Protéines de transport
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Journal suisse de pharmacie, 19/2002
PHARMAZIE UND MEDIZIN
PHARMACIE ET MÉDECINE
L’importance de la P-glycoprotéine
pour le traitement médicamenteux
La P-glycoprotéine (P-gp) est une
protéine de transport importante
qui protège l’organisme des sub-
stances exogènes potentiellement
toxiques. L’un des problèmes
qu’elle pose est sa surexpression
en présence de tumeurs malignes,
qui peut entraîner une résistance
à de nombreux agents chimiothé-
rapeutiques. La P-gp exerce par
ailleurs une influence significative
sur la pharmacocinétique d’autres
substances médicamenteuses. Elle
influe sur la biodisponibilité des
médicaments et leur répartition
dans les organes et peut consti-
tuer une source importante d’in-
teractions médicamenteuses.
La P-glycoprotéine (P-gp) décrite en
1976 par V. Ling pour la première fois
fait partie de l’une des familles de pro-
téines de transport (transporteurs ABC)
que l’évolution a laissées intactes. Son
poids moléculaire est de 170 kDa; elle
est codée chez l’homme par le gène
MDR1. La P-gp agit comme une pompe
aspirante-foulante transmembranaire
qui provoque un efflux d’agents
toxiques hors de la cellule en consom-
mant de l’énergie (ATP) contre un gra-
dient de concentrations chimiques.
Résistance pléiomorphique
(multidrug resistance MDR)
La p-glycoprotéine (P-gp) est l’une des
protéines de transport MDR (résistan-
ce pléiomorphique ou multichimioré-
sistance). Ces protéines ont été nom-
mées ainsi parce qu’elles ont été re-
connues comme responsables de la
résistance à de multiples substances
utilisées en chimiothérapie. La MDR
se développe au début essentiellement
contre les médicaments administrés au
patient en chimiothérapie anticancé-
reuse, pour ensuite se diriger contre
une multitude d’autres médicaments
avec lesquels le patient n’a eu jusque-
là aucun contact. La MDR est respon-
sable d’environ 50% de l’ensemble des
échecs thérapeutiques secondaires de
la chimiothérapie. Quel est le mécanis-
me de la MDR? La cellule tumorale ap-
prend, par des mécanismes qui n’ont
toujours pas été suffisamment définis,
à se protéger des cytostatiques en aug-
mentant l’expression de protéines de
transport MDR spécifiques, en les posi-
tionnant dans sa membrane cellulaire
externe et en refoulant les cytostatiques
hors de la cellule. Il a été démontré
pour différentes tumeurs que l’expres-
sion accrue de P-gp était associée à un
pronostic sensiblement moins favo-
rable. Une nouvelle approche théra-
peutique mise donc sur le développe-
ment d’inhibiteurs de la P-gp resp. de
la MDR, soit de chimiosensibilisateurs.
Ceux-ci doivent empêcher que les cyto-
statiques soient expulsés de la cellule
tumorale par la P-gp et fassent baisser
la concentration du médicament sur
son site d’action. En phase de dévelop-
pement clinique, on trouve dans cette
indication notamment le valspodar, un
analogue de la ciclosporine sans effet
immunosuppresseur (cf. le tableau 2).
Le bénéfice de cette approche ne se
prête encore à aucune évaluation.
Protection contre les xéno-
biotiques
En plus de sa signification dans le déve-
loppement de la résistance aux médi-
caments, la P-gp joue de manière gé-
nérale un rôle important comme mé-
canisme de protection de l’organisme
contre les xénobiotiques potentielle-
ment toxiques (poisons de l’environne-
ment, médicaments). C’est pourquoi la
P-gp est exprimée essentiellement dans
les organes et les tissus qui font barriè-
re au monde externe (cf. le tableau 1).
Elle est ainsi localisée dans la membra-
ne luminale des entérocytes de l’intes-
tin, où elle refoule dans la lumière in-
testinale les xénobiotiques absorbés.
Dans le foie, la P-gp est exprimée dans
la membrane canaliculaire des hépato-
cytes d’où elle fait passer les xénobio-
Heike Gutmann,
Jürgen Drewe
Forum
AKA
Localisation Fonction
Intestin Efflux dans la lumière
Membrane canaliculaire des hépatocytes Efflux dans la bile
Pancréas ?
Rein Sécrétion dans la lumière tubulaire
Barrière hémato-encéphalique Efflux dans le sang
Barrière hématoméningée Efflux dans le sang?
Barrière hématoplacentaire Efflux dans le sang
Barrière hématogonadique Efflux dans le sang
(testicules et ovaires)
Système immunitaire Modulation de la fonction immunitaire
Glande surrénale Transport des stéroïdes?
Barrière hématorétinienne Efflux dans le sang
Cellules endothéliales capillaires Protection contre les neurotoxines?
du cerveau
Tableau 1: Localisation et fonctions physiologiques possibles de la P-glycoprotéine
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tiques dans la bile. Dans le rein, la P-gp
refoule les substances xénobiotiques
dans l’urine. Elle assume un rôle fonc-
tionnel décisif dans la mise en place de
la barrière hémato-encéphalique en
protégeant le SNC des substances
toxiques potentielles (cf. les fig. 1 et 2).
Signification pour la
pharmacocinétique
Les substrats de la P-gp sont des sub-
stances médicamenteuses lipophiles,
basiques à neutres, qui prennent sou-
vent une configuration cyclique planai-
re et ont un poids moléculaire supé-
rieur à 400 Da. Les substrats de la P-gp
regroupent différentes classes de mé-
dicaments (cf. le tableau 2) et sont
aussi fréquemment – à quelques ex-
ceptions près, telles que la digoxine ou
le bêtabloquant talinolol – des sub-
strats de l’isoenzyme 3 A4 (CYP3A4)
du cytochrome P450. C’est pourquoi
les effets de la P-gp ne sont pas faciles
à distinguer des effets de la CYP3A4.
Les études sur la souris knock-out
MDR1 (qui n’a pas de P-gp) et di-
verses essais sous talinolol ou digoxine
effectués sur des sujets animaux sains
ou sur l’homme ont montré que l’inhi-
bition ou l’absence de P-gp augmentait
les concentrations plasmatiques des
médicaments d’un facteur approxima-
tivement égal à 2. La concentration tis-
sulaire de ces médicaments peut ce-
pendant augmenter bien plus forte-
ment, par exemple dans le SNC (pour
l’ivermectine d’environ 70 fois).
Dans le cas d’une prise de deux mé-
dicaments transportés tous deux par la
P-gp ou dont l’un inhibe la P-gp (et est
donc un inhibiteur de la MDR), il faut
s’attendre à une biodisponibilité ac-
crue de l’un ou l’autre ou des deux
médicaments. Ceci est en particulier
cliniquement important pour un médi-
cament dont la marge thérapeutique
est étroite, puisqu’il faut s’attendre
alors à une toxicité dose-dépendante
accrue, ainsi qu’à un profil d’action
qualitativement différent (par ex. lors
d’une pénétration plus forte de la bar-
rière hémato-encéphalique). Si l’un
des médicaments est toutefois en me-
sure de stimuler fortement l’expres-
sion de P-gp (et est donc un inducteur
enzymatique), cela aura pour résultat
que la biodisponibilité de l’autre médi-
cament ou des deux médicaments
pourra baisser fortement, entraînant
des concentrations plasmatiques infé-
rieures à la dose thérapeutique. Les ef-
fets de premier passage ne se produi-
sent pas seulement dans le foie, mais
aussi dans l’intestin où l’on trouve à
côté des P-gp également des enzymes
métabolisantes. La biodisponibilité
partiellement faible des antiprotéases
anti-VIH indinavir, nelfinavir et saqui-
navir s’explique en plus d’un effet de
premier passage intestinal par l’efflux
de ces médicaments dans la lumière
intestinale sous l’action de la P-gp.
Outre son influence sur la biodisponi-
bilité, la P-gp joue aussi un rôle consi-
dérable dans la variabilité de la phar-
macocinétique, comme cela a été dé-
montré dans le cas de l’immunosup-
presseur ciclosporine.
La P-gp influence les processus
pharmacocinétiques suivants :
l’absorption du principe actif
(absorption entérale),
la distribution du principe actif
dans les organes ou les tissus
(barrière hémato-encéphalique,
barrière hématoplacentaire, bar-
rière hématorétinienne, barrière
hématogonadique, etc.),
l’excrétion hépatique et rénale de
la substance active.
Groupes de médicaments Substrats Inhibiteurs Inducteurs
Cytostatiques Vinca-alcaloïdes, Vinblastine,
Anthracyclines, Taxol, Doxorubicine
Épipodophyllotoxines
Immunosuppresseurs Ciclosporine, Ciclosporine,
Tacrolimus Valspodar
Antiarythmiques Amiodarone, Amiodarone,
Propafénone, Digoxine Quinidine
Statines Simvastatine
Anticalciques Vérapamil, Mibéfradil Vérapamil
Diurétiques Furosémide
Antihistaminiques H2 Cimétidine, Ranitidine
Antibiotiques/macrolides Érythromycine, Érythromycine,
Clarithromycine Clarithromycine
Antifongiques imidazoles Kétoconazole Kétoconazole
Antibiotiques/ Rifampicine Rifampicine
antituberculeux
Antiépileptiques Phénytoïne Phénytoïne
Antiprotéases anti-VIH Saquinavir, Indinavir, Ritonavir
Ritonavir
Antihelminthiques Ivermectine
Antihistaminiques H1 Terfénadine
Hormones stéroïdes Estrogènes, Aldostérone, Tamoxifène Dexaméthasone
Corticostéroïdes
Anti-émétiques Ondansétron
Antagonistes de la dopamine Dompéridone
Antigoutteux Colchicine
Antidiarrhéiques Lopéramide
Analgésiques quelques opioïdes
Sédatifs, Antidépresseurs Midazolam Midazolam Millepertuis,
Néfazodone
Aliments Jus de pample-
mousse
Tableau 2: Substrats, inhibiteurs et inducteurs de la P-glycoprotéine (exemples)
Influences génétiques
(polymorphismes)
Une partie de la variabilité pharmaco-
cinétique peut s’expliquer par des dif-
férences génétiques: comme pour les
cytochromes, les polymorphismes gé-
nétiques peuvent aussi influencer l’en-
semble de l’activité des protéines de
transport. Il s’agit de mutations du gè-
ne qui se produisent à une fréquence
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d’au moins 1% dans la population. Une
telle mutation a entre-temps aussi été
décrite pour la P-gp. Cette mutation
(C3435T) s’accompagne d’une expres-
sion plus faible de la P-gp dans l’intes-
tin. C’est ainsi qu’un taux d’absorption
plus élevé a été observé chez ces pa-
tients dans le cas de la digoxine. Par
ailleurs, une étude clinique effectuée
sur des patients infectés par le VIH a
montré que les patients porteurs de ce
polymorphisme présentaient un taux
de réponse différent au traitement par
les antiprotéases anti-VIH.
Autres effets physiologiques
Il semble que la P-gp possède toute
une série d’autres fonctions physiolo-
giques en plus de sa fonction de pro-
tection contre les xénobiotiques:
transport cellulaire d’hormones sté-
roïdes dans la glande surrénale,
effet modulateur sur le métabolisme
du cholestérol,
modulation des fonctions immuni-
taires (migration de cellules dendri-
tiques, transport de cytokines (inter-
leukines),
régulation de la mort autoprogram-
mée des cellules (apoptose),
régulation de l’expression d’enzymes
du cytochrome P450,
transport de la substance amyloïde
de type (, qui joue un rôle important
dans l’étiologie de la maladie d’Alz-
heimer.
D’autres travaux de recherche sur la
fonction de la P-glycoprotéine pour-
raient livrer d’importantes pistes théra-
peutiques pour une multiplicité d’af-
fections.
Cet article a été écrit sur mandat de la
CMPS par le Dr Heike Gutmann et le
Prof. Jürgen Drewe, Département de
pharmacologie clinique et de toxicolo-
gie, CHU de Bâle
Adresse de correspondance
Commission des médicaments des
pharmaciens suisses, CMPS
Case postale 5247
3001 Berne
Tél. 01 994 75 63
Fax 01 994 75 64
Fig. 1: Fonction
intacte de la
P-glycoprotéine
Fig. 2: Inhibition
ou absence de la
P-glycoprotéine
Les fig. 1 et 2 ont été légèrement modifiées d’après J. Drewe: Transportproteine und Interaktionen.
Bedeutung für die Resorption, Verteilung und Elimination von Arzneistoffen. Klinikarzt 30: 49–52
(2000).
Références bibliographiques
disponibles chez les auteurs.
Barrière hémato-
encéphalique intacte
Élimination
hépatique
facilitée
Absorption
réduite Élimination
rénale
facilitée
Absorption sans
entraves par le SNC
Excrétion
hépatique
réduite
Absorption
entérale
accrue
Élimination
rénale
réduite
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