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Les limites du concept homéostatique d’activation
Voici un deuxième exemple d’une évidence ignorée, cette fois dans le domaine de la motivation et
de l’émotion. Il est communément admis que les individus n’aiment pas et essayent d’éviter de
hauts niveaux d’excitation – ce qui est assimilée à de l’anxiété. Ce qui est clair, et que les
psychologues travaillant dans le domaine de la motivation et de l’émotion ont tendance à oublier,
c’est que les individus veulent parfois des niveaux élevés d’excitation – et plus c’est élevé et mieux
c’est – dont ils font l’expérience avec enthousiasme, voire dans l’euphorie. En d’autres termes,
l’excitation élevée se présente sous deux formes : l’une agréable et l’autre désagréable. Il ne suffit
pas de dire que cela a été reconnu par Hebb quand il a développé sa théorie du niveau optimal
d’activation et qu’il a fait remarquer que parfois les gens font des choses, aussi bien pour élever que
pour abaisser leurs niveaux d’excitation. Pour Hebb le niveau d’excitation le plus agréable est
toujours plus ou moins modéré et toute élévation ou réduction doit conduire à ce niveau modéré.
Mais Hebb n’a fourni aucune explication quant aux raisons pour lesquelles les gens pourraient
vouloir augmenter leur niveau d’excitation au-delà des niveaux modérés. Après tout, quand on va à
une fête foraine, un match de football ou un concert de rock, on ne veut pas un niveau d’excitation
seulement modéré – on veut une excitation très élevée. En fait, on veut des sensations. Certaines
personnes vont même aller jusqu’à des dangers extrêmes (tels que le saut à l’élastique et le saut en
chute libre, etc.) afin de réaliser cette expérience. J’ai documenté ce phénomène en détail (Apter,
1992). Les simples théories homéostatiques de type Hebb (et cette idée d’homéostasie sous-tend un
certain nombre de théories de la personnalité, comme celles d’Eysenck et de Zuckerman) ne
peuvent rendre compte de ces phénomène de façon convaincante. Ce qu’il faut, c’est une approche
qui permette d’expliquer comment les individus peuvent faire des expériences alternatives – et
même opposées – en lien avec différents besoins et désirs.
C’est ici que Freud a, lui aussi, quelques ennuis. D’une part, il a pu dire, sous diverses formulations,
que les individus veulent réduire leurs pulsions psychiques à de bas niveaux et que, s’ils ne le font
pas, ils feront l’expérience de l’anxiété. D’autre part, Freud a vu la sexualité comme une pulsion
essentielle. Mais le but du comportement sexuel est de parvenir au maximum de l’excitation
sexuelle et à l’orgasme. Il a fallu à Freud toute une vie de théorisations complexes pour tenter de
donner un sens à sa propre auto-contradiction théorique ! Il se serait épargné beaucoup de
problèmes, s’il avait pu reconnaître ce que tous les gens qui ne sont pas psychologues savent, à
savoir que parfois, nous voulons de l’excitation (par exemple durant l’activité sexuelle) et que
d’autres fois, nous voulons la paix et le calme (et là encore, nous constatons que les gens changent
au cours de leur vie quotidienne, alternant leur désir pour de hauts ou bas niveaux d’excitation, de
sorte qu’y voir un trait, au sens traditionnel du terme, n’à guère de signification).
Il y a un autre point important ici. Si un individu, à un moment donné, est à la recherche d’une
haute excitation, alors toute émotion intense, quelle qu’elle soit, peut être pour lui une source de
plaisir. On peut supposer que cela inclue aussi bien des émotions négatives comme l’horreur,
l’anxiété, la douleur et ainsi de suite. À première vue, il semble peu probable que nous aillons du
plaisir avec de telles émotions. Mais en fait, si nous nous observons nous-mêmes, dans la vie réelle,
nous verrons que c’est effectivement le cas. Par exemple, nous prenons du plaisir aux « mauvaises »
émotions ressenties à la vue de certains films. Dans l’environnement sécurisé d’une salle de cinéma,
les émotions négatives peuvent devenir de bonnes émotions. Nous avons du plaisir à éprouver
l’horreur d’un film d’horreur, l’angoisse d’un thriller, la douleur d’une tragédie. Si nous n’avions
pas ce plaisir, pourquoi alors payons-nous pour aller au cinéma ? J’ai suggéré d’appeler ces
« mauvaises » émotions agréables, des émotions « parapathiques » (Apter, 1982). Là encore,
l’existence de ce type d’émotions est, si j’ose dire, évidente pour des non-psychologues – mais
apparemment oubliée dans toutes les théories psychologiques de l’émotion.