Document 3 : Philippe Mongin (2000), « La méthodologie économique au
XXème siècle », dans Alain Béraud et Gilbert Faccarello, Nouvelle histoire de la
pensée économique, Paris : La Découverte, pp.349-351.
Le problème du réalisme des hypothèses en science économique constitue une figure
imposée de la méthodologie économique d'après-guerre (…). La formulation en est due à
Milton Friedman, dans le chapitre qui ouvre ses Essays in Positive Economics (1953), intitulé
« The Methodology of Positive Economics » (…).
Suivant une première lecture, ce texte n'est rien d'autre qu'une proclamation
supplémentaire en faveur de l'économie comme science empirique (ou positive). Friedman
prendrait parti contre l'apriorisme dans le passage où il attaque les interprétations
tautologisantes de l'économie. A la certitude factice qu'inspiraient les axiomes, il opposerait
l'acceptation franche de la discipline du test, qu'il analyserait suivant la grille exigeante du
réfutationnisme. Mieux que les travaux de Hutchison ou de Samuelson, l'essai de Friedman
marquerait finalement la pénétration des idées poppériennes en méthodologie économique.
(…) Mais suivant une seconde lecture, plus précise et plus pertinente, The
Methodology of Positive Economics se caractérise moins par ses proclamations
réfutationnistes que par les réserves qui les accompagnent aussitôt. Certains interprètes ont
conclu à la compatibilité des deux lectures : dans ces réticences, ils croient voir l'expression
d'un falsificationnisme raffiné au sens de Lakatos (1970), ou seulement nuancé en un sens
moins technique. La thèse dite aujourd'hui « de Duhem-Quine » (…) affirme en substance le
caractère ambigu de la réfutation, compte tenu de la pluralité inévitable des énoncés
scientifiques soumis au test (hypothèses principales, hypothèses auxiliaires et conditions
initiales). (…) Quelques interprètes ont généreusement prêté à Friedman cette variante
doctrinale. L'essai de 1953 prend en compte la thèse de Duhem-Quine au moment où il
rappelle qu'il existe toujours une infinité d'hypothèses en concurrence pour rendre compte
d'un ensemble fixé de données. Mais en fait, cette affirmation constitue un point de
basculement du texte.
(…) Friedman avance la thèse à jamais célèbre suivant laquelle on ne peut pas tester
une théorie en invoquant le réalisme ou, au contraire, l'absence de réalisme de ses hypothèses
fondamentales. Toute l'originialité originalité méthodologique de Friedman est là, dans cette
affirmation inattendue que les hypothèses fondamentales (assumptions) d'une théorie
scientifique, par opposition à ses conséquences (implications) peuvent, et même doivent, être
déunuées dénuées de réalisme.
(…) Les conséquences pratiques de la thèse friedmanienne apparaissent dans le
passage célèbre qu'il consacre aux hypothèses de maximisation de la microéconomie néo-
classique. Eventuellement reformulées à l'aide de la locution « comme si » - « les entreprises
se comportent comme si elles cherchaient rationnellement à maximiser leurs profits attendus »
- ces hypothèses échapperaient à la démarche empirique et critique sur laquelle insistaient
solennellement les premières pages de l'essai. Le conservatisme inhérent à la thèse sur les
hypothèses fondamentales explique une troisième interprétation, plus défendable, à tout
prendre, que les deux précédentes : Friedman adhérerait à une philosophie des sciences non
réfutationniste, soit le conventionnalisme qui recommande de mettre à l'abri les principes
premiers de la science par une décision volontaire sans justification ultime ; soit
l'instrumentalisme c'est-à-dire la doctrine qui, suivant la définition qu'en donne Popper
(1963), réduit les théories scientifique à n'être que des « instruments à prédire ».
(…) Suivant une quatrième interprétation encore, l'absence de « réalisme » désignerait
l'usage par les sciences, et au premier chef la physique, de termes spéciaux, qui renvoient à