RECHERCHES EN SANTE MENTALE L’exposé que les organisateurs de cette réunion m’ont demandé de vous donner, à savoir, « Les enjeux d’une recherche compétitive en Santé Mentale » s’appuiera, dans une première partie, sur quelques informations récentes, au niveau international et belge, en matière de Politique de Santé Mentale, pour aboutir, ensuite, à quelques réflexions dans le domaine de la recherche en Santé Mentale. Au début de cette année 2005, s’est tenue à Helsinki, du 12 au 15 janvier, une réunion particulièrement importante, dont les retombées devraient, à moyen terme, conduire à d’importants développements : il s’agit de la réunion de l’ensemble des Ministres de la Santé Publique des cinquante-deux régions d’Europe, sur le sujet de l’état des lieux et des développements indispensables en matière de Politique de Santé Mentale. Une déclaration commune et un plan d’action ont été définis. Ces dernières semaines, la Commission Européenne, à son tour, a pris le relais de cet important dossier, en vue de l’implémentation du plan d’action. Au-delà des aspects symboliques de ces déclarations d’intention, auxquelles les Institutions Internationales, en particulier de la santé, nous ont habitués, il y a donc, aujourd’hui, réellement, une intention « de faire bouger les choses ». Voici énumérés succinctement, les douze points du plan d’action / 1. Promote mental well-being for all 2. Demonstrate the centrality of mental health 3. Tackle stigma and discrimination 4. Promote activities sensitive to vulnerable life stages 5. Prevent mental health problems and suicide 6. Ensure access to good primary care for mental health problems 7. Offer effective care in community-based services for people with severe mental health problems 8. Establish partnerships across sectors 9. Create a sufficient and competent workforce 10. Establish good mental health information 11. Provide fair and adequate funding 12. Evaluate effectiveness and generate new evidence La recherche n’est pas absente puisque le douzième point la concerne explicitement, avec le commentaire suivant : Considerable progress is being made in research, but some strategies and interventions still lack the necessary evidence based meaning that further investment is required. Furthermore, investment in dissemination is also required, since the existing evidence concerning effective new interventions and national and international examples of good practice are not known to many policy-makers, managers, practitioners and researchers. The European research community needs to collaborate to lay the foundations for evidence-based mental health activities. Major research priorities include mental health policy analyses, assessment of the impact of generic policies on mental health, evaluations of mental health promotion programmes, a stronger evidence base for prevention activities and new service models and mental health economics. Parmi les multiples actions que les pays s’engagent à soutenir, on peut citer, par exemple : 1 Support national research strategy at a coordinated and national level 5 Bridge the knowledge gab between research and practice 6 Insure that research program include long-term evaluation 8 Invest in training in mental health research 1 En Santé Mentale, comme dans les autres disciplines médicales, il est bien évidemment indispensable, en amont de la programmation des soins et de la recherché, de disposer d’un minimum de données relatives à l’importance des problèmes de santé mentale existants, de la nature de l’offre de soins qui tente d’y répondre et de la nature et de l’importance des recherches qui sont développées dans une région donnée. En ce qui concerne l’importance des problèmes en termes d’épidémiologie et de dispositif de soins disponibles en santé mentale, on commence à avoir un descriptif relativement fiable : au départ d’informations fournies par les différents pays européens, l’OMS a publié récemment la version 2005 de son Atlas de la Santé Mentale (une première édition avait eu lieu en 2001). L’ Atlas 2005, intitulé « The Mental Health Atlas 2005 - World Health – Genève » est beaucoup plus complet que le précédent. D’une façon générale, les données qui ont été recueillies dans la plupart des pays européens, apportent quelques bonnes nouvelles : intérêt et préoccupation grandissants de la part des politiques et des organisations locales pour la santé mentale, pour une meilleure organisation de celle-ci, eu égard aux besoins des populations et, surtout, pour la dissémination d’informations dans le domaine thérapeutique, orientations thérapeutiques basées sur des données scientifiquement validées. De moins bonnes nouvelles indiquent que, dans la plupart des régions, y compris dans les pays occidentaux, d’importants développements restent à faire car, l’offre de soins reste très éloignée des besoins de la population et, particulièrement, de celle souffrant de pathologies mentales. Au chapitre des bonnes nouvelles, on peut aussi relever que l’inventaire des Recherches en Santé Mentale reste excessivement difficile à établir et on ne peut se baser que sur quelques estimations parcellaires, comme on le verra plus loin. L’importance des problèmes de Santé Mentale en Europe et leur répercussion sur le bien-être général des populations, a été déjà très largement démontrée, par l’enquête européenne ESEMED. Tout récemment, l’ECNP Task Force on “Size and Burden of Mental Disorders in Europe” a, de façon complémentaire, confirmé largement ces informations. Dans les conclusions de cet important travail piloté par le Professeur Wittchen, en Allemagne, on trouve que “during any given year, 82 million people, i.e. 27 % of the EU population, experience at least one mental disorder such as depression, bipolar disorder, schziophrenia, alcohol, drug dependence, social phobia, panic disorders, generalized anxiety, obsessive-compulsive and somatoform disorders or dementia (voir tableau n° 2 : 12-Month prevalence (%) and estimated number of people)”. Some people are affected only for a few months, some episodically, other chronically from adolescence through all their life. Although many mental disorders such as anxiety, somatoform and substance dependence typically start in the first two decades of life, others show remarkably different age periods of risks. The risk to suffer depressive episodes, for example, is almost equally high in all age groups examined, whereas dementia typically, of course, does not occur before the age of 60”. Par contre, show “increasing rates answer. Except for depression and variations in drug use patterns, the Task Force finds little indirect evidence that the prevalence of mental disorders overall has been increasing in the past decade”. Some special aspects and findings are highlighted. Over 50 % of the mental disorders are co-morbid. Most frequent are co-morbidity patterns like anxiety and depression, anxiety and substance abuse or somatoform and depressive disorders. These co-morbid patterns bear important implications for treatment disability and etiology”. All the findings are that the “majority of mental disorders go unrecognized and untreated. With little variation of country, only 26 % of all mental disorders receive any or even fewer adequate treatment. Except for psychosis and the more severe depressions and those with complex co-morbid patterns, many years and sometimes even decades go by before a first treatment is eventually initiated. These alarmingly low treatment rates of mental disorders unseen for any other area of medicine are unlikely to be explained entirely by effects of stigma still sometimes attached 2 to mental disorders. Concerning burden and costs there is gain to conclusion that all mental disorders by their diagnostic definition are impairing and disabling, and the source of subjective suffering and disruption. A specific problem is emerging : the bulk of the total health economic costs of mental disorders is not in direct health care costs but in indirect costs. Every year, in Europe, mental disorders cost almost 300 billion Euro in total costs, but the majority of this cost 132 billion Euro is related to indirect costs : sick leave days, early retirement, premature mortality and reduced work productivity due to mental health problems. Let say also that drug treatment cost – as the most frequent type of treatment applied, only accounts for 4 % of the total costs of mental disorders. On peut aussi tenter, dans un pays particulier, d’estimer l’importance des investissements financiers consentis dans ce pays, pour un problème particulier – comme la Santé – comparativement au coût que représente ce problème pour la société, en terme de DALYS. On peut ainsi s’intéresser à l’investissement financier global, d’une part, et, d’autre part, aux contributions des divers secteurs de la société, à ces investissements. Si l’on recherche, comme je l’ai fait, au niveau de l’Observatoire Européen des Statistiques qui s’appelle l’EUROSTAT, on y apprend que les dépenses publiques, pour l’année 2002, par exemple, de la Santé, représentent, en Belgique, 6,9.1 % ISY A PRECISER SPV du PIB. Tout récemment, comme je vous l’ai déjà mentionné, la Commission Européenne, au niveau de sa Direction Générale « Santé et Protection du Consommateur » s’est intéressée à la façon dont on pourrait implémenter le Plan d’Action de l’OMS. Ce document est intitulé « Improving the Mental Health of the Population : Towards a Strategy on Mental Health for the European Union ». Dans ce document, on trouve l’importance de l’investissement financier de chaque pays, en faveur de la Santé Mentale, dans le cadre global de la Santé Publique. En Belgique, cette partie réservée à la Santé Mentale, représente 6 % de l’ensemble des dépenses en matière de santé. A titre de comparaison, d’autres pays, comme le Luxembourg, l’Angleterre, la Suède, l’Allemagne, la Hollande, le Danemark, et même la Lituanie, consacrent nettement plus, pratiquement le double, puisqu’on arrive à des taux de 12%. Enfin, un dernier chiffre est intéressant à connaître : l’importance du poids à supporter par la société, eu égard aux maladies et, en particulier, les maladies mentales. Un travail très minutieux a été fait tout récemment, par le MENTAL HEALTH ECONOMICS EUROPEAN NETWORK 1, intitulé « FINANCING ARRANGEMENTS FOR MENTAL HEALTH CARE IN WESTERN EUROPE ». Les experts sont relativement d’accord sur le fait que le poids du aux maladies mentales représente, dans les pays d’Europe Occidentale, près de 20 % du poids global à supporter du fait de l’ensemble des problèmes de santé. Rappelons que seuls 6 % de l’argent public pour la santé, sont réservés à la santé mentale, en Belgique… Si l’on veut se faire une idée des investissements en Recherche en Santé Mentale, l’exercice devient beaucoup plus difficile car, comme je l’ai déjà signalé, on ne dispose pas en Belgique, ni d’ailleurs dans les pays voisins, de relevé exhaustif de ces travaux. On peut tenter de se faire une idée, approximative sans doute, mais indicative, en se basant sur un travail qui vient d’être réalisé par nous-mêmes, en collaboration avec le Prof. De Ruyver de l’université de Gand et le Prof. Casselmann de la KUL, dans le domaine des drogues. Ce travail, financé par le Service Public de la Recherche Scientifique, est intitulé « La Drogue en chiffres, en Belgique ». Il a nécessité deux années d’inventaire minutieux, en collectant l’ensemble des fonds alloués aux problèmes de drogues, en Belgique, au niveau des dépenses publiques. Ces données ont ensuite été validées par l’Observatoire Européen des Drogues à Lisbonne, dans un rapport général intitulé « Public expenditure on drugs in the European Union 2000-2004 »1. 1 EMCDDA – Strategies and Impact Programme, July 2004 3 Les conclusions générales indiquent que, parmi le financement public global, dans le domaine des drogues, 54 % sont attribués aux mesures judiciaires de contrôle et de circulation de la drogue ; 38 % au traitement et à l’assistance aux personnes usagers de drogues ; 4 % à la prévention ; 3 % à la réglementation et 1 % à la recherche. Si l’on prend en considération que le domaine des drogues est une domaine quelque peu particulier, où les aspects sécuritaires de répression sont relativement importants, on peut sans doute, pour le domaine plus général de la santé mentale, doubler ce pourcentage et donc, avoir une estimation que, au niveau public en tout cas, 2 % du budget global alloué à la santé mentale, sont réservés à la recherche. Ce chiffre de 2 % du budget global alloué à la santé mentale est, semble-t-il, un indicateur relativement fréquemment retrouvé dans d’autres domaines de la santé. Il est considéré comme faible, compte tenu que la partie, rappelons-le, de la santé dédicacée à la santé mentale (6 % du total). Enfin, pour en terminer avec les chiffres, une dernière information qui peut être intéressante et que l’on retrouve également dans les statistiques d’EUROSTAT, concerne la répartition, et donc l’investissement, dans la recherche et développement, en termes de contribution des divers secteurs. A côté du secteur public, on trouve le secteur universitaire et le secteur de l’entreprise. On constate que la plus grosse part d’investissements est fournie par le secteur de l’entreprise, avec 71 % de l’ensemble ; le secteur public ne représente que 7 % et le secteur universitaire, 22 %. Ces chiffres concernent, bien évidemment, non pas la santé mentale, mais l’ensemble des travaux effectués dans le secteur « Recherche et Développement » en Belgique. « The Decade of the Brain », l’événement né aux Etats Unis, à l’initiative du Président Georges Bush (le père de l’actuel), dans l’esprit de promotionner des travaux et des recherches dans le domaine de la Santé Mentale. Cet événement s’est étendu par la suite aux autres continents et à l’Europe, en particulier. A la fin de cette période qu’i s’est étendue de 1990 à 2000, un certain nombre de commentaires ont été faits. Ainsi, dans une évaluation réalisée par la Society for Neuroscience et intitulée « The Best Brain of the Decade », on trouve les commentaires suivants : TABLEAU DU JOURNAL PUBLISHING HIGH IMPACT RESEARCH IN NEUROSCIENCE 89/98 From the result of collection of 2.000 (two thousand) highly sciented neuroscience papers, ISI identified the institutions, researches and journals that accounted for the greatest number of high impact reports. Institutions appearing above ranked both by total citation to high impact papers and by citation per paper. Researchers who published these twelve highly sciented papers during the ten years period are ranked on the table to the right. It is interesting to see in this ranking that journal most specifically related to psychiatry are the first one in the rank 9, in the rank 12, in the rank 14, 15 and 17. A la suite de ces développements particulièrement importants dans le domaine des neurosciences, proches des préoccupations en Santé Mentale, de nombreux commentateurs ont, toutefois, pointé le fait que la connaissance du phénomène de la conscience, n’avait pas, malgré cela, fort avancé. Ainsi, on trouve « Left largely untouched was one of science's grand challenges, ranking in magnitude with cosmologists' dream of finding a way to snap together all the fundamental physical forces: we are still nowhere near an understanding of the nature of consciousness. Getting there might require another century, and some neuroscientists and philosophers believe that comprehension of what makes you you may always remain unknowable. Pictures abound showing yellow and orange splotches against a background of 4 gray matter--a snapshot of where the lightbulb goes on when you move a finger, feel sad, or add two and two. These pictures reveal which areas receive increased oxygen-rich blood flow. But despite pretensions to latter-day phrenology, they remain an abstraction, an imperfect bridge from brain to mind. Neuroscience, the attempt to deduce how the brain works, has succeeded in unraveling critical chemical and electrical pathways involved in memory, movement and emotion. But reducing the perceptions of a John Coltrane solo or the palette of a Hawaiian sunset to a series of interactions among axons, neurotransmitters and dendrites still fails to capture what makes an event special. Maybe that's why neuroscience fascinates less than it should. Maybe that's also why the Decade of the Brain passed with little notice. It's just too early to tackle this really big question. Without doubt, we are on the good way. The most important realization to emerge during the Brain Decade is that the brain being feted is more changeable than we ever thought. Even in maturity, some areas of the brain can renew themselves--a fact astonishingly contrary to a century of neurologists' dogma. That certain areas of the adult brain can generate new cells holds important ramifications for drug development and clinical practice. Careful reactivation of the molecules that foster such neurogenesis might counter the death of neurons that occurs in Alzheimer's and Parkinson's disease. Effectively, neural plasticity is reality at any age. Ceci confirme clairement, si besoin était, qu’en ce qui concerne les troubles mentaux, à côté de la correction des troubles neurobiologiques par des agents pharmacologiques, une place importante est à accorder, dans le même temps, à la rééducation de fonctions mentales inhibées dans les troubles psychiques. Des interventions psychothérapeutiques additionnelles prennent ainsi toute leur importance. La difficulté reste de poser correctement les indications de psychothérapie et de faire le bon choix parmi les multiples interventions psychothérapeutiques existantes. La « Brain Decade » a également suscité de nombreux symposia virtuels où ,d’éminents chercheurs travaillant sur des aspects pointus du fonctionnement mental, ont discuté. J’ai épinglé un de ceux-ci, concernant les avancées en « Neurobiologie des Emotions », organisé par « The Brasilian Society of Neuroscience and Behavior ». Four basic questions were debated: 1) What are the most critical issues/questions in the neurobiology of emotion? 2) What do we know for certain about brain processes involved in emotion and what is controversial? 3) What kinds of research are needed to resolve these controversial issues? 4) What is the relationship between learning, memory and emotion? The focus was on the existence of different neural systems for different emotions and the nature of the neural coding for the emotional states. Is emotion the result of the interaction of different brain regions such as the amygdala, the nucleus accumbens, or the periaqueductal gray matter or is it an emergent property of the whole brain neural network? The relationship between unlearned and learned emotions was also discussed. Are the circuits of the former the underpinnings of the latter? It was pointed out that much of what we know about emotions refers to aversively motivated behaviors, like fear and anxiety. Appetitive emotions should attract much interest in the future. The learning and memory relationship with emotions was also discussed in terms of conditioned and unconditioned stimuli, innate and learned fear, contextual cues inducing emotional states, implicit memory and the property of using this term for animal memories. In a general way, and as a conclusion of all these eminent 5 experts, it could be said that learning modifies the neural circuits through which emotional responses are expressed. Ici également, on retrouve l’importance qu’il faut accorder, dans les traitements, à l’apprentissage ou au réapprentissage d’expressions émotionnelles, bloquées et perturbées fréquemment à l’occasion de pathologies mentales. Un autre point qu’il est important de souligner, est le peu de dissémination, dans les milieux cliniques – et même parfois, dans les milieux académiques – de résultats de recherches en Santé Mentale parfaitement établis, et ce depuis souvent de nombreuses années, ce qui crée, évidemment, un retard parfois important dans l’application de nouvelles stratégies thérapeutiques, correctement formulées. Comme on l’a vu, à de multiples reprises, il est recommandé de tenir compte, en santé mentale, aujourd’hui aussi bien que hier, dans les traitements proposés, des résultats de recherches basées sur les évidences : recherches existantes mais mal diffusées, rechercheaction à entreprendre, etc. En Belgique, le recours à l’evidence-based medicine, dans le domaine de la psychiatrie, est en voie de développement. Comme déjà mentionné, l’inventaire exhaustif des recherches dans ce domaine n’est pas réalisé actuellement de façon optimale. Dans ces conditions, nous avons installé au Conseil Supérieur d’Hygiène du Ministère de la Santé Publique, un groupe de travail permanent, intitulé : « Recherches et Développements en Santé Mentale : inventaire, analyse critique et recommandations ». Une des premières séances consacrées à l’application de l’evidence-based medicine en Santé Mentale, a été introduite par notre collègue, le Dr Guido Pieters, de la Clinique Universitaire Saint-Joseph à Kortenberg. Quelques aspects ont été soulignés : Définition empruntée à Sackett (2000) : the conscientious explicite and judicious use of the current based-evidence in making decisions about the care of individual patients. Contrairement à ce que l’on considère habituellement, une décision clinique basée sur l’évidence, tient compte, d’une part, des données de recherche, mais aussi de l’expérience clinique, et aussi des choix du patient (on pourrait aussi ajouter « des choix du thérapeute, dans un certain nombre de cas »). La pratique d’utilisation de l’evidence-based peut être formulée de la façon suivante : à l’occasion d’un problème clinique, on formule une question qui demande réponse ; on recherche les évidences, à la fois dans des travaux scientifiques, et à la fois dans l’expérience clinique ; on soumet ces évidences à un jugement critique ; enfin, on adapte chaque fois que nécessaire, les évidences ainsi recueillies au patient considéré en particulier ; et aussi, aux valeurs auxquelles il accorde de l’importance. Sont aussi prises en considération, à la suite de Fullford, « l’evidence-based practice », mais aussi la « practice-based evidence » et la « value-based medicine ». Toutefois, en Santé Mentale, plus qu’en médecine somatique, l’evidence-based medicine, se heurte souvent à des difficultés et à de grandes résistances : Il est parfois difficile de procéder à des essais contrôlés, du fait que les patients vivent dans des environnements souvent très différents, et on sait combien l’impact des facteurs d’environnement joue un rôle fondamental dans mes réactions individuelles de chaque patient. D’autres résistances trouvent leur origine dans le fait qu’un certain nombre de praticiens de la Santé Mentale ont, souvent, une formation théorique et pratique limitée à un modèle psychopathologique et ont, de ce fait, difficile à prendre en considération les évidences scientifiques issues d’autres modèles psychopathologiques. 6 Enfin, bon nombre de critiques sont émises du fait que l’on considère – erronément – que l’evidence-based medicine prend en compte uniquement des aspects quantitatifs et statistiques et non des aspects qualitatifs et subjectifs. Ceci n’est pas exact. De fait, ces considérations, pour pertinentes qu’elles soient dans certains cas, n’enlèvent rien à l’utilité d’une démarche basée sur les évidences en Santé Mentale comme en Médecine Somatique. Enfin, comme la plupart des recommandations actuelles l’indique, un aspect assez spécifique à la Santé Mentale, réside dans le fait que si les problématiques de Santé Mentale se situent bien évidemment au niveau des compétences de la Santé Publique, bon nombre des besoins des patients, conséquents à la maladie mentale, se situent en-dehors des compétences de la Santé Publique. Ceci concerne l’emploi, le logement et diverses assistances dont le malade mental a besoin et auxquelles il a difficilement accès, vu la stigmatisation de la maladie mentale. Certains pays ont sorti la Santé Mentale du domaine des compétences de la Santé Publique et l’ont attribuée au Ministère des Affaires Sociales. Personnellement, je ne pense pas que cette façon radicale soit un exemple à suivre. La Santé Mentale ressort, à la fois de la Santé Publique et d’autres compétences connexes. Enfin, et pour terminer, je voudrais rappeler, à titre exemplatif et très schématiquement, les diverses étapes qu’il a fallu parcourir pour voir évoluer, plus adéquatement, la prise en charge de patients atteints de schizophrénie. Bien évidemment, de multiples travaux de recherche ont été nécessaires. Il a aussi fallu prendre en compte et améliorer les conditions de vie du patient, soutenir son entourage, faire évoluer la représentation sociale de cette terrible maladie, insuffler souvent de nouveaux concepts aux équipes soignantes ; enfin, influencer les décideurs politiques pour accorder une plus grande attention à cette maladie et aux malades. Ce schéma, je l’ai adapté d’une communication personnelle, faite par le Professeur Damien Lecompte, un de nos meilleurs spécialistes dans le domaine. En ce qui concerne les recherches fondamentales, on a évolué, depuis 1930 à nos jours, de divers traitements de choc vers la découverte des récepteurs dopaminergiques et la mise au point d’antipsychotiques conventionnels. Dans un deuxième temps, comme vous savez, on s’est intéressé à un élargissement des sites de divers récepteurs, en particulier, des agonistes partiels D2 et vers la mise au point de neuroleptiques dits « atypiques ». Aujourd’hui, les nouvelles voies de recherche s’orientent vers l’identification de signaux de transduction spécifiques, en complément de l’identification de récepteurs.. Au niveau pré-clinique et clinique, la préoccupation initiale était d’éliminer les symptômes positifs, hallucinations et délires, gênants socialement. Plus récemment, l’action sur les symptômes négatifs a été privilégiée, en même temps que s’ouvrait une voie d’intérêt particulier, relative aux performances cognitives des patients et, bien évidemment, à la réduction des effets secondaires, en particulier, de type extrapyramidal. En ce qui concerne l’objectivation de l’efficacité des traitements et, ultérieurement de leur efficience, on connaît la multitude de protocoles d’études cliniques qui ont été nécessaires, dans des conditions contrôlées, mais aussi, dans des conditions de vie réelle. L’évaluation de l’efficience a nécessité des études concernant la compliance, la tolérance, la sécurité d’usage des traitements et l’amélioration de la qualité de vie. Le caractère chronique de la maladie a, par ailleurs, nécessité de nouvelles stratégies concernant l’accès au traitement, la continuité des soins et, bien évidemment, l’accessibilité financière des traitements. On a pu distinguer, au cours de l’évolution des patients, ceux qui sont stabilisés, et chez qui les symptômes positifs, même présents, n’ont plus d’impact sur leur fonctionnement habituel et les patients en rémission, chez qui on ne peut plus distinguer 7 que quelques symptômes positifs ou autres. Enfin, certaines études évoquent la guérison lorsqu’il n’y a plus aucune manifestation de symptômes positifs et que quelques autres symptômes n’existent qu’à un niveau très faible et ce, pendant un minimum d’un an. Il est peut-être surprenant de découvrir, à travers des méta-analyses, que des améliorations fonctionnelles, de l’ensemble des conditions d’existence de patients schizophrènes peuvent se faire. Certaines études citent des chiffres de 40 % de patients stabilisés, lorsque on suit des cohortes de tels malades, pendant un minimum de 15 ans. On voit ainsi, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, que dans le domaine de la Santé Mentale, beaucoup plus que dans le domaine de la Médecine Somatique, bien évidemment des recherches fondamentales et cliniques sont des conditions indispensables, mais elles doivent être accompagnées, par ailleurs, de toute une série de mesures favorables au niveau de l’entourage direct du patient, de la société et des décideurs politiques, pour que, finalement, les choses évoluent dans le bon sens. Pouvoir faire, de façon régulière et systématique, des recherches de qualité, pouvoir discuter entre spécialistes de sujets controversés, diffuser les résultats obtenus auprès d’acteurs de la santé et d’autres secteurs moins spécialisés, susciter un climat de meilleure tolérance et d’acceptation des personnes présentant des troubles psychiatriques, rendre plus facile l’accès à la prise en charge de ces malades, sont tous des éléments qui, pour évidents qu’ils soient, n’en nécessitent pas moins des investissements et une énergie de mobilisation constante pour faire avancer les choses. L’octroi de bourses de recherche permettant à de jeunes chercheurs de visiter d’autres horizons que ceux auxquels ils sont habitués, est un bon exemple de ceci. Je vous remercie de votre attention. 8