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conscience bioéthique font entendre leur mantra « bienfaisance… autonomie… justice…. ». Il est vrai
que la vocation que se donne la bioéthique, à savoir proposer une éthique du vivant universelle
fondée sur des principes, peut sembler bien prétentieuse à ceux qui ont déjà été confronté à des
« étrangers moraux », ces personnes qui légitiment leurs actions par des maximes qui nous
apparaissent bien particulières. Mais avant de critiquer l’entreprise bioéthique, encore faudrait-il
comprendre les motifs de son apparition comme discours, et nous avons tenté d’exposer dans la
première partie de ce travail les « causes » d’émergence de la bioéthique. Si nous avons fait
apparaître, dans l’intitulé de notre mémoire, le clonage reproductif et thérapeutique sous l’aspect d’un
objet traité par la bioéthique, c’est que nous estimons que les dilemmes moraux induits par la
potentielle utilisation des techniques ne pourraient se penser en dehors d’une formation discursive.
L’intitulé de notre mémoire : « L’apport de la tradition juive à la réflexion bioéthique :
Dimension méta-éthique, éthique et morale du clonage thérapeutique et reproductif » peut sembler
d’un verbiage pompeux, mais j’aimerai ici motiver cette appellation. La bioéthique n’a pas de pouvoir,
elle peut seulement soumettre aux législateurs et aux praticiens cliniques ou dans le domaine de la
recherche biomédicale des propositions normatives, c’est-à-dire des propositions qui tendent à
déterminer des principes moraux qui prétendent à l’universalité. Or la bioéthique fait pour cela appel à
des traditions éthiques particulières, dont l’éthique religieuse, et pour ce qui nous intéresse ici :
l’éthique juive. Mais qu’est-ce que l’éthique juive ? On posera ici que l’éthique est la visée d’une vie
accomplie. Celle-ci est réalisée par une norme, et on appellera donc morale l’articulation à la norme
qui réalise cette visée
. Si l’on admet pour une première approximation que la halakha est un code de
normes, comment l’éthique juive, qui excède la halakha, peut-elle justifier sa propre entreprise face au
fait que le caractère englobant de la loi juive ne devrait laisser aucune place pour une éthique « supra
légale » ? Faut-il donc dégager une historicité de la norme ? C’est pour répondre à cette question que
nous avons opposé dans notre titre, une dimension éthique et une dimension morale : l’éthique
excédant la morale mais ayant besoin d’elle pour se réaliser.
Mais dans la mesure où l’éthique juive n’est pas seule requise dans la réflexion bioéthique,
elle est un « apport » dans une délibération qui nécessiterait l’adoption par l’ensemble des partis de
termes communs : ces termes feraient donc l’objet de définition, et on peut dire que c’est à la méta-
éthique qu’il appartient d’élaborer ces définitions. Un des termes par exemple, qui réclame d’être
défini, c’est celui de « dignité ». Un autre est celui d’ « humanité ». Mais ce niveau méta-éthique,
supérieur comme son nom l’indique à l’éthique normative
est-il possible ?
Enfin, nous parlons d’apport de la « tradition juive » dans la réflexion bioéthique, mais cette
tradition juive est elle-même plurielle : ne pourrait donc pas craindre un réductionnisme engagé par la
bioéthique qui ferait taire la pluralité des approches au sein de l’éthique juive ? La bioéthique ne
prendrait-elle pas part à une idéologie qui corsète la parole ?
Nous tenterons dans ce mémoire d’aborder l’ensemble de ces questions à travers l’exemple
du débat portant sur le clonage thérapeutique et reproductif, qui, nous l’aurons compris, n’est pas une
Le monde, 24 décembre 2003.
Opposition proposée par Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Seuil, 1990.
c’est-à-dire à l’éthique se réalisant dans des normes.