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Qui a le plus à perdre à un Grexit?
SANDRA MOATTI
07/07/2015
Alexis Tsipras, Premier ministre grec, et Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne,
lors d'une réunion des dirigeants des pays de l'Eurogroupe, le 7 juillet.©SALERNO/EUC/ROPI-REA
Au cours des cinq derniers mois, tout semblait indiquer que des deux parties en négociation – Athènes et les
autres capitales européennes –, la Grèce était clairement celle qui avait le plus à perdre à un Grexit. C'est
d'ailleurs ce qui explique que le rapport de force lui ait été défavorable…
Côté européen, les risques de contagion paraissent en effet limités depuis que la zone euro s'est dotée d’un
arsenal anti-crise (le mécanisme européen de stabilité, l’union bancaire et surtout, les achats de titres publics par
la BCE) et que les banques occidentales sont désengagées – même si c’est largement une illusion comme nous
le montrons ici. Côté grec en revanche, une sortie aurait entraîné le pays dans un chaos économique mais aussi
politique – puisque les Grecs sont très majoritairement attachés à la monnaie unique.
Le point de vue des peuples
Le référendum fait changer le point de vue. Pourquoi ? Parce qu’il recentre la question sur les souhaits et les
intérêts des peuples. Pour les Grecs, le vote de dimanche donne un mandat très clair au gouvernement Tsipras :
oui à l’euro, mais pas à n’importe quelles conditions. Plus largement, il met chaque peuple d’Europe face à
cette question : à quelles conditions sommes-nous prêts à garder la Grèce dans la zone euro – ou à la voir
sortir ?
Les Grecs ont dit oui à l’euro, mais pas à n’importe quelles conditions
Bien sûr, les chefs d’Etat et de gouvernement peuvent tout à fait considérer que les conditions qui agréeraient
aux Grecs sont inacceptables pour les autres peuples – dont la légitimité n’est pas moindre – et en conclure que
l’accord est impossible et la sortie de la Grèce inévitable. Mais ils ne peuvent se contenter de fermer la porte sur
le nez des Grecs qui se sont exprimés. Une autre négociation s’amorcerait alors, sur des conditions de sortie de
la zone euro vivables pour la Grèce.
Une sortie « ordonnée »
Quelles seraient ces conditions ? La première est financière. Pour éviter la faillite de son système bancaire, la
Grèce devra très vite introduire une nouvelle monnaie. La bonne volonté des Européens dans la période de
transition est décisive. La BCE devrait continuer d’alimenter les banques grecques en euros dans l’intervalle et
fournir l’assistance technique nécessaire à la mise en place de la nouvelle monnaie. A ces conditions, le
cataclysme financier peut-être évité. On voit mal au nom de quoi la BCE ne jouerait pas le jeu une fois la
décision politique prise.
La sortie de l’euro n’est pas une bonne affaire pour l’économie grecque
Se posera ensuite rapidement un problème économique. A priori, la sortie de l’euro n’est pas une bonne affaire
pour l’économie grecque : sa base productive exportatrice est trop réduite pour bénéficier du regain de
compétitivité apportée par une dévaluation. En revanche, les Grecs s’appauvriraient immédiatement s’ils
devaient payer leurs importations dans une monnaie dévaluée – de 40 % au moins selon les estimations
courantes.
L’effet « défaut » compenserait l’effet « dévaluation »
Mais, par ailleurs, un défaut de la Grèce sur sa dette extérieure permettrait au pays d’économiser chaque année
les paiements d’intérêt versés à ses créanciers extérieurs (3 % du PIB en 2014). D’après les calculs de coin de
table effectués par Patrick Artus, cet effet « défaut » compenserait l’effet « dévaluation », si bien que la sortie
de l’euro pourrait être globalement positive pour la Grèce. Pour justifier ce défaut, le gouvernement s’appuierait
probablement sur l’exercice d’audit de la dette menée par le Parlement grec. Pour montrer sa bonne volonté
européenne, il pourrait décider d’en rembourser une partie.
Une facture de 320 milliards
Les autres Etats européens n’auront rien à dire. Or pour eux les pertes financières liées à un défaut grec seraient
substantielles. En cas de défaut total, elles s’élèveraient à 222 milliards d’euros : 142 milliards prêtés
conjointement via le Fonds européen de stabilité financière (FESF), 53 milliards de prêts bilatéraux et
27 milliards de titres détenus par la BCE (dont les Etats membres sont les actionnaires).
Pour la France, l’ardoise s’élèverait à plus de 42 milliards
A ce total, il faut encore ajouter la position débitrice de la Grèce au sein du système de compensation entre
banques centrales, dit Target 2, soit une centaine de milliards supplémentaires qui se volatiliseraient. (Pour les
amateurs, l’économiste allemand Hans-Werner Sinn, patron de l’institut CESifo, s’est fait une spécialité de ce
type de calcul.) Pour la France, sans compter les titres détenus par la BCE et le solde Target, l’ardoise
s’élèverait à plus de 42 milliards. Sur une dette publique de 2 100 milliards, c’est malgré tout plus qu’une
goutte d’eau.
Les chefs d’Etat devraient présenter la facture de l’option d’une sortie à leurs opinions publiques
Avant de conclure que les conditions d’un accord pour le maintien de la Grèce dans la zone euro ne sont pas
acceptables pour les autres peuples européens, les chefs d’Etat et de gouvernement devraient leur présenter la
facture de l’autre option, celle d’une sortie.
Entre la disparition de 320 milliards et un allégement des 320 milliards de la dette publique grecque, comment
justifier auprès des peuples européens qu’on ait choisi la première option ? Même d’un point de vue purement
comptable, c’est indéfendable. Sans compter qu’il y a plus que des milliards à perdre dans cette affaire.
Les termes du choix
Dernière chose : si pour les Grecs, l’option « sortie + défaut » devait s’avérer, sinon bénéfique, au moins
vivable, elle donnerait très certainement des idées ailleurs.
Le choix des capitales européennes est donc assez simple :
1. Fermer brutalement la porte au nez des Grecs, plonger dans le chaos un pays dont la position
stratégique est vitale pour l’Europe et perdre 320 milliards d’euros.
2. « Accompagner » la Grèce vers la sortie de la monnaie unique, perdre 320 milliards d’euros et donner à
tous les peuples surendettés l’envie de quitter le navire euro.
3. Alléger la dette grecque, et mettre sur pied dans la foulée un mécanisme de mutualisation des dettes
pour l’ensemble des pays de la zone.
L’histoire les jugera.
Sandra Moatti
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