La déchirure.
Il suffit de vivre en Amérique du Nord pour constater la rupture profonde, brutale et
infiniment dangereuse, entre les Etats-Unis et le monde arabe et musulman. Plus les semaines
passent, plus cette rupture semble irréparable, plus l'abîme de l'incompréhension se creuse,
plus la stupidité de la position américaine éclate au grand jour. Le monde étasunien a déclaré
la guerre à l'Islam, à un milliard deux cents millions de personnes dans le monde, sans
équivoque : « we are at war », et sans complexes.
L'après 11 Septembre 2001 a déclenché outre-atlantique les passions les plus irrationnelles, la paranoïa la plus
incontrôlée, et la peur irraisonnée de l'Arabe et du Musulman. Elle déchaîne des réactions passionnelles dans la
presse, dans les journaux et sur les écrans de télévision, qui relaient la politique du Pentagone et de la
Maison-Blanche. Des experts consultés, dont beaucoup portent fièrement la kippa, donnent leurs avis sur la
nécessité de mener une guerre à l'Islam. Comment ce spectacle peut-il faire croire aux Arabes et aux Musulmans
que l'Amérique est neutre à leur égard. On a beau chercher un encouragement, on ne constate aucun facteur
d'apaisement, aucun signe de dialogue. L'Amérique, comme le montre Pierre Hassner, se sent à la fois vulnérable et
toute-puissante, et cette combinaison terrifiante lui fait mener sa politique extérieure en état d'ivresse irraisonnée.
Quels que soient les vrais instigateurs des attentats du 11 Septembre, cette date a marqué le début d'erreurs
funestes, lourdes de conséquences. Alors que l'Amérique était déjà plus que suspecte d'animosité envers l'Islam à
cause de son soutien indéfectible à Israël, elle s'est entêtée. L'invasion de l'Afghanistan et de l'Irak, justifiées par
l'administration Bush par des prétextes de lutte contre le terrorisme islamique, ont radicalisé l'Amérique et l'ont isolée
du monde arabe et musulman. L'Europe, elle-même, a pris ses distances vis-à-vis de Washington, et attend
prudemment.
Certains indicateurs montrent la dégradation de l'image américaine. La firme de consultants en études de marchés
Roper ASW a mis en évidence une chute très marquée des ventes internationales de grandes marques américaines.
Nike a perdu 14 % de ses ventes, Microsoft 18 % et Mac Donald 21 %. Les étudiants arabes et musulmans fuient les
Etats-Unis. Ici, à Montréal, les grandes universités comme Mc Gill ont enregistré des records d'inscriptions
d'étudiants en provenance du Moyen-Orient et les loueurs d'appartements pour étudiants se frottent les mains.
Bush s'entête, et entraîne avec lui l'Amérique dans sa démence. Le maintien de l'occupation américaine en Irak est
une erreur grossière, faut-il le répéter. Et Bush, qui a voulu, ou prétendu, aider à trouver une solution au conflit
israélo-palestinien, n'a toujours pas compris que rien ne se ferait sans Arafat. Comme l'écrit Alexandre Adler, «
quelque chose de monumental va se passer au Proche et Moyen-Orient dans les toutes prochaines semaines. On
ne sait pas si c'est en Irak, en Palestine, ou ailleurs. Il faut s'attendre au pire ».
Rien de bon ne peut sortir de l'attitude américaine envers l'Islam. L'Amérique, avec toute sa puissance militaire et
économique apparente, ne peut prétendre mener une guerre sur tous les fronts des pays arabes et musulmans. S'il
fût une époque, dans les années 50 et 60, où l'Amérique avait les pieds sur terre et installait des dictateurs avec
l'appui de la CIA, elle s'est maintenant mise en tête de renverser les dictateurs et d'instaurer la démocratie forcée.
Une démocratie « à l'américaine », inconsciente des spécificités de peuples dont l'histoire, la culture, les moeurs et
les croyances sont radicalement différentes de celles qui prévalent au Texas ou dans la tête de Chrétiens «
re-bornés » du Middle-West.
On ne peut qu'être effarés du fossé qui sépare maintenant l'Amérique du reste du monde, surtout islamique, et
inquiets de la suite vraisemblable des évènements. Des voix, démocrates et républicaines, s'élèvent avec force en
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