LA MISE EN PLACE D’UNE FILIERE DE SOINS : EXEMPLE DE L’OSTEOPOROSE Georges Weryha1 Lionel Nace2 Séverine Petit1 Louis Fiorani 1,3 1 Service d'Endocrinologie - CHU de Nancy Services d'Accueil des Urgences - CHU de Nancy 3 Service de Rhumatologie - Hôpital Saint-Charles - Toul 2 L'ostéoporose appartient aux grands problèmes de santé publique liés au vieillissement, au même titre que les maladies cardio-vasculaires, les démences et les cancers. La prise en charge de l'ostéoporose répond à 3 objectifs : soigner la maladie, prévenir la fragilisation et retarder la dépendance. Ce dernier point revêt une importance primordiale dans le contexte économique difficile que traversent tous les systèmes de santé des pays développés. Pertinence médicale des filières de soins : Le bien commun est de soigner correctement les patients qui s’adressent à nous en respectant les limites de l’enveloppe financière qui nous est attribuée. La dérive régulière des coûts de santé est due à l’utilisation de techniques coûteuses et non validées, à l’application extensive du principe de précaution et à l’auto-prescription. L’auto-prescription d’actes de soins par les acteurs du système de santé préserve le niveau de revenus hospitaliers et libéraux. La généralisation des recommandations, des RCP et des autres contraintes réglementaires limite la dérive des coûts pour des populations et des pathologies ciblées. La filière de soins complète ces aspects. Elle optimise la prise en charge de pathologies fréquentes prises en compte avec retard. Le rapport élaboré par Claude Jeandel et Philippe Vigouroux a montré l’importance de la filière gériatrique. Celle-ci s’inscrit comme une « voie finale commune » où la gestion de l’individu prime sur la gestion de la pathologie. Les filières de soins par pathologie se placent en amont de la filière gériatrique et ont pour objet premier de la retarder. La maladie ostéoporotique ; L’ostéoporose est une fragilité du squelette. Elle est associée des fractures dues à des traumatismes peu importants nommées « fractures à basse énergie ». Après 50 ans, elle touche une femme sur deux et un homme sur quatre. Son incidence augmente exponentiellement avec l’âge. En France, l’ostéoporose est responsable de 130 000 fractures par an et représente un coût direct d’un milliard d’euros. En 2050, le vieillissement attendu de la population triplera ce coût. La fracture sentinelle : La première fracture à basse énergie marque l’entrée dans la prévention secondaire de la maladie ostéoporotique. Cette fracture sentinelle est associée à une multiplication par un facteur 3 à 5 du risque de nouvelle fracture. Parmi tous les marqueurs de risque identifiés, la fracture ostéoporotique est le marqueur le plus puissant. Malheureusement, la fracture sentinelle n’est considérée que comme un évènement orthopédique aléatoire de peu de conséquences. Dans 95% des cas, elle ne déclenche aucune démarche de prévention secondaire. La cascade fracturaire : Classiquement, la fracture du poignet ouvre le bal vers 60 ans. Elle est suivie 10 ans plus tard par la fracture vertébrale qui traumatise autant le corps que l’esprit. Vers 80 ans, apparaît la fracture du col du fémur qui est une des façons de quitter la vie selon l’aphorisme de Dieulafoy. Elle provoque le décès des personnes les plus fragiles. Elle laisse un handicap physique qui empêche la moitié des patients de monter ou de descendre un étage. Elle contribue fréquemment à la dépendance et à l’institutionnalisation. La succession des fractures ostéoporotiques intervient de manière aléatoire au cours d’une vie. Le rythme des fractures s’accélère. Cette cascade d’évènements accompagne le processus de fragilisation gériatrique. La filière «ostéoporose » en Lorraine : A partir de 2002, le CHU de Nancy a vu émerger une filière de soins consacrée aux ostéoporoses. Cette initiative est due aux liens historiques qui ont existé entre les écoles endocrinologique et rhumatologique. Cette filière est nommée « pour la Qualité de l’Os en Lorraine » ou filière QOL. Elle est articulée autour du Service d’Accueil des Urgences (Dr Lionel Nace), du service d’Endocrinologie (Pr Georges Weryha) et est placée sous la responsabilité opérationnelle d’une attachée de recherche clinique (Séverine Petit). De nombreux correspondants généralistes et spécialistes, libéraux ou hospitaliers, collaborent au fonctionnement de la filière QOL. L’objectif est de recenser les patients ostéoporotiques porteurs d’une fracture incidente ou prévalente à basse énergie et de les informer sur la nécessité d’une prise en charge médicale adaptée. Critères d’inclusion : Patients des 2 sexes âgés de plus de 45 ans consultant pour une fracture incidente ou prévalente à basse énergie. Critères d’exclusion : Accident de la vois publique, traumatisme plus violent que la chute de la hauteur du 2ème barreau d’une échelle. Fracture des os propres du nez, du crâne, des métacarpiens, des métatarsiens et des phalanges. Procédure de recensement : Les patients admis au Service d’Accueil des Urgences du CHU de Nancy pour une fracture ostéoporotique sont recensés par l’attaché de recherche clinique de la filière QOL. Les patients grabataires ainsi que ceux qui présentent une altération sévère des fonctions cognitives (démence) ne sont pas retenus pour la procédure ultérieure. Les dossiers médicaux des patients retenus font l’objet d’un examen a priori. En l’absence de tout facteur confondant associé, le responsable du projet adresse une lettre d’information au médecin traitant désigné. Parallèlement, une copie de ce courrier est adressée au patient. Ce courrier souligne la valeur diagnostique de la fracture incidente et l’importance d’une prise en charge médicale spécifique et adaptée. Il évite toute dramatisation inutile. Cette procédure d’information a été approuvée par le Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins de Meurthe et Moselle. Procédure de prise en charge des patients de la filière QOL : Les patients sont adressés au service d’Endocrinologie par un médecin traitant. Cette démarche médicale se place dans le cadre de la prévention secondaire de la maladie ostéoporotique telle qu’elle est définie par les critères de remboursement de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie. La cohorte des patients passés par le SAU s’enrichit régulièrement de patients fracturés adressés par les médecins référents et de nombreux spécialistes (médecins généralistes, gynécologues, cancérologues, internistes, dermatologues, pneumologues, …). En fonction d’une évaluation préalable, le patient se voit proposer une prise en charge en consultation externe ou en hospitalisation de jour. Exceptionnellement, les cas les plus préoccupants peuvent relever de l’hospitalisation conventionnelle de court séjour. Le bilan est adapté pour chaque patient en fonction de son histoire médicale, de son état clinique et des examens complémentaires disponibles. Le bilan peut comporter : - une évaluation clinique complète avec la détermination des facteurs de risque ostéoporotiques et des autres risques de maladie dégénérative liée au vieillissement (maladies cardio-vasculaires, altérations cognitives et sensorielles, cancers hormonaux dépendants), - une densitométrie osseuse avec VFA (vertebral fracture assessment) et mesure de la composition corporelle, - un bilan biologique à la recherche d’une ostéoporose secondaire, - un bilan biologique du métabolisme phosphocalcique avec dosage de la PTH et de la 25OH vitamine D plasmatiques, un dosage des marqueurs biochimiques du remodelage osseux, des dosages hormonaux, - un scanner sans injection du rachis thoraco-lombaire. Cet examen remplace les radiographies standard et donne accès à une analyse semi-quantative de l’architecture osseuse. Le scanner quantifie les fractures vertébrales et recherche un étiologie locale ou générale de ces lésions, - une évaluation diététique avec le calcul de la ration calcique alimentaire, - les autres examens complémentaires nécessaires tels que la mammographie, l’examen gynécologique, le bilan vasculaire, l’échographie rénale, l’évaluation des fonctions cognitives et locomotrices, la consultation de médecine physique et de réadaptation fonctionnelle. Les indications de ces examens sont posées avec circonspection lorsqu’ils apparaissent utiles au diagnostique et qu’ils n’ont pas étés préalablement réalisés, - une éducation thérapeutique qui permet au patient de prendre conscience des réalités médicales et sociales liées à son état, Les résultats du bilan font l’objet d’une synthèse et d’une proposition thérapeutique circonstanciée. Le compte rendu est adressé au médecin référent et aux médecins désignés par le patient. Les résultats et les enseignements de la filière QOL : La filière QOL recense 1300 patients par an. Le taux de couverture des patients éligibles pour une prise en charge spécifique est légèrement inférieur à 50%. Nous ne disposons pas de données sur le devenir des patients qui n’ont pas été pris en charge de manière active par la filière QOL. Parmi les patients pris en charge, nous pouvons tirer les conclusions suivantes. Sur la cohorte de patients fracturés, nous comptons 3 femmes pour un homme. Vingt cinq % des patients présentent une ostéoporose radiologique et 50% présentent une ostéopénie. Les 25% restants ont une masse osseuse normale. Moins de 10 % des patients qui consultent pour une fracture plurielle ont bénéficié d’une prise en charge spécifique, même ponctuelle pour le risque ostéoporotique. La filière QOL se heurte à l’hostilité des rhumatologues libéraux qui la considère comme relevant d’une concurrence déloyale et de l’indifférence des chirurgiens orthopédistes qui ne prennent pas conscience que l’absence de continuité des soins représente une perte de chance qui pourrait leur être reprochée. Les médecins généralistes font habituellement bon accueil à cette filière. Conclusion : La filière de soins QOL est une des premières initiatives transversale dans le domaine de la prise en charge du risque ostéoporotique .Elle se place en amont et en continuité avec la filière gériatrique L’intégration des démarches diagnostique et thérapeutique fournit au médecin référent une réponse intégrée et donne au patient un parcours éducatif qui motive et prolonge son adhésion thérapeutique. Cette adhésion est la véritable clé de l’efficacité d’un traitement pour lequel nous disposons aujourd’hui d’une gamme complète. Notre objectif est d’étendre la démarche de filière à la majorité des patients fracturés, au-delà des frilosités corporatistes, des dénis passéistes et des peurs générées par la place de l’industrie pharmaceutique.