L`importance de la P-glycoprotéine pour le

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PHARMAZIE UND MEDIZIN
PHARMACIE ET MÉDECINE
Protéines de transport
L’importance de la P-glycoprotéine
pour le traitement médicamenteux
A
K
A
Forum
Heike Gutmann,
Jürgen Drewe
La P-glycoprotéine (P-gp) est une
protéine de transport importante
qui protège l’organisme des substances exogènes potentiellement
toxiques. L’un des problèmes
qu’elle pose est sa surexpression
en présence de tumeurs malignes,
qui peut entraîner une résistance
à de nombreux agents chimiothérapeutiques. La P-gp exerce par
ailleurs une influence significative
sur la pharmacocinétique d’autres
substances médicamenteuses. Elle
influe sur la biodisponibilité des
médicaments et leur répartition
dans les organes et peut constituer une source importante d’interactions médicamenteuses.
La P-glycoprotéine (P-gp) décrite en
1976 par V. Ling pour la première fois
fait partie de l’une des familles de protéines de transport (transporteurs ABC)
que l’évolution a laissées intactes. Son
poids moléculaire est de 170 kDa; elle
est codée chez l’homme par le gène
MDR1. La P-gp agit comme une pompe
aspirante-foulante transmembranaire
qui provoque un efflux d’agents
toxiques hors de la cellule en consommant de l’énergie (ATP) contre un gradient de concentrations chimiques.
Résistance pléiomorphique
(multidrug resistance MDR)
La p-glycoprotéine (P-gp) est l’une des
protéines de transport MDR (résistance pléiomorphique ou multichimiorésistance). Ces protéines ont été nommées ainsi parce qu’elles ont été reconnues comme responsables de la
résistance à de multiples substances
utilisées en chimiothérapie. La MDR
se développe au début essentiellement
contre les médicaments administrés au
patient en chimiothérapie anticancéreuse, pour ensuite se diriger contre
une multitude d’autres médicaments
avec lesquels le patient n’a eu jusquelà aucun contact. La MDR est responsable d’environ 50% de l’ensemble des
échecs thérapeutiques secondaires de
la chimiothérapie. Quel est le mécanisme de la MDR? La cellule tumorale apprend, par des mécanismes qui n’ont
toujours pas été suffisamment définis,
à se protéger des cytostatiques en augmentant l’expression de protéines de
transport MDR spécifiques, en les positionnant dans sa membrane cellulaire
externe et en refoulant les cytostatiques
hors de la cellule. Il a été démontré
pour différentes tumeurs que l’expression accrue de P-gp était associée à un
pronostic sensiblement moins favorable. Une nouvelle approche thérapeutique mise donc sur le développement d’inhibiteurs de la P-gp resp. de
la MDR, soit de chimiosensibilisateurs.
Ceux-ci doivent empêcher que les cytostatiques soient expulsés de la cellule
tumorale par la P-gp et fassent baisser
la concentration du médicament sur
son site d’action. En phase de dévelop-
pement clinique, on trouve dans cette
indication notamment le valspodar, un
analogue de la ciclosporine sans effet
immunosuppresseur (cf. le tableau 2).
Le bénéfice de cette approche ne se
prête encore à aucune évaluation.
Protection contre les xénobiotiques
En plus de sa signification dans le développement de la résistance aux médicaments, la P-gp joue de manière générale un rôle important comme mécanisme de protection de l’organisme
contre les xénobiotiques potentiellement toxiques (poisons de l’environnement, médicaments). C’est pourquoi la
P-gp est exprimée essentiellement dans
les organes et les tissus qui font barrière au monde externe (cf. le tableau 1).
Elle est ainsi localisée dans la membrane luminale des entérocytes de l’intestin, où elle refoule dans la lumière intestinale les xénobiotiques absorbés.
Dans le foie, la P-gp est exprimée dans
la membrane canaliculaire des hépatocytes d’où elle fait passer les xénobio-
Tableau 1: Localisation et fonctions physiologiques possibles de la P-glycoprotéine
Localisation
Fonction
Intestin
Efflux dans la lumière
Membrane canaliculaire des hépatocytes Efflux dans la bile
Pancréas
?
Rein
Sécrétion dans la lumière tubulaire
Barrière hémato-encéphalique
Efflux dans le sang
Barrière hématoméningée
Efflux dans le sang?
Barrière hématoplacentaire
Efflux dans le sang
Barrière hématogonadique
Efflux dans le sang
(testicules et ovaires)
Système immunitaire
Modulation de la fonction immunitaire
Glande surrénale
Transport des stéroïdes?
Barrière hématorétinienne
Efflux dans le sang
Cellules endothéliales capillaires
Protection contre les neurotoxines?
du cerveau
Journal suisse de pharmacie, 19/2002
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Tableau 2: Substrats, inhibiteurs et inducteurs de la P-glycoprotéine (exemples)
Groupes de médicaments
Cytostatiques
Immunosuppresseurs
Antiarythmiques
Statines
Anticalciques
Diurétiques
Antihistaminiques H2
Antibiotiques/macrolides
Antifongiques imidazoles
Antibiotiques/
antituberculeux
Antiépileptiques
Antiprotéases anti-VIH
Antihelminthiques
Antihistaminiques H1
Hormones stéroïdes
Anti-émétiques
Antagonistes de la dopamine
Antigoutteux
Antidiarrhéiques
Analgésiques
Sédatifs, Antidépresseurs
Substrats
Vinca-alcaloïdes,
Anthracyclines, Taxol,
Épipodophyllotoxines
Ciclosporine,
Tacrolimus
Amiodarone,
Propafénone, Digoxine
Simvastatine
Vérapamil, Mibéfradil
Furosémide
Cimétidine, Ranitidine
Érythromycine,
Clarithromycine
Kétoconazole
Rifampicine
Inhibiteurs
Ciclosporine,
Valspodar
Amiodarone,
Quinidine
Vérapamil
Érythromycine,
Clarithromycine
Kétoconazole
Rifampicine
Phénytoïne
Saquinavir, Indinavir,
Ritonavir
Ritonavir
Ivermectine
Terfénadine
Estrogènes, Aldostérone, Tamoxifène
Corticostéroïdes
Ondansétron
Dompéridone
Colchicine
Lopéramide
quelques opioïdes
Midazolam
Midazolam
Aliments
Inducteurs
Vinblastine,
Doxorubicine
Phénytoïne
Dexaméthasone
Millepertuis,
Néfazodone
Jus de pamplemousse
tiques dans la bile. Dans le rein, la P-gp
refoule les substances xénobiotiques
dans l’urine. Elle assume un rôle fonctionnel décisif dans la mise en place de
la barrière hémato-encéphalique en
protégeant le SNC des substances
toxiques potentielles (cf. les fig. 1 et 2).
Signification pour la
pharmacocinétique
Les substrats de la P-gp sont des substances médicamenteuses lipophiles,
basiques à neutres, qui prennent souvent une configuration cyclique planaire et ont un poids moléculaire supérieur à 400 Da. Les substrats de la P-gp
regroupent différentes classes de médicaments (cf. le tableau 2) et sont
aussi fréquemment – à quelques exceptions près, telles que la digoxine ou
le bêtabloquant talinolol – des substrats de l’isoenzyme 3 A4 (CYP3A4)
du cytochrome P450. C’est pourquoi
les effets de la P-gp ne sont pas faciles
à distinguer des effets de la CYP3A4.
Les études sur la souris knock-out
MDR1 (qui n’a pas de P-gp) et diverses essais sous talinolol ou digoxine
effectués sur des sujets animaux sains
ou sur l’homme ont montré que l’inhibition ou l’absence de P-gp augmentait
les concentrations plasmatiques des
médicaments d’un facteur approximativement égal à 2. La concentration tissulaire de ces médicaments peut cependant augmenter bien plus fortement, par exemple dans le SNC (pour
l’ivermectine d’environ 70 fois).
Dans le cas d’une prise de deux médicaments transportés tous deux par la
P-gp ou dont l’un inhibe la P-gp (et est
donc un inhibiteur de la MDR), il faut
s’attendre à une biodisponibilité accrue de l’un ou l’autre ou des deux
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Schweizer Apothekerzeitung, 19/2002
médicaments. Ceci est en particulier
cliniquement important pour un médicament dont la marge thérapeutique
est étroite, puisqu’il faut s’attendre
alors à une toxicité dose-dépendante
accrue, ainsi qu’à un profil d’action
qualitativement différent (par ex. lors
d’une pénétration plus forte de la barrière hémato-encéphalique). Si l’un
des médicaments est toutefois en mesure de stimuler fortement l’expression de P-gp (et est donc un inducteur
enzymatique), cela aura pour résultat
que la biodisponibilité de l’autre médicament ou des deux médicaments
pourra baisser fortement, entraînant
des concentrations plasmatiques inférieures à la dose thérapeutique. Les effets de premier passage ne se produisent pas seulement dans le foie, mais
aussi dans l’intestin où l’on trouve à
côté des P-gp également des enzymes
métabolisantes. La biodisponibilité
partiellement faible des antiprotéases
anti-VIH indinavir, nelfinavir et saquinavir s’explique en plus d’un effet de
premier passage intestinal par l’efflux
de ces médicaments dans la lumière
intestinale sous l’action de la P-gp.
Outre son influence sur la biodisponibilité, la P-gp joue aussi un rôle considérable dans la variabilité de la pharmacocinétique, comme cela a été démontré dans le cas de l’immunosuppresseur ciclosporine.
La P-gp influence les processus
pharmacocinétiques suivants :
– l’absorption du principe actif
(absorption entérale),
– la distribution du principe actif
dans les organes ou les tissus
(barrière hémato-encéphalique,
barrière hématoplacentaire, barrière hématorétinienne, barrière
hématogonadique, etc.),
– l’excrétion hépatique et rénale de
la substance active.
Influences génétiques
(polymorphismes)
Une partie de la variabilité pharmacocinétique peut s’expliquer par des différences génétiques: comme pour les
cytochromes, les polymorphismes génétiques peuvent aussi influencer l’ensemble de l’activité des protéines de
transport. Il s’agit de mutations du gène qui se produisent à une fréquence
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d’au moins 1% dans la population. Une
telle mutation a entre-temps aussi été
décrite pour la P-gp. Cette mutation
(C3435T) s’accompagne d’une expression plus faible de la P-gp dans l’intestin. C’est ainsi qu’un taux d’absorption
plus élevé a été observé chez ces patients dans le cas de la digoxine. Par
ailleurs, une étude clinique effectuée
sur des patients infectés par le VIH a
montré que les patients porteurs de ce
polymorphisme présentaient un taux
de réponse différent au traitement par
les antiprotéases anti-VIH.
Autres effets physiologiques
Il semble que la P-gp possède toute
une série d’autres fonctions physiologiques en plus de sa fonction de protection contre les xénobiotiques:
– transport cellulaire d’hormones stéroïdes dans la glande surrénale,
– effet modulateur sur le métabolisme
du cholestérol,
– modulation des fonctions immunitaires (migration de cellules dendritiques, transport de cytokines (interleukines),
– régulation de la mort autoprogrammée des cellules (apoptose),
– régulation de l’expression d’enzymes
du cytochrome P450,
Fig. 1: Fonction
intacte de la
P-glycoprotéine
Barrière hématoencéphalique intacte
Élimination
hépatique
facilitée
Cet article a été écrit sur mandat de la
CMPS par le Dr Heike Gutmann et le
Prof. Jürgen Drewe, Département de
pharmacologie clinique et de toxicologie, CHU de Bâle
■
Adresse de correspondance
Commission des médicaments des
pharmaciens suisses, CMPS
Case postale 5247
3001 Berne
Tél. 01 994 75 63
Fax 01 994 75 64
E-mail: [email protected]
Élimination
rénale
facilitée
Absorption
réduite
Fig. 2: Inhibition
ou absence de la
P-glycoprotéine
– transport de la substance amyloïde
de type (, qui joue un rôle important
dans l’étiologie de la maladie d’Alzheimer.
D’autres travaux de recherche sur la
fonction de la P-glycoprotéine pourraient livrer d’importantes pistes thérapeutiques pour une multiplicité d’affections.
Absorption sans
entraves par le SNC
Excrétion
hépatique
réduite
Absorption
entérale
accrue
Élimination
rénale
réduite
Les fig. 1 et 2 ont été légèrement modifiées d’après J. Drewe: Transportproteine und Interaktionen.
Bedeutung für die Resorption, Verteilung und Elimination von Arzneistoffen. Klinikarzt 30: 49–52
(2000).
Journal suisse de pharmacie, 19/2002
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Références bibliographiques
disponibles chez les auteurs.
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