HESPEL, MIGNOLET et PIERRE (1998b), p. 393. 51 31 permet de réduire le coût du capital des investissements, l’avantage dépend néanmoins du lieu de localisation de la filiale et du régime fiscal en application dans le pays de la maison mère. 4. Conclusion Le coût du capital représente un déterminant significatif de la demande d’investissement des entreprises. Défini comme le taux de rendement minimum requis par l’apporteur de capital pour que l’investissement soit mis en œuvre, le concept de coût du capital intègre tout à la fois le coût financier du projet et la dépréciation économique. Il comprend également la pression fiscale pesant sur les revenus de l’investissement et les avantages associés aux incitants publics. L’objet de ce chapitre était double : d’une part, présenter un survol de la littérature économique traitant du coût du capital et, d’autre part, illustrer l’utilité d’une telle statistique pour l’évaluation de la politique de soutien aux investissements. La littérature économique – en particulier les auteurs anglo-saxons – accorde une attention importante à l’étude du coût d’usage du capital. Cet intérêt se reflète dans le grand nombre de recherches visant à développer les modèles de référence de JORGENSON (1965) ou de KING (1977). Dans un premier temps, les travaux de BOADWAY et SHAH (1995) nous ont permis de dériver l’expression canonique du coût du capital. Dans un second temps, nous avons vu comment l’analyse pouvait être étendue à la charge fiscale pesant sur les revenus des investissements des sociétés multinationales. La prise en compte de l’hétérogénéité de l’espace, en terme de productivité notamment, et la mesure du risque supporté par l’investisseur, deux autres développements récents, permettent encore d’affiner le calcul du coût du capital. Les mesures du coût du capital ou du taux marginal effectif d’imposition se révèlent être de précieux instruments pour évaluer les politiques de soutien de l’investissement. La section 3 présente une petit aperçu des nombreux résultats de recherches, en particulier ceux qui ont pour terrain d’application la Belgique et ses régions. Les conclusions de ces études, largement commentées à la section précédente, ne sont plus ici reproduites en détails. Rappelons seulement que ces travaux ont entre autres montré que les régimes fiscaux ordinaires favorisent généralement le recours au financement par fonds de tiers sur l’utilisation de fonds propres. Plutôt que de rechercher une neutralité fiscale entre les formes de financement, le législateur a préféré recourir ponctuellement à des mesures d’exception. Celles-ci ont le plus souvent renversé la discrimination fiscale au bénéfice de l’émission d’actions et parfois même 32 dans une mesure exagérée. Parallèlement, d’autres études ont cherché à évaluer les effets incitatifs des politiques régionales sur le volume de l’investissement privé et leur localisation dans l’espace. Si la mise en œuvre des aides publiques conduit généralement à une réduction significative du coût du capital, ce résultat doit néanmoins être nuancé lorsque l’investissement est réalisé par une entreprise multinationale. Dans ce cas, en effet, l’avantage fiscal est tantôt atténué, tantôt renforcé, en fonction des systèmes d’imposition nationaux et des méthodes préventives de la double imposition. Les études exposées à la section 3, si elles se fondent sur une analyse micro-économique rigoureuse, ne peuvent cependant être dissociées du contexte qui prévalait lors de leur réalisation. Aussi, si certaines conclusions demeurent valables à l’heure actuelle, d’autres demandent néanmoins à être actualisées. Ces travaux, plus anciens, gardent cependant leur intérêt. Ils montrent combien sont pertinents les modèles de coût du capital dans l’évaluation a priori de la politique économique. Initialement limités au seul facteur capital, les modèles de taxation effective font aujourd’hui l’objet d’extensions au coût du travail et plus généralement au coût de production. En particulier, McKENZIE, MINTZ et SCHARF (1992 et 1997)53 mesurent l’impact des taxes frappant les différents facteurs de production au travers de la variation du coût marginal de production. Cette approche permet d’élargir le champ des politiques d’incitations, notamment de prendre en compte les politiques de l’emploi, comme le montrent pour la Belgique MEUNIER et MIGNOLET (1999). Ces contributions ouvrent assurément des perspectives prometteuses de nature à mieux évaluer l’efficacité des actions publiques. 53 Une approche alternative est développée par GERARD, BEAUCHOT, JAMAELS et VALENDUC (1997). 33 Bibliographie ALTSHULER R. and FULGHIERI P. (1994), Incentive Effects of Foreign Tax Credits on Multinational Corporations, National Tax Journal, vol. XL, VII, 2, 349-362. ALWORTH J.S. 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