Pathoge´nie des douleurs de la pancre´atite chronique

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M ini-revue
Pathogénie des douleurs
de la pancréatite chronique
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017.
Pathophysiology of pain
in chronic pancreatitis
Laurent Bucchini, Vinciane Rebours,
vy
Philippe Le
^pital Beaujon,
Ho
100, boulevard du general Leclerc,
92110 Clichy Cedex,
France
e-mail : <laurent.bucchini@wanadoo.
fr>
sume
Re
Les m
ecanismes de la douleur de la pancr
eatite chronique (PC) sont encore mal
compris et l’origine de la douleur d’un patient donn
e est difficile a d
eterminer.
Il en r
esulte que le traitement est souvent empirique et peu efficace.
Classiquement, la douleur est reli
ee a des anomalies morphologiques, trouv
ees
a l’imagerie. Pourtant, sauf en pr
esence de complications, il n’existe pas de
corr
elation entre les modifications morphologiques et la s
ev
erit
e de la douleur. La
litt
erature montre que la douleur de PC est multifactorielle et implique des
facteurs p
eriph
eriques et centraux. En particulier, les modifications neuronales
^le important. Aussi, il semble important de changer de
semblent jouer un ro
paradigme pour am
eliorer la prise en charge de la douleur et opter pour une
vision plus neurobiologique que li
ee aux modifications anatomiques.
s : douleur, pression, ischemie, cholecystokinine, inflammation, pancreatic neuritis,
n Mots cle
^ les descendants, douleur neuropathique
sensibilisation centrale, contro
Abstract
The pain mechanisms of chronic pancreatic (CP) are poorly understood and in
most patients, the source of the pain remains unknown. Hence, the treatment is
often insufficient and empirical. Traditional theories on the pain in CP have
invoked obvious anatomical changes of the pancreas. However, except in cases
of complication, no significant correlation has been found between the degree
of morphological changes and the severity of pain. According to our current
knowledge, pain in CP involves a variety of factors, both central and peripheral. In
particular, neural remodelling and changes in the central nervous system seems
to play an important role in the pain in CP. Hence, we should change of paradigm
to improve the management of pain of CP and focus on neurobiological changes
rather than anatomic changes.
n Key words: pain, pressure, ischemia, cholecystokinin, inflammation, pancreatic neuritis,
central sensititization, descending control, neuropathic pain
y
HEPATO GASTRO
et Oncologie digestive
malnutrition et de probl
emes socio
economiques majeurs [1] Contrairement a d’autres douleurs chroniques,
le caract
ere intermittent (type A) ou
permanent (type B) de la douleur
semble impacter davantage sur la
qualit
e de vie que son intensit
e. Les
patients qui ont une douleur continue auraient une moins bonne
qualit
e de vie, plus d’invalidit
e, et
auraient davantage recours au
syst
eme de sant
e que ceux qui ont
Tir
es a part : L. Bucchini
288
Pour citer cet article : Bucchini L, Rebours V, Levy P. Pathogenie des douleurs de la pancreatite
chronique. Hepato Gastro 2014 ; 21 : 288-302. doi : 10.1684/hpg.2014.1003
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 21 n8 4, avril 2014
doi: 10.1684/hpg.2014.1003
ien que la douleur soit le
^me le plus fr
sympto
equent de
la pancr
eatite chronique (PC), son
traitement reste empirique notamment parce que ses m
ecanismes sont
multifactoriels et mal connus [1]. Pr
es
de 90 % des patients sont doulou^me est la principale
reux et ce sympto
cause d’hospitalisation. En outre, la
douleur peut notamment ^
etre source
d’invalidit
e, d’addiction aux opioı̈des,
d’alt
eration de la qualit
e de vie [2], de
B
Douleurs et pancreatite chronique
‘‘ ’’
ve
rit
une douleur intermittente [3]. Le type, la se
e de la
douleur ainsi que la r
eponse a la th
erapeutique peuvent
varier dans le temps [4].
‘‘
La douleur de la pancréatite chronique
ne saurait se résumer à des problèmes
d’hyperpression
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Le caractère, intermittent ou permanent,
de la douleur impacte davantage
sur la qualité de vie que son intensité
Les limites d’une théorie purement
« mécanistique »
’’
ories expliquant la douleur
Nous exposons ici les the
de la PC avant d’envisager dans une seconde revue a
paraı̂tre les moyens th
erapeutiques nouveaux qui en
d
ecoulent
‘‘
Les patients qui ont une douleur continue
ont une moins bonne qualité de vie que
ceux qui ont une douleur intermittente
’’
Théorie « mécanistique » de la douleur
Auparavant, il etait suppos
e que la douleur chronique de la
PC resultait principalement de l’hyperpression parenchymateuse, secondaire a l’obstruction canalaire par la fibrose
ou des calculs. Une etude ancienne montrait chez l’homme
une forte correlation entre la pression et la douleur,
suggerant que l’hyperpression parenchymateuse serait
a l’origine de l’activation des nocicepteurs intrapancreatiques [5].
Les stimuli de ces nocicepteurs sont, notamment,
l’ischemie, l’inflammation, la chaleur, la tryspine [4]. Par
contre, le lien entre l’hyperpression et la douleur reste
incertain [6]. Plusieurs hypoth
eses, non mutuellement
exclusives, ont ete emises pour tenter d’expliciter cette
relation. Il a ete suppos
e que l’obstruction canalaire
pourrait entraı̂ner la sortie d’enzymes pancr
eatiques par le
bord latero-basal de la cellule acinaire, et non apicale [7]. Il
en resulterait une extravasation d’enzymes pancr
eatiques
dans l’interstitium cellulaire qui induirait une inflammation
[8] et activerait les nocicepteurs.
Il a egalement ete pr
esum
e que l’activation des nocicepteurs passerait par la survenue d’une isch
emie du tissu
pancreatique qui entraı̂nerait la production de radicaux
libres.
D’autres hypotheses ont et
e
emises, telle que la survenue
de l’equivalent d’un « syndrome compartimental ». Ce
syndrome surviendrait en raison de la fibrose du paren l’image du
chyme et de la capsule p
eripancr
eatique. A
syndrome de loge musculaire, une acidose pourrait
survenir et activer les nocicepteurs. Cette hypoth
ese ne
repose que sur des mod
eles animaux et n’a jamais et
e
reproduite chez l’homme [6].
vidence une
Des etudes plus r
ecentes ont mis en e
augmentation de la pression parenchymateuse chez les
sujets ayant une PC, par rapport a celles de sujets t
emoins,
mais elles n’ont pas montr
e de relation entre la pression et
la douleur [7].
De plus, il n’existe pas de corr
elation entre les modifications
morphologiques (dilatations, obstacles, ou strictions canalaires) et la s
ev
erit
e de la douleur [9]. Les nouvelles
techniques d’imagerie (IRM de diffusion) ne permettent
pas davantage de corr
eler l’intensit
e de la douleur avec le
degr
e de fibrose ou d’atrophie de la glande [10]. Une
imagerie pancr
eatique quasi normale (« minimal
change ») ne permet donc pas de remettre en cause la
pr
esence et la s
ev
erit
e des douleurs chroniques ressenties
[7].
Ces constatations ont conduit a chercher d’autres origines
a la douleur chronique que les modifications canalaires et
l’hyperpression. [2].
Par ailleurs, les r
esultats de ces derni
eres etudes devraient
aussi amener le clinicien a s’interroger sur la pertinence de
traitements principalement fond
es sur les seules anomalies
anatomiques [10]. Cette attitude pourrait conduire a des
approches trop invasives [2].
‘‘
Hormis en cas de complications, il n’existe
pas de corrélation entre les anomalies
morphologiques du pancréas, retrouvées
à l’imagerie, et l’intensité de la douleur.
Des changements minimes, à l’imagerie,
ne permettent pas de remettre en cause l’intensité
de la douleur ressentie
’’
L’abandon partiel de la théorique
mécanistique
nie de la douleur
Les th
eories actuelles de la pathoge
chronique s’appuient davantage sur une vision « neurobiologique » qui n’est pas incompatible avec l’ancienne
conception « m
ecanistique » [2]. Au contraire, une
meilleure compr
ehension de la pathog
enie de la douleur
pourrait faire le lien entre la « neuropathie pancr
eatique »
(voir plus loin) et les th
eories purement m
ecaniques.
Toutefois, les donn
ees neurobiologiques disponibles
pr
esentent plusieurs limitations. De nombreux travaux
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 21 n8 4, avril 2014
289
sont issus de la pancr
eatite aigu€
e (PA) et ont et
e extrapol
es
la PC. En outre, les a
etudes chez l’animal s’appuient
fr
equemment sur des mesures indirectes de la nociception,
telles que l’hyperalg
esie pari
etale (douleur r
ef
er
ee) ou
des changements non sp
ecifiques du comportement de
l’animal [2].
‘‘
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Nos connaissances sur la physiopathologie
de la douleur de la pancréatite chronique
sont issues de travaux dont certains sont difficiles
à extrapoler en clinique humaine
’’
Rappel sur la transmission
de l’information douloureuse
Pour mieux comprendre les th
eories actuelles, il est
n
ecessaire de faire un rapide rappel sur l’innervation
nociceptive du pancr
eas. Un stimulus nociceptif intrapancreatique va stimuler un r
ecepteur a la douleur, ou
nocicepteur. Le plus etudi
e, et le plus important, est le
transient receptor potential vanilloid 1 (TRPV1). Un autre
nocicepteur, le protease-activated receptor-2 (PAR-2), a
^le important.
egalement un ro
Apres integration et transduction du stimulus douloureux
par le nocicepteur, il se produit une d
epolarisation si
l’intensite du stimulus est suffisante. Le signal est ensuite
vehicule dans les fibres peu, ou pas, my
elinis
ees (fibres-C et
fibres A-delta) du premier neurone (dit de premier ordre)
qui vehicule la nociception jusqu’au plexus cœliaque sans
qu’il y ait de synapse a ce niveau.
Puis, le signal nociceptif gagne le corps cellulaire de ce
premier neurone qui est dans le ganglion spinal situ
e entre
T5 et T9. Ensuite, ce premier neurone fait synapse au
niveau de la corne dorsale m
edullaire [7].
Les neuromediateurs impliqu
es dans la transmission
synaptique sont notamment, le glutamate, la substance
P (SP), la calcitonin gene-related peptide (CGRP) et le brain
derived neurotrophic factor (BDNF). Leurs principaux
r
ecepteurs sont respectivement, le N-methyl-D-aspartate
(NMDA), le NK-1, la calcitonin receptor-like receptor
(CRLR), le tropomyosin receptor kinase B (TrkB). Ces
recepteurs sont exprim
es au niveau post-synaptique sur les
neurones medullaires (dit de second ordre) comme le
montre la figure 1. Nous verrons plus loin les implications
therapeutiques de ces connaissances sur ces neuecepteurs.
romediateurs et leurs r
Tres schematiquement, le neurone de second ordre se
projette, via les voies spinothalamiques, sur le thalamus.
ce niveau, un troisi
A
eme neurone se projette en
particulier sur le cortex somato-sensoriel et le syst
eme
290
limbique, produisant respectivement, la sensation physique
de douleur et la r
eponse emotionnelle (la souffrance)
[4].
Il est a noter que les aff
erences nociceptives du pancr
eas se
projettent egalement sur des neurones, dits convergents,
qui reçoivent egalement des aff
erences sensitives provenant de zones somatiques pr
ecises. Il s’agit du principe
de convergence viscero-somatique. En particulier, les
aff
erences sensitives du dermatome Th10 se projettent
sur les m^
emes « neurones m
edullaires convergents » que
les aff
erences nociceptives pancr
eatiques. Ce ph
enom
ene
de convergence explique le ph
enom
ene de douleur
visc
erale projet
ee (ou r
ef
er
ee). En raison de la convergence
sur des neurones m
edullaires communs, la douleur
visc
erale est perçue par le cortex comme si elle provenait
de la zone pari
etale. Nous verrons plus loin que cette
convergence viscero-somatique a et
e utilis
ee pour explorer
l’excitabilit
e des neurones centraux (neurones de second et
de troisi
eme ordre)
La figure 2 illustre ce ph
enom
ene.
Par ailleurs, il existe au niveau m
edullaire une superposition des projections sensitives de visc
eres voisins.
Sur la figure 2, des neurones convergents m
edullaires
reçoivent, a la fois, des aff
erences provenant du
pancr
eas et de l’œsophage. On parle de convergence
visc
ero-visc
erale entre ces deux visc
eres voisins [12]. Nous
verrons plus loin une application de cette notion.
Il existe egalement une projection des neurones de premier
ordre sur les neurones du syst
eme sympathique [13].
‘‘
Le phénomène de douleur référée
(projetée) est lié à la convergence
sur des neurones médullaires identiques
(« neurones convergents »), d’afférences
nociceptives provenant à la fois, d’un viscère
donné et d’un territoire somatique précis
’’
Rôle de la cholécystokinine (CCK)
dans la douleur
sulter d’obstacles canalaires
L’hyperpression pourrait re
mais aussi d’une el
evation de la CCK qui est fr
equente en
cas de PC. La s
ecr
etion de CCK est stimul
ee par le « CCKreleasing peptide », qui est une prot
eine intraluminale,
d
egrad
ee par la s
erine prot
ease. En cas de PC, la baisse
d’activit
e de la prot
ease induit une moindre d
egradation de
la CCK-releasing peptide, ce qui va augmenter le taux de
CCK. Il pourrait en r
esulter une hyperstimulation du
pancr
eas par la CCK, conduisant a une el
evation des
pressions tissulaires [14].
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 21 n8 4, avril 2014
Douleurs et pancreatite chronique
B
Partie présynaptique
du neurone
de premier ordre
Ganglion spinal
Corne dorsale médullaire
TrkB
Ca2+
Src
BDNF
PKC
Ca2+
Glutamate
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SP
NMDA
NK1
CGRP
Relais
A
Médiateurs de l'inflammation
5-HT
PGE2
BK
B1/B2
EP
CRLR
Transduction du signal
ATP
NGF
P2X3
TrkA
Moelle épinière
PKC
PLC
Ca2+
TTXr
PKA
Na+
H+
TRPV1
Chaleur
Pancréas
Activation d'un nocicepteur
du pancréas
partir du pancreas, le signal nociceptif est vehicule jusque dans le ganglion spinal qui contient le corps du premier neurone, dit « de
Figure 1. A
se trouve la premiere synapse avec le second neurone, dit « de
premier ordre ». Ce neurone va rejoindre la corne dorsale de la moelle epiniere ou
second ordre ». Au niveau de la synapse, les neuromediateurs impliques sont notamment, le glutamate, la substance P (SP), la calcitonin generelated peptide (CGRP) et le brain derived neurotrophic factor (BDNF). Leurs principaux recepteurs sont respectivement, le N-methyl-D-aspartate
(NMDA), le NK-1, la calcitonin receptor-like receptor (CRLR), le tropomyosin receptor kinase B (TrkB). Ces recepteurs sont exprimes au niveau post^ le essentiel dans la sensibilisation centrale.
synaptique sur les neurones medullaires (de second ordre). Le couple glutamate/NMDA joue un ro
Permission obtained for panel a from Nature Publishing Group# Marchand, F. et al. Nat Rev Neurosci 2005 ; 6 : 521-32.
La douleur induite par la CCK pourrait aussi ^
etre secondaire
a son « action centrale ». En effet, la CCK poss
ede
un recepteur dans le syst
eme nerveux central, situ
e au
niveau de l’area postrema (plus connu sous le nom de
centre de vomissement). En raison de l’absence de barri
ere
h
emato-encephalique, la CCK peut se lier facilement a son
r
ecepteur et exercer une action pro-nociceptive pouvant
majorer la perception douloureuse [7]
L’hypothetique action antalgique des enzymes pancr
eatiques, en dehors de toute insuffisance pancr
eatique
exocrine, passerait par une d
egradation plus importante
de la CCK-releasing peptide, diminuant ainsi la production
de CCK.
En raison de ce m
ecanisme suppos
e, seules les enzymes
pancreatiques non gastro-prot
eg
ees pourraient poss
eder
une action antalgique car elles peuvent agir au niveau du
duod
enum sur la CCK-releasing peptide et abaisser le
taux de CCK. A contrario, les enzymes pancr
eatiques
gastro-prot
eg
ees peuvent agir seulement au niveau
du j
ejunum, voire de l’il
eon et ne peuvent avoir une
action sur la CCK-releasing peptide. Les seuls essais
^ l
randomis
es contro
es, et de qualit
e, ayant montr
e
une action antalgique, utilisaient des enzymes non
gastro-prot
eg
ees [14]. Toutefois, l’effet antalgique des
eme non gastro-prot
eg
ees,
enzymes pancreatiques, m^
reste hypoth
etique.
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 21 n8 4, avril 2014
291
‘‘
L’action antalgique, hypothétique,
des enzymes pancréatiques sous forme
non gastro-protégées, en dehors de toute insuffisance pancréatique, passerait par l’abaissement
de la cholécystokinine
L’inflammation chronique au cours
des pancréatites chroniques
VAS
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0.1 Hz
Physiopathologie de l’inflammation chronique
VAS
0.3 Hz
Figure 2. Convergence viscero-somatique et convergence viscerovisc
erale. Douleur r
eferee (projetee) : les fibres en gris fonce sont les
aff
erences sensitives provenant de la zone somatique referee,
correspondant a la paroi abdominale haute. Ces fibres se projettent
sur les m^
emes « neurones convergents » medullaires que les fibres
aff
erentes, en noir, provenant du pancreas. Les influx nociceptifs du
pancr
eas seront interpretes par le cortex comme s’ils provenaient de la
zone somatique. Hyperalgesie viscero-viscerale et somato-viscerale :
en cas de sensibilisation centrale spinale, secondaire a une pancreatite
chronique, il existe une hyperexcitabilite des neurones qui sont situes,
sur le sch
ema, dans la zone etoilee blanche medullaire. Cette zone
correspond a la projection des influx nociceptifs pancreatique. (NB :
Comme il est pr
ecise dans le texte, cette hyperexcitabilite peut se
gen
eraliser aux diff
erents niveaux medullaires en cas de sensibilisation
des neurones, dits « de troisieme ordre », supra-spinaux, conduisant a
une sensibilisation centrale supra-spinale ou corticale). Dans cette
illustration, les aff
erences d’autres organes, comme l’œsophage, ont
des terminaisons communes avec les afferences du pancreas sur des
« neurones convergents » medullaires, situes, sur l’illustration, au
niveau de la zone etoilee blanche. On peut supposer que la
sensibilisation centrale d’origine pancreatique se refletera dans les
r
eponses aux stimulations œsophagiennes. De m^eme, sur le schema,
l’hyperexcitabilit
e neuronale, liee a la sensibilisation centrale induite
par la pancr
eatite chronique, se traduit par une augmentation de la
surface de la zone somatique referee dont les afferences sont coloriees
en blanc et gris clair sur la zone abdominale haute. En bas a gauche, le
ph
enom
ene de sommation temporelle (« wind-up » chez l’animal) est
illustr
e par la r
ep
etition de stimulations d’intensite identiques qui induit
une int
egration corticale de la douleur avec une augmentation de la
douleur, repr
esent
ee, en noir, par les resultats de la mesure de l’echelle
visuelle analogique (VAS). Source : Drewes AM, Krarup AL, Detlefsen
S, et al. Pain in chronic pancreatitis: the role of neuropathic pain
mechanisms. Gut 2008 ; 57 : 1616-27.
L’action antalgique de l’octr
eotide passerait egalement par
la diminution des taux de CCK mais les r
esultats des essais
sont contradictoires et cette mol
ecule reste peu utilis
ee [7].
Plusieurs etudes montrent une action de la CCK dans la
douleur. Chez le rat, des antagonistes des r
ecepteurs de la
€e (PA).
CCK diminuent la douleur de la pancr
eatite aigu
Chez l’homme, un antagoniste (loxiglumide) a egalement
montre une efficacit
e dose-d
ependante dans les
acces douloureux de PC et dans la PA, lors d’un essai
^l
multicentrique randomis
e contro
e [7].
292
’’
Au sein de la cellule acinaire, les enzymes pancreatiques
sont sous forme de pro-enzymes (zymog
ene), inactives.
Une fois secr
et
e, le trypsinog
ene (une zymog
ene) est
transform
e dans le duod
enum en trypsine active par
l’ent
erokinase duod
enale. Ce m
ecanisme d’activation
extra-pancr
eatique prot
ege la glande du risque « d’autodigestion ».
Le concept, qui pr
evaut actuellement, postule que cette
« autodigestion », ou activation pr
ematur
ee du trypsinog
ene intra-acinaire, constituerait la premi
ere etape de la
pancr
eatite aigu€
e (PA) et de l’inflammation (figure 3). Cette
activation pr
ematur
ee du trypsinog
ene a et
e mise en
evidence par de multiples etudes mais il n’a jamais et
e
prouve qu’il s’agissait d’un mecanisme causal de la
pancr
eatite.
Par analogie avec la PA, l’activation intrapancr
eatique
du trypsinog
ene a egalement et
e consid
er
ee comme
le mecanisme causal, initial, de la PC et de l’inflammation
chronique de la glande. Cependant, de r
ecents
travaux chez des souris, g
en
etiquement d
epourvues
de la possibilit
e d’activer pr
ematur
ement le trypsinog
ene, sugg
erent que la r
eponse inflammatoire, en
particulier l’activation de la voie du nuclear factor
kappa b (NF-kb), pourrait ^
etre d
eclench
ee par diff
erents
stimuli (alcool, tabac, auto-immunit
e. . .), ind
ependamment de l’activation intra-acinaire du trypsinog
ene
(figure 4).
La permanence de l’exposition au stimulus conduirait a la
chronicisation de l’inflammation et a l’obtention d’une PC.
Il d
ecoule de cette hypoth
ese que l’arr^
et du stimulus causal
(tabac, alcool, hyperpression canalaire, exposition a la
bile, etc.) pourrait entraı̂ner une r
eversion des l
esions
pancr
eatiques, au moins aux stades pr
ecoces, comme cela
a
et
e montr
e chez le rat expos
e
a l’alcool.
Cependant, l’exposition a un stimulus ne peut suffire a
induire une inflammation chronique du pancr
eas. La
survenue d’une PC implique egalement de complexes
inter-relations entre des facteurs environnementaux et
g
en
etiques.
La persistance de l’activation de la voie du NF-Kb a
egalement et
e retrouv
ee chez l’homme. Au-del
a d’une
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Douleurs et pancreatite chronique
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Agression
pathologique
Activation
du trypsinogène
Induction
de l'auto-digestion
Recrutement
de cellules
inflammatoires
Inflammation
locale
et systémique
Autres
événements
pathologiques
Cellule acinaire
^le causal de l’activation prematuree du trypsinogene dans la genese de l’inflammation chronique du
Figure 3. Th
eorie communement admise du ro
as. Selon cette theorie, « l’autodigestion » est l’evenement central dont decoulent les autres. Source : Sah RP, Dawra RK, Saluja AK. New
pancre
insights into the pathogenesis of pancreatitis. Curr Opin Gastroenterol 2013 ; 29 : 523-30.
meilleure comprehension de l’inflammation chronique, la
confirmation de ces travaux constituerait un v
eritable
changement de paradigme sur la pathog
enie de la PC
qui ne serait plus centr
ee sur l’activation pr
ematur
ee
se, l’activation
du trypsinog
ene. Selon cette hypothe
pr
ematur
ee du trypsinog
ene serait effective mais conduirait uniquement a la mort cellulaire sans d
eclencher de PC
[15, 16].
Pancréatite aiguë
Lésions pancréatiques
précoces
Pancréatite chronique
Activation
du trypsinogène
Cette activation n'est pas nécessaire
à la pathogénie
de la pancréatite chronique
Lésions et inflammation locale
SIRS
Activation
de voies
inflammatoires
Activation chronique
de la voie
inflammatoire
Persistance
du stimulus
Stimulus
pathologique
Facteurs génétiques
et environnementaux
Pancréatite
chronique
Différents stimuli pathologiques
associés à la PC
Alcool
• Bile
• Obstruction d’un canal
• Dysfonction d’un canal (mutations CFTR)
• Toxines (tabac par exemple)
• Infection virale
• Mutations héréditaires
• Phénomènes auto-immuns
Figure 4. De r
ecents travaux chez la souris suggerent que l’activation prematuree du trypsinogene n’est ni la cause de l’inflammation chronique ni
^te gauche, le nouveau
de la pathog
enie de la pancreatite chronique. La partie concernant la pancreatite aigu€e est coloriee en bleu. Sur le co
paradigme, selon lequel, la pathogenie de la pancreatite chronique serait liee au maintien de l’activation des voies de l’inflammation dont la plus
importante serait la voie du NF-kB. La chronicite de l’exposition au stimulus conduirait au maintien de l’activation de la voie du NF-kB. Cette
activation soutenue de la voie du NF-kB, secondaire a l’exposition chronique a des stimuli, ne conduirait a une pancreatite chronique que dans
certains contextes g
enetiques et environnementaux. Pour les auteurs de ce schema, les « fleches continues » correspondent a des donnees,
soutenues par des preuves experimentales, tandis que les fleches en pointille representent seulement des hypotheses. SIRS: systemic inflammatory
response syndrome. Source : Sah RP, Dudeja V, Dawra RK, et al. Cerulein-induced chronic pancreatitis does not require intra-acinar activation of
trypsinogen in mice. Gastroenterology 2013 ; 144 : 1076-85.
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 21 n8 4, avril 2014
293
L’inflammation neurogène
‘‘
Selon de récents travaux chez l’animal
l’activation prématurée, intra-acinaire,
du trypsinogène (« phénomène d’autodigestion
pancréatique ») ne conduirait qu’à la mort
des cellules concernées et non à une pancréatite
chronique
’’
Facteurs potentialisant l’inflammation
Le stress électrophilique
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Ce stress resulte d’un d
es
equilibre entre l’accumulation
de radicaux libres et les possibilit
es de « d
etoxification »
par des antioxydants, tels que la m
ethionine ou la
vitamine C.
L’ischemie des tissus pancr
eatiques serait l’une des causes
de la liberation de radicaux libres en exc
es, via l’activation
de cellules stellaires [7]. Des mod
eles, in vitro, ont en
effet montre que l’hyperpression activerait les cellules
stellaires, qui, en retour, induiraient un stress oxydatif.
L’alcool et le tabac sont egalement des sources de stress
oxydatif.
Ce stress electrophilique peut g
en
erer un etat proinflammatoire par le biais de plusieurs ev
enements tels
que l’activation de cellules immunitaires, l’augmentation
de l’expression de cytokines pro-inflammatoires ainsi que
l’activation de r
ecepteurs aux cytokines. Il pourrait en
r
esulter, directement ou indirectement, une sensibilisation
des nocicepteurs intrapancr
eatiques [13].
Il a ete suppose que la correction de ce stress par l’apport
d’antioxydants permettrait d’obtenir un effet antalgique
sur la PC. Les antioxydants exerceraient une action
antalgique en contrebalançant l’effet algog
ene des
radicaux libres. En faveur de cette th
eorie, il a ete montr
e
un deficit en antioxydant chez les patients ayant une PC
[13].
^ l
Deux larges essais randomis
es contro
es montraient des
resultats divergents, en depit d’une augmentation des
taux seriques d’antioxydants dans les deux etudes. Dans
l’essai negatif, les patients etaient ^
ag
es avec une
consommation d’alcool et de tabac comme principale
cause. Dans l’essai positif, les patients etaient plus jeunes
et presentaient surtout des PC d’origine idiopathiques.
Les antioxydants pourraient r
eduire la douleur mais de
nouveaux essais sont n
ecessaires afin de d
eterminer la
population la plus susceptible de r
epondre a ce traitement
[4].
‘‘
En dépit d’essais contradictoires, les antioxydants pourraient réduire la douleur.
Toutefois, de nouveaux essais sont nécessaires
afin de déterminer la population la plus susceptible
de répondre à ce traitement
294
’’
atiques par
L’activation des nocicepteurs intrapancre
l’inflammation entraı̂ne la s
ecr
etion par les fibres nerveuses
de neurotransmetteurs, tels que le glutamate, la substance
P (SP), la calcitonin gene-related peptid (GCRP). Ces
diff
erentes mol
ecules sont v
ehicul
ees le long de l’axone
de façon r
etrograde, ou antidromique, jusqu’
a l’extr
emit
e
distale intrapancreatique.
Il s’agit du « r
eflexe d’axone » (voir la figure 5 qui illustre
une s
ecr
etion antidromique de substances pro-inflammatoires. Le sens de la circulation antidromique est colori
e en
rouge sur ce sch
ema) qui a et
e mis en evidence dans la PA.
Cependant, son existence est plus difficile a prouver dans la
PC en raison de la courte vie des m
ediateurs impliqu
es.
Dans la PC, il a n
eanmoins et
e montr
e que la substance P,
trouv
ee dans le pancr
eas, provient du ganglion spinal.
Cette constatation sugg
ere que la substance P gagnerait le
pancr
eas par voie antidromique.
Localement, ces m
ediateurs vont entraı̂ner une inflammation locale en raison de leurs propri
et
es vasodilatatrices et
chimiotactiles sur les cellules inflammatoires. Il s’agit du
ene ».
ph
enom
ene « d’inflammation neurog
Chez l’homme, l’expression intrapancr
eatique du
r
ecepteur de la substance P (SP), la neurokin-1 (NK-1),
est corr
el
ee a la s
ev
erit
e de la douleur [5]. Ce lien sugg
ere le
^le de la SP et de l’inflammation neurog
ro
enique dans la
douleur. Par ailleurs, l’exp
erimentation animale a confirm
e
^le de la SP et de son r
ce ro
ecepteur dans la douleur visc
erale
[17]. C’est pourquoi il a et
e propos
e d’
etudier l’action
d’antagonistes de la SP, a visee antalgique, dans la PC [13].
La « neuropathie pancréatique »
La « pancreatic neuritis »
ces de PC et
Chez l’homme, l’analyse histologique de pie
d’ad
enocarcinome du pancr
eas montre des nerfs elargis et
hypertrophi
es.
Par ailleurs, ces nerfs sont infiltr
es, notamment par des
cellules inflammatoires. On parle de « pancreatic neuritis »
pour d
ecrire cette infiltration dont l’importance est corr
el
ee
a la s
ev
erit
e de la douleur. Cette corr
elation sugg
ere
l’importance de cet infiltrat dans la gen
ese de la douleur
[18].
Cette infiltration s’expliquerait par l’action de substances
telles que la fraktaline [19] qui serait transport
ee le long des
fibres nerveuses par voie antidromique jusqu’
a l’extr
emit
e
intrapancreatique du nerf. La fraktaline « attirerait » les
cellules inflammatoires au sein des nerfs par chimiotactisme [5, 13]. En faveur de cette hypoth
ese, il existe une
corr
elation entre l’augmentation de l’expression de la
fraktaline endoneurale et la s
ev
erit
e de la « pancreatic
neuritis » ainsi qu’avec la s
ev
erit
e de la douleur [19].
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 21 n8 4, avril 2014
Douleurs et pancreatite chronique
Mastocytes
Substance P
K+
Histamine
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H+
Réflexe d’axone
Bradykinine
Ganglion
rachidien
Prostaglandines
ATP
Corne
dorsale
Capillaire
sanguin
Conduction
antidromique
Substance P
Moelle
épinière
Figure 5. Secondairement a un stimulus nociceptif (etoile coloriee en violet), il se cree un « reflexe d’axone » qui entraı̂ne la secretion par voie
antidromique, ou r
etrograde, de substance P qui va induire une inflammation locale, dite « inflammation neurogene ». Source : Chiu IM, von Hehn
CA, Woolf CJ. Neurogenic inflammation and the peripheral nervous system in host defense and immunopathology. Nat Neurosci 2012 ; 15 :
1063-7.
^le probable de la fraktaline dans la
En raison de ce ro
douleur, le blocage de son r
ecepteur, le CX3CR1, pourrait
constituer une option pour traiter la douleur [5, 20].
La « pancreatic neuritis » repr
esenterait l’
equivalent de la
neuro-inflammation visc
erale, rencontr
ee dans des affections telles que les maladies inflammatoires chroniques de
l’intestin, l’appendicite, le syndrome de l’intestin irritable. . .
Dans ces dernieres maladies, l’infiltrat inflammatoire est
etroitement lie a la douleur.
Dans la PC, l’infiltrat est d’autant plus riche en cellules
mastocytaires (d’un type particulier : « MCtc-type mast
cells ») que la PC est douloureuse.
Le lien entre neurones et cellules mastocytaires est
activement etudie dans diverses affections : migraines,
cystite, etc. La degranulation mastocytaire peut notamment liberer le nerve growth factor (NGF) dont nous
^le-cl
verrons plus loin le ro
e dans la douleur.
Dans le syndrome de l’intestin irritable, le ketotifen, un
agent stabilisateur des mastocytes et antihistaminique,
entraı̂ne une diminution de l’intensit
e de la douleur
[19].
Chez l’homme, la quantit
e de cellules mastocytaires est 3 a
5 fois plus importante chez les patients pr
esentant une PC
douloureuse, en comparaison aux quantit
es trouv
ees chez
des patients ayant une PC peu douloureuse. Aussi, les
mol
ecules stabilisant les mastocytes pourraient egalement
poss
eder un effet antalgique dans la PC [2].
Lésions nerveuses
Dans des tissus provenant de PC, des l
esions nerveuses
s
ev
eres sont constat
ees avec des ruptures p
eri-nerveuses,
la p
en
etration de cellules inflammatoires a l’int
erieur des
nerfs et un œd
eme neural [5].
l’instar de l’infiltration neurale (la « pancreatic neuriA
tis »), ces « alt
erations neuronales » sont corr
el
ees avec la
s
ev
erit
e de la douleur [18].
^le majeur des
Cette relation renforce l’hypoth
ese du ro
l
esions nerveuses intrapancr
eatiques dans la douleur de la
PC et permet d’utiliser le terme de « neuropathie
pancr
eatique » par analogie aux douleurs neuropathiques.
Nous verrons qu’il existe d’autres similitudes entre douleur
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 21 n8 4, avril 2014
295
de la PC et la douleur neuropathique, justifiant ce concept
de « neuropathie pancr
eatique ».
La plasticité neuronale
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Au niveau du pancr
eas, la neuroplasticit
e se traduit
histologiquement par l’aspect des nerfs qui sont elargis,
hypertrophies, et en nombre augment
e [21]. Cette
neuroplasticite, ou remodelage neuronal, touche plus
largement le systeme nerveux p
eriph
erique et central. Il
touche egalement le syst
eme nerveux autonome. En
comparaison a des tissus provenant de pancr
eas sain, on
retrouve notamment une diminution de l’innervation
sympathique dans des tissus issus de PC. Cette diminution
est parallele a l’intensit
e de la douleur [22], ce qui sugg
ere
^le dans la
que le systeme nerveux autonome jouerait un ro
nociception [6].
Comme nous l’avons evoqu
e, cette neuroplasticit
e serait
une reponse aux lesions nerveuses intrapancr
eatiques. Ces
l
esions induiraient la prolif
eration des cellules de Schwann,
indifferenciees, qui entraı̂nerait une repousse axonale et
une remyelinisation [5] dans un processus de r
eparation
des lesions neuronales, intrapancr
eatiques.
L’expression de marqueurs de neuroplasticit
e, tel que le
facteur de transcription glial, le SOX-10, est en faveur de
cette hypothese. Ainsi, le SOX-10 est continuellement
present dans les cellules matures de Schwann. Or, son
expression est diminu
ee dans des echantillons de PC, en
comparaison a des tissus provenant de pancr
eas sains [22],
Cette diminution du SOX-10 peut s’interpr
eter comme
une indifferenciation des cellules de Schwann qui
proliferent sous l’action des facteurs neurotrophiques
(voir plus loin). Les cellules de Schwann, devenues
immatures, ne secr
etent plus le SOX-10. En outre, un
autre marqueur de neuroplasticit
e, le growth-associated
protein 43 (GAP-43), est bien surexprim
e dans la PC, allant
dans le sens d’un ph
enom
ene de neuroplasticit
e dans la PC
[5].
Cette neuroplasticit
e touche egalement le syst
eme
nerveux central au niveau m
edullaire mais aussi supraspinal. Ainsi, des modifications structurales corticales
peuvent ^etre mises en evidence par imagerie du tenseur de
diffusion. Ces changements sont situ
es au niveau
des structures corticales impliqu
ees dans la douleur
(« matrice de la douleur ») et certaines modifications
sont correlees avec la s
ev
erit
e de la douleur. De semblables
modifications corticales sont observ
ees dans d’autres
douleurs chroniques [23].
Rôle des facteurs neurotrophiques (figure 6)
La famille des facteurs neurotrophiques tient une place
importante dans les ph
enom
enes de nociception de la PC.
^leParmi ces facteurs, le nerve growth factor (NGF) a un ro
cl
e dans la pathog
enie de la douleur [24]. Le NGF est
296
d’ailleurs surexprim
e dans les tissus de PC, notamment au
niveau des nerfs hypertrophi
es [22].
^le des facteurs neurotrophiques serait double. Ils
Le ro
induiraient la neuroplasticit
e par prolif
eration cellulaire,
conduisant aux aspects hypertrophi
es des nerfs. En
outre, ils induiraient la sensibilisation des nocicepteurs et
participeraient activement a la gen
ese de la douleur.
Ces facteurs neurotrophiques seraient transport
es dans le
pancr
eas par voie antidromique, via les fibres nociceptives
intrapancr
eatiques.
Dans la douleur neuropathique, un ph
enom
ene identique se
produit. Une l
esion p
eriph
erique induit une cascade d’
ev
enements dont le transport antidromique de facteurs de
croissance dans les suites de la d
eg
en
erescence wall
erienne.
Ces facteurs neurotrophiques (NGF et GDNF) permettent
la repousse axonale et la remy
elinisation. Comme pour
la PC, ces facteurs sensibilisent et activent egalement
les nocicepteurs, contribuant a l’initiation de la douleur
neuropathique dans les suites de la l
esion nerveuse [25].
Au niveau du tissu pancr
eatique, ces mol
ecules se lient a
es au niveau des nerfs intraleurs r
ecepteurs, situ
pancr
eatiques l
es
es. Cette liaison leur permettrait d’exercer
leur effet neurotrophique sur les fibres nerveuses [5] et
d’entraı̂ner une prolif
eration cellulaire, expliquant l’aspect
hypertrophie des nerfs intrapancreatiques. En faveur de
cette hypoth
ese, la neurturin (NRTN), qui est un facteur
neurotrophique surexprim
e dans les nefs intrapancr
eatiques, a montr
e, in vitro, une action neuroplastique
sur des extraits tissulaires [22].
D’autres facteurs neurotrophiques comme le brain-derived
neurotrophic factor (BDNF) ou l’artemin, qui appartient a la
famille des glial cell-line derived neurotrophic factor (GDNF),
sont egalement surexprim
es dans les tissus de PC.
^le des facteurs neurotrophiques dans l’initiation de la
Le ro
douleur est montr
e par la corr
elation existant entre la
surexpression du NGF, de l’artemin et du BDNF, et la s
ev
erit
e
de la douleur. Chez l’animal ayant une PC exp
erimentale,
l’usage des antagonistes du BDNF, de NGF, ou de l’artemin,
diminue d’ailleurs la douleur. Ces donn
ees montrent
l’importance des facteurs neurotrophiques dans la douleur
l’instar de la douleur neuropathique, ces facteurs
de la PC. A
exerceraient leur action nociceptive notamment, par la
sensibilisation des nocicepteurs intrapancr
eatiques [13].
Chez l’homme, les anticorps monoclonaux anti-NGF
(tanezumab) ont d
ej
a et
e utilis
es lors d’essais cliniques
incluant diff
erents types de douleurs chroniques avec de
bons r
esultats initiaux. Toutefois, la survenue inattendue
d’ost
eon
ecroses a conduit la Food Drug Administration
etait pr
evu dans les PC [2].
(FDA) a suspendre l’essai qui Les nocicepteurs intrapancréatiques
Les deux types de nocicepteurs sont le transit receptor
potentiel vanilloid (TRPV1) et le proteinase-activated
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vol. 21 n8 4, avril 2014
Douleurs et pancreatite chronique
Récepteurs
TrkA
Inflammation
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Lymphocyte
Macrophage
Cellules mastocytaires
Fibroblastes
Cellules de Schwann
Neurones
Expression des récepteurs
NGF
Fibres nerveuses
sensitives/sympathiques
Récepteurs
P75
BDNF
Prolifération nerveuse
et
sensibilisation des nocicepteurs
Perineurium
Artemin
Récepteurs
GFRα3
Cellules de Schwann
^ les des facteurs neurotrophiques. Ces facteurs induisent une proliferation cellulaire (neuroplasticite) lors de la mise
Figure 6. Les deux principaux ro
en œuvre d’un processus de « reparation » des lesions nerveuses, a l’instar des douleurs neuropathiques. L’action de ces facteurs neurotrophiques
expliquerait, par exemple, l’aspect hypertrophie des nerfs intrapancreatiques, retrouve sur des biopsies de pancreatite chronique. Par ailleurs,
^le essentiel dans la pathogenie de la douleur de pancreatite chronique notamment par le biais d’une sensibilisation
ces facteurs jouent un ro
des nocicepteurs. Dans les suites d’une lesion nerveuse experimentale, les facteurs sont vehicules vers le pancreas par voie antidromique.
Source : Talukdar R, Nageshwar Reddy D. Pain in chronic pancreatitis: Managing beyond the pancreatic duct. World J Gastroenterol 2013 ; 19 :
6319-28.
receptor 2 (PAR-2). La tryptase peut directement activer les
PAR-2. Un autre recepteur, r
ecemment identifi
e (le ligandgated cation channel transient receptor potential ankyrin
1), participerait egalement a l’hyperalgie visc
erale [13].
Le nocicepteur intrapancr
eatique TRPV1 semble particuli
erement important et son seuil d’activation peut ^
etre
abaisse par differents m
ediateurs. Cet abaissement du seuil
de declenchement du potentiel d’action pour des stimuli
faibles s’appelle la sensibilisation p
eriph
erique. Dans la PC,
il existe un abaissement marqu
e de ce seuil sous l’action de
differents mediateurs qui restent a identifier avec pr
ecision.
Comme mentionn
e plus haut, le nerve growth factor (NGF)
^le pivot dans cette sensibilisation p
aurait un ro
eriph
erique.
C’est notamment par ce biais que la d
egranulation des
cellules mastocytaires, qui lib
ere le NGF, pourrait exercer
un effet nociceptif.
Les antagonistes du TRPV1 diminuent l’hyperalg
esie
viscerale chez le rat pr
esentant un mod
ele de PC. Ces
r
ecepteurs pourraient constituer une nouvelle cible
th
erapeutique [2].
‘‘
Dans la pancréatite chronique, il existe une
sensibilisation périphérique. Il en résulte
que les récepteurs à la douleur, intrapancréatiques,
^ tre activés par des « stimulations
peuvent e
minimes », induisant un état d’hyperalgésie
Les cellules gliales
’’
riph
L’analyse des nerfs pe
eriques ne peut se limiter aux
composants neuronaux mais doit prendre aussi en consid
eration les cellules gliales. Elles sont repr
esentees par
les oligodentrocytes, les astrocytes et la microglie (ces
derniers sont des macrophages). Elles ont longtemps et
e
consid
er
ees comme un simple tissu de soutien alors que
^les sont multiples.
leurs ro
^le fondamental dans la douleur
Les cellules gliales ont un ro
neuropathique qu’il s’agisse d’une l
esion p
eriph
erique
ou centrale [25]. Ainsi, une l
esion nerveuse p
eriph
erique
peut induire une activation gliale, notamment au niveau
m
edullaire. Un semblable ph
enom
ene existe dans la PC.
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 21 n8 4, avril 2014
297
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s l’induction d’une PC
Chez l’animal, trois semaines apre
experimentale, il est retrouv
e une activation de la microglie
(qui se traduit par un changement d’aspect de la cellule)
medullaire, plus particuli
erement au niveau de la projection
des afferences sensitives du pancr
eas. Cette activation de
^le majeur dans l’initiation et dans
la microglie jouerait un ro
le maintien de l’hyperalg
esie li
ee a la PC.
^le est confirm
Ce ro
e par l’usage d’inhibiteurs de la
microglie, tels que la minocycline. Par voie intrath
ecale
(la voie systemique est d
epourvue d’effet), la minocycline
suspend l’hyperalg
esie mais uniquement le temps de
l’administration du produit.
Inversement, la fraktaline est un activateur de la microglie
et elle induit une allodynie m
ecanique, dose-d
ependante,
chez le rat « naı̈f ». Par ailleurs, une constriction chronique
du nerf sciatique entraı̂ne une surexpression du recepteur
de la fraktaline, le CX3CR1, au niveau m
edullaire, de façon
concomitante avec l’activation de la microglie. Enfin,
l’hyperalgesie induite par la fraktaline peut ^
etre pr
evenue
par l’administration de minocycline intrath
ecale.
Ces differentes donn
ees sugg
erent que des facteurs tels
^le de « m
que la fraktaline jouerait le ro
ediateurs » entre les
neurones leses et la microglie [26].
^le pivot de la microglie dans la douleur visc
Ce ro
erale
chronique en fait une cible th
erapeutique potentielle.
La mise en évidence d’une hyperexcitabilité
neuronale centrale chez l’homme
‘‘
À l’instar de la douleur neuropathique,
il existe dans la pancréatite chronique,
des modifications structurales du système nerveux
périphérique et centrale (neuroplasticité), une
activation des cellules gliales et un rôle pivot
des facteurs neurotrophiques, en particulier
du nerve growth factor (NGF). Ces connaissances
ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques
potentielles, telles que l’usage des anticorps
anti-NGF ou des inhibiteurs de l’activation
de la microglie
vidence, l’hyperexcitabilit
Pour mettre en e
e neuronale
centrale, la convergence visc
ero-somatique et visc
erovisc
erale peuvent ^
etre utilis
ees. Les signes cliniques de cette
hyperexcitabilit
e centrale sont [5] :
fe
re
e lors d’un
– l’augmentation de l’aire de douleur re
stimulus nociceptif visc
eral ;
– la sommation temporelle au niveau du visc
ere concern
e;
– l’hyperalg
esie.
’’
La sensibilisation centrale
Rôle des neurotransmetteurs dans l’hyperexcitabilité
neuronale ou sensibilisation centrale
la
La sensibilisation centrale fait syst
ematiquement suite a
sensibilisation p
eriph
erique [2] comme dans d’autres
douleurs chroniques.
La sensibilisation p
eriph
erique induit une augmentation du
« flux » nociceptif provenant du pancr
eas. Ces influx sont
transmis aux neurones de second ordre au niveau de la
corne medullaire post
erieure. Lors de la transmission
synaptique entre neurones de premier et de deuxi
eme
ordre (figure 1), le glutamate et son r
ecepteur, le NMDA,
^le majeur dans la persistance de la douleur et
jouent un ro
298
de l’hyperalg
esie [17]. L’administration intrath
ecale d’antagonistes de neurotransmetteurs, autres que le glutamate,
la SP, le CGRP, et le BDNF, diminue la douleur chez le rat
ayant une PC exp
erimentale [2].
Secondairement au maintien du flux nociceptif, survient
une sensibilisation des neurones de second ordre. Cette
sensibilisation se traduit par un abaissement de leur seuil
d’activation neuronale en raison de modifications de
l’excitabilit
e membranaire [5]. Il s’agit de la « sensibilisation
centrale spinale segmentaire », l’hyperexcitabilit
e neuronale touchant uniquement les neurones situ
es au niveau de
la projection des aff
erences pancr
eatique.
Puis, cette hyperexcitabilit
e m
edullaire va entraı̂ner un flux
nociceptif plus intense vers les neurones de troisi
eme ordre,
ou neurones corticaux, qui peuvent, a leur tour, ^
etre
sensibilis
es [4]. On parle alors de sensibilisation centrale
supraspinale (ou corticale).
Secondairement, des modifications structurales se mettent
en place au niveau spinal et supraspinal. Comme nous
l’avons mentionn
e plus haut, l’imagerie par tenseur de
diffusion met en evidence la r
eorganisation fonctionnelle
corticale en retrouvant des alt
erations des microstructures
corticales, impliquees dans les processus de traitement de
la nociception (« neuromatrix ») [23].
tude pionnie
re, Dimcevski et al. ont
Au cours d’une e
ces diff
retrouve
erents caract
eres en stimulant l’œsophage
qui partage des « neurones m
edullaires convergents » avec
le pancr
eas (figure 7). Chez les patients ayant une PC, apr
es
stimulation visc
erale, l’aire de douleur r
ef
er
ee etait
sup
erieure a celles obtenue chez des t
emoins. En outre, les
auteurs ont retrouv
e le ph
enom
ene de sommation tempoe constante,
relle (des stimulations, r
ep
et
ees et d’intensit
entraı̂nent une douleur croissante). Ces r
esultats confortent
l’hyperexcitabilit
e neuronale centrale en cas de PC.
Par contre, cette etude a egalement retrouv
e une
hypoalg
esie cutan
ee contrastant avec l’hyperalgesie profonde au niveau des masses musculaires, retrouv
ee dans
d’autres etudes. Cette discordance pourrait ^
etre liee a une
^le inhibiteur de la
d
eficience des syst
emes de contro
^les
douleur, dont l’origine est supra-spinale. Ces contro
inhibiteurs tentent de contrebalancer l’hyperalg
esie, li
ee a
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Douleurs et pancreatite chronique
^les descendant pourraient
la PC. Par ailleurs, certains contro
avoir une action facilitatrice sur la douleur de la PC (syst
eme
pro-nociceptif). La balance entre les syst
emes descendants,
inhibiteurs et facilitateurs de la nociception, d
eterminerait
la perception douloureuse corticale.
Enfin, il a ete retrouv
e une hyperalg
esie recto-sigmoı̈dienne
chez les patients ayant une PC. Cette hyperalg
esie montre
^les inhibiteurs diffus
egalement la deficience des contro
^le est d’inhiber toute autre
nociceptifs (CIDN) dont le ro
perception douloureuse lors d’une intense stimulation
nociceptive [5, 6]. Ces CIDN expliquent en particulier,
qu’une douleur intense sur une partie du corps puisse
masquer une autre douleur, moins intense, situ
ee sur une
autre partie du corps.
Les processus centraux impliqu
es dans la nociception sont
donc anormaux chez les patients ayant une PC [6]. Il peut
exister un etat d’hyperalg
esie li
e a la coexistence d’une
sensibilisation centrale et d’alt
eration des syst
emes de
^le de la douleur. En outre, il existe une r
contro
eorganisation
fonctionnelle des aires corticales impliqu
ees dans la
nociception qui est corr
el
ee a l’intensit
e de la douleur [6].
‘‘
Chez l’homme ayant une pancréatite
chronique, il a été retrouvé une
sensibilisation nerveuse périphérique au niveau
du pancréas et centrale qui permet à des stimula^ tre ressenties comme
tions physiologiques d’e
douloureuses
’’
Rôle de la sensibilisation centrale: s’agit-il d’une
cause ou d’une conséquence de la douleur ?
En d
epit de nombreuses etudes, il semble difficile de
d
eterminer l’importance de la sensibilisation centrale, en
tant que facteur ind
ependant, dans la gen
ese de la douleur
de la PC [5]. La sensibilisation centrale, et les modifications
c
er
ebrales observ
ees, pourrait simplement refl
eter la
r
eponse aux impulsions nociceptives continues provenant
du pancr
eas. Toutefois, des etudes men
ees dans d’autres
douleurs chroniques sugg
erent que la r
eorganisation
centrale (neuroplasticit
e) participerait a la douleur.
^me »
Une etude sur les douleurs du « membre fanto
montre une forte corr
elation entre l’importance de la
r
eorganisation corticale et l’intensit
e de la douleur. Cette
observation sugg
ere que la douleur est une cons
equence
directe de la r
eorganisation.
^le direct de la neuroplasticit
Dans une autre etude, le ro
e
^mes a dans la persistance de sympto
et
e d
emontr
e chez
l’animal soumis a des bruits intenses. Cette exposition
sonore induit chez l’animal des modifications c
er
ebrales
^mes auditifs, mis en
(neuroplasticit
e) et des sympto
^evidence par le comportement de l’animal. Ces sympto
mes, lies a la reorganisation centrale, persistent apres
l’arr^
et de l’exposition sonore. En outre, la « r
eversion » de
la r
eorganisation corticale induit une att
enuation des
^mes auditifs. Ce r
^le direct de la
sympto
esultat montre un ro
r
eorganisation neuronale corticale dans la persistance de
^mes, m^
sympto
eme apr
es disparition du stimulus initial. En
Surface de la douleur référée après stimulation électrique
Sujets contrôles
(surface moyenne = 6,6 cm2)
Patients ayant une PC
(surface moyenne = 30,2 cm2)
Figure 7. Lors de stimulations œsophagiennes, la surface de la douleur referee est plus importante, chez les sujets ayant une pancreatite chronique
(
a droite), que chez les temoins (a gauche). Ce resultat est probablement lie a l’hyperexcitabilite neuronale medullaire, induite par la pancreatite
chronique. En effet, nous avons vu que le pancreas partage avec l’œsophage (convergence viscero-viscerale) des « neurones medullaires »
communs (dit de « second ordre »), devenus hyperexcitables. Cette experience est donc en faveur d’une sensibilisation centrale induite par la
pancr
eatite chronique. Source : Dimcevski G, Staahl C, Andersen SD, et al. Assessment of experimental pain from skin, muscle, and esophagus in
patients with chronic pancreatitis. Pancreas 2007 ; 35 : 22-9.
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 21 n8 4, avril 2014
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organisation corticale peut
outre, le traitement de la re
^mes [27].
ameliorer les sympto
Une recente etude pilote a retrouv
e chez des patients
ayant une PC, une association entre une hyperalg
esie
diffuse (liee a une sensibilisation supraspinale et non
simplement spinale) et un echec de la splanchnicectomie.
Les auteurs attribuaient l’
echec de la splanchnicectomie a
une autonomisation de la douleur d’origine centrale qui
serait devenue ind
ependante du pancr
eas [6]. Cette
possible autonomisation de la douleur centrale expliquerait les echecs de la pancr
eatectomie totale [2].
Cette autonomisation serait plus probable en cas de longue
evolution de la maladie [28]. Inversement, la r
eversibilit
e de
la sensibilisation centrale est possible apr
es suppression du
processus nociceptif douloureux. Ainsi, la lib
eration
chirurgicale d’un nerf peut ^
etre efficace m^
eme en pr
esence
d’un remodelage neuronal. Cette r
eversibilit
e serait la cl
e
du succes de la chirurgie [5].
‘‘
Dans certains cas, la sensibilisation
centrale pourrait devenir autonome
et indépendante de l’évolution de la maladie
pancréatique
’’
lorsque l’inflammation a cessé, notamment
certaines douleurs post-prandiales sans autres
causes trouvées
’’
La « neuropathie viscérale » de la PC
et la douleur neuropathique
Comme nous l’avons vu, la douleur de la PC partage de
nombreux points communs avec la douleur neuropathique. Toutefois, des auteurs estiment qu’il serait impr
ecis
d’assimiler les douleurs de PC, li
ees aux alt
erations
neuronales, a des douleurs neuropathiques. En effet, le
terme de douleur neuropathique est fr
equemment utilis
e
pour d
esigner des l
esions nerveuses sans l
esions du tissu
environnant. Dans la PC, les l
esions nerveuses surviennent
dans un contexte inflammatoire et il est difficile de s
eparer
les composantes inflammatoires et neuropathiques [2]
D’un point de vue clinique, il r
esulte de cette similitude que
les traitements de la douleur neuropathique pourraient
^
etre essay
es dans la PC [1]. La pregababline a d’ailleurs
montr
e son efficacit
e dans la PC au cours d’un essai
^ l
randomis
e contro
e. De m^
eme, les premiers essais
randomis
es sur la stimulation magn
etique transcr^
anienne,
qui cible la r
eorganisation corticale, sont encourageants
[5].
Traduction clinique de la sensibilisation périphérique
et centrale
Dans ce systeme globalement sensibilis
e, de simples
stimulations physiologiques peuvent ^
etre perçues comme
douloureuses. La sensibilisation rendrait compte de la
^mes de la PC lorsque l’inflammation a
majorite des sympto
cesse.
Cette sensibilisation expliquerait certaines douleurs postprandiales qui resulteraient d’un ph
enom
ene « d’allodynie
viscerale » (l’allodynie est une r
eponse douloureuse a une
stimulation normalement non algique).
Chez le patient ayant une PC, « l’allodynie viscerale » peut
se traduire par certaines douleurs post-prandiales, secondaires a la minime augmentation de la pression intrapancreatique, liee a l’expansion de l’estomac, et/ou a
l’augmentation des secr
etions pancr
eatiques. Bien
evidemment, les autres causes de douleurs post-prandiales
doivent ^etre elimin
ees notamment une st
enose du
duodenum, un ulcere, etc. [1].
Une approche conceptuelle permettrait de r
econcilier
les theories « mecanistiques » et neurobiologiques. Des
modifications minimes de pression ou d’inflammation
peuvent servir de « d
eclencheur de douleurs » si ces
minimes stimulations surviennent dans un syst
eme globalement sensibilise [24].
‘‘
300
La notion de sensibilisation rendrait compte
de la majorité des symptômes de la PC
‘‘
En raison des similitudes entre douleur
neuropathiques et douleurs de PC,
des traitements de la douleur neuropathique
^ tre essayés dans la PC. La pregabaline
pourraient e
a d’ailleurs montré son efficacité
dans la pancréatite chronique
’’
La neuropathie viscérale et les autres troubles
gastro-intestinaux
Il est possible que des alt
erations semblables existent dans
d’autres affections digestives (par exemple, dans la maladie
de Crohn). La PC repr
esenterait simplement un prototype de
cette neuropathie visc
erale, ce qui aurait des implications
majeures pour le traitement de ces autres maladies
digestives.
^ tre un « prototype »
La PC représente peut-e
de neuropathie viscérale, qui existerait
dans d’autres pathologies digestives
‘‘
’’
Causes additionnelles de douleur
Il existe de nombreuses autres causes de douleurs dans la
PC, telles que les douleurs li
ees aux complications (par
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 21 n8 4, avril 2014
Douleurs et pancreatite chronique
Anomalies du système nerveux central
Réorganisation corticale fonctionnelle
Sensibilisation centrale corticale
Anomalies du système nerveux central
Dysfonctionnement des systèmes de modulation
de la douleur
Autres causes
Elévation de la CCK
Augmentation du taux de norépinéphrine
Neuropathie diabétique
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Anomalies du système nerveux central
Sensibilisation centrale médullaire
Anomalie du système nerveux périphérique
« Neuropathie pancréatique » et neuroplasticité
Problèmes « mécaniques »
Hyperpression d'un canal pancréatique
Hyperpression du parenchyme pancréatique
Morphologie pancréatique
Effets secondaires du traitement
« Opioid induced bowel dysfunction »
Complications liées à la chirurgie ou l'endoscopie
Pullulation bactérienne liée au ralentissement
de la motricité intestinale
Complications pancréatiques et extrapancréatiques
Pseudokyste
Obstruction duodénale ou des voies biliaires
Ulcère gastro-duodénal
Thrombose des veines spléniques
Figure 8. Les diff
erentes causes possibles de douleur dans la pancreatite chronique. CCK: Cholecystokinin. Source : Poulsen JL, Olesen SS, Malver
LP, et al. Pain and chronic pancreatitis: A complex interplay of multiple mechanisms. World J Gastroenterol. 2013.
une cause pari
exemple, un pseudo-kyste) [4], a
etale
(notamment, s’il y a eu des cicatrices chirurgicales [8] ou
une inflammation extensive, s’
etendant au-del
a du
pancreas, et atteignant la paroi [29]). Les douleurs peuvent
egalement ^etre d’origine iatrog
ene [4], etc. La figure 8
synthetise les differentes causes de douleurs de façon, non
exhaustive.
‘‘
La douleur de la pancréatite chronique
a une origine multifactorielle et il est
nécessaire d’adopter une attitude systématique
en recherchant notamment, la survenue
de complications de la maladie, tels qu’un cancer,
un pseudo-kyste, etc.
’’
Conclusion
Les theories neurobiologiques ouvrent de nouvelles
perspectives therapeutiques. Tout d’abord, le parall
ele
avec la douleur neuropathique permet d’essayer certains
traitements de la douleur neuropathique, tels que la
pregabaline, qui a d
ej
a montr
e son efficacit
e, ou les
tricycliques [1].
En outre, les connaissances r
ecemment acquises sur la
douleur de la PC montrent qu’il s’agit d’un processus
complexe et dynamique.
De r
ecents travaux sur la sensibilisation centrale
soulignent egalement que la douleur de la PC n’est pas
n
ecessairement circonscrite a l’organe malade. Les modifications du syst
eme nerveux central y tiennent un
^le important et insuffisamment ro
elucid
e. Ces douleurs
centrales pourraient s’autonomiser et n
ecessiter le
d
eveloppement de traitements ciblant plus sp
ecifiquement
la r
eorganisation corticale, telle que la stimulation
magn
etique transcr^
anienne.
Enfin, une meilleure connaissance des m
ecanismes
pr
ecis de la pathog
enie de la douleur permettra peut^
etre le d
eveloppement chez l’homme, d’antagonistes
de mol
ecules qui sont impliqu
ees dans le processus
douloureux, tels que, le NGF, la SP, le BDNF, le TRPV1. . .
[13].
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 21 n8 4, avril 2014
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^me le plus fr
La douleur est le sympto
equent de la
pancreatite chronique.
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&
& Les m
ecanismes de la douleur sont multifactoriels et
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douleur impacte davantage sur la qualit
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&
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el
ees
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L’infiltration inflammatoire des nerfs pancr
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est correlee a la douleur
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does not require intra-acinar activation of trypsinogen in mice. Gastroenterology
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pancreatiques, non gastro-prot
eg
ees, et de l’octr
eotide
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La sensibilisation centrale rendrait compte de la
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re
^ts : les auteurs d
Liens d’inte
eclarent n’avoir aucun lien
d’inter^et en rapport avec l’article.
&
Références
Les r
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erences importantes apparaissent en gras
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HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 21 n8 4, avril 2014
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