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L’espace média des étudiants des cours d’administration, d’économie, d’histoire, de politique et de
sociologie
POUVOIR CIVIL ET MILITAIRE AMERICAINS PENDANT LA GUERRE DU GOLFE
(1990-1991)
Rapport de lecture en histoire rédigé par Justine Leblanc et Thomas Gag
De 1990 à 1991, la première guerre du Golfe prend d’assaut le Moyen-Orient. En effet,
Saddam Hussein et ses troupes irakiennes envahissent le Koweït le 2 août 1990. Cette action
est immédiatement condamnée par la communauté internationale. La journée même,
l’Organisation des Nations Unies passe la résolution 660, condamnant l’invasion du Koweït et
sommant les forces armées irakiennes de se retirer immédiatement. Cette résolution est suivie
de près par la résolution 661, passée le 6 août 1990, l’on joint à la condamnation de cette
attaque de fortes sanctions économiques, notamment en imposant un embargo sur l’achat de
pétrole irakien ou koweïtien. Saddam Hussein fait toutefois fi de ces deux résolutions, et celles-
ci demeurent sans résultat. C’est donc en constatant l’échec des mesures prises par la
communauinternationale qu’en août 1990, les États-Unis d’Amérique décident de prendre les
choses en mains et de régler la crise par eux-mes, en mettant sur pied un plan militaire qui
sera mené par une coalition dont ils seront à la tête.1
Toutefois, il serait faux de dire que la guerre fit l’unanimité du corps décisionnel de la
politique américaine. Bien que la décision de débarquer au Koweït ait été encensée par la
communau internationale et la majori du corps décisionnel américain, ce fut après la
libération de ce territoire que les différends d’opinion entre deux groupes d’influence distincts se
firent sentir. Le premier groupe soutenait la poursuite de l’attaque jusqu’à Bagdad, dans
l’optique d’y déloger Saddam Hussein et son régime autoritaire. Le second groupe, quant à lui,
prônait un retrait des troupes. Selon les membres de ce groupe, il fallait s’en tenir à cette
victoire, sans tenter de pousser plus loin l’opération.2 Nous tenterons donc de démontrer que la
décision de conclure la guerre après le retrait des troupes irakiennes du Koweït ne fut pas
unanime en raison de la tension existant entre ces deux groupes, et que contrairement à
certaines idées, la guerre du Golfe ne fut pas un échec, mais bien une grande victoire pour les
Américains.
1
Schwab, Orrin. 2009. The Gulf Wars and the United States: Shaping the Twenty-First Century. Westport: Praeger
Security International Reports, pages 1 à 3.
2
Nacos, Brigitte Lebens. 1994. “Presidential Leadership During the Persian Gulf Conflict. Presidential Studies
Quarterly, vol. 24 numéro 3 (été 1994).
2
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Nous tenterons de situer les principaux acteurs dans un contexte théorique clair. Puis, à
travers celui-ci, nous présenterons les personnalités et les diverses motivations des acteurs
principaux des deux groupes d’opinion, pour mieux expliquer les conflits existants entre ceux-ci.
Nous établirons ensuite les arguments des deux groupes divergents pour finalement prouver
que selon les critères du groupe priorisé par le président américain, la guerre était en effet une
grande victoire.
Comprendre la formation des deux groupes et du conflit découlant des différentes prises
de position de ceux-ci est impossible sans la présentation du contexte historique. En effet, la
guerre du Golfe comportait son lot d’enjeux, non seulement en ce qui avait trait au Moyen-
Orient, mais aussi pour les affaires internes des États-Unis d’Amérique. Tout au long des
années 1980, on souffre encore de l’échec de la campagne américaine au Viêt Nam, parfois
nommé le syndrome du Viêt Nam, soit la peur de refaire face à une défaite contre une armée
non conventionnelle moins puissante que celle des États-Unis. De 1964 à 1973, les troupes
américaines sont envoyées en renfort à la république du Viêt Nam, située au sud du pays.
Toutefois, la performance militaire américaine y est médiocre. L’opinion publique, influencée par
les nombreuses images de guerre prises par les envoyés spéciaux3, s’oppose fortement à la
présence américaine en territoire vietnamien. De plus, les forces conventionnelles américaines
ne sont pas efficaces devant la guérilla viêt-cong. L’appui militaire américain à Saigon est donc
retiré en 1974, et le gouvernement Viêt-Cong s’y installera en 1975. Cette défaite militaire sera
très difficile à porter pour la mémoire collective américaine. C’est en se concentrant sur le conflit
avec l’URSS qu’on tentera d’effacer cette humiliation.4 En 1990, l’armée américaine a enfin une
raison de célébrer : c’est la chute du régime soviétique. 5 Ces deux éléments contrastants
marquent fortement la conscience américaine : la défaite du Viêt Nam, mais également la
victoire en URSS, et auront chacun leur impact sur les décisions prises durant la guerre du
Golfe.
L’un des effets majeurs de la guerre du Viêt Nam est la doctrine Weinberger-Powell,
établie dans les années 1980 et basant la doctrine militaire américaine sur les principes
suivants. Tout d’abord, la guerre ne se ferait que si toutes les options diplomatiques étaient
3
Hoskins, Andrew. 2004. Televising War : From Vietnam to Irak. London: Continuum International Publishing
Group, p.34 à 37.
4
David, Charles-Philippe. 1991. La guerre du Golfe: l’illusion de la victoire? Montréal : Art global, chapitre 12.
5
Guelton, Frédéric. 1996. La guerre américaine du Golfe : guerre et puissance à l’aube du XXIe siècle. Lyon : Presses
universitaires de Lyon, chapitre 6.
3
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épuisées. De plus, les forces armées seront utilisées avec une force immense et écrasante pour
essayer de dissuader l’ennemi avant me que la guerre ne soit commencée, afin d’éviter dans
la mesure du possible le réel conflit armé. Finalement, chaque mission aura une stratégie de
sortie non modifiable et des objectifs fixes, clairs et précis. Cette doctrine avait pour but d’éviter
l’enlisement des troupes et la répétition d’un fiasco tel que la guerre du Viêt Nam. Après la chute
de l’URSS, on décide qu’il est important de s’engager à l’international, et on choisira de le faire
selon le modèle de guerre à haute intensité plutôt que selon celui de guerre irrégulière, tel
qu’appliqué au Viêt Nam. La doctrine Weinberger-Powell est donc d’actualité puisque ce sera
celle qui sera appliquée au cours de la guerre du Golfe.6
Un autre enjeu qui vient s’ajouter aux changements du relief politico-militaire américain
est l’acte Goldwater-Nichols de 1986. Réponse aux nombreuses rivalités interservices ayant
causé de graves problèmes militaires, notamment au cours de la guerre du Viêt Nam, celui-ci
mit en place les changements institutionnels les plus drastiques dans le fonctionnement du
département de défense des États-Unis d’Amérique, et ce, sur plusieurs points. Tout d’abord,
cette loi américaine prévoyait le renforcement du statut et de l’autorité du chef de l’état-major
interarmes. Celui-ci devint le principal conseiller militaire du président, en plus d’être l’exécuteur
désigné des plans et des doctrines. La loi prévoyait également d’accorder plus de pouvoir
décisionnel aux commandements régionaux, entre autres le Central Command (CENTCOM), en
charge de la région du Moyen-Orient, en les rendant responsables de la planification et de la
mise sur pied de plans de défense et d’interventions militaires. Le pouvoir opérationnel s’est vu
centralisé dans le CENTCOM, à qui est dorénavant assignée la coordination des forces
marines, aériennes et terrestres, afin d’atteindre un objectif militaire commun, plutôt que la
coordination indépendante et inefficace des efforts des différents services. De plus, le chef de
l’état-major interarmées (en anglais le « Chairman of Joint Chiefs of Staff », soit CJCS) détient
maintenant le pouvoir opérationnel qui était auparavant réparti entre les « Chiefs of Staff», et est
d’autant plus influent qu’il est maintenant le principal conseiller militaire du président. Il est à
noter que les rivalités entre les différents corps armés étaient également un problème aux yeux
des organisateurs militaires. Cette loi avait donc pour but de rendre plus efficace et fonctionnelle
6
LaFeber, Walter. 2009. « The Rise and Fall of Colin Powell and the Powell Doctrine. » Political Science Quarterly,
volume 124, numéro 1 (printemps 2009), pages 71 à 93.
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l’organisation de l’armée, et ainsi de permettre au président américain de disposer d’une
meilleure structure militaire. 7
La guerre du Golfe de 1990-1991 fut la première guerre menée selon la réorganisation
des forces armées tel que prévu par la loi Goldwater-Nichols. De 1980 à 1988, une guerre
sanglante entre l'Irak et l'Iran faisait rage. En plus des très nombreuses pertes humaines, l'Irak
sortit de cette guerre avec une dette faramineuse qui s'élevait à plus de 150 % de son produit
intérieur brut. Une partie majeure de ces dettes étaient dues à l'Arabie Saoudite et au Koweït.
L'Irak et son président Saddam Hussein firent de nombreuses pressions pour que ces dettes
soient annulées, ce fut toutefois un échec. Également, l'Irak accusait le Koweït de faire une
surproduction de pétrole, ce qui entraînait des chutes de prix du baril de cette me ressource.
En 1989, l'Irak affirme perdre sept milliards de dollars en raison de la surproduction de ses
voisins. Cette situation envenima la relation entre l'Irak et le Koweït qui était déjà très difficile. En
effet, plusieurs conflits ont eu lieu entre ces deux nations dans les décennies précédentes, l'Irak
prétendant que le Koweït était une province irakienne et non une nation indépendante. Le conflit
entre les deux nations atteindra son paroxysme lorsque l'Irak accusera le Koweït de faire du
forage sur son territoire. Elle envahira le Koweït le 2 août 1990. Cette invasion est fortement
réprimandée par l'Organisation des Nations Unies, qui forme une coalition, dont les États-Unis
seront à la tête, pour aider le Koweït. Les États-Unis fournissent plus de la moitié des militaires
présents dans cette coalition de plus de 34 États. La guerre du Golfe fut un succès militaire
écrasant : l’opération militaire, nommée Desert Storm, entraîna la capitulation de l’Irak en moins
de 100 heures. Les deux objectifs militaires de ce plan étaient, en premier temps, de protéger
l’Arabie Saoudite. Un accord de défense entre les États-Unis et l’Arabie saoudite avait en effet
était signé quelques années auparavant, ayant pour but principal de protéger les énormes
réserves pétrolières d’Arabie saoudite. Le deuxième but était de libérer le territoire du Koweït,
soumis à l’invasion irakienne. Les objectifs ayant été atteints, certains membres du cabinet de
George Bush pressèrent celui-ci de continuer les opérations jusqu’à Bagdad afin d’y déloger
Saddam Hussein et son régime autoritaire.8
Après l’opération Desert Storm et Desert Shield, ayant connu un énorme succès, un
autre enjeu se présente aux dirigeants américains : devrait-on continuer les opérations militaires
7
Kipp, Jacob W. et Grau, Lester W. 2011. “Military Theory, Startegy, and Praxis.” Military Review, vol. 91 nuro 2
(mars-avril 2011), p. 12-22.
8
Stern, Brigitte. 1993. Guerre du Golfe : le dossier dune crise internationale 1990-1992. Paris : La documentation
française, partie II section E.
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jusqu’à Bagdad, afin de faire tomber le régime de Saddam Hussein, ou devrait-on s’en tenir à la
victoire fulgurante en territoire koweïtien? Le pouvoir décisionnel américain était divisé en deux
factions sur la question9, deux groupes d’influence d’opinions divergentes, que nous nommerons
ici les faucons et les colombes. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’instance politique
à laquelle appartenaient les différents membres des groupes n’était pas le facteur décisif dans la
prise de position : le conflit n’en était pas un entre militaires et dirigeants civils. Les groupes
étaient hétérogènes. Le premier, celui des faucons, désirait poursuivre l’offensive jusqu’à
Bagdad, afin d’y déloger Saddam Hussein. Le membre du cabinet de George H. W. Bush
défendant cette position avec le plus de ferveur était sans doute son secrétaire à la défense,
Robert « Dick » Cheney. Celui-ci souhaitait notamment redorer le blason américain sur la scène
internationale en affirmant la force de sa nation. L’invasion américaine de l’Irak, pour lui, en était
l’occasion idéale. Cheney, impliqué en politique depuis 1969, se démarquait par sa vitesse à
recourir aux armes. Il dirigea en effet la campagne au Panama en 1989, l’opération « Just
Cause » remplaça le dictateur Manuel Noriega par le président Guillermo Endara, sous prétexte
de remplacer une dictature par une démocratie, et ce, sans support de la part de la
communauinternationale. Son patriotisme américain justifiait les interventions américaines :
répandre la démocratie et établir la grandeur de la nation américaine à travers le monde
comptait parmi ses priorités10. Dick Cheney a lui-même dit :
« We're always going to have to be involved [in the Middle East]. Maybe it's part
of our national character, you know we like to have these problems nice and neatly
wrapped up, put a ribbon around it. You deploy a force, you win the war and the problem
goes away and it doesn't work that way in the Middle East it never has and isn't likely to
in my lifetime. »11 (Nous devrons toujours être impliqués [au Moyen-Orient]. Peut-être
cela fait-il partie de notre caractère national, vous savez bien que nous aimons bien
régler ces problèmes. On déploie une force, on gagne une guerre et le problème
disparaît! Mais ce n’est pas ainsi que ça fonctionne au Moyen-Orient, ce ne l’a jamais
été et ce ne le sera probablement jamais de mon vivant.)
9
Yetiv, Steve A. 2004. Explaining Foreign Policy: U.S. Decision-Making in the Gulf Wars. Baltimore: The Johns
Hopkins University Press, chapitre 11.
10
Hayes, Stephen F. 2007. Cheney: The Untold Story of America’s Most Powerful and Controversial Vice President.
New York: Harper Collins Publishers, chapitre 7.
11
PBS Network. Année inconnue. « Interview with Richard Cheney, Secretary of Defense. » in PBS Network :
Frontline. Support web. http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/gulf/oral/cheney/1.html, consulté le 1
novembre 2012.
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