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ENJEUX
L’espace média des étudiants des cours d’administration, d’économie, d’histoire, de politique et de
sociologie
POUVOIR CIVIL ET MILITAIRE AMERICAINS PENDANT LA GUERRE DU GOLFE
(1990-1991)
Rapport de lecture en histoire rédigé par Justine Leblanc et Thomas Gagné
De 1990 à 1991, la première guerre du Golfe prend d’assaut le Moyen-Orient. En effet,
Saddam Hussein et ses troupes irakiennes envahissent le Koweït le 2 août 1990. Cette action
est immédiatement condamnée par la communauté internationale. La journée même,
l’Organisation des Nations Unies passe la résolution 660, condamnant l’invasion du Koweït et
sommant les forces armées irakiennes de se retirer immédiatement. Cette résolution est suivie
de près par la résolution 661, passée le 6 août 1990, où l’on joint à la condamnation de cette
attaque de fortes sanctions économiques, notamment en imposant un embargo sur l’achat de
pétrole irakien ou koweïtien. Saddam Hussein fait toutefois fi de ces deux résolutions, et cellesci demeurent sans résultat. C’est donc en constatant l’échec des mesures prises par la
communauté internationale qu’en août 1990, les États-Unis d’Amérique décident de prendre les
choses en mains et de régler la crise par eux-mêmes, en mettant sur pied un plan militaire qui
sera mené par une coalition dont ils seront à la tête.1
Toutefois, il serait faux de dire que la guerre fit l’unanimité du corps décisionnel de la
politique américaine. Bien que la décision de débarquer au Koweït ait été encensée par la
communauté internationale et la majorité du corps décisionnel américain, ce fut après la
libération de ce territoire que les différends d’opinion entre deux groupes d’influence distincts se
firent sentir. Le premier groupe soutenait la poursuite de l’attaque jusqu’à Bagdad,
dans
l’optique d’y déloger Saddam Hussein et son régime autoritaire. Le second groupe, quant à lui,
prônait un retrait des troupes. Selon les membres de ce groupe, il fallait s’en tenir à cette
victoire, sans tenter de pousser plus loin l’opération.2 Nous tenterons donc de démontrer que la
décision de conclure la guerre après le retrait des troupes irakiennes du Koweït ne fut pas
unanime en raison de la tension existant entre ces deux groupes, et que contrairement à
certaines idées, la guerre du Golfe ne fut pas un échec, mais bien une grande victoire pour les
Américains.
1
Schwab, Orrin. 2009. The Gulf Wars and the United States: Shaping the Twenty-First Century. Westport: Praeger
Security International Reports, pages 1 à 3.
2
Nacos, Brigitte Lebens. 1994. “Presidential Leadership During the Persian Gulf Conflict.” Presidential Studies
Quarterly, vol. 24 numéro 3 (été 1994).
1
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Nous tenterons de situer les principaux acteurs dans un contexte théorique clair. Puis, à
travers celui-ci, nous présenterons les personnalités et les diverses motivations des acteurs
principaux des deux groupes d’opinion, pour mieux expliquer les conflits existants entre ceux-ci.
Nous établirons ensuite les arguments des deux groupes divergents pour finalement prouver
que selon les critères du groupe priorisé par le président américain, la guerre était en effet une
grande victoire.
Comprendre la formation des deux groupes et du conflit découlant des différentes prises
de position de ceux-ci est impossible sans la présentation du contexte historique. En effet, la
guerre du Golfe comportait son lot d’enjeux, non seulement en ce qui avait trait au MoyenOrient, mais aussi pour les affaires internes des États-Unis d’Amérique. Tout au long des
années 1980, on souffre encore de l’échec de la campagne américaine au Viêt Nam, parfois
nommé le syndrome du Viêt Nam, soit la peur de refaire face à une défaite contre une armée
non conventionnelle moins puissante que celle des États-Unis. De 1964 à 1973, les troupes
américaines sont envoyées en renfort à la république du Viêt Nam, située au sud du pays.
Toutefois, la performance militaire américaine y est médiocre. L’opinion publique, influencée par
les nombreuses images de guerre prises par les envoyés spéciaux3, s’oppose fortement à la
présence américaine en territoire vietnamien. De plus, les forces conventionnelles américaines
ne sont pas efficaces devant la guérilla viêt-cong. L’appui militaire américain à Saigon est donc
retiré en 1974, et le gouvernement Viêt-Cong s’y installera en 1975. Cette défaite militaire sera
très difficile à porter pour la mémoire collective américaine. C’est en se concentrant sur le conflit
avec l’URSS qu’on tentera d’effacer cette humiliation.4 En 1990, l’armée américaine a enfin une
raison de célébrer : c’est la chute du régime soviétique. 5 Ces deux éléments contrastants
marquent fortement la conscience américaine : la défaite du Viêt Nam, mais également la
victoire en URSS, et auront chacun leur impact sur les décisions prises durant la guerre du
Golfe.
L’un des effets majeurs de la guerre du Viêt Nam est la doctrine Weinberger-Powell,
établie dans les années 1980 et basant la doctrine militaire américaine sur les
principes
suivants. Tout d’abord, la guerre ne se ferait que si toutes les options diplomatiques étaient
3
Hoskins, Andrew. 2004. Televising War : From Vietnam to Irak. London: Continuum International Publishing
Group, p.34 à 37.
4
David, Charles-Philippe. 1991. La guerre du Golfe: l’illusion de la victoire? Montréal : Art global, chapitre 12.
5
Guelton, Frédéric. 1996. La guerre américaine du Golfe : guerre et puissance à l’aube du XXIe siècle. Lyon : Presses
universitaires de Lyon, chapitre 6.
2
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épuisées. De plus, les forces armées seront utilisées avec une force immense et écrasante pour
essayer de dissuader l’ennemi avant même que la guerre ne soit commencée, afin d’éviter dans
la mesure du possible le réel conflit armé. Finalement, chaque mission aura une stratégie de
sortie non modifiable et des objectifs fixes, clairs et précis. Cette doctrine avait pour but d’éviter
l’enlisement des troupes et la répétition d’un fiasco tel que la guerre du Viêt Nam. Après la chute
de l’URSS, on décide qu’il est important de s’engager à l’international, et on choisira de le faire
selon le modèle de guerre à haute intensité plutôt que selon celui de guerre irrégulière, tel
qu’appliqué au Viêt Nam. La doctrine Weinberger-Powell est donc d’actualité puisque ce sera
celle qui sera appliquée au cours de la guerre du Golfe.6
Un autre enjeu qui vient s’ajouter aux changements du relief politico-militaire américain
est l’acte Goldwater-Nichols de 1986. Réponse aux nombreuses rivalités interservices ayant
causé de graves problèmes militaires, notamment au cours de la guerre du Viêt Nam, celui-ci
mit en place les changements institutionnels les plus drastiques dans le fonctionnement du
département de défense des États-Unis d’Amérique, et ce, sur plusieurs points. Tout d’abord,
cette loi américaine prévoyait le renforcement du statut et de l’autorité du chef de l’état-major
interarmes. Celui-ci devint le principal conseiller militaire du président, en plus d’être l’exécuteur
désigné des plans et des doctrines. La loi prévoyait également d’accorder plus de pouvoir
décisionnel aux commandements régionaux, entre autres le Central Command (CENTCOM), en
charge de la région du Moyen-Orient, en les rendant responsables de la planification et de la
mise sur pied de plans de défense et d’interventions militaires. Le pouvoir opérationnel s’est vu
centralisé dans le CENTCOM, à qui est dorénavant assignée la coordination des forces
marines, aériennes et terrestres, afin d’atteindre un objectif militaire commun, plutôt que la
coordination indépendante et inefficace des efforts des différents services. De plus, le chef de
l’état-major interarmées (en anglais le « Chairman of Joint Chiefs of Staff », soit CJCS) détient
maintenant le pouvoir opérationnel qui était auparavant réparti entre les « Chiefs of Staff», et est
d’autant plus influent qu’il est maintenant le principal conseiller militaire du président. Il est à
noter que les rivalités entre les différents corps armés étaient également un problème aux yeux
des organisateurs militaires. Cette loi avait donc pour but de rendre plus efficace et fonctionnelle
6
LaFeber, Walter. 2009. « The Rise and Fall of Colin Powell and the Powell Doctrine. » Political Science Quarterly,
volume 124, numéro 1 (printemps 2009), pages 71 à 93.
3
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l’organisation de l’armée, et ainsi de permettre au président américain de disposer d’une
meilleure structure militaire. 7
La guerre du Golfe de 1990-1991 fut la première guerre menée selon la réorganisation
des forces armées tel que prévu par la loi Goldwater-Nichols. De 1980 à 1988, une guerre
sanglante entre l'Irak et l'Iran faisait rage. En plus des très nombreuses pertes humaines, l'Irak
sortit de cette guerre avec une dette faramineuse qui s'élevait à plus de 150 % de son produit
intérieur brut. Une partie majeure de ces dettes étaient dues à l'Arabie Saoudite et au Koweït.
L'Irak et son président Saddam Hussein firent de nombreuses pressions pour que ces dettes
soient annulées, ce fut toutefois un échec. Également, l'Irak accusait le Koweït de faire une
surproduction de pétrole, ce qui entraînait des chutes de prix du baril de cette même ressource.
En 1989, l'Irak affirme perdre sept milliards de dollars en raison de la surproduction de ses
voisins. Cette situation envenima la relation entre l'Irak et le Koweït qui était déjà très difficile. En
effet, plusieurs conflits ont eu lieu entre ces deux nations dans les décennies précédentes, l'Irak
prétendant que le Koweït était une province irakienne et non une nation indépendante. Le conflit
entre les deux nations atteindra son paroxysme lorsque l'Irak accusera le Koweït de faire du
forage sur son territoire. Elle envahira le Koweït le 2 août 1990. Cette invasion est fortement
réprimandée par l'Organisation des Nations Unies, qui forme une coalition, dont les États-Unis
seront à la tête, pour aider le Koweït. Les États-Unis fournissent plus de la moitié des militaires
présents dans cette coalition de plus de 34 États. La guerre du Golfe fut un succès militaire
écrasant : l’opération militaire, nommée Desert Storm, entraîna la capitulation de l’Irak en moins
de 100 heures. Les deux objectifs militaires de ce plan étaient, en premier temps, de protéger
l’Arabie Saoudite. Un accord de défense entre les États-Unis et l’Arabie saoudite avait en effet
était signé quelques années auparavant, ayant pour but principal de protéger les énormes
réserves pétrolières d’Arabie saoudite. Le deuxième but était de libérer le territoire du Koweït,
soumis à l’invasion irakienne. Les objectifs ayant été atteints, certains membres du cabinet de
George Bush pressèrent celui-ci de continuer les opérations jusqu’à Bagdad afin d’y déloger
Saddam Hussein et son régime autoritaire.8
Après l’opération Desert Storm et Desert Shield, ayant connu un énorme succès, un
autre enjeu se présente aux dirigeants américains : devrait-on continuer les opérations militaires
7
Kipp, Jacob W. et Grau, Lester W. 2011. “Military Theory, Startegy, and Praxis.” Military Review, vol. 91 numéro 2
(mars-avril 2011), p. 12-22.
8
Stern, Brigitte. 1993. Guerre du Golfe : le dossier d’une crise internationale 1990-1992. Paris : La documentation
française, partie II section E.
4
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jusqu’à Bagdad, afin de faire tomber le régime de Saddam Hussein, ou devrait-on s’en tenir à la
victoire fulgurante en territoire koweïtien? Le pouvoir décisionnel américain était divisé en deux
factions sur la question9, deux groupes d’influence d’opinions divergentes, que nous nommerons
ici les faucons et les colombes. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’instance politique
à laquelle appartenaient les différents membres des groupes n’était pas le facteur décisif dans la
prise de position : le conflit n’en était pas un entre militaires et dirigeants civils. Les groupes
étaient hétérogènes. Le premier, celui des faucons, désirait poursuivre l’offensive jusqu’à
Bagdad, afin d’y déloger Saddam Hussein. Le membre du cabinet de George H. W. Bush
défendant cette position avec le plus de ferveur était sans doute son secrétaire à la défense,
Robert « Dick » Cheney. Celui-ci souhaitait notamment redorer le blason américain sur la scène
internationale en affirmant la force de sa nation. L’invasion américaine de l’Irak, pour lui, en était
l’occasion idéale. Cheney, impliqué en politique depuis 1969, se démarquait par sa vitesse à
recourir aux armes. Il dirigea en effet la campagne au Panama en 1989, où l’opération « Just
Cause » remplaça le dictateur Manuel Noriega par le président Guillermo Endara, sous prétexte
de remplacer une dictature par une démocratie, et ce, sans support de la part de la
communauté internationale. Son patriotisme américain justifiait les interventions américaines :
répandre la démocratie et établir la grandeur de la nation américaine à travers le monde
comptait parmi ses priorités10. Dick Cheney a lui-même dit :
« We're always going to have to be involved [in the Middle East]. Maybe it's part
of our national character, you know we like to have these problems nice and neatly
wrapped up, put a ribbon around it. You deploy a force, you win the war and the problem
goes away and it doesn't work that way in the Middle East it never has and isn't likely to
in my lifetime. »11 (Nous devrons toujours être impliqués [au Moyen-Orient]. Peut-être
cela fait-il partie de notre caractère national, vous savez bien que nous aimons bien
régler ces problèmes. On déploie une force, on gagne une guerre et le problème
disparaît! Mais ce n’est pas ainsi que ça fonctionne au Moyen-Orient, ce ne l’a jamais
été et ce ne le sera probablement jamais de mon vivant.)
9
Yetiv, Steve A. 2004. Explaining Foreign Policy: U.S. Decision-Making in the Gulf Wars. Baltimore: The Johns
Hopkins University Press, chapitre 11.
10
Hayes, Stephen F. 2007. Cheney: The Untold Story of America’s Most Powerful and Controversial Vice President.
New York: Harper Collins Publishers, chapitre 7.
11
PBS Network. Année inconnue. « Interview with Richard Cheney, Secretary of Defense. » in PBS Network :
Frontline. Support web. http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/gulf/oral/cheney/1.html, consulté le 1
novembre 2012.
5
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Un autre partisan de la continuation de l’attaque jusqu’à Bagdad était le sous-secrétaire
à la défense, Paul Wolfowitz. Durant la guerre, Wolfowitz et son équipe étaient responsables de
la révision et de la coordination des actions militaires. C’est notamment à lui que revient le crédit
d’avoir amassé 50 milliards de dollars auprès des alliés de l’intervention militaire afin de
subvenir aux opérations en territoire koweïtien. Étant lui aussi un grand partisan de la poursuite
de la guerre jusqu’à Bagdad, il appuyait Cheney dans ses positions auprès du président
américain. Wolfowitz et Cheney voyaient la décision de ne pas poursuivre jusqu’à Bagdad
comme une trahison des principes de la démocratie qui définissaient la nation américaine.12
L’autre groupe, prônant plutôt le respect du mandat de l’ONU et le retrait des troupes
après la victoire militaire en sol koweïtien, était surtout constitué de militaires américains, à
l’exception de James Baker, qui était à l’époque secrétaire d'État. Baker était un membre très
influent du cabinet du président, notamment en raison de sa gestion de la chute du mur de
Berlin, de la chute de l’URSS et de son rôle dans les négociations américaines qui suivirent.
Baker était d’avis que toute action militaire devrait être sanctionnée explicitement par l’ONU. La
résolution de l’ONU qui fut passée ne sanctionnant que l’action militaire en vue de déloger les
troupes de Saddam Hussein du territoire koweïtien, Baker croyait que l’intervention américaine
devait se limiter à cela. Le but ayant été atteint, il ne fallait maintenant pas pousser plus loin.
Baker craignait également que d’outrepasser le mandat accordé par l’ONU n’ait un impact
négatif sur la réputation américaine au sein de la communauté internationale, que l’armée
américaine soit vue comme une force oppressante et non-libératrice.13 L’autre membre de ce
groupe était Norman Schwartzkopf, surnommé « Stormin’ Norman » à la suite des opérations
éclair Desert Shield et Desert Storm, qui était en charge du Central Command. Il avait mené
auparavant quelques opérations en Asie et en Afrique, mais c’est lors de la guerre du Golfe qu’il
s’est réellement fait remarqué. Il était le responsable du plan de guerre qui fit connaître un
succès militaire si fulgurant. Sa stratégie priorisant l’attaque aérienne et le bombardement
intelligent, s’apparentant à la technique allemande du « blitzkrieg » utilisée lors de la Deuxième
Guerre mondiale, en plus de son idée que la guerre se devait d’être de courte durée et de haute
intensité, garantit le succès des Américains dans leur campagne au Koweït. Quand, suivant le
bombardement d’un bâtiment hébergeant des civils le 13 février 1991, il est décidé que le
12
Freedman, Lawrence and Karsh, Efraim. 1993. The Gulf Conflict 1990-1991: Diplomacy and War in the New World
Order. Princeton: Princeton University Press, chapitre 5.
13
Foster, G. D. 1997. “Failed Expectations: The Crisis of Civil-Military Relations in America.” Brookings Review, vol.
13 numéro 4, p. 46-47.
6
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bombardement aérien est insuffisant et que doit commencer l’opération terrestre, Schwarzkopf
opte en faveur d’une opération éclair, soit une opération écrasante de moins de 100 heures.
L’armée américaine réussira véritablement à faire capituler l’Irak en 98 heures.14 Tout au long de
la guerre, Colin Powell, le chef d’état-major interarmées, aura énormément confiance en
Schwarzkopf. Général réputé ayant connu plus de 28 crises au cours de son mandat en tant
que chef d’état-major, il était admiré aux États-Unis non seulement pour sa carrière militaire,
mais aussi pour ses principes de guerre, prônant la diplomatie avant les armes. La doctrine
Weinberger-Powell, dont nous avons énoncé les grandes lignes plus haut, stipulait que la guerre
ne se ferait que si toutes les autres options diplomatiques étaient épuisées.15 Cette doctrine est
à prendre en compte, surtout considérant le fait que selon les réarrangements prévus par le
traité Goldwater-Nichols, Powell était désormais responsable d‘appliquer ses doctrines et ses
plans. Ces deux militaires, ayant forgé une relation de confiance très forte au cours du conflit,
s’entendaient pour déconseiller la poursuite de la guerre au président.
Le but de ces deux groupes était chacun de convaincre le président américain que leur
position était celle qu’il fallait suivre. Le président américain de l’époque, George H.W. Bush,
avait ses propres préoccupations. La situation dans laquelle le président Bush est arrivé au
pouvoir était particulière : élu en 1989, peu après la chute du mur de Berlin, c’était les premiers
pas des États-Unis en tant que gendarme du monde et de puissance hégémonique. Ayant été
vice-président de Ronald Reagan de 1981 à 1989, précédemment ambassadeur des États-Unis
aux Nations Unies et directeur de la Central Intelligence Agency, Bush avait derrière lui une
longue carrière politique. Les affaires internationales comptaient parmi ses priorités,
contrairement à certains autres présidents américains. De plus, le conflit dans le Golfe Persique
se déroula vers la fin de son mandat. Bush avait déjà sa campagne de réélection en tête, et
savait que la manière dont serait gérée la crise aurait un impact direct sur ses chances d’être
réélu à la présidence.16 La compréhension des différentes visions, motivations et personnalités
des acteurs importants à l’intérieur du conflit permet de mieux comprendre la lutte d’influences
qui caractérisa la décision ou non de poursuivre l’attaque jusqu’à Bagdad.
14
Brune, Lester H. 1993. America and the Iraqi Crisis 1990-1991: Origins and Aftermath. Claremont: Regina Books,
chapitre 3.
15
Campbell, K. 1991. “All Rise for Chairman Powell.” National Interest, numéro 23, p. 51-60.
16
Nacos, Brigitte Lebens. 1994. “Presidential Leadership During the Persian Gulf Conflict.” Presidential Studies
Quarterly, vol. 24 numéro 3 (été 1994), 543 p.
7
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Le 28 février 1991, l’Irak capitule devant les États-Unis d’Amérique, quelque 98 heures
après le début de l’opération militaire terrestre. La guerre est reconnue par la majorité comme
un triomphe de l’armée américaine.Toutefois, la décision américaine de conclure la guerre après
la capitulation irakienne ne fit pas l’unanimité. Certains observateurs qualifièrent la performance
américaine de triomphe sans être une victoire.17 Comme mentionné précédemment, les faucons
poussaient pour une continuation de la guerre, croyant que le mandat américain de
démocratisation surpassait en importance celui donné par l’ONU de se limiter à la libération du
Koweït. Ce groupe, ainsi que les critiques de la décision américaine d’arrêter la guerre, voyait la
survie même de Saddam comme une défaite, sans parler des conséquences politiques,
économiques et humaines à long terme. Dans cette optique, le retrait des troupes était vu
comme un acte de lâcheté de la part du gouvernement américain.18 Toutefois, il ne faut pas se
méprendre sur la définition de la victoire. Selon la doctrine Weinberger-Powell, la guerre se
devait d’avoir des objectifs fixes, qui seraient par la suite atteints, et l’atteinte de ces objectifs
marquerait la fin du conflit armé. À la suite de la loi Goldwater-Nichols, c’était Powell, le chef
d’état-major interarmées, qui était chargé d’appliquer sa doctrine au domaine militaire américain.
En gardant ces faits en tête, le fait que cette guerre était un succès fulgurant devient irréfutable,
de par le fait que les objectifs aient été atteints. Les quatre objectifs du président Bush au cours
de cette guerre étaient précis. D’une part, il s’agissait d’assurer le retrait complet des forces
irakiennes du territoire koweïtien, ce qui fut accompli. Secondement, le but de la restauration du
gouvernement légitime koweïtien fut également atteint. Les troisième et quatrième buts, quant à
eux, étaient d’assurer la stabilité et la sécurité dans la région et la protection des vies des
soldats américains. Ces buts furent eux aussi atteints, si on ne considère que la durée de la
crise. Les pertes de vie américaines furent minimales, et l’équilibre de la région fut rétabli.
Toutefois, c’est en considérant la période suivant la guerre que nous pouvons remettre en
question l’atteinte des troisième et quatrième objectifs, et donc la victoire américaine en ellemême, et c’est ce que les critiques ont fait.19 Mais là n’est pas la question : si l’on veut constater
l’échec ou la réussite de la guerre, il faut regarder la guerre en soi. On voit donc que cette
guerre fut une grande réussite.
17
U.S. News & World Report. 1992. Triumph Without Victory: The Unreported History of the Persian Gulf War. New
York: Random House, chapitre 2.
18
Redd, Steven Blake. 2001. “The Influence of Advisers on Decision Strategies and Choice in Foreign Policy
Decision-Making.” Dissertations Abstracts International A: The Humanities and Social Sciences, vol. 61 numéro 7.
19
Yetiv, Steve A. 2004. Explaining Foreign Policy: U.S. Decision-Making in the Gulf Wars. Baltimore: The Johns
Hopkins University Press, chapitre 11.
8
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De plus, il est important de rendre compte de la lutte d’influences entre faucons et
colombes pour justifier la décision du président Bush de ne pas poursuivre jusqu’à Bagdad. Le
groupe des colombes était beaucoup plus influencé par la guerre du Viêt Nam que le groupe
des faucons, car leur expérience militaire dérivait principalement de celle-ci et de la période en
découlant. La doctrine Weinberger-Powell était en effet une réponse à cette défaite, et le
principe de guerre éclair privilégié par Schwarzkopf était pour prévenir un enlisement des
troupes tel que vécu au Viêt Nam.20 Baker, quant à lui, était plus préoccupé par les relations
diplomatiques, étant le secrétaire d'État. Dans le monde postsoviétique, les États-Unis, en
particulier Baker, voyaient d’un bon œil le recours aux institutions internationales.21 L’une des
plus grandes prouesses de Baker, au cours du conflit, fut de réussir à obtenir le support russe,
chinois et arabe en vue de l’intervention armée de la coalition menée par les États-Unis. Il ne
l’aurait certainement pas obtenu si le mandat avait inclus l’invasion de l’Irak. Il était donc
important de respecter ce mandat afin de maintenir une bonne réputation sur la scène
internationale, ainsi qu’une relation de confiance entre les États membres de l’ONU.
Bush pencha donc en faveur de ce groupe plutôt qu’en faveur de celui des faucons,
constitué de Cheney et Wolfowitz, qui eux croyaient que la poursuite vers Bagdad augmenterait
le capital politique de George Bush, en plus d’affirmer de manière encore plus forte la puissance
des États-Unis, ainsi que leur influence dans la région. Bush, préoccupé par la réélection
approchant à grands pas, prit la décision de ne pas poursuivre jusqu’à Bagdad, écoutant
davantage le groupe des colombes.22 Arrêter la mission en plein succès semblait pour lui une
meilleure option que de risquer de la pousser plus loin et voir la popularité de cette guerre et son
succès dépérir.
L’importance des acteurs ne peut être sous-estimée tant dans les conflits que dans ses
conséquences. Bien que le groupe des colombes fût celui qui fut écouté par le président, il ne
faut sous-estimer le groupe des faucons, ceux-ci ayant eu un énorme poids dans la deuxième
guerre du Golfe. La victoire des colombes sur les faucons a créé un précédent dans les affaires
20
LaFeber, Walter. 2009. « The Rise and Fall of Colin Powell and the Powell Doctrine. » Political Science Quarterly,
volume 124, numéro 1 (printemps 2009), pages 71 à 93.
21
Yetiv, Steve A. 2003. « Groupthink and the Gulf Crisis. » British Journal of Political Science, numéro 33 (été 2003),
p.419 à 442.
22
Eberhardt, David R. 2001. “Inter-Service Rivalry and the Joint Chiefs of Staff: A Comparison of Military Force
Deployments under the Weak and Strong Chairman Models.” Dissertations Abstracts International A: The
Humanities and Social Sciences, vol. 62 numéro 4.
9
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militaires américaines, celui de respecter les mandats accordés par l’ONU, de rester dans les
objectifs de sécurité prescrits dans la communauté internationale plutôt que de poursuivre des
visées de grandeur américaine. Toutefois, il ne faut pas pour autant négliger la puissance des
faucons, qui seront notamment responsables de la deuxième guerre du Golfe Persique.
Wolfowitz et Cheney, entre autres, seront cosignataires du PNAC (« Project for a New American
Century »), dont la pensée fondamentale était que le leadership américain dans les affaires
internationales était à la fois bon pour les Etats-Unis, et bon pour le monde. 23 Le PNAC
influencera grandement l’administration de Bush fils et son vice-président, nul autre que Dick
Cheney, fervent avocat en faveur de la poursuite de la guerre jusqu’à Bagdad. Le député
secrétaire à la défense, quant à lui, sera Paul Wolfowitz, qui occupera donc la seconde place la
plus importante au sein du département de défense américain. Les faucons deviendront les
célèbres « néo-conservateurs » de l’administration de Bush fils.
En conclusion, à travers la présentation des éléments conceptuels importants
présentés ci-haut, tels la guerre du Viêt-Nam, la loi Goldwater-Nichols et la doctrine WeinbergerPowell en découlant, ainsi qu’un bref résumé du contexte historique de la guerre du Golfe en
tant que tel, nous avons pu situer les acteurs importants de la guerre du Golfe. La présentation
de certains éléments biographiques nous a permis de mieux comprendre les personnalités et
motivations des personnages, et donc leurs prises de position vis-à-vis celui-ci. Suite à
l’explication de ces éléments, nous avons pu démontrer que la guerre fut une victoire sans
équivoque pour l’administration Bush, malgré le conflit
existant entre les colombes et les
faucons, certains partisans de ce deuxième groupe ayant soutenu que la guerre avait été une
défaite.
Toutefois, nous pouvons nous demander si la décision de George Bush père de ne pas
poursuivre jusqu’à Bagdad fut réellement la bonne. En soi, la guerre du Golfe de 1990-1991 est
une victoire militaire époustouflante. C’est en regardant les conséquences survenues après la
fin de celle-ci que nous soulevons des doutes. Quelques mois après la guerre, Saddam avait
recommencé ses programmes de développement de l’arme biologique, nucléaire et chimique, et
était fermement en place au pouvoir. George Bush, quant à lui, perdu les élections de 1992
23
LaFeber, Walter. 2009. « The Rise and Fall of Colin Powell and the Powell Doctrine. » Political Science Quarterly,
volume 124, numéro 1 (printemps 2009), pages 71 à 93.
10
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devant le démocrate Bill Clinton.24 C’est à se demander si la décision de ne pas poursuivre
jusqu’à Bagdad était réellement la bonne.
24
LaFeber, Walter. 2009. « The Rise and Fall of Colin Powell and the Powell Doctrine. » Political Science Quarterly,
volume 124, numéro 1 (printemps 2009), pages 71 à 93.
11
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BIBLIOGRAPHIE
Articles de périodiques
1. Callum, Robert. 2001. “War as a Continuation of Policy by Other Means:
Clausewitzian Theory in the Persian Gulf War.” Defense Analysis, vol. 17 numéro
1 (avril 2001), p. 59-72.
2. Camacho, Paul R. et Hauser, William Locke. 2007. “Civil-Military Relations-Who
Are the Real Principals? A Response to "Courage in the Service of Virtue: The
Case of General Shinseki's Testimony before the Iraq War".” Armed Forces &
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3. Campbell, K. 1991. “All Rise for Chairman Powell.” National Interest, numéro 23,
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5. Eberhardt, David R. 2001. “Inter-Service Rivalry and the Joint Chiefs of Staff: A
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ENJEUX
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9. LaFeber, Walter. 2009. « The Rise and Fall of Colin Powell and the Powell
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10. Nacos, Brigitte Lebens. 1994. “Presidential Leadership During the Persian Gulf
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11. Redd, Steven Blake. 2001. “The Influence of Advisers on Decision Strategies
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3. Cheney, Dick et Cheney, Liz. 2011. In My Time: A Personnal and Political
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Points d’intérêt: Chapitre 5, “Mr. Secretary”
4. David, Charles-Philippe. 1991. La guerre du Golfe: l’illusion de la victoire?
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Points d’intérêt : Chapitre 5, « Une croisade contre un supervilain »
Chapitre 12, « La mémoire du Viêt-Nam ».
5. Freedman, Lawrence and Karsh, Efraim. 1993. The Gulf Conflict 1990-1991:
Diplomacy and War in the New World Order. Princeton: Princeton University
Press, 504 p.
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ENJEUX
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sociologie
Points d’intérêt: Chapitre 5, “Desert Shield”
Chapitre 15, «The Great Debate ».
6. Guelton, Frédéric. 1996. La guerre américaine du Golfe : guerre et puissance à
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Points d’intérêt : Chapitre 6, « Une coalition mondiale ».
7. Hayes, Stephen F. 2007. Cheney: The Untold Story of America’s Most Powerful
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Points d’intérêt: Chapitre 7, “At War”.
8. Moore, Raymond A., Pfiffner, James P. et Whicker, Marcia Lynn. 1993. The
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Points d’intérêt: Chapitre 1, “Presidential Policy-Making and the Gulf War”
Chapitre 3, “The Power of Commander in Chief”.
9. Mueller, John. 1994. Policy and Opinion in the Gulf War. Chicago: The University
of Chicago Press, 379 p.
Points d’intérêt: Chapitre 2, “The Approach to War: Data”.
10. Renshon, Stanley A. 1993. The Political Psychology of the Gulf War. Pittsburgh:
University of Pittsburgh Press, 374 p.
Points d’intérêt: Chapitre 2, “President Bush Goes to War: A Psychological
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Commentary on Part II, “Personality and Leadership During the
Gulf War”.
11. Scales, Robert H. Jr. 1993. Certain Victory: The U.S. Army in the Gulf War.
Washington, D.C.: Potomac Books, Inc., 435 pages.
Points d’intérêt: Chapitre 3, “Plotting the Campaign”.
12. Schwab, Orrin. 2009. The Gulf Wars and the United States: Shaping the TwentyFirst Century. Westport: Praeger Security International Reports, 167 p.
Points d’intérêt: Chapitre 1, “The Gulf Wars and American Foreign Relations”
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ENJEUX
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sociologie
Chapitre 3, “The First Gulf War”.
13. Stern, Brigitte. 1993. Guerre du Golfe : le dossier d’une crise internationale 19901992. Paris : La documentation française, 626 p.
Points d’intérêt : Partie II – La crise internationale, section E, « La position des
États-Unis ».
14. U.S. News & World Report. 1992. Triumph Without Victory: The Unreported
History of the Persian Gulf War. New York: Random House, 477 p.
Points d’intérêt: Chapitre 2, “Washington Reacts.”
15. Yetiv, Steve A. 2004. Explaining Foreign Policy: U.S. Decision-Making in the Gulf
Wars. Baltimore: The Johns Hopkins University Press, 315 p.
Points d’intérêt: Chapitre 6, “Government Politics: Not Much, Actually”
Chapitre 10, “Understanding Government Behavior: Intergrating
Process, Choice, and Outcome”.
15
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