Les races humaines existent-elles ?
De Marcus FELDMAN, Richard LEWONTIN et Mary-Claire KING
Article paru dans la revue scientifique La Recherche en Juillet-Août 2004
I – Contexte
A partir du génome d’une personne, on peut connaître la région du globe d’où proviennent ses
ancêtres : sa « race ». Pourtant, les variations génétiques entre ces races sont très faibles, bien
moins que celles au sein d’une même race.
Que peut-on penser de la pertinence de la notion de race ?
C’est le débat de ces dernières années. La notion de race serait moins utile que la
connaissance de la région d’où proviennent les ancêtres d’un malade.
II – Variabilité génétique
Depuis 2000, on connaît 95% du séquençage du génome humain. A partir d’analyses
statistiques des variations du génome entre des individus originaires des différentes régions du
monde, on veut étudier l’histoire de l’évolution humaine.
Depuis 2002, on peut savoir la région d’où provient un individu à partir d’un grand nombre de
marqueurs génétiques.
Pourquoi ces travaux ? Pour faire de la médecine du cas par cas.
En même temps, une controverse se développe : est-ce que la notion de race a un sens et est-
elle biologiquement utile, quand on l’applique à l’homme en médecine ou en pharmacologie ?
Depuis 2001, plusieurs articles parus dans des revues scientifiques s’intéressent à la notion de
race en tant que concept biologique. Les données récentes seraient compatibles avec l’idée
selon laquelle une très forte proportion de la diversité génétique humaine se situe à l’intérieur
des régions géographiques. Or c’est cette observation qui a conduit les biologistes et les
anthropologues à abandonner la notion de races humaines. On pourrait dire qu’il y a
contradiction mais en fait, il s’agit d’une confusion entre deux questions différentes.
La première question est « est-il possible de trouver des séquences d’ADN qui soient
polymorphes et dont les fréquences alléliques soient suffisamment différentes entre les
grandes régions géographiques pour permettre de déterminer, avec une forte probabilité,
l’origine géographique d’une personne ? ».
On peut dire que la réponse est oui, grâce à l’étude des polymorphismes génétiques effectuée
il y a 50 ans. En effet, on sait faire la différence entre des personnes qui sont originaires
d’Afrique et d’Asie par leur couleur de peau, par leur morphologie du visage ou encore par
leur texture de cheveux.
La deuxième question est « quelle fraction de la variabilité génétique humaine trouve-t-on à
l’intérieur des populations géographiquement séparées, et quelle fraction distingue ces
populations ? ».
La réponse, démontrée depuis 30 ans, est que la variabilité génétique se situe surtout à
l’intérieur de chaque groupe et très peu entre les gènes.
Il semble donc avoir un paradoxe entre ces deux réponses. Mais une troisième question
permet de lever le paradoxe « les gènes dont les fréquences alléliques sont hautement
spécifiques de la région géographique sont-ils typiques du génome humaine en général ? ».