Arrêt de la Cour: Publicité du tabac et proportionnalité

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ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
12 décembre 2006 (*)
«Recours en annulation Rapprochement des législations Directive 2003/33/CE Publicité et
parrainage en faveur des produits du tabac Annulation des articles 3 et 4 Choix de la base
juridique Articles 95 CE et 152 CE Principe de proportionnalité»
Dans l’affaire C-380/03,
ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 230 CE, introduit le 9 septembre
2003,
République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. M. Lumma, W.-D. Plessing et C.-D.
Quassowski, en qualité d’agents, assistés de Me J. Sedemund, Rechtsanwalt,
partie requérante,
contre
Parlement européen, représenté par M. R. Passos, Mme E. Waldherr et M. U. Rösslein, en qualité
d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme E. Karlsson et M. J.-P. Hix, en qualité
d’agents,
parties défenderesses,
soutenus par:
Royaume d’Espagne, représenté par Mme L. Fraguas Gadea et M. M. Rodríguez Cárcamo, en
qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
République de Finlande, représentée par Mmes A. Guimaraes-Purokoski et E. Bygglin, en qualité
d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
République française, représentée par M. G. de Bergues et Mme R. Loosli-Surrans, en qualité
d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
Commission des Communautés européennes, représentée par Mmes M.-J. Jonczy et L.
Pignataro-Nolin ainsi que par M. F. Hoffmeister, en qualité d’agents, ayant élu domicile à
Luxembourg,
parties intervenantes,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, K. Lenaerts, P. Kūris et
E. Juhász, présidents de chambre, M. J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), Mme R. Silva de
Lapuerta, MM. K. Schiemann, G. Arestis, A. Borg Barthet, M. Ilešič et J. Malenovský, juges,
avocat général: M. P. Léger,
greffier: Mme K. Sztranc-Sławiczek, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 décembre 2005,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 juin 2006,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la République fédérale d’Allemagne (ci-après la «requérante») demande à la Cour
l’annulation des articles 3 et 4 de la directive 2003/33/CE du Parlement européen et du Conseil, du
26 mai 2003, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et
administratives des États membres en matière de publicité et de parrainage en faveur des produits
du tabac (JO L 152, p. 16, ci-après la «directive»).
2 La directive a été adoptée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne à la suite
de l’annulation par la Cour (arrêt du 5 octobre 2000, Allemagne/Parlement et Conseil, C-376/98,
Rec. p. I-8419, ci-après l’«arrêt sur la publicien faveur du tabac») de la directive 98/43/CE du
Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 1998, concernant le rapprochement des dispositions
législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité et de
parrainage en faveur des produits du tabac (JO L 213, p. 9).
Le cadre juridique
3 La directive a été adoptée sur les mêmes bases juridiques que la directive 98/43. À l’instar de
cette dernière, la directive réglemente la publicité et le parrainage en faveur des produits du tabac
dans d’autres médias que la télévision.
4 Le premier considérant de la directive énonce, d’une part, que certains obstacles à la libre
circulation des produits ou des services, du fait des disparités entre les législations des États
membres en la matière, ont déjà été rencontrés en ce qui concerne la publicité dans la presse et,
d’autre part, que des distorsions de concurrence survenues dans les mêmes circonstances ont
également été observées dans le cadre du parrainage de certaines manifestations sportives et
culturelles importantes.
5 Le quatrième considérant de la directive dispose:
«La circulation des publications telles que les périodiques, les journaux et les revues entraîne un
risque non négligeable d’entraves à la libre circulation dans le marché intérieur, résultant des
dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui interdisent ou
réglementent la publicité en faveur du tabac dans ces médias. Si l’on veut assurer la libre
circulation de tous ces médias dans le marché intérieur, il est nécessaire d’y limiter la publicité en
faveur du tabac aux revues et périodiques non destinés au grand public, tels que les publications
exclusivement destinées aux professionnels du commerce du tabac et les publications imprimées et
éditées dans des pays tiers qui ne sont pas principalement destinées au marché communautaire.»
6 Le cinquième considérant de la directive est libellé comme suit:
«Les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à
certains types de parrainage, ayant des effets transfrontaliers, en faveur des produits du tabac
comportent un risque non négligeable de distorsion des conditions de concurrence pour cette
activité dans le marché intérieur. Sans réglementer le parrainage pour autant au niveau purement
national, il est nécessaire, pour supprimer ces distorsions, d’interdire ce parrainage uniquement
pour les activités ou manifestations ayant des effets transfrontaliers, car cela constituerait sinon un
moyen de contourner les restrictions applicables aux formes de publicité directe.»
7 Le sixième considérant de ladite directive précise:
«Le recours aux services de la société de l’information est un moyen de faire de la publicité en
faveur des produits du tabac qui augmente en même temps que la consommation et l’accès du
public à ces services. Ces services, de même que les émissions de radio, qui peuvent également
être diffusées par les services de la société de l’information, sont particulièrement attrayants et
accessibles pour les jeunes consommateurs. La publicité en faveur du tabac par ces deux médias a,
par sa nature même, un caractère transfrontalier et devrait être réglementée au niveau
communautaire.»
8 L’article 3 de la directive dispose:
«1. La publicité dans la presse et d’autres médias imprimés est limitée aux publications
exclusivement destinées aux professionnels du commerce du tabac et aux publications qui sont
imprimées et éditées dans des pays tiers, lorsque ces publications ne sont pas principalement
destinées au marché communautaire.
Toute autre publicité dans la presse et d’autres médias imprimés est interdite.
2. La publici qui n’est pas autorisée dans la presse et d’autres médias imprimés n’est pas
autorisée dans les services de la société de l’information.»
9 Aux termes de l’article 4 de la directive:
«1. Toutes les formes de publicité radiodiffusée en faveur des produits du tabac sont interdites.
2. Les émissions radiodiffusées ne font pas l’objet d’un parrainage par des entreprises dont
l’activité principale consiste à fabriquer ou à vendre des produits du tabac.»
10 L’article 5 de la directive est libellé comme suit:
«1. Le parrainage de manifestations ou d’activités concernant plusieurs États membres ou se
déroulant dans plusieurs États membres ou ayant d’autres effets transfrontaliers est interdit.
2. Toute distribution gratuite de produits du tabac dans le cadre du parrainage des
manifestations visées au paragraphe 1, ayant pour but ou effet direct ou indirect de promouvoir
ces produits, est interdite.»
11 L’article 8 de la directive prévoit:
«Les États membres ne peuvent interdire ou restreindre la libre circulation des produits ou services
qui sont conformes à la présente directive.»
Les conclusions des parties
12 La requérante conclut à ce qu’il plaise à la Cour:
annuler les articles 3 et 4 de la directive,
condamner les parties défenderesses aux dépens.
13 Le Parlement et le Conseil concluent à ce qu’il plaise à la Cour:
rejeter le recours,
condamner la requérante aux dépens.
14 Le Parlement conclut, à titre subsidiaire, à ce qu’il plaise à la Cour, au cas elle entendrait
annuler la directive pour violation formelle de l’obligation de motivation ou de la procédure de
codécision, ordonner, conformément à l’article 231 CE, que les effets de la directive annulée soient
maintenus jusqu’à ce qu’une nouvelle réglementation soit adoptée dans ce domaine.
15 Par ordonnances du président de la Cour des 6 janvier et 2 mars 2004, le Royaume d’Espagne, la
République française, la République de Finlande, et la Commission des Communautés européennes
ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil.
Sur le recours
16 À l’appui de son recours, la requérante invoque cinq moyens. À titre principal, elle soutient,
premièrement, que l’article 95 CE ne constitue pas une base juridique appropriée pour la directive
et, deuxièmement, que cette dernière a éadoptée en violation de l’article 152, paragraphe 4,
sous c), CE. À titre subsidiaire, elle fait valoir une violation, respectivement, de l’obligation de
motivation, des règles de la procédure de codécision prévues à l’article 251 CE ainsi que du
principe de proportionnalité.
Sur le premier moyen tiré du prétendu choix erroné de l’article 95 CE comme base juridique
Argumentation des parties
17 La requérante soutient que les conditions justifiant le recours à l’article 95 CE pour adopter les
articles 3 et 4 de la directive ne sont pas réunies. En effet, aucune des interdictions posées à ces
articles ne contribuerait effectivement ni à l’élimination d’entraves à la libre circulation des
marchandises, ni à la suppression de distorsions sensibles de concurrence.
18 S’agissant tout d’abord de la «presse et des autres médias imprimés», visés à l’article 3,
paragraphe 1, de la directive, plus de 99,9 % des produits ne seraient pas commercialisés dans
plusieurs États membres mais seulement au niveau local ou gional, de sorte que l’interdiction
générale de publicité en faveur des produits du tabac prévue à cette disposition ne répondrait que
très marginalement à la prétendue nécessité d’éliminer des entraves aux échanges.
19 Quant aux produits dits «de presse», ceux-ci ne feraient que rarement l’objet d’un commerce
entre États membres pour des raisons non seulement linguistiques ou culturelles, mais aussi de
politique éditoriale. Il n’existerait aucune entrave effective à leur circulation intracommunautaire,
même si certains États membres interdisent la publicité en faveur du tabac par voie de presse,
dans la mesure la presse étrangère ne se verrait pas imposer une telle interdiction dans ces
mêmes États.
20 Il en irait de même, selon la requérante, de l’expression «autres médias imprimés», figurant à ce
même article 3, paragraphe 1, de la directive, qui couvrirait un large éventail de publications telles
que les bulletins d’associations locales, les programmes de manifestations culturelles, les affiches,
les annuaires téléphoniques et les divers tracts et prospectus publicitaires. Ces publications
s’adresseraient exclusivement à la population locale et ne revêtiraient aucun caractère
transfrontalier
21 L’article 3, paragraphe 1, de la directive ne répondrait pas davantage à l’objectif consistant à
supprimer les distorsions sensibles de concurrence. En effet, il n’existerait pas de relation de
concurrence entre les publications locales d’un État membre et celles existant dans d’autres États
membres ni entre les journaux, les revues et les magazines à diffusion plus large et les journaux,
les revues et les magazines étrangers comparables.
22 S’agissant des services de la société de l’information, l’article 3, paragraphe 2, de la directive ne
contribuerait ni à éliminer des entraves à la libre circulation des marchandises ou à la libre
prestation des services, ni à supprimer des distorsions de concurrence. Pour la requérante, la
consultation sur Internet de médias imprimés en provenance d’autres États membres serait
marginale et, en tout état de cause, ne se heurterait à aucun obstacle technique du fait de la
liberté d’accès à ces services à l’échelle mondiale.
23 De même, selon la requérante, le choix de l’article 95 CE comme base juridique de la directive
serait erroné en ce qui concerne l’interdiction, prévue à l’article 4 de cette directive, de la publici
radiodiffusée et du parrainage d’émissions radiodiffusées dans la mesure où la très grande majorité
des émissions radiodiffusées s’adresseraient à un public local ou régional et ne pourraient pas être
captées en dehors d’une gion déterminée en raison de la faible portée des émetteurs. En outre,
la publicité radiodiffusée en faveur des produits du tabac étant interdite dans la plupart des États
membres, une telle interdiction prévue à l’article 4, paragraphe 1, de la directive ne se justifierait
pas. Il en irait de même de l’interdiction du parrainage d’émissions radiodiffusées figurant à l’article
4, paragraphe 2, de la directive.
24 Enfin, l’article 95 CE ne saurait constituer une base juridique appropriée en ce qui concerne les
interdictions de la publici en faveur des produits du tabac énoncées aux articles 3 et 4 de la
directive, la véritable finalité de ces interdictions n’étant pas d’améliorer l’établissement et le
fonctionnement du marché intérieur, mais uniquement de protéger la santé publique. La
requérante considère que le recours à l’article 95 CE comme base juridique de la directive serait
également contraire à l’article 152, paragraphe 4, sous c), CE, qui exclut expressément toute
harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres dans le domaine
de la santé publique.
25 Le Parlement, le Conseil et les parties intervenant à leur soutien font valoir que les articles 3 et 4
de la directive ont été valablement adoptés sur le fondement de l’article 95 CE et ne sont pas
contraires à l’article 152, paragraphe 4, sous c), CE.
26 Ils relèvent que l’interdiction de la publicité et du parrainage en faveur des produits du tabac
prévue aux articles 3 et 4 de la directive se limite à interdire la publicité en faveur de ces produits
dans les revues, les magazines et les journaux et ne s’étend pas aux autres publications invoquées
par la requérante telles que les bulletins d’associations, les programmes de manifestations
culturelles, les affiches, les annuaires téléphoniques, les tracts et les prospectus.
27 Ils allèguent, par ailleurs, que le commerce intracommunautaire des produits de la presse est une
réalité incontestable et qu’il existe, ainsi qu’il ressort des premier, deuxième et quatrième
considérants de la directive, des effets transfrontaliers ainsi qu’un risque non négligeable
d’entraves à la libre circulation dans le marché intérieur résultant des disparités entre les
législations nationales des États membres. Ce risque pourrait s’accroître du fait de l’adhésion des
nouveaux États membres et des divergences entre leurs législations.
28 Quant à l’interdiction de la publicité dans la presse et les autres médias imprimés, le Parlement, le
Conseil et les parties intervenant à leur soutien contestent la pertinence de l’analyse statistique à
laquelle la requérante s’est livrée, qui se limite exclusivement au marché allemand et ne peut être
étendue à l’ensemble de la Communauté européenne, alors que le phénomène actuel dit «de
convergence des médias» contribue largement au développement des échanges
intracommunautaires des produits de la presse dans la mesure de nombreux journaux, revues
et magazines seraient désormais accessibles sur Internet et ainsi diffusés dans tous les États
membres.
29 Ils soulignent que la distinction entre presse à diffusion locale ou nationale et presse à diffusion
européenne ou internationale est difficile, voire impossible à établir et qu’interdire la publicité en
faveur des produits du tabac dans les publications bénéficiant d’une diffusion transfrontalière en
excluant celles qui seraient purement locales ou nationales aboutirait à rendre les limites d’une
telle interdiction particulièrement incertaines et aléatoires. Cette distinction serait, d’ailleurs,
contraire à l’objectif poursuivi par la directive visant à rapprocher les dispositions législatives,
réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité en faveur des
produits du tabac.
30 En ce qui concerne les services de la société de l’information et l’interdiction de la publicité en
faveur des produits du tabac dans lesdits services établie par l’article 3, paragraphe 2, de la
directive, le Parlement, le Conseil et les parties intervenant à leur soutien contestent la thèse de la
requérante selon laquelle il n’existe pas d’obstacles aux échanges en ce qui concerne les services
de la société de l’information.
31 Ils font valoir que l’interdiction de la publicité en faveur des produits du tabac dans les services de
la société de l’information est inspirée par le souci d’éviter le contournement de l’interdiction de la
publicité en faveur des produits du tabac dans la presse et les autres médias imprimés par le
recours aux médias proposés sur Internet et les distorsions de concurrence. Du fait de l’actuel
processus de convergence des médias, les médias imprimés et les émissions radiophoniques
seraient d’ores et déjà disponibles sur Internet. Le développement du «e-paper» tendrait,
d’ailleurs, à accentuer ce processus.
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