créatif. Au lieu de considérer un client passif, elles ont mis au premier plan le lecteur
actif, homme ou femme, ses manières de décoder les signes ou de se méprendre sur
eux, de s’approprier les objets ou de les refuser, d’inventer des pratiques ou de se
familiariser avec elles. Dès que dans les recherches empiriques d’histoire de la
consommation on donne ainsi la priorité au consommateur actif – ou encore à l’audi-
teur de radio, au spectateur de films, au lecteur de journaux actif –, on a besoin
d’avoir sur ceux-ci des connaissances détaillées, différenciées et diachroniques, c’est-
à-dire le genre de connaissances que les spécialistes des marchés produisent dans
leurs études, sondages et groupes de tests.
Notre article a donc l’ambition de présenter la société de consommation
contemporaine comme une « société de la connaissance », c’est-à-dire une société
où une connaissance appliquée est produite et constamment communiquée et où le
consommateur est construit comme un type social spécifique et comme un nœud
d’informations. Il ne s’agit donc pas de faire l’histoire des pratiques de consommation
dans l’Allemagne contemporaine ou des revenus ou des rêves des consommateurs
pour eux-mêmes. Au contraire, ce qui nous intéresse, c’est d’explorer quelques-uns
des cas auxquels les historiens d’aujourd’hui peuvent appliquer la production de
connaissances réalisées par des experts contemporains : économistes, psychologues,
spécialistes de la publicité. Avec un fil directeur : comprendre comment les études
de marché se sont mises en quête « du » consommateur inconnu et ont distingué les
acteurs féminins et masculins. Nous soutenons que le fait que les études de marché
sont une recherche-action a conduit ces experts à une reconnaissance du rôle des
femmes beaucoup plus réaliste qu’il n’était d’usage jusque-là dans les sciences éco-
nomiques. Dès lors les analystes de marketing ont proposé des stéréotypes modifiés
de l’« essence » du masculin et du féminin en ce qui concerne les désirs, les préfé-
rences et les goûts (3). Ainsi les études de marché ont joué (et jouent) un rôle essentiel
dans la création du marché de masse moderne qui est pensé et construit comme le
rassemblement d’acheteurs individuels, pleins de discernement et soucieux de maxi-
miser la valeur. Bref, la production d’un savoir sur les consommateurs contribue à
former un type social : le consommateur-citoyen sexué (4).
(3) Voir en introduction à une vaste littérature : V. de G
RAZIA
(avec E. F
URLOUGH
) (ed.), The Sex of
Things : Gender and Consumption in Historical Perspective, Berkeley, University of California Press,
1996.
(4) E. C
ARTER
,How German Is She ? Postwar West German Reconstruction and the Consuming
Woman, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1997 ; L. C
OHEN
,A Consumer’s Republic : The
Politics of Mass Consumption in Postwar America, New York, Knopf, 2003 ; S. K
ROEN
, « Der Aufstieg
des Kundenbürgers », in M. P
RINZ
(Hg.), Der lange Wege in den Überfluss. Anfänge und Entwicklung
der Konsumgesellschaft, Paderborn, Schöningh, 2003, p. 519-550 ; id., « A Political History of the
Consumer », à paraître dans The Historical Journal, 2004. Cf. M. B
ERNOLD
et A. E
LLMEIER
, « Konsum,
Politik und Geschlecht. Zur “Feminisierung” von Öffentlichkeit », in H. S
IEGRIST
,H.K
AELBLE
,J.K
OCKA
(Hg.), Europäische Konsumgeschichte, Francfort-sur-le-Main, Campus, 1997, p. 441-466.
C. CONRAD
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