Quand les hommes passent à la casserole

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Quand les hommes passent à la
casserole
Dans un de ses derniers romans, paru en 2000, l’écrivain camerounais Calixthe
Beyala raconte l’histoire d’une Africaine totalement occidentalisée qui va devoir
peu à peu se rappeler au bon souvenir de ses ancêtres pour conquérir l’homme
de sa vie.
LIONEL SUCHET
Calixthe Beyala a grandi en Afrique. Ce n’est qu’à l’âge de dix-sept ans qu’elle a quitté ses racines pour
venir étudier sur le vieux Continent. C’est sans grande peine qu’elle s’est acclimatée à la mentalité européenne et
à ses mœurs. Tout le contraire du personnage principal de son roman, « Comment cuisiner son mari à
l’africaine ». En effet, Aïssatou - car c’est d’elle qu’il s’agit - est une jeune femme noire née en France et qui
s’est complètement identifiée aux modes et aux idées locales au point de ne plus rien savoir faire de ce qui vient
de ses racines. Elle a tout oublié. D’ailleurs, elle le dit elle-même : « Je suis une négresse blanche ». Durant le
roman, Aïssatou va devoir peu à peu redevenir une vraie femme de couleur, si elle entend se trouver un mari
africain. Mais il y a du boulot ! « Je ne sais même plus comment aider une chèvre à mettre bas ». Précisons
encore que la jeune femme vit avec sa mère et essaie de répondre aux critères de séduction masculins européens.
C’est-à-dire qu’elle mange très peu, n’a ni seins, ni fesses, parce que comme elle le dit : « Ici, planche à pain
égale belle femme ». Mais le pire, c’est que savoir cuisiner ne l’intéresse même plus parce que son repas « n’a
pas plus d’importance qu’une touffe d’herbe ». Voici l’histoire d’une jeune fille un peu perdue qui peu à peu va
retrouver son chemin.
Il va falloir changer !
Aïssatou, qui vit dans un vieil immeuble, a énormément de peine à séduire et a être séduite jusqu’au jour où
un beau Malien emménage au-dessus de chez elle. De suite attirée par lui, elle va tout faire pour établir
rapidement le contact, en l’attendant dans la cage d’escalier pour faire croire à une rencontre aléatoire ou en lui
portant des friandises « en guise de bienvenue » par exemple. Bonjour habits légers, maquillage et rouge à
lèvres ! Mais Souleymane Bolobolo, le nouveau voisin, n’est point attiré par toute cette modernité. Désespérée,
la jeune femme décide d’aller voir un marabout qui lui livre la recette miracle. « Pour conquérir un homme, il
faut d’abord conquérir son estomac ».
Aux fourneaux !
Aïssatou n’a dès lors plus le choix. Finis les plats précuits ou la salade prise sur le pouce. A partir de ce jour,
elle saura faire une tortue de brousse aux bananes plantains vertes, une antilope fumée aux pistaches ou encore
un porc-épic aux noix de mangues sauvages. Après avoir confectionné une daurade aux piments rouges, elle
tente sa chance et s’en va frapper chez Bolobolo. Ils mangent ensemble, tout est succulent, le jeune homme est à
point, c’est du tout cuit pour Aïssatou. Tout lecteur attend désormais l’inéluctable, le premier baiser. Il tombera
comme un fruit mûr. Dès lors, pour avoir son homme à elle seule, Aïssatou va devoir l’éloigner d’un dernier
obstacle, la mère du Malien. Ce ne sera pas chose facile puisque cette dernière veut garder son fils à elle seule.
Est-ce qu’Aïssatou va réussir à faire sa vie avec l’homme qu’elle aime ? La réponse à cette question n’est pas
aussi évidente qu’il y paraît ; osons même écrire que la fin est pour le moins surprenante. Mais laissons le soin
aux lecteurs de la découvrir par eux-mêmes.
Un roman plein de saveurs
La façon dont l’histoire de la jeune Aïssatou est racontée est délicieuse. La philosophie qui se dégage de ce
livre est exotique et c’est ce qui fait qu’elle est fort intéressante. Le personnage le plus éloigné de nous reste à
n’en pas douter la mère d’Aïssatou qui tout au long du roman délivre des conseils malicieux et sympathiques.
Elle est une femme soumise à son mari qui n’a pas peur de conseiller à sa fille de l’être aussi. Elle est soumise,
mais fière de l’être. La légèreté de cet ouvrage mêlée au zeste d’humour qu’il comporte font un mélange dont on
ne s’est pas lassé. Malgré tout, on notera que ce genre d’histoire sera sûrement plus enclin à captiver la gente
féminine que masculine. En effet, il faut savoir que l’on vit l’histoire en focalisation interne, à travers les yeux
d’Aïssatou, et que nous, les hommes, à travers Bolobolo, n’avons pas la possibilité de nous défendre et passons
parfois pour des goujats. Ce qui n’est jamais le cas, assurément. Mais si vous arrivez à laisser votre ego de côté
durant quelques heures, ce livre vous plaira.
Calixthe Beyala, Comment cuisiner son mari à l’africaine, Editions Albin Michel, 2000, pp.157.
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