L`apport de la tradition juive à la réflexion bioéthique

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Mémoire de fin d’étude
S.N.E.J. 2002-2004
L’apport de la tradition juive à la réflexion bioéthique :
dimension méta-éthique, éthique et morale
du clonage thérapeutique et reproductif
Eve GANI
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Je remercie les professeurs du S.N.E.J. Sébastien Allali, Claude Birman, Philippe Boukara,
Muriel Toledano et Claude Sultan pour leurs enseignements, et Eva Labi, directrice du service
éducatif de l’Alliance pour l’encadrement de ces deux années d’études.
Ce mémoire est dédié à Léa, à Mikael et à Boris,
A tous ceux qui feront avancer la science et l’humanisme juif,
Celui de « l’assimilation assimilable ».
« Confiante en l’infini du temps, une certaine conception de l’histoire
discerne seulement le rythme plus ou moins rapide selon lequel les hommes et
époques avancent sur la voie du progrès. D’où le caractère incohérent,
imprécis, sans rigueur, de l’exigence adressée au présent. Ici au contraire,
comme l’ont toujours fait les penseurs en présentant des images utopiques,
nous allons considérer l’histoire à la lumière d’une situation déterminée qui la
résume comme en un point focal ».
Walter Benjamin, « La vie des étudiants », 1915.
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L’apport de la tradition juive à la réflexion bioéthique :
dimension méta-éthique, éthique et morale du clonage thérapeutique et reproductif
Mémoire de fin d’étude
S.N.E.J. 2002-2004
Introduction…………………………………………………………………………p.4
I. La constitution de la réflexion bioéthique………………………………………………..p.7
1. Les conditions d’émergence de la bioéthique………………………………………...p.7
a. Les avancées thérapeutiques et biologiques, des progrès au service de la vie
et de la qualité de vie
b. Leurs limites : crises et crimes de l’expérimentation médicale
c. Un besoin social : l’éthique face au « polythéisme des valeurs »
2. La place de la tradition juive dans la bioéthique……………………………………….p.13
a. Qu’est-ce que la « bioéthique » ?
b. De la tradition éthique à l’éthique dans la tradition
c. Dans quelle mesure peut-on parler d’ « apport » de la « tradition » juive ?
II. De la tradition juive dans le discours bioéthique: l’exemple du clonage humain…..p.22
1. Un « objet » de réflexion bioéthique : le clonage humain………………………………..p.22
a. Techniques de clonage thérapeutique et reproductif
b. Problèmes induits par la potentielle utilisation des techniques
c. Des usages légitimes des techniques ?
2. Babel : la bioéthique est politique…………………………………………………………..p.29
a. L’exemple des témoignages rabbiniques dans le discours du
National Biothics Advisory Council : dimensions méta-éthique, éthique et morale
b. Les engendrements (Toldot) comme histoire
c. Nimrod
Conclusion………………………………………………………………………….p.37
Bibliographie……………………………………………………………………….p.38
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Introduction
En 1978, David Rorvik publie un récit appelé « A son image » faisant état de la création du
premier clone humain. Quelques théologiens, notamment les protestants Paul Ramsey et David
MacComick s’étaient déjà engagés dès les années 70 dans un débat sur l’utilisation des techniques
de manipulation génétique et le clonage. On peut donc dire que le clonage reproductif est apparu
comme objet de discussion en dehors du champ scientifique bien avant la naissance de la brebis
Dolly : par contre, la naissance de cette brebis le 24 février 1997 est identifiée avec l’information par le
journalisme généraliste de l’opinion publique internationale sur la possibilité d’utiliser des techniques
de clonage pour reproduire l’homme. Peur collective, publication d’articles, réunion pour proposition
d’avis sur la question du clonage reproductif des comités d’éthiques nationaux: tels furent quelques
effets de l’annonce de la naissance de la brebis Dolly, symbole à elle seule, nous dirent quelques
théologiens catholiques, du péché d’orgueil de la communauté scientifique internationale, de son
hybris à vouloir se faire créateur.
Quelques années plus tard, du 27 décembre 2002, Brigitte Boisselier, porte-paroles des
Raéliens
1
et directrice de Clonaid, « la première compagnie de clonage humain », annonce la
naissance d’Eve, bébé clonée de sa mère, qui serait suivie de quatre autres dont celles du clone d’un
japonais de deux ans mort dans un accident. Mais Eve ne nous apparaîtra jamais à l’écran, et nous
resterons donc avec la seule image d’une fausse prophète en la biologiste quadragénaire.
Aujourd’hui, on estime la probabilité d’une naissance humaine après clonage reproductif très faible.
« Et si naissance il y avait eu, la probabilité serait très grande que l’enfant soit malade
2
», nous
indique Jean-Claude Ameisen, président du comité d’éthique de l’Inserm. En effet, le clonage
reproductif à partir de noyaux de cellules adultes conduit à des résultats insatisfaisant sur le plan
sanitaire : les chercheurs de l’INRA ont par exemple rapporté le cas d’un veau grâce au clonage
qui a perdu ses globules rouges après six semaines de développement normal, et est mort d’anémie
au bout de dix jours. Si la technique du clonage reproductif à partir de cellule adulte était employée
pour l’homme, il y aurait de forte chance pour que celle-ci nuise à l’enfant : l’utilisation du clonage
serait donc une expérimentation criminelle.
Mais invoquer l’état de nos connaissances biologiques pour interdire le clonage humain n’est
pas suffisant, puisque d’autres techniques de clonage, comme le clonage par transfert du noyau de
cellules embryonnaires dans un ovocyte non fécondé se révèle être chez les animaux un succès.
Quand on parle du clonage, on fait en effet référence à différentes techniques pouvant avoir deux
visées différentes : celle de reproduire l’homme ou celle de le soigner. Le clonage reproductif et le
« clonage thérapeutique » doivent-ils être interdits ? Telle est l’une des questions qui fait l’objet de
délibération émanant d’un nouveau champ de recherche : la bioéthique.
La bioéthique, apparue aux Etats-Unis, semble déduire de principes concurrents des
résolutions de dilemmes éthiques et cette démarche suscite l’ironie de philosophes américains :
« Dans tout le pays » constatent par exemple deux d’entre eux, « des foules de convertis à la
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La secte fondée par Claude Vorilhon, alias Raël
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conscience bioéthique font entendre leur mantra « bienfaisance… autonomie… justice…. ». Il est vrai
que la vocation que se donne la bioéthique, à savoir proposer une éthique du vivant universelle
fondée sur des principes, peut sembler bien prétentieuse à ceux qui ont déjà été confronté à des
« étrangers moraux », ces personnes qui légitiment leurs actions par des maximes qui nous
apparaissent bien particulières. Mais avant de critiquer l’entreprise bioéthique, encore faudrait-il
comprendre les motifs de son apparition comme discours, et nous avons tenté d’exposer dans la
première partie de ce travail les « causes » d’émergence de la bioéthique. Si nous avons fait
apparaître, dans l’intitulé de notre mémoire, le clonage reproductif et thérapeutique sous l’aspect d’un
objet traité par la bioéthique, c’est que nous estimons que les dilemmes moraux induits par la
potentielle utilisation des techniques ne pourraient se penser en dehors d’une formation discursive.
L’intitulé de notre mémoire : « L’apport de la tradition juive à la réflexion bioéthique :
Dimension méta-éthique, éthique et morale du clonage thérapeutique et reproductif » peut sembler
d’un verbiage pompeux, mais j’aimerai ici motiver cette appellation. La bioéthique n’a pas de pouvoir,
elle peut seulement soumettre aux législateurs et aux praticiens cliniques ou dans le domaine de la
recherche biomédicale des propositions normatives, c’est-à-dire des propositions qui tendent à
déterminer des principes moraux qui prétendent à l’universalité. Or la bioéthique fait pour cela appel à
des traditions éthiques particulières, dont l’éthique religieuse, et pour ce qui nous intéresse ici :
l’éthique juive. Mais qu’est-ce que l’éthique juive ? On posera ici que l’éthique est la visée d’une vie
accomplie. Celle-ci est réalisée par une norme, et on appellera donc morale l’articulation à la norme
qui réalise cette visée
3
. Si l’on admet pour une première approximation que la halakha est un code de
normes, comment l’éthique juive, qui excède la halakha, peut-elle justifier sa propre entreprise face au
fait que le caractère englobant de la loi juive ne devrait laisser aucune place pour une éthique « supra
légale » ? Faut-il donc dégager une historicité de la norme ? C’est pour répondre à cette question que
nous avons opposé dans notre titre, une dimension éthique et une dimension morale : l’éthique
excédant la morale mais ayant besoin d’elle pour se réaliser.
Mais dans la mesure l’éthique juive n’est pas seule requise dans la réflexion bioéthique,
elle est un « apport » dans une libération qui nécessiterait l’adoption par l’ensemble des partis de
termes communs : ces termes feraient donc l’objet de définition, et on peut dire que c’est à la méta-
éthique qu’il appartient d’élaborer ces définitions. Un des termes par exemple, qui clame d’être
défini, c’est celui de « dignité ». Un autre est celui d’ « humanité ». Mais ce niveau méta-éthique,
supérieur comme son nom l’indique à l’éthique normative
4
est-il possible ?
Enfin, nous parlons d’apport de la « tradition juive » dans la réflexion bioéthique, mais cette
tradition juive est elle-même plurielle : ne pourrait donc pas craindre un ductionnisme engagé par la
bioéthique qui ferait taire la pluralité des approches au sein de l’éthique juive ? La bioéthique ne
prendrait-elle pas part à une idéologie qui corsète la parole ?
Nous tenterons dans ce mémoire d’aborder l’ensemble de ces questions à travers l’exemple
du débat portant sur le clonage thérapeutique et reproductif, qui, nous l’aurons compris, n’est pas une
2
Le monde, 24 décembre 2003.
3
Opposition proposée par Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Seuil, 1990.
4
c’est-à-dire à l’éthique se réalisant dans des normes.
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