Connaître les pièges du suivi

publicité
51ème JAND
28 janvier 2011
Connaître les pièges du suivi
après chirurgie de l’obésité
Christine Poitou
Maître de conférence des Universités, Praticien Hospitalier, Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie ;
Pole d’Endocrinologie-diabétologie-Métabolisme-NutritionPrévention vasculaire de la Pitié-Salpêtrière.
Résumé
Au cours du suivi d’un patient obèse opéré d’une chirurgie gastrique, le médecin doit être
particulièrement vigilant pour plusieurs raisons : la sémiologie des complications est souvent
trompeuse, le médecin considère le patient guéri puisqu’il a perdu du poids et que les complications
sont souvent améliorées ou ont disparu, enfin le patient a souvent tendance à minimiser les troubles
car il se trouve dans une situation positive par rapport à la perte de poids. Plusieurs tableaux
cliniques doivent attirer l’attention et nécessitent une évaluation approfondie. Les douleurs
abdominales doivent être un signe d’alerte de certaines complications chirurgicales nécessitant
une prise en charge rapide comme l’occlusion intestinale, la hernie interne, la cholécystite. La
sémiologie de la douleur doit orienter mais des examens complémentaires comme la Fibroscopie
Oeso-gastro-duodenale (FOGD) sont utiles pour diagnostiquer des ulcères anastomotiques, parfois
responsables de déglobulisation. Des douleurs postprandiales récurrentes doivent faire évoquer
une hernie interne et discuter une coelioscopie exploratrice. Les malaises après chirurgie gastrique
et en particulier bypass gastrique sont fréquents et le plus souvent liés à des hypoglycémies
hyperinsulinémiques postprandiales. Les signes neuroglycopéniques en font toute la gravité. Il faut
impérativement éliminer les causes médicamenteuses, neurologiques ou cardiaques. Devant des
hypoglycémies avérées, il convient d’éliminer les rares insulinomes. La mise en place de mesures
diététiques (fractionnement des repas, faibles index glycémiques) est nécessaire mais pas toujours
suffisante. Il convient alors de discuter les traitements médicamenteux (acarbose, inhibiteurs
calciques, diazoxide, octreotide) dont l’efficacité n’est pas encore clairement établie. Il est également
proposé parfois par certaines équipes une réintervention sur la poche gastrique ou une
pancréatectomie distale. Les carences nutritionnelles sont fréquentes (carence en fer et vitamine
D). Les complications neurologiques sont rares mais potentiellement graves (séquelles irréversibles
comme dans le Gayet Wernicke par exemple), le plus souvent liées aux carences en vitamines du
groupe B. Il faudra être particulièrement vigilant en cas de perte de poids rapide, de complications
chirurgicales ou pathologies intercurrentes, de vomissements, de dénutrition protéique, s’alarmer
devant des signes neurologiques d’apparition récente et traiter sans retard sans attendre la
confirmation biologique de carence vitaminique. La perfusion de glucose après chirurgie doit
impérativement être accompagnée d’une supplémentation parentérale de vitamine B1. Enfin le suivi
de la courbe de poids est important pour ne pas méconnaître des pathologies intercurrentes
(complications chirurgicales, néoplasie) dans le cadre d’une perte de poids inhabituelle.
Introduction
Selon les recommandations américaines, européennes et françaises (http://www.hassante.fr/portail/jcms/c_765529/obesite-prise-en-charge-chirurgicale-chez-l-adulte), le suivi d’un
patient opéré doit être systématique et régulier (cf Chapitre P Ritz Suivi nutritionnel des patients
opérés). Néanmoins, certaines situations cliniques nécessitent une attention et une surveillance
accrue afin de ne pas méconnaître une complication ou une évolution grave. Nous aborderons ici les
pièges du suivi en les illustrant par des cas cliniques : en première partie nous détaillerons les
douleurs abdominales, parfois révélatrices de complications chirurgicales et en seconde partie les
situations médicales requérant une évaluation approfondie.
C. POITOU
3
I. DOULEURS ABDOMINALES
I.1. Cas Clinique
Mme L, 41 ans, présente une obésité massive (poids 119 kg (IMC=40,2 kg/m²)) compliquée d’un syndrome
d’apnées du sommeil modéré et de lombalgies. Un bypass est réalisé. Les suites opératoires initiales sont
simples, 18 mois après l’intervention au poids de 77 kg (-42 kg), elle présente des douleurs abdominales
diffuses essentiellement postprandiales évoluant depuis deux semaines, qui cèdent au bout d’une demi
heure environ. A l’examen clinique le ventre est souple avec une sensibilité à la palpation de l’épigastre et
de l’hypochondre gauche.
Le tableau clinique est donc celui de douleurs postprandiales à répétition à distance de l’intervention
(favorisée par une perte de poids conséquente). Les examens à réaliser sont un Transit Oeso-gastroduoenal (TOGD) et/ou scanner avec opacification du grêle. Ils peuvent visualiser une hernie des anses
grêles dans les brèches, notamment mésocolique, réalisées pendant l’intervention. Ici le TOGD montre
des anses dans la brèche mésocolique (flèche blanche).
Les pièges de cette situation sont :
- de méconnaître une douleur fluctuante, avec une sémiologie peu parlante, qui cède spontanément,
que le patient ne rapporte pas obligatoirement si on ne lui pose pas la question et qu’il minimise.
- même en cas de normalité des examens morphologiques, il est indispensable de réaliser une
coelioscopie exploratrice qui permet d’une part de confirmer le diagnostic (exploration de tous les
sièges possibles de hernie interne) et de traiter en suturant les brèches.
C. POITOU
4
I.2. Orientation diagnostique et conduite à tenir
Devant toute douleur abdominale après chirurgie, l’interrogatoire s’attache à décrire les
caractéristiques des douleurs : délai par rapport à l’intervention, facteurs déclenchants (aliments),
siège (épigatrique, périombilicale, hypochondre droit), type de douleurs et durée, signes
d’accompagnement (arrêt matières et gaz, vomissements, troubles vasomoteurs, troubles du transit).
Il faut toujours avoir à l’esprit qu’un patient opéré obèse est un malade extrêmement fragile. De
plus, le montage chirurgical lui-même entraîne des complications potentiellement graves avec un
risque vital non négligeable (hernie interne, occlusion, nécrose du grêle). Au moindre doute il faut
demander l’avis du chirurgien qui a opéré le malade et/ou adresser le patient au centre chirurgical
le plus proche pour une prise en charge urgente.
Différents tableaux cliniques peuvent être décrits :
a) douleurs abdominales persistantes et vomissements avec signes d’occlusion, et/ou altération de
l’état général. Ce tableau oriente vers le diagnostic de sténose d’une anse digestive ou occlusion sur
brides. La ré intervention chirurgicale s’impose en urgence sans réaliser aucun examen
complémentaire.
b) douleurs abdominales à répétition postprandiales à distance de l’intervention (> 3 mois) ou douleurs
abdominales atypiques. La crainte est celle de la hernie interne. Les examens à réaliser sont TOGD
et/ou un scanner avec opacification du grêle et surtout une coelioscopie exploratrice. Si la
coelioscopie est « blanche » il est souhaitable de réaliser une Fibroscopie Oeso-gastro-duodénale
(FOGD) à la recherche d’un ulcère de l’anastomose (douleurs parfois atypiques).
c) douleurs abdominales le plus souvent aigues prédominant dans l’hypochondre droit. L’examen
clinique peut mettre en évidence une défense de l’hypochondre droit. La conduite à tenir est de
réaliser un bilan biologique (bilan hépatique, lipasémie) ainsi qu’une échographie abdominale à la
recherche d’une pathologie biliaire dont le risque est augmenté au cours des amaigrissements
importants.
De même les douleurs lombaires doivent faire évoquer une lithiase rénale dont la fréquence est accrue
au cours d’une perte de poids importante.
d) douleurs abdominales épigastriques accompagnées éventuellement de vomissements ou
d’intolérance alimentaire. L’examen clinique est strictement normal. L’examen à faire en priorité
est une FOGD à la recherche d’un ulcère anastomotique. Celui-ci peut survenir rapidement mais
également à distance de l’intervention. Il peut être potentiellement grave avec le risque
d’hémorragies digestives.
e) crampes intestinales survenant après les repas avec des signes associés abdominaux (nausées,
diarrhées, vomissements) et/ou vasomoteurs à type de céphalées, sueurs, besoin de s’allonger,
tachycardie. L’interrogatoire permet de retrouver des facteurs alimentaires déclenchants (sucré ou
gras notamment). Il s’agit des manifestations du dumping syndrome précoce, fréquent après bypass
et qui s’estompe parfois lors de la deuxième année. Les conseils alimentaires (aliments à faible
index glycémique, fractionnement) sont alors nécessaires.
Enfin si l’ensemble du bilan morphologique (TOGD, FOGD et coelioscopie) est normal, le diagnostic de
douleurs fonctionnelles peut être posé (diagnostic d’élimination). Il s’agit alors souvent de douleurs
appartenant au syndrome du colon irritable. Il peut également s’agir d’intolérance au fer ou au lactose.
Il semble néanmoins important, ce d’autant que le sujet a plus de 50 ans et/ des antécédents familiaux
de cancer du colon, de réaliser une coloscopie, les patients obèses ayant un risque accru de cancer
du colon.
C. POITOU
5
II. MALAISES APRÈS CHIRURGIE GASTRIQUE
II.1. Cas clinique.
Mme N 50 ans a un bypass gastrique en 2005 au poids de 147 kg. La perte de poids est maximum en juillet
2007 jusqu’à 78 kg (-68 kg soit 47 % de perte de poids). 3 ans après la chirurgie apparaissent des malaises
postprandiaux (1-3h après) avec sueurs, tremblements, céphalées, vertiges, survenant à différents
moments de la journée, glycémie capillaire 0.45 g/l, une glycémie à jeun à 0.33 g/l. Les explorations
montrent une imagerie pancréatique normale, l’épreuve de jeûne sur 72h est normale. Résultats de l’HGPO
(figure ci-dessous): pic de glycémie à plus de 200 mg/dl à 30 mn puis une hypoglycémie à 40 mg/dl au-delà
de la 90ième mn ressentie par la patiente, avec un retour spontané à la normale. La sécrétion d’insuline
monte très haut rapidement à 30 mn (supérieure à 250 µU/l).
II.2 Orientation diagnostique et conduite à tenir.
Une étude récente suédoise montre que les hospitalisations pour des malaises après bypass
(hypoglycémie, confusion, syncope, épilepsie, agitation) sont deux à sept fois plus fréquents que dans
la population de référence (1). Les auteurs constatent qu’il n’existe pas d’augmentation de ces
malaises après chirurgie restrictive. Le risque absolu qui découle de cette étude est de 0.2% pour les
hypoglycémies documentées et de 1% pour les malaises de type hypoglycémique. Cette prévalence
pourrait être plus élevée car elle ne prend en compte dans cette étude que les malaises ayant abouti
à une hospitalisation.
Un des pièges devant des malaises après chirurgie gastrique est de méconnaître les causes
indépendantes de la chirurgie gastrique dont la prise en charge est spécifique :
f) médicamenteuses (hypotenseurs, bradycardisants, hypoglycémiants)
g) vertige d’origine ORL avec sensation de mouvement giratoire
h) épilepsie d’origine neurologique
i) syncope vaso-vagale, hypotension orthostatique
j) origine cardiovasculaire (troubles du rythme et de conduction, accident ischémique transitoire, dropattack etc…). La recherche d’une cardiopathie est essentielle car elle expose au risque de mort
subite.
C. POITOU
6
k) hypoglycémies organiques dont l’origine est un insulinome avec sécrétion autonome d’insuline. Il
s’agit de malaises de type hypoglycémique avec signes de neuroglycopénie (perte de connaissance,
confusion, convulsions) et surviennent à jeun ou après un exercice.
Pour cela il faut tout d’abord différencier la perte de connaissance et la lipothymie (malaise subit et
passager sans perte de connaissance vraie) en réalisant un interrogatoire minutieux de l’entourage et
du patient. Il faut caractériser précisément le malaise, rechercher les prodromes, les signes
accompagnateurs, les circonstances de survenue. Les examens complémentaires (neurologique,
cardiaque et vasculaire) sont guidés par cette première étape.
Des malaises peuvent être liés à la chirurgie gastrique elle même. Il ne faut pas méconnaître un
saignement digestif lié à la chirurgie (ulcère de l’anastomose par exemple). Mais il s’agit le plus
souvent soit de malaises postprandiaux précoces type Dumping Syndrome, soit postprandiaux tardifs
(hypoglycémies postprandiales).
a) Le dumping syndrome, complication fréquente notamment après bypass, apparaît rapidement après
la chirurgie, dès la reprise d’une alimentation. Cette lipothymie survient dans les minutes qui
suivent le repas. Le malaise associe des signes vasomoteurs et abdominaux (cf paragraphe
précédent). Il est lié à l’arrivée rapide d’aliments osmotiques (sucrés ou gras) dans la lumière
intestinale. Un des signes quasi constant décrits par les patients est le besoin de s’allonger. Même
s’il est parfois spectaculaire, il n’est jamais associé à une perte de connaissance et n’a pas de
gravité. Le traitement est l’éviction du ou des aliments en cause.
β) Les malaises postprandiaux (1-3h après le repas) apparaissent souvent à distance de la chirurgie
(après la première année). Ils se manifestent par des signes d’hypoglycémie, certains patients
développent des signes neuroglycopéniques, qui font toute la gravité du tableau.
Le profil de la glycémie et de l’insulinémie après charge en glucose (HGPO) montre une élévation
importante de la glycémie avec une sécrétion réactionnelle inhabituelle d’insuline puis une
diminution de la glycémie pouvant descendre en dessous de 0.6 g/l, définissant alors l’hypoglycémie
réactionnelle (cf cas clinique). Ceci peut également être confirmé par des repas tests riches en
glucides (revue dans (2)).
Lorsque l’on constate une hyperinsulinémie concomitante à l’hypoglycémie supérieure à 4 µUI/l,
donc inadaptée, celle-ci pourrait être liée à trois mécanismes (revue dans (2)): nésidioblastose
observée avec une fréquence accrue après bypass (3, 4) hyperplasie des cellules β-pancréatiques
préexistante à la chirurgie et sécrétion accrue d’incrétines en particulier le GLP1 après chirurgie
(5 , 6)
La conduite à tenir devant des malaises après chirurgie gastrique est :
l) d’éliminer une cause médicamenteuse, neurologique ou cardiovasculaire, une insuffisance
surrénalienne ou corticotrope (dosage du cortisol), un saignement digestif.
m) demander au patient une auto surveillance avec lecteur de glycémie lors des malaises en notant
l’horaire, la composition du repas, les signes associés.
n) en cas de signes neuroglycopéniques et/ou hypoglycémies survenant à jeun ou rebelles au
traitement diététique, il faut réaliser un scanner pancréatique et une épreuve de jeûne afin
d’éliminer un insulinome.
o) réaliser une HGPO sur au moins 3 heures et/ou un repas test en mesurant la glycémie et
l’insulinémie. Le holter glycémique peut également être utile car il permet de suivre le profil
glycémique au cours de l’alimentation habituelle du patient (7). Le dosage du GLP1 au cours de
l’HGPO ou d’un repas test pourrait avoir un intérêt, cependant les dosages en routine se heurtent
à des difficultés de prélèvement et au coût.
C. POITOU
7
La prise en charge des malaises hypoglycémiques, notamment ceux avec signes neuroglycopéniques
est parfois difficile. La première étape est le fractionnement des repas en privilégiant les index
glycémiques bas. Les traitements médicamenteux proposés sont l’acarbose ou les inhibiteurs
calciques voire le diazoxide (utilisé dans les insulinomes) ou l’octreotide. Aucun à ce jour n’a réellement
fait l’objet d’essai clinique portant sur l’efficacité et la tolérance. Une équipe suisse a proposé
récemment de réduire la poche gastrique à l’aide d’un anneau (8). Mc Laughlin et al ont montré
l’efficacité d’une alimentation par gastrostomie sur la normalisation de la sécrétion d’insuline et GLP1
en comparaison avec la voie orale, suggérant qu’une alimentation entérale pourrait être efficace dans
les cas rebelles (9). Certaines équipes proposent en dernier recours une pancréatectomie partielle
après repérage de la zone d’hypersécrétion insulinique au cours d’une injection intra-artérielle de
calcium.
III. CARENCES NUTRITIONNELLES ET COMPLICATIONS NEUROLOGIQUES
III.1. Cas clinique.
Mme M 39 ans, bypass en 2006 réalisé au poids de 110 kg dans une clinique. Une supplémentation
vitaminique est prescrite après bypass mais non prise dans un contexte de dysphagie importante. La perte
de poids est rapide, 35 kg en 3 mois (-32% du poids). Des troubles neurologiques apparaissent 4 mois après
bypass (confusion) et conduisent la patiente aux urgences. Elle est hospitalisée en psychiatrie devant une
suspicion de « dépression » dans un contexte de fragilité psychologique préalable à la chirurgie. Un mois
plus tard le tableau neurologique s’aggrave avec l’apparition d’un nystagmus et de troubles de la marche.
Une carence en vitamine B1 est alors évoquée par un neurologue, un traitement vitaminique est mis en
place.
Elle est hospitalisée dans notre service en 2007 : le poids est stable à 53 kg, les suppléments vitaminiques
sont pris mais les troubles de l’équilibre persistent malgré une rééducation intensive et des troubles de
mémoire semblent irréversibles.
III.2. Orientation diagnostique et conduite à tenir.
Le cas clinique illustre certains pièges :
p) le chirurgien a au départ probablement méconnu une sténose devant la dysphagie et la perte de
poids très (trop) rapide, il disait à la patiente « vous devez être contente de perdre du poids »,
considérant la patiente « guérie » de son obésité. La patiente dans l’euphorie de la perte de poids,
minimisait elle même les symptômes.
q) d’une part la sémiologie au départ pouvait être trompeuse compte tenu du contexte psychologique
et d’autre part il existe souvent une difficulté à croire que le patient obèse puisse être dénutri. Les
médecins des urgences n’ont pas été assez vigilants sur les risques nutritionnels.
r) le diagnostic biologique de carence est difficile, il ne faut se fier qu’à la clinique dans ce cas et
traiter au moindre doute. Une fois installée, les signes de carence peuvent être définitifs.
Le déficit en vitamine B1 est rare mais potentiellement très grave car responsable de troubles
neurologiques pouvant entraîner des séquelles irréversibles. Des polyneuropathies parfois
irréversibles, et des encéphalopathies de Gayet Wernicke, comme dans le cas clinique ci-dessus, ont
en effet été rapportées (10). Ces carences sont précipitées par les perfusions de sérum glucosé
souvent prescrits en cas de vomissements à répétitions eux-mêmes causes de carences. Toute
perfusion de glucose chez un patient opéré d’une chirurgie bariatrique malabsorptive doit être
associée à un apport en vitamine du groupe B. Ces complications peuvent survenir précocement après
C. POITOU
8
la chirurgie et sont favorisées par une perte de poids rapide, des symptômes gastro-intestinaux
(nausées, vomissements, diarrhées), une dénutrition protéique.
Un des pièges est qu’elles peuvent également apparaître plusieurs années après la chirurgie. Il est
donc important :
s) de prévenir l’apparition de carence avec des suppléments adaptés (11).
t) d’informer les patients sur la nécessité de consulter à l’apparition de signes neurologiques même
mineurs (troubles de la marche, troubles oculaires avec nystagmus, anomalies des fonctions
supérieures)
u) de traiter rapidement dès l’apparition de symptômes
v) de réaliser annuellement un examen neurologique complet et de renforcer la supplémentation au
moindre doute.
Certaines revues récentes imputent aux carences en vitamine B12 des conséquences neurologiques
notamment des scléroses combinées de moelle survenant à distance d’un bypass et des
polyneuropathies (10, 12) Des troubles de la sensibilité profonde, de l’équilibre, des paresthésies
doivent faire penser à cette carence et conduire à la traiter sans retard. Une atteinte neurologique
pouvant être également secondaire à un déficit en vitamine B12, B6 et cuivre, il convient également
de traiter avec des suppléments spécifiques, même en l’absence de dosages vitaminiques (13).
Nous rappellerons enfin la nécessité de suivre les patients pour les autres déficits nutritionnels
fréquents notamment la vitamine D avec les risques osseux et le fer, les anémies étant très fréquentes
notamment chez les femmes en âge de procréer (11).
IV. SURVEILLANCE DE LA COURBE DE POIDS
IV.1. Cas Clinique
Mme M. 56 ans. Un bypass gastrique est réalisé en juillet 2007 au poids de 156 kg. La courbe de poids (figure
ci-dessous) montre une ré-augmentation du poids entre 2 et 3 ans puis une nouvelle perte de poids depuis
les 6 derniers mois avec un poids minimum atteint à 96 kg en 2010. L’interrogatoire retrouve une altération
de l’état général avec une diminution de l’appétit. Le contexte est celui d’une femme ayant une histoire de
vie difficile, marquée par des épisodes dépressifs qui n’avaient cependant pas contre-indiqués la chirurgie
après évaluation psychologique. La symptomatologie dépressive est à nouveau présente depuis 18 mois.
C. POITOU
9
Un bilan biologique standard réalisé devant cette perte de poids inhabituelle, retrouve sur la Numération
Formule Sanguine une hyperlymphocytose évocatrice de Leucémie Lymphoide Chronique.
Le piège dans cette situation est de mettre sur le compte de la dépression la symptomatologie
présentée. Celle-ci doit restée un diagnostic d’élimination.
IV.2 CONDUITE À TENIR ET ORIENTATION DIAGNOSTIQUE
Nous souhaitons attirer l’attention sur la surveillance de la courbe de poids après chirurgie gastrique.
Une perte de poids rapide dans les semaines après la chirurgie doit faire rechercher une complication
chirurgicale (sténose par exemple), ce d’autant qu’il existe des signes associés (vomissements,
dysphagie). Elle expose à des carences nutritionnelles graves, protéiques et vitaminiques (11), comme
les complications neurologiques décrites ci-dessus. Les risques de dénutrition protéique majeure
existent dans les semaines suivant la chirurgie notamment s’il existe des pathologies intercurrentes
(complications de la chirurgie infectieuses comme les fistules, abcès). Un sujet obèse peut être un
patient dénutri !
La courbe de poids habituelle d’un patient opéré est caractérisée par un point minimum atteint en
général au cours de la deuxième année, puis à une stabilisation du poids.
Une perte de poids qui se poursuit au-delà de 2 ans, excessive (il est habituel de voir une perte de
poids de l’ordre de 30-40 % après bypass), et/ou réapparaissant à distance de la chirurgie après une
stabilisation pondérale, doit faire rechercher une pathologie sous jacente comme :
- hyperthyroïdie
- néoplasie
- dépression
- anorexie
Un examen clinique complet ainsi qu’un bilan biologique de base minimum (comprenant NFS, CRP,
bilan hépatique, TSH). Les examens complémentaires sont ensuite orientés en fonction du contexte.
Une évaluation psychologique peut être requise si aucune étiologie organique n’est retrouvée.
A l’inverse les hypoglycémies décrites ci-dessus peuvent conduire à des reprises de poids qu’il convient
également d’analyser rigoureusement.
V. AUTRES PIÈGES À CONNAÎTRE
Même si les données manquent dans la littérature médicale, il faut tenir compte dans le suivi des
possibilités de malabsorption ou de modification de la pharmaco de certains médicaments (AVK,
antiépileptiques, contraception orale) et adapter les traitements
Enfin il faut être vigilant des possibilités de grossesse, contre-indiquée dans les mois qui suivent la
chirurgie), chez une patiente dont la fertilité augmente après la chirurgie (dystrophie ovarienne qui
s’améliore avec la perte de poids, efficacité des contraceptifs notamment minidosés dans le cadre de
la malabsorption). Il est pour cela indispensable de discuter avant la chirurgie des moyens
contraceptifs et d’en informer la patiente.
Conclusion
Le suivi après chirurgie est un exercice médical différent du suivi du patient obèse avant la chirurgie.
Certes le suivi comportemental (diététique, activité physique) garde toute son importante. Mais la prise
en charge des complications qui s’améliorent avec la perte de poids s’allège tandis que d’autres
C. POITOU
10
complications liées à la chirurgie apparaissent. Ces complications décrites ici nécessitent souvent des
investigations complémentaires, des hospitalisations, des traitements. Plusieurs pièges existent car :
-les signes peuvent être trompeurs, notamment chez le sujet obèse. Les carences nutritionnelles
peuvent être progressives.
- les patients minimisent les signes et le médecin ne pense pas forcément à l’interroger car les bons
résultats de la perte de poids sont au premier plan.
- ces complications peuvent apparaître à distance de la chirurgie.
Le médecin doit être prêt à diagnostiquer ces complications parfois graves et à les prendre en charge.
Le patient quant à lui, doit également en être informé avant la chirurgie, ceci permet de consulter et
de traiter sans retard.
Bibliographie
1. Marsk R, Jonas E, Rasmussen F, Naslund E Nationwide cohort study of post-gastric bypass hypoglycaemia including
5,040 patients undergoing surgery for obesity in 1986-2006 in Sweden. Diabetologia 53:2307-2311
2. Ritz P 2010 Hypoglycémies après chirurgie gastrique. Diabète et Obésité 5
3. Service GJ, Thompson GB, Service FJ, Andrews JC, Collazo-Clavell ML, Lloyd RV 2005 Hyperinsulinemic
hypoglycemia with nesidioblastosis after gastric-bypass surgery. N Engl J Med 353:249-254
4. Patti ME, McMahon G, Mun EC, Bitton A, Holst JJ, Goldsmith J, Hanto DW, Callery M, Arky R, Nose V, Bonner-Weir
S, Goldfine AB 2005 Severe hypoglycaemia post-gastric bypass requiring partial pancreatectomy: evidence for
inappropriate insulin secretion and pancreatic islet hyperplasia. Diabetologia 48:2236-2240
5. Goldfine AB, Mun EC, Devine E, Bernier R, Baz-Hecht M, Jones DB, Schneider BE, Holst JJ, Patti ME 2007 Patients
with neuroglycopenia after gastric bypass surgery have exaggerated incretin and insulin secretory responses to a
mixed meal. J Clin Endocrinol Metab 92:4678-4685
6. Laferrere B, Teixeira J, McGinty J, Tran H, Egger JR, Colarusso A, Kovack B, Bawa B, Koshy N, Lee H, Yapp K, Olivan
B 2008 Effect of weight loss by gastric bypass surgery versus hypocaloric diet on glucose and incretin levels in
patients with type 2 diabetes. J Clin Endocrinol Metab 93:2479-2485
7. Hanaire H, Dubet A, Chauveau ME, Anduze Y, Fernandes M, Melki V, Ritz P Usefulness of continuous glucose
monitoring for the diagnosis of hypoglycemia after a gastric bypass in a patient previously treated for type 2 diabetes.
Obes Surg 20:126-129
8. Z'Graggen K, Guweidhi A, Steffen R, Potoczna N, Biral R, Walther F, Komminoth P, Horber F 2008 Severe recurrent
hypoglycemia after gastric bypass surgery. Obes Surg 18:981-988
9. McLaughlin T, Peck M, Holst J, Deacon C Reversible hyperinsulinemic hypoglycemia after gastric bypass: a
consequence of altered nutrient delivery. J Clin Endocrinol Metab 95:1851-1855
10. Juhasz-Pocsine K, Rudnicki SA, Archer RL, Harik SI 2007 Neurologic complications of gastric bypass surgery for
morbid obesity. Neurology 68:1843-1850
11. Poitou Bernert C, Ciangura C, Coupaye M, Czernichow S, Bouillot JL, Basdevant A 2007 Nutritional deficiency after
gastric bypass: diagnosis, prevention and treatment. Diabetes Metab 33:13-24
12. Kumar N 2007 Nutritional neuropathies. Neurol Clin 25:209-255
13. Thaisetthawatkul P 2008 Neuromuscular complications of bariatric surgery. Phys Med Rehabil Clin N Am 19:111124, vii
C. POITOU
11
Téléchargement