LES JETS STELLAIRES : ACTEURS DYNAMIQUES DE LA FORMATION PLANETAIRE. F. Namouni 1, 1CNRS, Observatoire de la Côte d’Azur (BP 4229, 06304 Nice, [email protected]) Introduction: Dans le but de comprendre l'origine des excentricités des planètes extrasolaires, nous avons montré que les jets stellaires sont des candidats naturels de l'excitation des orbites planétaires. Cet effet dynamique des jets stellaires jusque là inconnu provient de l'accélération résiduelle différentielle de très petite amplitude que le jet stellaire communique au compagnon et au disque protoplanétaire. L'excitation de l'excentricité planétaire par l'accélération des jets explique de façon unifiée: l'origine des excentricités des planètes extrasolaires, l'alignement des apsides des systèmes multiples hors résonance, l'origine des faibles excentricités des planètes du système solaire et la migration des populations de petits corps situées dans les régions externes des systèmes planétaires. L'accélération d'un jet stellaire force naturellement la troncature du disque protoplanétaire. Nous avons montré que la réponse collective du disque protoplanétaire à l'accélération d'un jet stellaire en change significativement le profil de température et la distribution spectrale d'énergie. Pourquoi est-ce que les jets stellaires sont des candidats naturels de l’excitation des excentricités planétaires ? Plusieurs mécanismes ont été proposés pour expliquer l'origine des excentricités planétaires : (1) les rencontres proches entre planètes, (2) l'interaction de marées entre une planète et le disque de gaz, (3) la résonance séculaire de Kozai, (4) l'excitation de l'excentricité pendant la migration forcée par le disque de gaz de deux planètes en résonance de moyen mouvement, (5) la relaxation dynamique de type stellaire et (6) la perturbation de l'orbite planétaire suite à une rencontre proche avec une étoile. Les avantages et les limites d’application de ces mécanismes sont bien connus [1]. Une critique récurrente de ces mécanismes est leur application à des systèmes extrasolaires spécifiques. En particulier on ne sait pas pourquoi la configuration orbitale du système solaire est si différente des autres systèmes. Cherchant à développer une théorie générale de l'origine de l'excentricité des orbites planétaires extrasolaires, nous avons proposé [2] que la similarité des excentricités planétaires et stellaires peut s'interpréter comme une indication que les processus d'excitation des excentricités des planètes et des compagnons stellaires binaires sont les mêmes. Si cela est vrai alors les processus physiques d'excitation ne doivent pas dépendre de la dynamique locale des compagnons qu'ils soient planétaires ou stellaires. Le processus idéal communiquerait au compagnon une accélération constante ou faiblement dépendante de la position et de la vitesse du compagnon. L'excitation induite par un tel mécanisme est stable si l'accélération perturbatrice est plus petite que celle de l'attraction gravitationnelle de l'étoile. En écrivant l'accélération subie sous la forme A = A u , où A représente son amplitude et u sa direction, une simple analyse dimensionnelle montre que le temps typique d'excitation est proportionnel à v/A, où v est la vitesse képlérienne du compagnon. Cela détermine deux domaines d'excitation autour de l'étoile selon que le rapport du temps d'excitation à la période orbitale est plus grand ou égal à l'unité. Le premier domaine est situé près de l'étoile car le temps d'excitation décroît avec la distance relative du compagnon à l'étoile. Ce domaine est celui de l'excitation séculaire car l'excentricité s'accumule lentement après chaque révolution du compagnon autour de l'étoile. La frontière du domaine d'excitation séculaire constitue le second domaine dit de l'excitation soudaine ou le temps d'excitation est comparable à la période orbitale. Les planètes extrasolaires sont situées dans le domaine d'excitation séculaire. Si l'accélération était strictement constante dans ce domaine, l'excitation de l'excentricité conduirait simplement à des oscillations périodiques entre la valeur initiale, zéro, et une valeur maximale déterminée par les paramètres du système. L'amplitude A devrait donc être non nulle sur une durée, Ù, comparable ou même plus petite que le temps d'excitation afin de produire une excentricité résiduelle et d'éviter une atténuation adiabatique si cette durée finie est relativement grande. Cette condition est aussi applicable au domaine d'excitation soudaine mais principalement pour une raison différente. En effet, dans la zone d'excitation soudaine, les demi-grands axes des orbites ne sont pas conservés et si la durée d'excitation est grande voire illimitée, les corps peuvent s'échapper du système, ce qui dans le cas d’un disque protoplanétaire, se traduit par une troncature à la frontière de stabilité. Le rayon képlérien de troncature autour de l’étoile est donné par l’égalité entre le temps d’excitation et la période orbitale. En fonction de ce rayon appelé, aKplr, l’accélération peut s’écrire : La direction d'accélération, ne dépendant pas de la dynamique locale, devrait être indépendante des plans orbitaux des planètes. Comme dans le domaine d'excitation séculaire, l'accélération n'excitera pas l'excentricité des planètes si elle est perpendiculaire à leurs plans orbitaux, l'axe de rotation de l'étoile devient un choix naturel pour repérer la direction d'accélération. Cela est d'autant plus intéressant que l'axe de rotation du Soleil est incliné d'environ 6 degrés par rapport à la normale au plan orbital de Jupiter, observation qui demeure inexpliquée. Ces considérations phénoménologiques sur l’amplitude et la direction d’accélération indiquent que les jets stellaires sont des candidats naturels pour l'excitation des excentricités. Les jets stellaires étant des phénomènes génériques de la formation stellaire et de l'accrétion du disque protoplanétaire sur l'étoile centrale, ils pour- JETS STELLAIRES ET FORMATION PLANETAIRE: F. Namouni raient être la cause commune des excentricités planétaires. Pour qu’un jet puisse accélérer l'étoile, il faut que la perte de masse soit asymétrique par rapport au plan perpendiculaire à l'axe d'éjection. Curieusement, de nombreux jets bipolaires possèdent de telles asymétries. Les vitesses d'éjection du jet et du contre-jet diffèrent d'un facteur 2. En combinant les données des jets, on trouve alors qu’ils produisent des accélérations : où ve est la vitesse d’éjection. Pendant la phase d'accélération due au jet, l'étoile acquiert une vitesse résiduelle qui doit être plus petite que sa vitesse galactique sinon l'étoile est éjectée de la Galaxie. Connaissant la dispersion des vitesses stellaires dans la Galaxie, on peut borner la durée d'accélération en exprimant que la vitesse résiduelle, A Ù, où Ù est la durée d'accélération, est plus petite que <vG> la dispersion des vitesses. Cela conduit à : En [2], nous avons montré qu’un jet stellaire pouvait exciter dynamiquement les excentricités des compagnons planétaires. Nous avons aussi considéré les résonances possibles entre la précession du jet et l’excitation orbitale du compagnon. Nous avons également caractérisé les paramètres d'accélération dans le Système solaire et les systèmes planétaires de 47 Ursa Majoris, HD 108874, HD 12661 et ˘ Andromède [2,3]. Ce dernier est très intéressant car à première vue, il semble mettre en défaut la théorie de l'excitation par accélération de jets. En effet en tenant compte des interactions gravitationnelles mutuelles, on peut montrer que l'amplitude d'accélération minimale qui produit les excentricités observées est A ≈ 10-11 km s -2 . Cette amplitude correspond à un rayon de stabilité a Kplr = 500 AU. Or l'étoile ˘ And fait partie d'un système double dont la binaire se trouve à une distance projetée de 750 UA. Pour résoudre ce problème, on peut envisager que la binaire s'est formée à l'intérieur de 500 UA puis, a migré par le mécanisme cité plus haut. La figure montre la simulation de l'action d'un jet qui génère une accélération maximale A ≈ 3.10-11 km s-2 correspondant à un rayon de stabilité képlérien de 300 UA. Le rayon de stabilité réel suit l'évolution temporelle du jet, de durée caractéristique, Ù = 2000 ans et décroît de l'infini jusqu'a 300 UA pour croître de nouveau à l’infini. Cela a pour effet de faire migrer le compagnon stellaire qui se trouve près du rayon de stabilité de 300 UA. Le système final reproduit les excentricités planétaires, leur alignement apsidal et la distance projetée de la binaire. Le système d'˘ Andromède : De haut en bas, la première figure montre les excentricités des compagnons planétaires (traits pleins et tirets) et stellaire (pointillés). La deuxième figure montre l'évolution du demi-grand axe de l'orbite de la binaire. La troisième figure montre la réalisation de l'alignement apsidal entre les deux planètes à travers la différence de leurs arguments de péricentre. La fenêtre temporelle du pulse d'accélération due au jet est montrée en pointillés dans les trois figures. Interaction dynamique jet stellaire---disque protoplanétaire. L’action dynamique des jets stellaires n’est pas limitée à l’excitation des excentricités et inclinaison planétaires. Le disque protoplanétaire qu’il contienne des planètes ou pas répond collectivement à l’accélération différentielle du jet. Cette réponse est différente de celle d’une ou de plusieurs planètes à cause de la viscosité du disque. L’accélération d’un jet comprend une composante parallèle à l’axe de l’étoile et une autre dans le plan du disque qui correspond à la précession du jet. Nous avons montré [4,5] que la composante axiale de l’accélération modifie de façon significative le profil de température et par conséquent la distribution spectrale d’énergie du disque. La composante tournante dans le plan du disque excite une onde de pression spirale de mode m = 1 à la position de la résonance entre la rotation képlérienne du disque et la précession du jet. Ce mode transfère du moment cinétique mais ne transfère pas d’énergie. Le résultat de cet échange freine la rotation du jet et conduit ainsi à la migration du rayon de résonance vers l’extérieur et au balayage des orbites planétaires. [1] Tremaine S. et Zakamska (2004) AIP Conf. Proc. 713, 243. [2] Namouni F. (2005) AJ 130, 280. [3] Namouni F. et Zhou J.-L. (2006) Celest. Mech. Dyn. Astr. sous presse. [4] Namouni F. (2006) BAAS 38, 101. [5] Namouni F. et Froeschlé Ch. (2006) en préparation.