G
ERALD
Z
ALTMAN
Dans la tête du client
Ce que les neurosciences disent au marketing
Traduit de l’américain par Michel Edéry
© Éditions d’Organisation, 2004
ISBN : 2-7081-3103-6
© Éditions d’Organisation
Introduction
Ni l’art ni la science ne rechignent à
représenter nos mondes visibles et invisi-
bles. Le marketing, qui est art et science,
ne peut pas y rechigner non plus.
Peter Drucker, indéniablement le plus grand analyste contemporain
du management, affirme que les acteurs économiques se trouvent
aujourd’hui à l’orée de la « société du savoir ». Dans cette société,
l’avantage concurrentiel des entreprises émanera d’une ressource
traditionnellement sous-exploitée : la capacité de capter et d’appli-
quer l’information provenant de disciplines autres que le marketing.
Drucker fait observer que de nombreux cadres, qui occupaient un
poste de direction dans de prestigieuses entreprises américaines
depuis une dizaine d’années, ont été remerciés en l’espace d’un ou
deux ans, en partie parce qu’ils n’avaient pas su cultiver cette
ressource
1
. Leur échec est le résultat final de paradigmes boiteux qui
les ont poussés à naviguer tant bien que mal dans un environnement
de plus en plus précaire, situation qui rappelle celle de l’équipage du
Titanic
. Le fait est là : la plupart des spécialistes en marketing s’accro-
chent à un paradigme, c’est-à-dire une série de suppositions sur la
manière dont fonctionnent les choses, qui les empêche de compren-
dre les clients et de répondre efficacement à leurs besoins. Dans un
article qu’a récemment publié
The Economist,
Elliot Ettenberg, direc-
teur général de la société new-yorkaise Customer Strategies
Worlwide LLC, résume assez bien l’état des choses : « Tout a été
réinventé, dit-il. Distribution, développement de nouveaux produits,
chaîne d’approvisionnement… Seul le marketing reste coincé dans le
passé
2
. » Selon Ettenberg, il est infiniment plus difficile d’acquérir
une connaissance authentique et approfondie du client que de
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DANS LA TÊTE DU CLIENT
décrire les vertus d’un produit. « Alors que les consommateurs ont
changé jusqu’à en devenir méconnaissables, le marketing n’a pas
bougé », conclut-il
3
. Les changements que nous observons dans le
comportement du client vont du scepticisme croissant à l’égard des
grandes entreprises (et plus encore du marketing), à une plus grande
affirmation de soi, en passant par un plus grand raffinement, une
moindre fidélité aux entreprises et aux marques, et un intérêt marqué
pour la protection de la vie privée et la sécurité.
Le monde a changé, mais nos outils pour comprendre le client
n’ont guère évolué. Nous continuons à dépendre de méthodes de
recherche familières mais inefficaces, qui nous conduisent tout droit
à une mauvaise interprétation des comportements et des pensées des
consommateurs. Les produits et les messages que nous créons à partir
de ces méthodes ne touchent tout simplement pas les clients.
En cette époque d’« explosion du savoir », le paradigme du mar-
keting actuel est encore plus limité. Nombre d’hypothèses sur
lesquelles s’appuie ce paradigme sont propres à la pensée occidentale
et minent par conséquent la qualité de pensée qui nourrit le marke-
ting dans bien des pays. Pourquoi ? Parce que les entreprises établies
de pays non occidentaux ont adopté les pratiques commerciales de
l’Occident, et que les entreprises occidentales ont importé leurs biais
de pensée dans leurs activités partout dans le monde.
Le défi du changement
Pourquoi ne pas tout simplement changer de paradigme, direz-vous ?
Parce qu’il faut du courage et de la patience pour extirper des habi-
tudes profondément enracinées en nous. L’Histoire nous apprend
que ceux qui refusent d’envisager une nouvelle manière de voir les
choses se battent souvent avec vigueur pour maintenir le
statu quo
.
Par exemple, l’Église catholique, qui ne pouvait tolérer une vision
héliocentrique du monde, a contraint Galilée à abjurer ses convic-
tions sur le principe de la rotation de la Terre autour du Soleil.
Quand un individu remet en question nos façons de penser, nous
avons tendance à lui opposer une résistance
4
. Cette résistance
s’accroît lorsque les forces de changement nous obligent à remettre
en question non seulement
ce que
nous pensons (les idées), mais aussi
INTRODUCTION
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la manière
dont nous pensons (le processus de pensée). Quand on
nous dit, par exemple, que le consommateur ne pense pas en mots,
nous devons assimiler une notion peu familière du processus de
pensée et changer notre manière de communiquer avec la clientèle.
« Les managers peuvent dépenser des sommes faramineuses pour
régler un problème avant d’envisager l’idée même qu’ils pourraient
changer leur façon de l’aborder », note Vincent Barabba, cadre de
direction à General Motors. Abolir un paradigme, c’est renoncer aux
multiples hypothèses, attentes et règles de décision formelles et infor-
melles qui gouvernent nos pensées et nos actions
5
. Malheureuse-
ment, l’expression
changement de paradigme
est aujourd’hui tellement
galvaudée que lorsqu’on s’en targue, on pense plus à une mode qu’à
un changement fondamental des schémas de pensée.
Autre problème : le rejet hâtif des idées. Les praticiens du marke-
ting écartent trop souvent des idées pertinentes sans leur accorder
l’attention qu’elles méritent. Cette intolérance trouve ses origines
dans un mépris malsain et à peine voilé pour l’apprentissage. Dans
une allocution adressée à des dirigeants de l’industrie agroalimentaire
à l’occasion d’une assemblée qui s’est tenue à la Harvard Business
School, Peter Brabeck-Lemathe, vice-président du conseil d’admi-
nistration et directeur général de Nestlé (entreprise qui s’est
intéressée de près au fonctionnement du cerveau et qui accorde une
large place à l’apprentissage), a fait remarquer que les professionnels
du marketing « placent le sens commun personnel au-dessus de tout
ce que les connaissances scientifiques et les sciences humaines
peuvent nous apporter ». Le directeur général d’une société interna-
tionale de biens de consommation va même plus loin : « Certains
professionnels du marketing pensent qu’il leur suffit de lire les maga-
zines économiques populaires pour être au courant de tout, dit-il. Ils
méprisent tout le reste. Dans toute autre profession, les gens qui affi-
cheraient de telles attitudes ne feraient pas long feu. » Ce jugement
peut paraître dur, mais nous pouvons tous y reconnaître certains de
nos collègues qui affichent ce genre d’ignorance dédaigneuse.
Cela dit, il n’est pas forcément mauvais de résister aux nouvelles
idées, pourvu que nous ne le fassions pas uniquement parce qu’elles
perturbent la sphère rassurante de nos habitudes cognitives et affec-
tives.
Nous devons suspendre notre jugement sur les idées nouvelles
pour
nous demander d’abord : « Cette idée pourrait-elle avoir une
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DANS LA TÊTE DU CLIENT
certaine valeur pour nous ? » Si nous répondons par l’affirmative,
nous devons examiner de manière critique les mérites de cette idée.
Les notes qui parsèment cet ouvrage ont très précisément cet objec-
tif. Elles fournissent au lecteur des sources d’information à l’appui ou
en défaveur d’idées ou de conclusions, le dirigent vers les domaines
d’étude pertinents et l’incitent à changer sa manière de poser des
questions aux clients, d’interpréter leurs réponses et d’utiliser l’infor-
mation recueillie. Ces notes sont des avenues qui le mènent aux
points d’intersection de plusieurs disciplines.
L’une des conséquences les plus troublantes du paradigme actuel
est la dissociation artificielle de l’esprit, du corps, du cerveau et du
social. Bien que les praticiens du marketing connaissent la théorie des
systèmes, elle n’a en rien modifié leur conception du comportement
des consommateurs, de leur propre comportement et de leurs inte-
ractions. Or, ce n’est qu’en rassemblant les pièces détachées de leur
mode de pensée qu’ils pourront vraiment comprendre les clients et
répondre efficacement à leurs besoins. Sans cela, les entreprises ne
pourront survivre à la concurrence ni à l’accélération des change-
ments qui caractérisent l’économie moderne.
L’importance des connexions
Plus les disciplines évoluent, plus elles se spécialisent et se fragmen-
tent, ce qui pose deux défis aux praticiens du marketing. Le premier
est de comprendre que les distinctions établies entre les disciplines ne
se retrouvent pas dans la manière dont les gens vivent. Les êtres
humains, et c’est fort heureux, ne vivent pas leur vie dans les limites
bien définies que tracent les entreprises et les universités. Le
deuxième est de comprendre qu’ils doivent explorer de nombreuses
disciplines, car les connaissances les plus prometteuses résident sou-
vent
à la croisée
des disciplines plutôt qu’à l’intérieur des domaines
d’étude.
En abordant tout ce qui suit, ce livre traite justement des
connexions entre :
plusieurs disciplines, comme les neurosciences, la linguistique,
l’anthropologie et la psychologie évolutionniste ;
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