Connaître les pièges du suivi
après chirurgie de l’obésité
Christine Poitou
51ème JAND 28 janvier 2011
Maître de conférence des Universités, Praticien Hospitalier, Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie ;
Pole d’Endocrinologie-diabétologie-Métabolisme-Nutrition-
Prévention vasculaire de la Pitié-Salpêtrière.
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Introduction
Selon les recommandations américaines, européennes et françaises (http://www.has-
sante.fr/portail/jcms/c_765529/obesite-prise-en-charge-chirurgicale-chez-l-adulte), le suivi d’un
patient opéré doit être systématique et régulier (cf Chapitre P Ritz Suivi nutritionnel des patients
opérés). Néanmoins, certaines situations cliniques cessitent une attention et une surveillance
accrue afin de ne pas méconnaître une complication ou une évolution grave. Nous aborderons ici les
pièges du suivi en les illustrant par des cas cliniques : en première partie nous détaillerons les
douleurs abdominales, parfois révélatrices de complications chirurgicales et en seconde partie les
situations médicales requérant une évaluation approfondie.
Résumé
Au cours du suivi d’un patient obèse opéré d’une chirurgie gastrique, le médecin doit être
particulièrement vigilant pour plusieurs raisons : la sémiologie des complications est souvent
trompeuse, le médecin considère le patient guéri puisqu’il a perdu du poids et que les complications
sont souvent améliorées ou ont disparu, enfin le patient a souvent tendance à minimiser les troubles
car il se trouve dans une situation positive par rapport à la perte de poids. Plusieurs tableaux
cliniques doivent attirer l’attention et nécessitent une évaluation approfondie. Les douleurs
abdominales doivent être un signe d’alerte de certaines complications chirurgicales nécessitant
une prise en charge rapide comme l’occlusion intestinale, la hernie interne, la cholécystite. La
sémiologie de la douleur doit orienter mais des examens complémentaires comme la Fibroscopie
Oeso-gastro-duodenale (FOGD) sont utiles pour diagnostiquer des ulcères anastomotiques, parfois
responsables de déglobulisation. Des douleurs postprandiales récurrentes doivent faire évoquer
une hernie interne et discuter une coelioscopie exploratrice. Les malaises après chirurgie gastrique
et en particulier bypass gastrique sont fréquents et le plus souvent liés à des hypoglycémies
hyperinsulinémiques postprandiales. Les signes neuroglycopéniques en font toute la gravité. Il faut
impérativement éliminer les causes médicamenteuses, neurologiques ou cardiaques. Devant des
hypoglycémies avérées, il convient d’éliminer les rares insulinomes. La mise en place de mesures
diététiques (fractionnement des repas, faibles index glycémiques) est nécessaire mais pas toujours
suffisante. Il convient alors de discuter les traitements dicamenteux (acarbose, inhibiteurs
calciques, diazoxide, octreotide) dont l’efficacin’est pas encore clairement établie. Il est également
proposé parfois par certaines équipes une réintervention sur la poche gastrique ou une
pancréatectomie distale. Les carences nutritionnelles sont fréquentes (carence en fer et vitamine
D). Les complications neurologiques sont rares mais potentiellement graves (séquelles irréversibles
comme dans le Gayet Wernicke par exemple), le plus souvent liées aux carences en vitamines du
groupe B. Il faudra être particulièrement vigilant en cas de perte de poids rapide, de complications
chirurgicales ou pathologies intercurrentes, de vomissements, de dénutrition protéique, s’alarmer
devant des signes neurologiques d’apparition récente et traiter sans retard sans attendre la
confirmation biologique de carence vitaminique. La perfusion de glucose après chirurgie doit
impérativement être accompagnée d’une supplémentation parentérale de vitamine B1. Enfin le suivi
de la courbe de poids est important pour ne pas méconnaître des pathologies intercurrentes
(complications chirurgicales, néoplasie) dans le cadre d’une perte de poids inhabituelle.
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I. DOULEURS ABDOMINALES
I.1. Cas Clinique
Mme L, 41 ans, présente une obésité massive (poids 119 kg (IMC=40,2 kg/m²)) compliquée d’un syndrome
d’apnées du sommeil modéré et de lombalgies. Un bypass est réalisé. Les suites opératoires initiales sont
simples, 18 mois après l’intervention au poids de 77 kg (-42 kg), elle présente des douleurs abdominales
diffuses essentiellement postprandiales évoluant depuis deux semaines, qui cèdent au bout d’une demi
heure environ. A l’examen clinique le ventre est souple avec une sensibilité à la palpation de l’épigastre et
de l’hypochondre gauche.
Le tableau clinique est donc celui de douleurs postprandiales à répétition à distance de l’intervention
(favorisée par une perte de poids conséquente). Les examens à réaliser sont un Transit Oeso-gastro-
duoenal (TOGD) et/ou scanner avec opacification du grêle. Ils peuvent visualiser une hernie des anses
grêles dans les brèches, notamment mésocolique, réalisées pendant l’intervention. Ici le TOGD montre
des anses dans la brèche mésocolique (flèche blanche).
Les pièges de cette situation sont :
- de méconnaître une douleur fluctuante, avec une sémiologie peu parlante, qui cède spontanément,
que le patient ne rapporte pas obligatoirement si on ne lui pose pas la question et qu’il minimise.
- même en cas de normali des examens morphologiques, il est indispensable de aliser une
coelioscopie exploratrice qui permet d’une part de confirmer le diagnostic (exploration de tous les
sièges possibles de hernie interne) et de traiter en suturant les brèches.
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I.2. Orientation diagnostique et conduite à tenir
Devant toute douleur abdominale après chirurgie, l’interrogatoire s’attache à décrire les
caractéristiques des douleurs : délai par rapport à l’intervention, facteurs déclenchants (aliments),
siège (épigatrique, périombilicale, hypochondre droit), type de douleurs et durée, signes
d’accompagnement (arrêt matières et gaz, vomissements, troubles vasomoteurs, troubles du transit).
Il faut toujours avoir à l’esprit qu’un patient opéré obèse est un malade extrêmement fragile. De
plus, le montage chirurgical lui-même entraîne des complications potentiellement graves avec un
risque vital non négligeable (hernie interne, occlusion, nécrose du grêle). Au moindre doute il faut
demander l’avis du chirurgien qui a opéré le malade et/ou adresser le patient au centre chirurgical
le plus proche pour une prise en charge urgente.
Différents tableaux cliniques peuvent être décrits :
a) douleurs abdominales persistantes et vomissements avec signes d’occlusion, et/ou altération de
l’état général. Ce tableau oriente vers le diagnostic de sténose d’une anse digestive ou occlusion sur
brides. La intervention chirurgicale s’impose en urgence sans réaliser aucun examen
complémentaire.
b) douleurs abdominales à répétition postprandiales à distance de l’intervention (> 3 mois) ou douleurs
abdominales atypiques. La crainte est celle de la hernie interne. Les examens à réaliser sont TOGD
et/ou un scanner avec opacification du grêle et surtout une coelioscopie exploratrice. Si la
coelioscopie est « blanche » il est souhaitable de réaliser une Fibroscopie Oeso-gastro-duodénale
(FOGD) à la recherche d’un ulcère de l’anastomose (douleurs parfois atypiques).
c) douleurs abdominales le plus souvent aigues prédominant dans l’hypochondre droit. L’examen
clinique peut mettre en évidence une défense de l’hypochondre droit. La conduite à tenir est de
réaliser un bilan biologique (bilan hépatique, lipasémie) ainsi qu’une échographie abdominale à la
recherche d’une pathologie biliaire dont le risque est augmenté au cours des amaigrissements
importants.
De même les douleurs lombaires doivent faire évoquer une lithiase rénale dont la fréquence est accrue
au cours d’une perte de poids importante.
d) douleurs abdominales épigastriques accompagnées éventuellement de vomissements ou
d’intolérance alimentaire. L’examen clinique est strictement normal. L’examen à faire en priorité
est une FOGD à la recherche d’un ulcère anastomotique. Celui-ci peut survenir rapidement mais
également à distance de l’intervention. Il peut être potentiellement grave avec le risque
d’hémorragies digestives.
e) crampes intestinales survenant après les repas avec des signes associés abdominaux (nausées,
diarrhées, vomissements) et/ou vasomoteurs à type de céphalées, sueurs, besoin de s’allonger,
tachycardie. L’interrogatoire permet de retrouver des facteurs alimentaires déclenchants (sucré ou
gras notamment). Il s’agit des manifestations du dumping syndrome précoce, fréquent après bypass
et qui s’estompe parfois lors de la deuxième année. Les conseils alimentaires (aliments à faible
index glycémique, fractionnement) sont alors nécessaires.
Enfin si l’ensemble du bilan morphologique (TOGD, FOGD et coelioscopie) est normal, le diagnostic de
douleurs fonctionnelles peut être posé (diagnostic d’élimination). Il s’agit alors souvent de douleurs
appartenant au syndrome du colon irritable. Il peut également s’agir d’intolérance au fer ou au lactose.
Il semble néanmoins important, ce d’autant que le sujet a plus de 50 ans et/ des antécédents familiaux
de cancer du colon, de réaliser une coloscopie, les patients obèses ayant un risque accru de cancer
du colon.
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II. MALAISES APRÈS CHIRURGIE GASTRIQUE
II.1. Cas clinique.
Mme N 50 ans a un bypass gastrique en 2005 au poids de 147 kg. La perte de poids est maximum en juillet
2007 jusqu’à 78 kg (-68 kg soit 47 % de perte de poids). 3 ans après la chirurgie apparaissent des malaises
postprandiaux (1-3h après) avec sueurs, tremblements, phaes, vertiges, survenant à différents
moments de la journée, glycémie capillaire 0.45 g/l, une glycémie à jeun à 0.33 g/l. Les explorations
montrent une imagerie pancréatique normale, l’épreuve de jeûne sur 72h est normale. Résultats de l’HGPO
(figure ci-dessous): pic de glycémie à plus de 200 mg/dl à 30 mn puis une hypoglycémie à 40 mg/dl au-delà
de la 90ième mn ressentie par la patiente, avec un retour spontané à la normale. La sécrétion d’insuline
monte très haut rapidement à 30 mn (supérieure à 250 µU/l).
II.2 Orientation diagnostique et conduite à tenir.
Une étude récente suédoise montre que les hospitalisations pour des malaises après bypass
(hypoglycémie, confusion, syncope, épilepsie, agitation) sont deux à sept fois plus fréquents que dans
la population de référence (1). Les auteurs constatent qu’il n’existe pas d’augmentation de ces
malaises après chirurgie restrictive. Le risque absolu qui découle de cette étude est de 0.2% pour les
hypoglycémies documentées et de 1% pour les malaises de type hypoglycémique. Cette prévalence
pourrait être plus élevée car elle ne prend en compte dans cette étude que les malaises ayant abouti
à une hospitalisation.
Un des pièges devant des malaises après chirurgie gastrique est de méconnaître les causes
indépendantes de la chirurgie gastrique dont la prise en charge est spécifique :
f) médicamenteuses (hypotenseurs, bradycardisants, hypoglycémiants)
g) vertige d’origine ORL avec sensation de mouvement giratoire
h) épilepsie d’origine neurologique
i) syncope vaso-vagale, hypotension orthostatique
j) origine cardiovasculaire (troubles du rythme et de conduction, accident ischémique transitoire, drop-
attack etc…). La recherche d’une cardiopathie est essentielle car elle expose au risque de mort
subite.
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