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Jonas ou… la fatigue de s’ouvrir aux autres
(Carême 2012, deuxième semaine)
Le livre de Jonas, immédiatement après avoir mentionné l’appel de Dieu, raconte la réaction du
prophète:
1
Et fut, la parole du Seigneur, à Jonas, fils d’Amittaï:
2
«Lève-toi! Va à Ninive, la ville, la grande,
et crie contre elle, car leur méchanceté est montée jusqu’à moi».
3
Et se leva, Jonas, pour fuir à Tarsis, loin de la face du Seigneur (Jonas 1,1-3).
Le contraste entre l’ordre de Dieu et la décision du prophète et évident. Aux deux impératifs «Lève-toi!
Va à Ninive» la réponse est «Et se leva, Jonas, pour fuir à Tarsis, loin de la face du Seigneur».
Et la suite est connue. Le prophète descend à Jaffa, il paye et s’embarque pour Tarsis, une destination à
l’opposé de Ninive, à l’ouest, tandis que Ninive est à nord-est.
Devant cette désobéissance de Jonas, Dieu fait venir un grand vent sur la mer et le bateau risque de se
briser. Les marins font le possible pour sauver le navire, tandis que le prophète dort. Le capitaine le
réveille. Puis on fait tomber les sorts «et tomba, le sort, sur Jonas» (v. 7). On l’interroge. Il déclare:
9
«Hébreu moi. Et le Seigneur, l’Elohim des cieux moi je crains, celui qui a fait la mer et la terre sèche».
10
Et craignirent, les hommes, d’une crainte grande, et ils lui dirent:
« Quoi? As-tu fait cela? »
Car les hommes connaissaient que loin de la face du Seigneur il fuyait.
En effet il le leur avait raconté.
Jonas déclare d’abord, non sans fierté, son appartenance ethnique: «hébreu moi». Tout de suite après, sa
religion: «Et le Seigneur, l’Elohim des cieux moi je crains, celui qui a fait la mer et la terre sèche».
Jonas est un bon théologien: il sait que son Elohim, donc son Dieu, est le Dieu de l’univers, de toute la
création. Et sa relation avec Dieu, il l’exprime avec le verbe craindre. Mais ce verbe ne signifie pas
nécessairement trembler devant Dieu. Il signifie plutôt se mettre à son service, lui vouer sa vie1.
La compétence théologique de Jonas ne lui sert à rien. Il sait que Dieu est à l’œuvre dans les
événements, et aussi dans ces événements sur mer. Jonas est bien conscient d’être le coupable, mais il ne
fait rien. Bien différent est le comportement des marins: «Et craignirent, les hommes, d’une crainte
grande» (v. 10). Les mots de Jonas font donc naître, chez les marins, l’attitude correcte. Ils vont
craindre, ils vont se mettre à la disposition de Dieu, ils vont mettre en pratique les dispositions que son
prophète leur donnera: «Soulevez-moi et lancez-moi à la mer et sera calme, la mer, contre vous» (v. 12).
Et, après avoir obéi au prophète, «craignirent, les hommes, d’une crainte grande, le Seigneur et ils
sacrifièrent un sacrifice pour le Seigneur et ils vouèrent des vœux» (v. 16).
Le narrateur nous présente les marins comme des personnes qui, venues du paganisme, s’orientent vers
Dieu, vers le Dieu d’Israël, tandis que son prophète refuse, dès le début, d’accomplir ce que Dieu lui
demande. Et cela tout en proclamant «l’Elohim des cieux moi je crains» (v. 9).
Voilà l’incohérence de Jonas, voilà un comportement, pour le dire avec le Coran, blâmable. En effet, le
Coran aussi affirme:
139
Jonas était certes, du nombre des Messagers.
140
Quand il s’enfuit vers le bateau comble,
141
il prit part au tirage au sort qui le désigna pour être jeté [à la mer].
142
Le poisson l’avala alors qu’il était blâmable (Sourate 37,139-142)2.
En présentant le livre de Jonas, Jean-Pierre Prévost3 écrit: «Sous le personnage de Jonas, l’auteur dessine
une caricature d’un certain Israël qui se croyait bénéficiaire exclusif du salut et avait peine à accepter
que Dieu puisse faire preuve de miséricorde vis-à-vis des autres nations, surtout s’il s’agissait de ses
propres ennemis». On pourrait ajouter: sous le personnage de Jonas, le narrateur biblique nous donne
aussi la caricature des personnes qui s’affirment croyantes et qui ont de la peine à s’ouvrir aux autres et
à accepter que Dieu aime aussi ces “autres”.
1
A la bibliothèque on peut lire les remarques de V. MORA, Jonas, Cahiers Evangile 36, p. 11. [La cote du livre est 1.309].
Tu trouveras cette traduction dans Le saint Coran et la traduction en langue française du sens de ses versets, Al-Madinah, 1410 =
1989, p. 451. [Le livre porte la cote 6,291].
3
J.-P. PRÉVOST, Pour lire les prophètes, Cerf, Paris, 1995, p. 185. [A la Bibliothèque du Centre, ce livre porte la cote 1.541].
2
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