PRÉFACE DU PROF. DR DIETER CONEN
Du point de vue de l’histoire de la médecine, la transition
entre les XXeet XXIesiècles s’est notamment caractérisée par
un changement de conception, à savoir que les dommages
subis par les patients seraient des composantes inévitables
des prestations médicales, souvent imputables à une
formation insuffisante du personnel ou à des soignants
peu zélés1. Qu’est-ce que cela signifie et de quoi parlons-
nous vraiment, lorsque l’on évoque la sécurité des
patients au niveau des services de santé? S’agit-il
véritablement d’un problème de santé publique moderne?
La nécessité d’agir de façon urgente n’est remise en
cause ni par les politiques ni par les assureurs et
certainement pas par les prestataires de soins. Preuve
en sont par exemple les divers projets lancés par l’Office
fédéral de la santé publique dans le cadre de la stratégie
de qualité de la Confédération, tels que «La sécurité
en chirurgie» et «La sécurité de la médication aux inter-
faces». Il en va de même du récent programme qui se
fixe pour objectif de réduire le nombre des complications
liées à l’utilisation des sondes vésicales.
«TRYING HARDER WILL NOT WORK» 2
La plupart des personnes concernées ont bien conscience
que l’amélioration de la sécurité des patients ne peut
pas être obtenue en travaillant plus, en pratiquant plus
d’activités ou en faisant de l’activisme. Qualité et sécurité
sont des spécificités du système, qui ne peuvent pas être
améliorées à long terme sans un changement cohérent
du système lui-même.
En comparaison avec les premiers pas du «mouvement
pour la sécurité des patients», il y a près de 14 ans,
nous disposons certainement aujourd’hui d’une vision
différente des causes de la mauvaise qualité et des
lacunes en termes de sécurité des patients. L’analyse
approfondie de la chaîne des processus qui se sont conclus
par un préjudice (comme c’est le cas depuis longtemps
pour d’autres branches «à fort potentiel de risque»), et
la considération d’une défaillance systémique plutôt que
la responsabilité des individus ont contribué de manière
significative à la levée du tabou lié à la reconnaissance
d’un dommage causé par un acte médical.
Une mauvaise communication au sein de l’équipe, avec
d’autres services et groupes professionnels, un travail
d’équipe qui ne l’est pas, des interruptions, des distractions
et le manque de formation en équipe sont non seulement
identifiés comme des sources d’erreurs potentielles,mais
aussi reconnus en tant que causes de fautes systémiques
accompagnées d’un risque accru de dommages en résultant.
S’il est indéniable que la sécurité des patients est une
question systémique relative à la santé publique, on
en conclut que le système «santé publique» doit être
organisé de telle sorte que ceux qui sont chargés de
cette sécurité comprennent aussi le devoir dont ils sont
investis: offrir aux patients un acte médical sûr et non
une médecine génératrice de dommages évitables.
Les acteurs du secteur médical se doivent de rester
conscients que des erreurs peuvent survenir et qu’ils ont
la tâche d’y faire face, c’est-à-dire de mettre en œuvre
des dispositions préventives afin qu’un incident n’ait
pas de conséquences dommageables ou, pour le moins,
que ses effets soient atténués.
Conscients que les problèmes de communication
jouent un rôle central au niveau de l’analyse des causes
d’erreurs médicales avec dommage consécutif au patient,
les auteurs de cette publication de la fondation Sécurité
des patients Suisse ont choisi de traiter un sujet essentiel
à la collaboration pluridisciplinaire et interprofessionnelle,
à savoir la communication au sein de l’équipe. Comment
dois-je me comporter face à mon équipe lorsque je
suis témoin d’une erreur? Comment faire part de mon
observation? N’est-il pas parfois plus judicieux ou opportun
de se taire? Serait-il favorable à ma carrière personnelle
d’attirer l’attention de mes supérieurs sur un danger
potentiel pour le patient, en raison de la marche à suivre
prévue pour l’acte médical? Ces questions, et bien
d’autres, les collaboratrices et les collaborateurs qui
ont vécu des expériences diverses en formulant de telles
observations, peuvent se les poser.
Les auteurs s’attachent à montrer de manière marquante
où se situe le potentiel d’amélioration en matière de
sécurité des patients, dans une culture qui rend taboue
l’expression de telles observations («Speak Up»), quelles
qu’en soient les raisons. Ils formulent également des
recommandations quant aux mesures à prendre pour que
cette facette d’une «culture de la sécurité» puisse être
praticable. Sur la base d’exemples simples du quotidien,
ils mettent en lumière que la communication au sein de
l’équipe, celle avec les supérieurs ou avec des confrères
n’est pas une compétence acquise a priori, mais qui doit
être formée et entraînée au même titre que la chirurgie, la
réanimation ou toute activité similaire au cœur du travail
des professionnels de la santé.
Je félicite chaleureusement les auteurs de cette publication
réussie et éducative; quant aux lecteurs, je leur souhaite
de pouvoir en retirer de nombreux conseils pour la pratique
quotidienne de leur profession.
Zurich, novembre 2015
Prof. Dr méd. Dieter Conen
Président de la fondation Sécurité des patients Suisse
4Publication Speak Up
1 Kohn LT, Corrigan JM, Donaldson MS (Hrsg.) To Err Is Human. Building a safer health system.
Washington, DC: Institute of Medicine, Committee on Quality of Health Care in America; 1999.
2Committee on Quality of Health Care in America; Institute of Medicine Crossing the quality
chasm. A new health system for the 21st century. Washington DC: National Academy Press; 2001.