4 Disponible en ligne sur DOSSIER Rhumatismes et infections www.smr.ma Arthrite réactionnelle. Reactive arthritis. Fadia Rahal, Amina Abdessemed, Radia Chetouane, Sabrina Haid, Nadjia Brahimi, Aicha Ladjouze-Rezig. Service de Rhumatologie, EHS Ben Aknoun, Alger - Algérie. Rev Mar Rhum 2015;31:4-11 Résumé Abstract Les arthrites réactionnelles (AR) sont des arthrites stériles, survenant à distance d’une infection bactérienne d’origine digestive ou urogénitale. Des arguments convergents ont permis d’intégrer les AR dans la famille des spondyloarthrites dont le rôle du HLA B27 reste encore incomplètement compris à ce jour. L’AR touche principalement les adultes jeunes de sexe masculin, elle se caractérise par son polymorphisme clinique avec parfois des formes incomplètes pouvant rendre leur diagnostic difficile. L’évolution des AR est marquée par le risque de rechute et d’évolution vers la chronicité. Le traitement antibiotique des infections urogénitales à Chlamydia trachomatis est nécessaire car il permet de prévenir ou de diminuer la survenue de l’AR, ce qui n’est pas le cas pour les arthrites postentéritiques. Le passage à la chronicité de ces arthrites peut justifier d’un traitement de fond comme la sulfasalazine ou les anti TNF en cas d’échec aux anti-inflammatoires non stéroïdiens. Reactive arthritis (ReA) comprises sterile Mots Key clés : Arthrites stériles; Spondyloarthrites; HLA B27; Antibiothérapie. arthritis that develop few weeks after a digestive of urogenital bacterial infection. Converging evidence exists in favor of the integration of ReA in the group of spondyloarthrites, with a potential role of HLA-B27, which is still to be defined. ReA affects mainly male young adults and is characterized by clinical polymorphism with the prevalence of incomplete forms. Evolution of ReA is mainly characterizd by relapses and chronic evolution. Antibiotics are necessary in case of infections with Chlamidia Trachomatis, in order to prevent the development of ReA; this doesn’t apply for post-enteric infection’s arthritis. Chronic evolution of arthritis may require DMARDs such as Sulfasalazine or anti-TNFs in case of failure to non-steroidal anti-inflammatory drugs. words : Sterile arthritis; Spondyloarthritis; HLA B27; Antibiotics. Les arthrites réactionnelles (AR) sont des arthrites stériles médecins français Fiessinger et Leroy (3) ont rapporté survenant au décours immédiat d’une infection bactérienne le cas d’une arthrite suite à une infection à Shigella. déclenchante touchant la muqueuse intestinale ou urétrale, La même année Hans Reiter a décrit chez un soldat siégeant à distance de l’articulation (1), et pour lesquelles allemand l’association d’une triade : arthrite, urétrite les cultures bactériologiques classiques des prélèvements non gonococcique et conjonctivite après un épisode de articulaires demeurent stériles. diarrhée sanglante, observation publiée en 1942 par Historique Bauer et Engleman (4) sous le nom de syndrome de Reiter. Mais depuis la mise à jour des travaux nazis du Hippocrate serait le premier à avoir pensé à l’AR lorsqu’il Dr Reiter, la communauté médicale s’est accordée pour écrivit : « un jeune ne souffre pas de goutte après un éviter son patronyme, et l’expression « reactive arthritis rapport sexuel » (2). Mais ce n’est qu’en 1916 que deux » traduite en français « arthrite réactionnelle » est utilisée Correspondance à adresser à : Dr. F. Rahal Email : [email protected] Revue Marocaine de Rhumatologie 5 Arthrites réactionnelles et est apparue dans la littérature en 1973 en référence à des formes d’arthrites post-infectieuses associées à un terrain génétique particulier caractérisé par la présence du HLAB27 (5). Agents infectieux responsables des AR Les bactéries reconnues pour déclencher des AR de façon certaine ont une porte d’entrée muqueuse, soit intestinale, soit urétrale (tableau 1). Tableau 1 : Germes responsables des AR Porte d’entrée génitale Chlamydia trachomatis Porte d’entrée digestive Shigella dysenteriae et flexneri Salmonella enteritidis et typhimurium Yersinia entrocolitica et pseudotuberculosis Campylobacter jejuni Autres causes possibles (liste non exhaustive) Ureaplasma urealyticum Vaccination anti salmonelle BCG thérapie intravésicale Parasites (amibes, taenias, lambliase...) • Les urétrites non gonococciques : La bactérie la plus fréquemment en cause est Chlamydia trachomatis. Ce germe représente 50% des urétrites non gonococciques. Chez la femme, il est responsable d’une cervicite souvent asymptomatique, mais qui peut se compliquer de salpingite et de stérilité. Sa présence silencieuse dans les voies génitales y peut facilement être méconnue. comprendre diarrhée, fièvre, et douleurs abdominales. La contamination par ces bactéries est liée à l’alimentation. De nombreux sérotypes des Yersinia pathogènes ont été décrits. Cette infection peut aussi être responsable d’arthrites septiques, par dissémination hématogène, et d’érythème noueux incluant des arthrites stériles, mais dont la présentation et les mécanismes se distinguent de ceux des AR. • L’infection par Shigella est responsable de syndromes dysentériques, Shigella dysenteriae et surtout flexneri sont les espèces associées au déclenchement d’AR. D’autres espèces pathogènes comme Shigella soncccxxnei ont été exceptionnellement incriminées. Les raisons de cette spécificité ne sont pas connues de façon certaine mais pourraient correspondre à une moindre virulence de la dernière espèce. • Salmonella enteritidis, Samonella typhimurium et Campylobacter jejuni ont également été associées au déclenchement d’AR. Cas particuliers Il existe de nombreuses observations isolées, qui pourraient correspondre à des AR déclenchées par l’exposition à des parasites intestinaux (gardiases, taenias, amibes…), à certaines vaccinations (salmonelles, BCG thérapie intravésicale à visée anti-cancéreuse), ou encore à d’autres bactéries, mais trop exceptionnelles pour pouvoir conclure. Epidémiologie Les études épidémiologiques sont difficiles à organiser et à interpréter en raison de la grande variabilité clinique et de l’absence de critères diagnostiques précis (6). La responsabilité de ces bactéries dans le déclenchement des AR a été établie lors des épidémies de gastro-entérite suivies d’arthrites qu’elles provoquent de façon récurrente. La plupart des bactéries ayant un caractère entéroinvasif, c’est-à-dire franchissant la barrière épithéliale intestinale et envahissant le chorion muqueux sous-jacent ont été incriminées : Si l’on estime la prévalence des AR, en se limitant aux cas comportant un épisode infectieux prouvé, alors cette prévalence est faible en diminution depuis une vingtaine d’années, surtout en ce qui concerne les cas liés à une infection à Chlamydia. Ce qui pourrait s’expliquer par une meilleure protection vis-à-vis de la transmission de ces maladies, et par un usage plus large des antibiotiques. Selon les pays et les populations, la prévalence des AR varie schématiquement entre cinq et 15/100000 habitants. La fréquence des AR recensées lors des infections digestives est parfois élevée parmi les sujets exposés, de 2-3 % en cas d’infection à salmonelle ou shigelle, à plus de 30% en cas de yersiniose. • Yersinia enterocolitica et Yersinia pseudotuberculosis entraînent des troubles digestifs aigus variables, pouvant Le sexe ratio est proche de 1 pour les AR post-entériques, alors qu’il existe une forte prédominance masculine des Ureaplasma urealyticum est une bactérie de la famille des mycoplasmes également responsable d’urétrites, mais dont le rôle dans la survenue d’AR n’a pas été établi de façon certaine. • Les bactéries entéroinvasives : Revue Marocaine de Rhumatologie 6 F. Rahal et al. DOSSIER Rhumatismes et infections AR déclenchées par une urétrite (10 hommes/1 femme). de l’AR notamment à l’occasion d’une rechute. L’âge moyen de survenue se situe entre 20 et 30 ans. Les AR ont toutefois été décrites à tous les âges (avant 10 ans et après 70 ans). Les AR étaient exceptionnelles dans les pays d’Afrique noire, jusqu’à l’épidémie d’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) durant la dernière décennie. La fréquence des SPA serait multipliée par 10 chez les noirs Africains infectés par le VIH, avec une majorité de tableaux d’AR et une absence d’association au HLA-B27. a-2. Manifestations digestives : Diagnostic 1. Présentation clinique L’épisode infectieux déclenchant précède de 15 jours en moyenne le tableau d’AR qui peut prendre les aspects suivants : a- Forme complète des AR Il s’agit du syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter. Il associe des signes cutanéo-muqueux aux manifestations rhumatismales (triade oculo-urétro-synoviale) et des signes généraux (fièvre, altération de l’état général). • Atteinte inflammatoire rhumatismale : réalise un tableau souvent bruyant pouvant comprendre : a-1. Arthrites périphériques : typiquement, il s’agit d’une oligoarthrite asymétrique prédominant sur les grosses articulations des membres inférieurs. Par ordre de fréquence décroissante, les articulations les plus fréquemment touchées sont les genoux (70 à 90% des cas), les chevilles (20 à 50%), les métatarso-phalangiennes (10 à 45%) et les poignets. a-2. Ténosynovites et enthésopathies périphériques : dactylite (tuméfaction inflammatoire globale d’un orteil ou moins souvent d’un doigt de main), talalgies inflammatoires… a-3. une atteinte axiale pelvi-rachidienne présente dans 30 à 90% des cas : fessalgies, rachialgies inflammatoires • Atteintes extra-rhumatismales En cas d’infection digestive déclenchante (Shigella, Yersinia, Salmonella, Campylobacter), la diarrhée en est le principal symptôme et elle précède les signes articulaires de 15 jours à un mois. Une atteinte digestive avec diarrhée peut cependant être présente au cours des AR à porte d’entrée urogénitale (7), l’AR peut parfois révéler une maladie inflammatoire intestinale. a-3. Manifestations urogénitales : En cas de porte d’entrée génitale, l’urétrite précède les signes articulaires, elle se traduit par une dysurie et un écoulement muco-purulent peu abondant, elle peut aussi être aseptique et alors faire partie des AR. L’urétrite peut s’associer à une prostatite, une épididymite, ou une orchite. Chez la femme, l’atteinte est souvent silencieuse. Les symptômes, lorsqu’ils sont présents, peuvent associer une dysurie à une cervicite et plus rarement à une vulvovaginite ou à une salpingite. a-4. Manifestations cutanées : L’atteinte cutanée réalise typiquement la kératodermie blennorragique de Vidal et Jaquet. Il s’agit d’une éruption d’éléments vésiculeux, puis pustuleux qui se couvrent d’une couche cornée épaissie et croûteuse (hyperkératosique) (figure 1). Touchant en particulier les paumes des mains et les plantes des pieds (où elle prend un aspect dit en «clous de tapissier») (figure 2), elle peut concerner tous les téguments. Elle est proche du psoriasis pustuleux. L’atteinte hyperkératosique peut aussi toucher les ongles qui sont le siège d’un épaississement jaunâtre (figure 3). Par ailleurs, des lésions muqueuses indolores peuvent toucher le gland (balanite circinée, siégeant autour du méat) ou la muqueuse buccale (ulcérations, plaques érythémateuses sur le palais, la gencive, la langue ou le voile) (figure 4). a-5. Autres manifestations plus exceptionnelles : troubles a-1. Manifestations oculaires Ces manifestations peuvent comprendre une conjonctivite, une kératite ou une uvéite antérieure aigue. La conjonctivite est l’atteinte la plus fréquente, uni- ou le plus souvent bilatérale. Elle apparait dès les premières manifestations de l’AR, 35% des patients ayant une AR postvénérienne développent une conjonctivite. Plus rarement, il peut s’agir d’une uvéite antérieure, contrairement à la conjonctivite, cette atteinte est la plus souvent unilatérale mais peut aussi se bilatéraliser. Les symptômes de l’uvéite associent des douleurs intenses, une photophobie et à une baisse de l’acuité visuelle. Elle succède le plus souvent aux manifestations rhumatologiques Figure 1 : Keratodermie blénorragique Vidal et Jaquet Revue Marocaine de Rhumatologie 7 Arthrites réactionnelles mis en évidence, soit il s’agit des manifestations aigues d’une SPA, sans lien de causalité avec un germe. 2. Critères diagnostiques Figure 2 : Aspect clou du tapissier Plusieurs systèmes de critères ont été proposés pour le diagnostic d’AR. Cependant, aucun n’est actuellement admis de façon consensuelle. Le plus simple est celui de Wilkens, qui considère comme syndrome de Reiter tout épisode d’arthrite périphérique d’une durée de plus d’un mois associé à une urétrite ou à une cervicite (8). Ces critères sont particulièrement larges, puisqu’ils permettent de porter le diagnostic d’AR, même en l’absence d’infection déclenchante prouvée. Bien que ces critères soient les plus couramment utilisés, ils sont donc souvent considérés comme imparfaits. Il n’existe pas actuellement de consensus sur les meilleurs critères à utiliser. Les AR font partie des SPA, elles en remplissent donc les critères de classification validés sur le plan international. 3. Biologie Les examens biologiques sanguins mettent en évidence une inflammation systémique inconstante. Ces caractères n’ont pas de spécificité : • hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles Figure 3 : Hyperkératose et atteinte unguéale • anémie inflammatoire • hyperplaquettose • augmentation de la vitesse de sédimentation et de la C-réactive protéine sérique • Liquide articulaire : Figure 3 : érosion de la langue Les anomalies du liquide articulaire sont elles aussi sans spécificité. L’analyse du liquide montre une réaction cellulaire à prédominance de polynucléaires neutrophiles, pouvant atteindre 50.000 éléments/mm3. Toutefois, il est essentiel que la recherche de germes et de cristaux par les techniques usuelles soit négative, écartant ainsi les deux diagnostics différentiels importants, l’arthrite septique et l’arthrite microcristalline. ou d’une oligoarthrite. Ces arthrites peuvent être entièrement A l’aide des méthodes d’amplification génique par Polymerase Chain Reaction (PCR), il est parfois possible de démontrer la présence de matériel génétique de certains micro-organismes du genre Chalmydia trachomatis, mais ces techniques ne sont pas employées en pratique courante. nues, ou diversement associées à certains symptômes du FLR. 4. Bactériologie de la conduction cardiaque, valvulopathie aortique. b- Formes incomplètes d’AR Il s’agit d’arthrites survenant à l’occasion d’un épisode infectieux déclenchant, et dont le caractère typique est celui d’une mono- Le tableau clinique typique d’une AR peut aussi s’observer en l’absence d’infection déclenchante détectable. Cette situation donne lieu à deux interprétations possibles : soit il s’agit d’une authentique AR, mais dont le germe déclenchant n’a pu être Revue Marocaine de Rhumatologie Ils ont pour objectif de rattacher l’AR à l’exposition à un agent infectieux compatible avec ce diagnostic. Seule la preuve de l’infection bactérienne permet en fait de porter avec certitude le diagnostic d’AR. 8 DOSSIER Rhumatismes et infections Au moment des manifestations articulaires les symptômes de l’affection déclenchante (surtout digestive) ont le plus souvent disparu. Les cultures (coprocultures) sont donc négatives, mais cela n’élimine pas le diagnostic. La recherche et le suivi des anticorps dirigés contre les bactéries le plus souvent impliquées dans les AR à porte d’entrée digestive (Yersinia, Salmonella, Shigella, Campylobacter), peuvent être d’une aide au diagnostic. Cependant, leur interprétation est difficile en raison des réactions croisées. a. Infection vaginale La grande fréquence du portage asymptomatique urétral ou vaginal de Chlamydia, ainsi que les conséquences thérapeutiques qui découlent de sa mise en évidence justifient la réalisation systématique de tests diagnostiques appropriés, dans le bilan d’une arthrite d’étiologie indéterminée. Le diagnostic d’infection à Chlamydia trachomatis repose soit sur des tests bactériologiques, soit sur des tests sérologiques. • Le prélèvement génital par écouvillonnage urétral (et endocervical chez la femme) est une technique délicate en raison de la fragilité de la bactérie, il permet cependant sa mise en culture sur une lignée cellulaire ou la recherche des antigènes bactériens, soit par immunofluorescence directe sur frottis, soit par technique ELISA. La mise en évidence d’inclusions de Chamydia après culture est la technique de détection considérée comme la plus spécifique (100%), mais sa sensibilité est variable, de 50% à 80% selon le laboratoire. La détection des antigènes de Chlamydia, qu’elle soit pratiquée par immunofluorescence directe sur frottis cellulaire réalisé à partir du prélèvement local, ou par technique ELISA a une sensibilité inférieure. • La détection de l’ADN bactérien par amplification génique (PCR) est maintenant devenue la technique bactériologique de référence. En effet, la sensibilité de cette technique est supérieure à celle de la culture (> 95%), tout en conservant une spécificité proche de 100%. De plus elle a l’avantage de la facilité, puisqu’elle est réalisable sur le culot cellulaire obtenu en centrifugeant les 1ères urines du matin. Les tests sérologiques basés sur la détection des anticorps antiChlamydia circulants n’ont plus actuellement qu’un intérêt secondaire pour le diagnostic des infections uro-génitales basses à Chlamydia. b. Infection digestive En cas de porte d’entrée digestive, l’identification du germe responsable a moins d’intérêt pratique qu’en cas de porte d’entrée urétrale. En effet elle est sans conséquence pour le traitement du patient. Le diagnostic bactériologique repose sur la coproculture. Quel que soit l’espèce bactérienne responsable (Yersinia, Salmonella, Shigella), cet examen F. Rahal et al. n’est généralement positif qu’à la période initiale de diarrhée. Lorsque les manifestations d’AR surviennent, entre 1 et 4 semaines plus tard, la bactérie a habituellement été éliminée et n’est plus détectée dans les selles. Il est donc inutile de vouloir la rechercher à ce moment-là. Le diagnostic sérologique des différentes espèces d’entérobactéries responsables d’AR est difficile, en raison des nombreuses réactions croisées entre espèces voisines pouvant conclure à des faux positifs ou des faux négatifs. Ces tests représentent toutefois la seule façon pratique de rattacher un tableau clinique d’AR à une infection récente par une entérobactérie, en dehors du cas particulier des épidémies de gastro-entérite dues à un germe parfaitement identifié. Dans la situation fréquente de suspicion d’AR secondaire à une gastro-entérite sporadique, ils n’ont pas d’utilité et leur prescription systématique n’est pas recommandable. 5. Typage HLA Comme pour les autres variétés de SPA, il existe une forte association entre l’antigène majeur d’histocompatibilité de classe I, HLA-B27 et la survenue d’AR. Alors que la prévalence de l’allèle B27 est de 7,5% dans la population générale caucasienne, sa fréquence chez les patients atteints d’AR varie de 60% en cas d’AR postchlamydienne, à 70-80% pour les formes succédant à une infection digestive. La recherche isolée du B27 se justifie dans les formes incomplètes d’AR (en particulier lorsque les critères de SPA ne sont pas par ailleurs remplis). Mais il existe des faux négatifs (5) et avant de conclure à la négativité de cette recherche, il vaut mieux en vérifier le résultat en faisant pratiquer un typage HLA-B, qui identifiera précisément les allèles présents au locus HLA-B. Ce typage permet l’identification des deux allèles, le plus souvent différents (ce qui correspond aux individus hétérozygotes). Si aucun de ces allèles n’est le B27, on exclut sa présence avec certitude. Toutefois lorsqu’un seul allèle non B27 est identifié, ce qui est le cas chez les individus homozygotes, on ne peut exclure formellement un problème de détection du B27. 6. Sérologie VIH Il existe une association non fortuite entre AR et infection par le VIH, souvent révélatrice de l’infection virale, justifiant la réalisation d’une sérologie VIH devant un tableau d’AR. Imagerie 1. Radiographie standard Au début de la maladie les radiographies sont souvent normales en dehors d’un épaississement des parties Revue Marocaine de Rhumatologie 9 Arthrites réactionnelles molles en regard des articulations, l’existence d’une sacroiliite ou plus rarement d’une arthropathie érosive témoigne obligatoirement d’une évolution chronique passée inaperçue 2. Imagerie par Résonnance Magnétique (IRM) Elle montre des anomalies de signal dès la phase initiale de la maladie, un signal de nature inflammatoire (hyposignal en séquence pondérée en T1 et hypersignal STIR) au sein des articulations sacroiliaques, et du rachis, ainsi des articulations et des enthèses si l’atteinte est périphérique. 3. Echographie Est utile pour visualiser l’atteinte inflammatoire des enthèses, X des synovites et tendinites infracliniques. Diagnostic différentiel Maladie de Lyme. L’arthrite de la maladie de Lyme due au spirochète Borrelia burgdorferi doit être évoquée systématiquement devant un tableau d’AR, d’autant qu’il a été décrit d’authentiques tableaux de SPA chez des patients infectés par cette bactérie. Le diagnostic repose sur les arguments anamnestiques (habitat rural, séjour en zone endémie, morsure de tique, erythema chronicum migrans), sur la sérologie, et en cas de doute persistant sur la PCR du liquide articulaire, voire de la biopsie synoviale. Cette arthrite réagit favorablement à une antibiothérapie adaptée. Maladie de Whipple. Cette affection rare est responsable d’oligoarthrite migratrice ressemblant aux AR, et pouvant se combiner à une atteinte inflammatoire du rachis et des sacroiliaques. L’atteinte digestive est plus tardive, se manifestant par une diarrhée chronique et un amaigrissement en rapport avec une malabsorption. Le HLA-B27 semble favoriser cette maladie provoquée par Tropheryma whippelii, bactérie non cultivable à partir des sites infectés. Le diagnostic repose sur l’aspect histologique de macrophages gorgés de particules PAS+, sur l’identification de la bactérie par PCR dans les lésions, et sur l’amélioration en quelques semaines sous traitement antibiotique approprié. Maladie de Behçet. L’atteinte rhumatismale de la maladie de Behçet se caractérise par des arthrites périphériques stériles et une sacroiliite, pouvant parfaitement être confondues avec une AR. Cette maladie a des caractéristiques spécifiques qu’il faut rechercher. Arthrites des entérocolopathies inflammatoires. La présentation clinique des arthrites compliquant l’évolution de la maladie de Crohn ou de la recto-colite hémorragique peut évoquer une AR à porte d’entrée digestive. Le diagnostic repose sur la chronicité de l’atteinte digestive, Revue Marocaine de Rhumatologie qui s’oppose au caractère aigu de l’épisode de gastroentérite infectieuse ayant précédé l’AR, sur l’iléo colonoscopie avec biopsies iléo-coliques montrant des aspects caractéristiques de ces maladies, et sur l’absence d’infection par l’un des germes déclenchants habituels. Physiopathologie 1. Données immunologiques - Réponse humorale : De nombreuses études ont montré une réponse anticorps spécifique de la bactérie déclenchante, en particulier de type IgA, exagérée au cours des infections compliquées d’AR, suggérant pour certains que la persistance prolongée de la bactérie au sein des muqueuses, serait la cause de cette production accrue d’IgA. Pour d’autres, l’élévation sélective des IgA décrite au cours des AR témoignerait d’une réponse inflammatoire dominée par la production de TGF-β. - Réponse lymphocytaire T La plupart des études mettent en évidence l’intensité de la réponse proliférative des lymphocytes T CD4+ spécifiques de l’agent pathogène initiateur, au sein de l’articulation. A côté de la réponse CD4+, des clones T CD8+ cytotoxiques spécifiques de la bactérie déclenchante et restreints par le HLA-B27 ont également été mis en évidence au cours des AR à Yersinia ou à Salmonella. Certains antigènes reconnus par ces clones ont été identifiés. Cependant, il semble que ces clones T spécifiques de la bactérie déclenchante ne s’accumulent pas préférentiellement au sein de l’articulation. Leur présence est équivalente à celle des lymphocytes T mémoires dirigés contre d’autres antigènes (9). - Cellules présentatrices d’antigène Il semble que les cellules présentatrices d’antigène professionnelles de la synoviale, les cellules dendritiques présentent tout particulièrement les antigènes des bactéries déclenchantes aux lymphocytes T (9). La présence de ces cellules dans la synoviale pourrait indiquer l’accumulation locale de stocks d’antigènes bactériens et une difficulté à les épurer. 2. Le germe déclenchant Le matériel génétique (ADN et ARN) de Chlamydia a même été amplifié par PCR à partir de la synoviale d’AR, suggérant dans ce cas la présence locale du micro-organisme à l’état viable mais sous une forme intracellulaire latente. Cette situation semble particulière aux AR à Chlamydia car les recherches d’ADN de Salmonella ou de Yersinia par PCR 10 F. Rahal et al. DOSSIER Rhumatismes et infections sont le plus souvent restées négatives. Cependant, même en l’absence de bactérie intacte, la présence d’antigènes lipopolysaccharidiques de Salmonella, Yersinia et Shigella a été détectée dans les cellules du liquide articulaire ou de la membrane synoviale au cours des AR déclenchées par ces entérobactéries. La présence d’antigènes bactériens dans l’articulation pourrait être à l’origine des arthrites, en stimulant une réponse immunitaire locale. 3. Rôle du HLA-B27 La présence du HLA-B27 multiplie par 12 le risque de développer une AR à Chlamydia et par 50 celui de faire une AR après contact avec l’une des entérobactéries pathogènes impliquées. Ce risque relatif dû au B27 est moins élevé que celui de développer une spondylarthrite ankylosante, qui est supérieur à 100. Dans le cas des AR, l’environnement bactérien joue un rôle particulièrement marqué, de telle sorte qu’il pourrait réduire le poids des facteurs génétiques. Aucun mécanisme permettant d’expliquer le rôle du HLA-B27 n’a jusqu’à présent été démontré de façon certaine, parmi les principales hypothèses : • Le mimétisme moléculaire Il existe des séquences communes entre HLA-B27 et entérobactéries. Le HLA-B27 porterait un motif analogue à un déterminant antigénique bactérien. La réponse immunitaire dirigée contre la bactérie se compliquerait d’une réaction auto-immune dont la cible serait le HLA-B27. • Le peptide arthritogène Des lymphocytes T CD8+ pathogènes réagiraient de façon croisée vis-à-vis de peptides d’origine bactérienne présentés par le HLA-B27 et vis-à-vis d’autoantigènes des tissus cibles. Les peptides susceptibles d’être présentés par le HLA-B27 ont des caractéristiques particulières comme la présence d’une arginine au site d’ancrage du peptide à la molécule HLA-B27 et de tels motifs sont largement présents dans le monde bactérien. • Perturbation des défenses antibactériennes Le HLA-B27 modifierait la réponse immunitaire vis-à-vis des bactéries responsables d’AR, notamment en diminuant la réponse lymphocytaire T spécifique. La similitude entre certains antigènes bactériens et des motifs portés par le HLA-B27 pourrait entraîner la délétion de cette réponse en raison de sa nature autoréactive. • Perturbation du fonctionnement cellulaire Il existe des anomalies du trafic intracellulaire propre à la molécule HLA-B27, caractérisées par la lenteur de son repliement après sa synthèse dans le réticulum endoplasmique. Cette anomalie est responsable d’une instabilité relative de la molécule B27 mature, pouvant elle-même provoquer un état de «stress» cellulaire et favoriser une réponse pro-inflammatoire. Evolution des AR L’évolution immédiate des AR se fait vers la rémission spontanée, d’autant plus lente à survenir que les manifestations inflammatoires initiales ont été plus intenses. Cette décroissance s’étale en moyenne sur 4 à 5 mois, pouvant parfois se prolonger au-delà de 12 mois. Le HLA-B27 favorise la persistance plus prolongée des symptômes. Pour la majorité des patients, la rémission est assimilable à une guérison. Cependant, une forte proportion de patients (de 20 à 50% selon les études), développe des manifestations chroniques ou récidivantes à type d’arthrites, ou d’urétrites, et pour 10 à 20% d’entre eux une spondylarthrite ankylosante typique. Traitement réactionnelles des arthrites 1. Traitement symptomatique Les traitements symptomatiques sont nécessaires dans les AR. Ils associent le repos, l’utilisation d’antalgiques adaptés pour lutter contre la douleur et faciliter la reprise d’une activité progressive permettant de lutter contre les attitudes vicieuses, l’éducation, et l’information du patient sur sa pathologie pour le rassurer et aussi améliorer son observance des thérapeutiques. 2. Traitements anti-inflammatoires Les Anti Inflammatoires Non Stéroïdiens (AINS) constituent le traitement de première intention. Comparativement aux AINS, la corticothérapie générale a souvent une efficacité décevante, et constitue donc un traitement symptomatique de seconde ligne. Même en cas d’efficacité elle ne doit pas être prescrite de façon prolongée à des doses supérieures à 10 mg/jour, en raison des risques d’effets indésirables. En cas d’atteinte monoarticulairre ou oligoarticulaire, l’injection intra-articulaire de corticoïde retard peut être utile. 3. Antibiotiques Le mode présumé de déclenchement des AR, ainsi que l’occasionnelle mise en évidence de germes au sein du tissu synovial rendait logique le recours aux antibiotiques dans cette indication et les arguments semblent encore plus solides lorsque la porte d’entrée est urogénitale. En effet, le chlamydia semble persister sous forme active au sein des articulations atteintes, contrairement aux germes d’origine digestive. L’utilité de traitements antibiotiques prolongés, longtemps contestée, a connu un récent regain d’intérêt, tout Revue Marocaine de Rhumatologie 11 Arthrites réactionnelles particulièrement dans les formes d’AR faisant suite à des infections urogénitales à Chlamydia. En cas de porte d’entrée digestive initiale, l’antibiothérapie s’est révélée décevante. Toute infection génitale à Chlamydia trachomatis, doit bénéficier d’un traitement antibiotique ainsi que chez le partenaire par azythromycine (1g en mono dose) ou doxycycline (200mg/j pendant 6 jours) (10), ceci semble avoir une efficacité préventive sur le développement et la sévérité des arthrites, à condition d’être administré avant leur début. De plus, une étude contrôlée récente démontre l’efficacité d’une combinaison d’antibiotiques (rifampicine + azythromycine) ou (rifampicine + doxycycline) administrée durant 6 mois sur les manifestations articulaires établies (arthrites, dactylites) des AR à Chlamydia (11), cependant les résultats d’une étude menée par Putschky et al (12) n’a pas montré de supériorité du traitement par doxycycline au long cours (4 mois) par rapport au traitement de 10 jours. 4. Traitements de fond L’évolution spontanée des AR vers la rémission rend difficile le suivi de tels traitements dont les délais d’efficacité sont souvent de plusieurs semaines. Ils ne sont donc habituellement proposés qu’aux patients dont l’évolution se prolonge audelà de trois mois, sans tendance à l’amélioration. La sulfasalazine est le premier traitement de fond dont l’efficacité a été démontrée au cours des SPA, plus particulièrement dans les formes avec arthrites périphériques. La dose thérapeutique est de 2 à 3 g/jour et le délai d’efficacité de 2 à 4 mois pendant au moins deux ans. Le méthotrexate (entre 7,5 et 20 mg/semaine), et les sels d’or, prescrits comme dans la polyarthrite rhumatoïde auraient une efficacité chez un faible nombre de patients. Les agents biologiques bloquant le TNFα circulant (que ce soit l’infliximab et l’adalimumab, anticorps chimériques, ou l’etanercept, récepteur soluble du TNFα) sont doués d’une efficacité remarquable au cours des SPA, y compris des AR. Conclusion Les AR sont des arthrites stériles qui surviennent après une infection bactérienne digestive ou uréthrale. Elles font partie du groupe des SPA, et sont associées dans 60 à 80% des cas au HLA-B27. La forme complète d’AR se caractérise par une atteinte inflammatoire rhumatismale (oligoarthrite prédominant sur les grosses articulations des membres inférieurs, enthésiopathies axiales et périphériques), une atteinte extra-articulaire (diarrhée, uréthrite, conjonctivite, lésions psoriasiques cutanées, muqueuses et unguéales) et un syndrome inflammatoire général clinique et biologique. Le traitement antibiotique est indispensable en cas d’infection Revue Marocaine de Rhumatologie génitale à Chlamydia afin de prévenir ou atténuer la survenue d’une AR. à la phase de chronicité, une double antibiothérapie prolongée améliore la symptomatologie articulaire. Les AR liées à une bactérie digestive ne répondent pas au traitement antibiotique qui n’est donc pas justifié, par ailleurs les principes du traitement des AR rejoignent ceux des SPA. Les anti TNFα semblent efficaces dans toutes les formes de SPA, y compris les AR. DÉCLARATION D’INTÉRÊT Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt. RÉFÉRENCES 1. Aho, K., Ahvonen, P., Lassus, A., Sievers, K. and Tiilkikainen, A. 1973. HLA reactive antigen B27 and reactive arthritis. Lancet 2:1 57. 2. Iglesias-Gammara A, Restrepo JF, Valle R, Matteson EL. A brief history of Stoll-Brodie Fiessinger-Leroy syndrome (Reiter’s syndrome and reactive arthritis with a translation of Reiter’s original 1916 article into English. Curr Rheum Rev 2005 ; 1: 71-9. 3. Fiessinger N, Leroy E. Contribution a l’etude d’une epidemie de dysenterie dans le somme. Bull Soc Med Hop Paris 1916; 40:2030-69. 4. Bauer W, Engleman EP. Syndrome of unknown etiology characterized by urethritis, conjunctivitis and arthritis (socalled Reiter’s disease). Trans Assoc Am Physicians 1942;57:307-13. 5. Aho K, Ahvonen P, Lassus A, Sievers K, Tilikainen A. HL-A antigen 27 and reactive arthritis. 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