De la clinique au microscope Quand les cellules

publicité
Cas clinique
De la clinique au microscope
Quand les cellules plasmacytoïdes
dendritiques se transforment…
When plasmacytoid dendritic cells become
malignant…
N. Ortonne1, S. Ingen-Housz-Oro2
(1 Département de pathologie, hôpital Henri-Mondor, AP-HP, Créteil ;
2
service de dermatologie, hôpital Henri-Mondor, AP-HP, Créteil)
Hématodermie CD4 CD56 •
Lymphome NK blastique •
Tumeur à cellules plasmacytoïdes dendritiques blastiques
• Cellules plasmacytoïdes dendritiques.
Hematoderma CD4 CD56 •
NK blastic lymphoma • Blastic
plasmacytoid dendritic cell
neoplasm • Plasmacytoid
dendritic cells.
U
n homme âgé de 82 ans, d’origine portugaise, ayant pour principaux
antécédents une perforation d’ulcère gastrique en 1966 et un diabète
de type II depuis 8 ans, traité par Plavix®, Temesta® et insuline, a vu
apparaître en juillet 2009 un petit nodule de 1 cm de diamètre au niveau de
l’abdomen, qui a rapidement augmenté de volume (figure 1). Par la suite,
sont apparues des lésions infiltrées diffuses sur le tronc.
Examen
À l’examen cutané, le patient présente une lésion tumorale nodulaire, très indurée,
de 7 x 5 cm de diamètre, située sur le côté gauche de l’abdomen. On note également
de multiples lésions infiltrées centimétriques siégeant sur le dos et la face antérieure
du tronc. Il existe une adénopathie axillaire gauche de 2 cm de diamètre, ferme et
mobile. Il n’y a pas d’autre adénopathie et le reste de l’examen clinique est normal. Il
n’y a pas de signes généraux.
La biopsie cutanée réalisée sur le nodule abdominal principal montre un infiltrat
dense et d’architecture diffuse, occupant toute la hauteur du derme (figure 2). Cet
infiltrat épargne l’épiderme, dont il est séparé par une petite bande de derme sain.
Il est majoritairement constitué de cellules mononucléées atypiques comportant
des noyaux irréguliers, avec une chromatine fine et sans nucléole proéminent, ainsi
qu’un cytoplasme clair modérément abondant (figure 3). Il y a des mitoses dispersées,
nombreuses, et des images d’apoptose, témoignant d’un taux élevé de prolifération
cellulaire. Compte tenu du monomorphisme de l’infiltrat et du caractère atypique
des cellules tumorales, le diagnostic de lymphome cutané est proposé en priorité
et une analyse immuno-histochimique complémentaire visant à caractériser préci­
sément la nature de la tumeur est réalisée. Celle-ci révèle initialement la négativité
des marqueurs T et B de routine CD3 et CD20 (figures 4 et 5). La positivité de CD4 et
de CD56 (figure 6) suggère la possibilité d’une hématodermie CD4+ CD56+ (tumeur à
cellules plasmacytoïdes dendritiques blastiques), un diagnostic qui est confirmé par
la positivité de CD123 (figure 7) et par la négativité des marqueurs de cytotoxicité et de
la myélopéroxydase, conjointement à l’absence de détection du virus d’Epstein-Barr
(EBV) par hybridation in situ. Le diagnostic est également conforté par la négativité
des analyses de clonalité lymphocytaire B et T.
Discussion
La tumeur à cellules plasmacytoïdes dendritiques blastiques est une maladie rare, qui
touche généralement les sujets âgés, avec une prédominance masculine. La maladie
se développe le plus souvent dans la peau, où elle forme une ou plusieurs tumeurs
18
Images en Dermatologie • Vol. III • n° 1 • janvier-février-mars 2010
Légendes
Figure 1. Nodule cutané érythémateux
violacé ferme, asymptomatique, localisé
sur l’abdomen.
Figure 2. Biopsie cutanée montrant un infltrat
dense de cellules mononucléées, d’architecture
diffuse, avec en surface un épiderme normal
séparé de la lésion par une petite bande de
derme sain (HES × 100).
Figure 3. L’infiltrat est constitué de cellules
atypiques de grande taille, avec un cytoplasme modérément abondant, clair, et
des noyaux irréguliers renfermant une
chromatine fine sans nucléole proéminent
(HES × 200).
Figure 4. L’immuno-marquage du CD3
montre la présence de rares lymphocytes B ;
il est négatif sur la majorité des cellules de
l’infiltrat (immuno-histochimie, × 100).
Cas clinique
De la clinique au microscope
1
2
3
4
Images en Dermatologie • Vol. III • n° 1 • janvier-février-mars 2010
19
Cas clinique
De la clinique au microscope
classiquement violacées ou brunes asymptomatiques, la moelle, les ganglions et le
sang, réalisant une véritable leucémie (1). Une association avec des hémopathies
myéloïdes est classique. Les tumeurs peuvent initialement répondre à la chimio­
thérapie, généralement similaire à celle donnée dans les leucémies myéloïdes, mais
la rechute est la règle, avec un pronostic très défavorable et une survie médiane qui
n’excède pas un an. Le recours à la greffe de moelle allogénique pourrait permettre
d’allonger la survie chez les sujets plus jeunes.
Cette maladie peut être tout à fait déconcertante pour les pathologistes qui ne sont
pas familiers de l’hématopathologie et des lymphomes cutanés. Elle se présente en
effet sous la forme d’un lymphome morphologiquement évident, mais qui s’avère
négatif pour les marqueurs B et T, avec, de plus, l’absence de clones lymphocytaires
détectables par les techniques moléculaires ! Cette situation peut se rencontrer dans
la peau ou tout autre organe, à chaque fois que l’on se trouve dans le cadre d’une proli­
fération hématopoïétique qui n’intéresse pas un clone lymphocytaire T ou B, comme
c’est le cas dans l’hématodermie, qui dérive des cellules plasmacytoïdes dendritiques
(CPD), dans les lymphomes dérivant des lymphocytes natural killer (lymphomes NK
de type nasal), ou dans toutes les hémopathies myéloïdes (sarcomes granulocytaires,
localisations cutanées de leucémie myélo-monocytaire, etc.). Le diagnostic différen­
tiel implique d’ailleurs la vérification de la négativité des marqueurs cytotoxiques et
l’absence d’intégration clonale de l’EBV (lymphome NK), ainsi que la négativité de la
myélopéroxydase (hémopathies myéloïdes).
Les CPD, ou monocytes plasmacytoïdes, existent à l’état normal dans le sang et peuvent
être recrutées dans les tissus dans diverses situations pathologiques. Ces cellules
sont des acteurs de l’immunité non adaptative et produisent de grandes quantités
d’interférons α (2). Dans la peau, ces cellules participeraient à la réponse contre les
virus et semblent particulièrement recrutées dans les lésions cutanées de certaines
maladies auto-immunes ou inflammatoires comme le lupus, le psoriasis au stade
débutant ou le lichen plan. Ces cellules doivent leur nom à leur ressemblance en
histologie et en cytologie avec les plasmocytes, et ont certaines particularités phéno­
typiques qui ont permis de les rapprocher de l’hématodermie CD4+ CD56+, comme la
positivité de CD123 (chaîne α du récepteur de l’IL-3), BDCA2 (3) ou BCL11A. Certaines
particularités phénotypiques comme la positivité de CD56 et TdT, normalement absent
dans les CPD, sont à l’origine d’une certaine indétermination dans la terminologie
appliquée à cette maladie. Avant d’être mise en rapport avec les CPD (3), elle était
initialement considérée comme une forme de lymphome NK immature, en raison
de la positivité de CD56 (“lymphome NK blastique” selon la classification OMS des
tumeurs hématopoïétiques de 2005), mais nommée “hématodermie CD4+ CD56+”
dans la classification OMS-EORTC de 2005, avant d’être rebaptisée “tumeur à cellules
plasmacytoïdes dendritiques blastiques” dans la dernière classification OMS 2009 des
tumeurs hématopoïétiques.
II
Références bibliographiques
1. Petrella T, Bagot M, Willemze R et al. Blastic NK-cell lymphomas (agranular CD4+CD56+ hematodermic
neoplasms): a review. Am J Clin Pathol 2005;123:662-75.
2. Cella M, Facchetti F, Lanzavecchia A, Colonna M. Plasmacytoid dendritic cells activated by influenza virus
and CD40L drive a potent TH1 polarization. Nat Immunol 2000;1:305-10.
3. Petrella T, Comeau MR, Maynadié M et al. “Agranular CD4+ CD56+ hematodermic neoplasm” (blastic
NK-cell lymphoma) originates from a population of CD56+ precursor cells related to plasmacytoid mono­
cytes. Am J Surg Pathol 2002;26:852-62.
20
Images en Dermatologie • Vol. III • n° 1 • janvier-février-mars 2010
Cas clinique
De la clinique au microscope
Légendes
Figure 5. L’immuno-marquage de CD20 est
également négatif sur les cellules atypiques
(immuno-histochimie, x 100).
Figure 6. Il existe une expression significative
de CD56, membranaire par l’infiltrat tumoral
(immuno-histochimie, x 100).
Figure 7. La positivité du marquage de
CD123, récepteur de l’IL-3, classiquement
exprimé par les cellules plasmacytoïdes
dendritiques, permet de confirmer l’hypothèse d’une hématodermie CD4+ CD56+ ou
tumeurs à cellules plasmacytoïdes dendritiques blastiques, selon la dernière classification OMS des tumeurs hématopoïétiques
(immuno-histochimie, x 400).
5
6
7
Images en Dermatologie • Vol. III • n° 1 • janvier-février-mars 2010
21
Téléchargement