REVUE MÉDICALE SUISSE
WWW.REVMED.CH
9 mars 2016
504
d’âge, l’existence d’atteintes axiales (spondylites, sacroiliite…)
ou d’atteintes articulaires périphériques (arthrites, dactylites…)
et de fréquentes manifestations extra-articulaires (uvéites an-
térieures, psoriasis ou d’autres atteintes cutanéo-muqueu ses).
Contrairement à la polyarthrite rhumatoïde, la lésion élémen-
taire des spondylarthropathies n’est pas une synovite, mais
une enthésite. Il s’agit donc d’une inflammation de l’enthèse
ou des structures anatomiques correspondant à l’insertion des
tendons, des ligaments ou des capsules articulaires sur l’os.
Ceci explique sans doute une grande partie de la clinique, comme
les atteintes axiales ou les atteintes unguéales dans l’arthrite
psoriasique, l’attache de l’ongle étant histologiquement éga-
lement une enthèse.4
CLINIQUE DES ARTHRITES RÉACTIONNELLES
Les arthrites réactionnelles ont été décrites pour la première
fois pendant la Première Guerre mondiale, indépendamment
en Allemagne par le Dr Hans Reiter et en France par les Drs
Fiessinger et Leroy. Chez des soldats infectés par des dysen-
teries infectieuses (shigelloses) dans les tranchées, ces médecins
ont décrit une triade associant une arthrite, une urétrite non
gonococcique et une conjonctivite survenant après l’épisode
de diarrhée sanglante. D’où les termes de «syndrome oculo-
uréthro-synovial» ou «syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter»
ou encore «maladie de Reiter», souvent utilisés comme syno-
nymes. Plus tard, le terme d’arthrite réactionnelle a été pro-
posé pour décrire des arthrites aseptiques (sans germe intra-
articulaire) apparaissant environ une à trois semaines après
une infection digestive ou génito-urinaire.
L’infection digestive se manifeste en général par la présence
d’une diarrhée fébrile, alors que l’infection urinaire est classi-
quement une urétrite se déclarant par un écoulement séropu-
rulent. Malheureusement, l’infection digestive ou génito-uri-
naire passe souvent inaperçue, particulièrement chez la femme,
si bien qu’il faudra la rechercher à l’aide d’examens complé-
mentaires. L’urétrite peut être associée à des lésions des mu-
queuses génitales, telles que la balanite circinée, des érosions
du gland, ou une dermatose scrotale.
Quelques jours à quelques semaines après l’infection des mu-
queuses apparaît l’atteinte articulaire, qui peut être mono ou
oligoarticulaire, rarement polyarticulaire. L’oligoarthrite est
généralement asymétrique, à début brutal et préférentiellement
localisée aux membres inférieurs (genoux, chevilles, métatar-
sophalangienne, ou des «orteils en saucisse»). On peut égale-
ment voir des enthésites, qui se manifestent par des talalgies,
des pygialgies ou des tendinites. Souvent simultanément, la
moitié des patients vont présenter une conjonctivite bilatérale,
associée à une hyperhémie palpébrale. Plus rarement, les pa-
tients présentent une iridocyclite, qui est généralement unila-
térale, douloureuse, et souvent récidivante. En dehors des
manifestations classiques de la triade, on peut voir des at-
teintes cutanées des paumes des mains et de la plante des pieds
(la kératodermie blennoragique), des lésions psoriasiformes
ou un érythème noueux.
ÉTIOLOGIE RÉACTIONNELLE VERSUS
INFECTION LENTE
Les bactéries arthritogènes classiquement associées avec la
survenue d’arthrites réactionnelles sont Chlamydia trachomatis
et Ureaplasma urealyticum pour les agents infectieux urinai res,
et Shigella flexneri / sonnei, Salmonella typhimurium / enteritidis,
Campylobacter jejuni et Yersionia enterocolitica pour les agents
infectieux entériques. Alors que les arthrites réactionnelles ont
été initialement décrites comme aseptiques,1 les techniques
microbiologiques actuelles retrouvent des éléments bactériens
dans le liquide synovial (tableau 1). Dans les arthrites réac-
tionnelles à Chlamydia trachomatis, par exemple, non seulement
l’ADN bactérien est retrouvé dans le liquide synovial, mais
également l’ARN bactérien et dans certains cas des cultures
positives ont été réalisées. Dans les arthrites réactionnelles post-
dysentériques à Shigella ou à Salmonella, seuls les antigènes et
l’ADN bactériens ont pu être démontrés dans l’articulation.
Ces résultats suggèrent qu’il existe deux types d’arthrites «ré-
actionnelles»: 1) des arthrites secondaires à des infections
intra-articulaires lentes (par exemple, avec les Chlamydiae) et
2) des arthrites aseptiques liées à un foyer infectieux à distance
(par exemple, les entérobactéries).5,6 Les bactéries ou seulement
des antigènes bactériens pénétreraient dans l’espace articu-
laire, transportés par les monocytes sanguins à partir de foyers
infectieux à distance (figure 2). Les germes à croissance lente
pourraient subsister dans la synoviale en se dissimulant à l’in-
térieur des synoviocytes, ou en induisant une tolérance. Sous
certaines conditions, dépendant à la fois de la virulence bac-
térienne et du terrain immunologique de l’individu, l’infection
lente déclencherait une réaction inflammatoire et une syno-
vite. Dans l’autre cas de figure, les arthrites aseptiques seraient
liées à des débris antigéniques bactériens qui aboutiraient dans
la membrane synoviale à partir d’un foyer infectieux à distan ce
via les monocytes et qui déclencheraient une immunostimu-
lation disproportionnée chez un individu génétiquement sus-
ceptible, pour déclencher une arthrite.5,6 Les deux mécanismes
pathogéniques soulignent l’importance de l’interaction entre
l’individu et les germes arthritogènes. Comme pour les mala-
dies autoimmunes, où une interaction entre des facteurs géné-
(Reproduite avec autorisation des réf.5,6).
Bactéries Antigène ADN ARN
(***)
Culture
C trachomatis
Y enterocolitica
Y pseudotuberculosis
S flexneri et S sonnei
S typhimurium et S enteritidis
C jejuni
U urealyticum
C pneumoniae
B burgdorferi
T whippelii
+
+
+
+
+
-
+
+
+
+
+
+(*)
+(*)
+(*)
+(*)
+(*)
+
+
+
+
+
NR
+(**)
NR
NR
NR
-
+
NR
NR
±
-
-
-
-
-
+
-
+
+
Tableau 1
Principaux germes identifiables dans
les arthrites réactionnelles
et les arthrites indifférenciées
Analyse des différentes méthodes d’identification de bactéries.
*NR : non réalisé.
(*) la mise en évidence d’acides nucléiques intrasynoviaux des entérobactéries est
sujette à caution pour des raisons liées aux différentes techniques et au très faible
nombre de patients étudiés.
(**) l’ARN n’a été détecté que dans une seule observation.
(***) dans deux études récentes, il a été identifié, dans des arthrites
indifférenciées, de l’ADN et de l’ARNr de différentes bactéries commensales dont le
rôle pathogène est discuté.
23_26_39082.indd 504 03.03.16 08:58