GERALD ZALTMAN Dans la tête du client Ce que les neurosciences disent au marketing Traduit de l’américain par Michel Edéry © Éditions d’Organisation, 2004 ISBN : 2-7081-3103-6 Introduction © Éditions d’Organisation Ni l’art ni la science ne rechignent à représenter nos mondes visibles et invisibles. Le marketing, qui est art et science, ne peut pas y rechigner non plus. Peter Drucker, indéniablement le plus grand analyste contemporain du management, affirme que les acteurs économiques se trouvent aujourd’hui à l’orée de la « société du savoir ». Dans cette société, l’avantage concurrentiel des entreprises émanera d’une ressource traditionnellement sous-exploitée : la capacité de capter et d’appliquer l’information provenant de disciplines autres que le marketing. Drucker fait observer que de nombreux cadres, qui occupaient un poste de direction dans de prestigieuses entreprises américaines depuis une dizaine d’années, ont été remerciés en l’espace d’un ou deux ans, en partie parce qu’ils n’avaient pas su cultiver cette ressource 1. Leur échec est le résultat final de paradigmes boiteux qui les ont poussés à naviguer tant bien que mal dans un environnement de plus en plus précaire, situation qui rappelle celle de l’équipage du Titanic. Le fait est là : la plupart des spécialistes en marketing s’accrochent à un paradigme, c’est-à-dire une série de suppositions sur la manière dont fonctionnent les choses, qui les empêche de comprendre les clients et de répondre efficacement à leurs besoins. Dans un article qu’a récemment publié The Economist, Elliot Ettenberg, directeur général de la société new-yorkaise Customer Strategies Worlwide LLC, résume assez bien l’état des choses : « Tout a été réinventé, dit-il. Distribution, développement de nouveaux produits, chaîne d’approvisionnement… Seul le marketing reste coincé dans le passé 2. » Selon Ettenberg, il est infiniment plus difficile d’acquérir une connaissance authentique et approfondie du client que de 8 DANS LA TÊTE DU CLIENT décrire les vertus d’un produit. « Alors que les consommateurs ont changé jusqu’à en devenir méconnaissables, le marketing n’a pas bougé », conclut-il 3. Les changements que nous observons dans le comportement du client vont du scepticisme croissant à l’égard des grandes entreprises (et plus encore du marketing), à une plus grande affirmation de soi, en passant par un plus grand raffinement, une moindre fidélité aux entreprises et aux marques, et un intérêt marqué pour la protection de la vie privée et la sécurité. Le monde a changé, mais nos outils pour comprendre le client n’ont guère évolué. Nous continuons à dépendre de méthodes de recherche familières mais inefficaces, qui nous conduisent tout droit à une mauvaise interprétation des comportements et des pensées des consommateurs. Les produits et les messages que nous créons à partir de ces méthodes ne touchent tout simplement pas les clients. En cette époque d’« explosion du savoir », le paradigme du marketing actuel est encore plus limité. Nombre d’hypothèses sur lesquelles s’appuie ce paradigme sont propres à la pensée occidentale et minent par conséquent la qualité de pensée qui nourrit le marketing dans bien des pays. Pourquoi ? Parce que les entreprises établies de pays non occidentaux ont adopté les pratiques commerciales de l’Occident, et que les entreprises occidentales ont importé leurs biais de pensée dans leurs activités partout dans le monde. Pourquoi ne pas tout simplement changer de paradigme, direz-vous ? Parce qu’il faut du courage et de la patience pour extirper des habitudes profondément enracinées en nous. L’Histoire nous apprend que ceux qui refusent d’envisager une nouvelle manière de voir les choses se battent souvent avec vigueur pour maintenir le statu quo. Par exemple, l’Église catholique, qui ne pouvait tolérer une vision héliocentrique du monde, a contraint Galilée à abjurer ses convictions sur le principe de la rotation de la Terre autour du Soleil. Quand un individu remet en question nos façons de penser, nous avons tendance à lui opposer une résistance 4. Cette résistance s’accroît lorsque les forces de changement nous obligent à remettre en question non seulement ce que nous pensons (les idées), mais aussi © Éditions d’Organisation Le défi du changement © Éditions d’Organisation INTRODUCTION 9 la manière dont nous pensons (le processus de pensée). Quand on nous dit, par exemple, que le consommateur ne pense pas en mots, nous devons assimiler une notion peu familière du processus de pensée et changer notre manière de communiquer avec la clientèle. « Les managers peuvent dépenser des sommes faramineuses pour régler un problème avant d’envisager l’idée même qu’ils pourraient changer leur façon de l’aborder », note Vincent Barabba, cadre de direction à General Motors. Abolir un paradigme, c’est renoncer aux multiples hypothèses, attentes et règles de décision formelles et informelles qui gouvernent nos pensées et nos actions 5. Malheureusement, l’expression changement de paradigme est aujourd’hui tellement galvaudée que lorsqu’on s’en targue, on pense plus à une mode qu’à un changement fondamental des schémas de pensée. Autre problème : le rejet hâtif des idées. Les praticiens du marketing écartent trop souvent des idées pertinentes sans leur accorder l’attention qu’elles méritent. Cette intolérance trouve ses origines dans un mépris malsain et à peine voilé pour l’apprentissage. Dans une allocution adressée à des dirigeants de l’industrie agroalimentaire à l’occasion d’une assemblée qui s’est tenue à la Harvard Business School, Peter Brabeck-Lemathe, vice-président du conseil d’administration et directeur général de Nestlé (entreprise qui s’est intéressée de près au fonctionnement du cerveau et qui accorde une large place à l’apprentissage), a fait remarquer que les professionnels du marketing « placent le sens commun personnel au-dessus de tout ce que les connaissances scientifiques et les sciences humaines peuvent nous apporter ». Le directeur général d’une société internationale de biens de consommation va même plus loin : « Certains professionnels du marketing pensent qu’il leur suffit de lire les magazines économiques populaires pour être au courant de tout, dit-il. Ils méprisent tout le reste. Dans toute autre profession, les gens qui afficheraient de telles attitudes ne feraient pas long feu. » Ce jugement peut paraître dur, mais nous pouvons tous y reconnaître certains de nos collègues qui affichent ce genre d’ignorance dédaigneuse. Cela dit, il n’est pas forcément mauvais de résister aux nouvelles idées, pourvu que nous ne le fassions pas uniquement parce qu’elles perturbent la sphère rassurante de nos habitudes cognitives et affectives. Nous devons suspendre notre jugement sur les idées nouvelles pour nous demander d’abord : « Cette idée pourrait-elle avoir une 10 DANS LA TÊTE DU CLIENT certaine valeur pour nous ? » Si nous répondons par l’affirmative, nous devons examiner de manière critique les mérites de cette idée. Les notes qui parsèment cet ouvrage ont très précisément cet objectif. Elles fournissent au lecteur des sources d’information à l’appui ou en défaveur d’idées ou de conclusions, le dirigent vers les domaines d’étude pertinents et l’incitent à changer sa manière de poser des questions aux clients, d’interpréter leurs réponses et d’utiliser l’information recueillie. Ces notes sont des avenues qui le mènent aux points d’intersection de plusieurs disciplines. L’une des conséquences les plus troublantes du paradigme actuel est la dissociation artificielle de l’esprit, du corps, du cerveau et du social. Bien que les praticiens du marketing connaissent la théorie des systèmes, elle n’a en rien modifié leur conception du comportement des consommateurs, de leur propre comportement et de leurs interactions. Or, ce n’est qu’en rassemblant les pièces détachées de leur mode de pensée qu’ils pourront vraiment comprendre les clients et répondre efficacement à leurs besoins. Sans cela, les entreprises ne pourront survivre à la concurrence ni à l’accélération des changements qui caractérisent l’économie moderne. Plus les disciplines évoluent, plus elles se spécialisent et se fragmentent, ce qui pose deux défis aux praticiens du marketing. Le premier est de comprendre que les distinctions établies entre les disciplines ne se retrouvent pas dans la manière dont les gens vivent. Les êtres humains, et c’est fort heureux, ne vivent pas leur vie dans les limites bien définies que tracent les entreprises et les universités. Le deuxième est de comprendre qu’ils doivent explorer de nombreuses disciplines, car les connaissances les plus prometteuses résident souvent à la croisée des disciplines plutôt qu’à l’intérieur des domaines d’étude. En abordant tout ce qui suit, ce livre traite justement des connexions entre : • plusieurs disciplines, comme les neurosciences, la linguistique, l’anthropologie et la psychologie évolutionniste ; © Éditions d’Organisation L’importance des connexions INTRODUCTION 11 © Éditions d’Organisation • les nouvelles idées et nouvelles manières de penser qu’elles entraînent ; • l’esprit inconscient et l’esprit conscient ; • la pensée des praticiens du marketing et la pensée des clients ; • les neurones et les groupes neuraux du cerveau ; • l’esprit, le cerveau, le corps et la société ; • la place centrale de la métaphore dans la pensée ; • la malléabilité du souvenir ; • la raison et l’émotion ; • l’expression verbale et l’expression non verbale ; • les perceptions et les valeurs universelles. Les connexions dévoilent une image du consommateur bien différente de celle qu’imaginent de nombreux spécialistes. Ce livre développe plusieurs thèmes centraux qui illustrent cette différence : • La plupart des pensées et des sentiments qui influencent le comportement du client (et du praticien du marketing) prennent forme dans l’esprit inconscient. • L’analyse approfondie et intuitive des pensées et des comportements du client passe par une compréhension du fonctionnement de l’activité mentale. • La vie du client ne se conforme pas à des structures aussi compartimentées que celles que l’on trouve dans les universités ou les entreprises. • L’esprit tel que nous le définissons habituellement n’existe pas en l’absence du cerveau, du corps et de la société 6. • L’esprit du marché naît de l’interaction entre l’esprit du professionnel du marketing (avec ses mécanismes conscients et inconscients) et celui du client (avec ses mécanismes conscients et inconscients). Nos systèmes actuels de pensée peuvent tolérer le changement jusqu’à un certain seuil. Quand les nouvelles intuitions et les bouleversements de nos manières de penser s’accumulent, ce tropplein ne peut se résoudre que par un changement de paradigme. Des 12 DANS LA TÊTE DU CLIENT hypothèses, des attentes et des règles de décision radicalement nouvelles émergent alors, comme le papillon sort de la chenille. Et comme les rotations très progressives que l’on imprime à un kaléidoscope, les infimes modifications que nous apportons finissent, en s’additionnant, par créer une image tout à fait différente. Dans la tête du client se divise en trois parties. La première partie, « En route », fait un bilan sans concessions de l’état actuel du marketing. Dans le chapitre 1, « Du connu à l’inconnu », nous passons en revue les difficultés qu’éprouvent de nombreuses entreprises à se centrer sur le client. Nous analysons les fausses idées que les praticiens du marketing se font des manières de penser des clients et dont ils doivent se défaire. Nous esquissons ensuite une toute nouvelle vision de la pensée et des pensées, laquelle constitue l’essentiel d’un nouveau paradigme du marketing. Dans le chapitre 2, « Explorer de nouvelles frontières », nous étudions plus en détail le nouveau paradigme du marketing. Nous évaluons les mérites de l’approche interdisciplinaire et nous étudions les répercussions du nouveau paradigme. Nous faisons quelques découvertes étonnantes. Nous apprenons entre autres que 95 % des activités cognitives du consommateur se déroulent sous le seuil du conscient, que ses pensées s’expriment en grande partie sous forme de métaphores, que ses souvenirs sont plus malléables que nous ne le croyons et que sa pensée subit l’influence de l’esprit autant conscient qu’inconscient du praticien. La deuxième partie, « Comprendre l’esprit du marché », décrit le nouveau paradigme et donne des exemples d’entreprises qui en appliquent les principes avec succès. Dans le chapitre 3, « Illuminer l’esprit : l’inconscient cognitif du client », nous expliquons comment fonctionne l’esprit inconscient et pourquoi les praticiens devraient s’y intéresser. L’esprit inconscient (que l’esprit ou cerveau conscient nous donne la liberté de comprendre), l’une des forces les plus importantes qui dictent nos décisions, intervient dans au moins 95 % de nos activités cognitives. © Éditions d’Organisation Un survol de l’ouvrage © Éditions d’Organisation INTRODUCTION 13 Dans le chapitre 4, « Interroger le cerveau-esprit : l’explicitation de la métaphore », nous expliquons comment choisir la méthode de recherche en fonction de la question posée et nous étudions plus particulièrement la métaphore. Nous constatons à quelle fréquence les métaphores reviennent dans les communications et à quel point elles sont essentielles à la compréhension des émotions et des pensées profondes des consommateurs. Les chercheurs disposent aujourd’hui de méthodes d’entretien novatrices qui leur permettent de déterrer les pensées profondément enfouies des consommateurs. Les informations qu’ils peuvent en retirer dépassent de très loin, en importance et en portée, celles que leur fournissent les méthodes de recherche conventionnelles. L’annexe du chapitre 4 donne des directives pour ramener en surface les émotions et les pensées profondes des consommateurs. L’exploration de l’esprit inconscient soulève d’importantes questions auxquelles nous devons répondre. Dans le chapitre 5, « Interroger l’esprit : la latence de réponse et la neuro-imagerie », nous proposons deux nouvelles méthodes pour sonder l’esprit inconscient et interpréter nos résultats. Ces méthodes, qui en sont à leurs premiers pas, complètent les procédés d’explicitation de métaphores. À la fin de ce chapitre, nous analysons les limites du groupe de discussion, cette méthode de recherche que de nombreux praticiens persistent à juger efficace pour sonder l’esprit des clients. Dans le chapitre 6, « Que sont les pensées ? », nous analysons la nature des pensées et montrons comment l’esprit conscient et l’esprit inconscient agissent de concert et en interaction. Nous attirons l’attention des praticiens du marketing sur l’importance de cerner les pensées que peuvent avoir en commun nombre de clients à propos d’un même sujet, et définissons la notion de schéma consensuel. Nous montrons comment les pensées des clients s’associent et pourquoi ces connexions doivent intéresser les praticiens. Nous expliquons comment les schémas consensuels reproduisent les connexions qui s’établissent entre les pensées des clients et pourquoi ils ouvrent de nouvelles portes pour rationaliser nos initiatives de marketing. Le chapitre 7, « Déchiffrer l’esprit du marché : l’utilisation des schémas consensuels », met en relief la malléabilité des modèles mentaux communs à un segment de marché et montre comment les DANS LA TÊTE DU CLIENT praticiens du marketing peuvent intervenir pour les restructurer. Les praticiens peuvent en effet réorienter ces modèles en intégrant de nouveaux concepts ou encore en renforçant ou en atténuant des idées, ce qui suscite en même temps de nouvelles associations ou modifie la force de certaines autres. Nous montrons également comment interagissent des schémas consensuels ou modèles mentaux différents. Dans le chapitre 8, « Le pouvoir fragile de la mémoire », nous nous intéressons au fonctionnement de la mémoire et insistons notamment sur la nature reconstructive du souvenir. Nos souvenirs changent sans cesse, et souvent à notre insu. Les clients modifient et réinterprètent leurs souvenirs chaque fois qu’ils les évoquent. Les professionnels du marketing peuvent agir sur ce processus de reconstruction en remodelant les souvenirs que les clients se créent de leur expérience de consommation. Le chapitre 9, « Souvenirs, métaphores et histoires », est la synthèse des thèmes développés dans les chapitres précédents. Nous y montrons comment sont reliées la mémoire, la métaphore et la narration d’histoires. Les souvenirs sont des histoires que les clients reconstruisent sans cesse et qu’ils utilisent pour « re-présenter » ou rendre présentes leurs expériences passées. Les souvenirs sont également des métaphores, dans le sens où ils expriment des pensées au moyen d’autres pensées. L’action synergique du souvenir, de la métaphore et de l’histoire influence fortement les expériences et les comportements de consommation. En suscitant certaines métaphores, les professionnels du marketing peuvent inciter les clients à fusionner leurs histoires d’expériences passées, présentes et éventuelles. Les clients génèrent à leur tour leurs propres métaphores pour exprimer les pensées et les sentiments reliés à ces expériences. Le chapitre 10, « Histoires et marques », montre comment le souvenir, la métaphore et la narration d’histoires contribuent à construire une marque. Nous expliquons comment les marques se traduisent en ensembles de construits, ou schémas consensuels, qui filtrent la manière dont les clients perçoivent les stimuli marketing, les traitent et y réagissent. La marque est elle-même une métaphore des significations que le client donne à son expérience de consom- © Éditions d’Organisation 14 © Éditions d’Organisation INTRODUCTION 15 mation. Nous montrons également que clients et praticiens font équipe pour créer ces significations, lesquelles deviennent les manifestations de l’esprit du marché. Dans la troisième partie, « Penser autrement », nous cessons de nous intéresser à la pensée du client et du consommateur pour étudier celle du praticien du marketing. Dans le chapitre 11, « Les moteurs de la pensée créative », nous proposons aux praticiens 10 principes pour renouveler leurs points de vue sur les clients et le marketing, ainsi que pour inciter leurs collègues à les suivre. Nous ne recommandons pas des changements radicaux aux manières de penser, mais plutôt des optiques différentes et temporaires qui permettront de combler les lacunes de la pensée coutumière. Inspirés de diverses disciplines, ces principes aideront les praticiens à gérer avec plus d’efficacité leurs relations avec les clients. Dans le chapitre 12, « Les bonnes questions engendrent les bonnes réponses », nous développons un thème commun aux principes du chapitre 11. Ce thème commun, c’est qu’une nouvelle manière de penser commence par une nouvelle manière de poser des questions. Nous proposons huit lignes directrices pour définir l’exacte question de recherche à poser, indépendamment de la méthode de recherche utilisée pour l’explorer. Chaque réponse à une question pertinente porte en elle les germes d’une autre question pertinente. Le contenu et la forme des questions que les professionnels du marketing posent aux clients ont une énorme influence sur la qualité de l’information qu’ils obtiennent. Le chapitre 13, « Un nouveau cap », est une mise en garde contre les attitudes et les pratiques routinières. Le naufrage du Titanic est le résultat direct d’une incapacité à remettre en question 25 ans de procédures. Ces procédures ont incité l’équipage à négliger des informations qui auraient dû suffire à le faire changer de cap. La présence d’icebergs et les vices de conception du navire ont provoqué le naufrage, en même temps que la fin d’une manière de penser déjà fragile. Les gestionnaires d’aujourd’hui ont ces mêmes tendances, et les mêmes conséquences les attendent s’ils ne revoient pas leurs connaissances du marketing. Les idées de Dans la tête du client se veulent un point de départ pour mieux représenter l’esprit du marché. 16 DANS LA TÊTE DU CLIENT Comme les artistes et les scientifiques, les professionnels du marketing ne doivent pas hésiter à défier ceux et celles qui se contentent et veulent se contenter d’un vieux paradigme. Les idées de ce livre s’inspirent des recherches qu’ont menées des experts reconnus de diverses disciplines. Malgré leurs origines apparemment disparates, ces idées sont essentielles à la bonne compréhension et à la bonne gestion des relations avec la clientèle. Des idées puisées dans de multiples domaines d’étude, je n’ai retenu que celles qui pouvaient s’appliquer avec pertinence à la pratique du marketing. Quatre sources d’information m’ont tout particulièrement aidé à sélectionner les idées que je présente dans ce livre. Ma première source d’information est le programme Mind of Market Laboratory, de la Harvard Business School, et son conseil consultatif composé de représentants influents de diverses entreprises. Le programme Mind of the Market Laboratory, que je dirige avec Stephen M. Kosslyn, l’un des plus grands experts en neurosciences cognitives du monde, a été le terrain d’exploration d’un grand nombre de ces idées. Le Mind of the Market Laboratory est une ramification officieuse du groupe interdisciplinaire Mind, Brain, and Behavior Initiative (MBB) de l’université de Harvard. Le MBB se compose d’experts internationaux de renom qui se réunissent régulièrement pour débattre de grands problèmes, comme la dépendance, le sens de la rationalité et de l’irrationalité, l’effet placebo, la distorsion de la mémoire, l’apprentissage, la plasticité cérébrale et l’influence du social dans le développement du cerveau. Impliqué depuis plusieurs années dans les activités du MBB et du Mind of Market Laboratory, j’ai pu bénéficier des riches enseignements que m’ont apportés mes contacts avec certains des universitaires et des cadres les plus talentueux du monde. Dans la même lignée, j’ai énormément appris de mes discussions avec les étudiants de cycle supérieur inscrits au cours Customer Behavior Laboratory, que je donne actuellement à la Harvard Business School en collaboration avec le professeur Luc Wathieu. Bien après m’avoir fait partager leurs premières expériences © Éditions d’Organisation Les sources d’information INTRODUCTION 17 professionnelles et leurs réactions aux nouvelles idées que je leur proposais, ces étudiants sont très souvent restés en contact avec moi et m’ont fait part des défis que posait la mise en œuvre des idées de ce livre dans leur travail. Ils m’ont fourni de nombreux exemples de l’application heureuse de ces idées ou des problèmes qui surgissent quand les managers les ignorent. Ma troisième source d’information vient des nombreux praticiens et universitaires qui ont bien voulu revoir les ébauches de ce manuscrit (et que je remercie individuellement à la fin de ce livre). Leur expertise est derrière toutes les idées de ce livre. Ces spécialistes m’ont fourni des indications inestimables sur les idées à retenir et les exemples les plus indiqués pour les illustrer. L’agence Olson Zaltman Associates (OZA), que dirige le docteur Jerry C. Olson, expert de renommée internationale en psychologie du consommateur, m’a fourni ma quatrième source d’idées et d’exemples. Monsieur Olson, mes collègues immédiats et leurs clients m’ont permis d’appliquer et d’approfondir un certain nombre d’idées importantes dans divers contextes de marketing. Les partenariats que OZA a noués avec plusieurs praticiens avant-gardistes sont une source d’inspiration de nombreuses idées de ce livre. Dernière remarque : cet ouvrage comprend certains termes empruntés à d’autres disciplines auxquels nous donnons une extension de sens. Le glossaire suivant regroupe ces termes sous la forme d’une histoire qui illustre la pensée du consommateur et donne un aperçu des idées de ce livre 7. © Éditions d’Organisation Glossaire des principaux termes La pensée : ensemble des processus mentaux et des activités cérébrales intervenant dans le stockage, le rappel ou l’utilisation des informations, ou dans la production de certains types de sentiments et d’émotions. Appelée aussi cognition ou processus mentaux. Exemple : une femme qui participe à une étude de General Mills sur la nutrition raconte qu’elle a remarqué un nouvel aliment pour le petit-déjeuner chez l’une de ses amies. Elle a récapitulé mentalement les réactions de ses enfants à d’autres aliments servis au petit-déjeuner et a évalué leurs possibles DANS LA TÊTE DU CLIENT réactions au nouvel aliment après avoir jugé elle-même le produit et l’entreprise qui le fabrique (« C’est la meilleure compagnie qui soit »). Les pensées : produits de la manière de penser prenant la forme de croyances, d’attitudes ou d’évaluations. Dans l’exemple précédent, l’activité mentale de la participante a débouché sur la pensée « Je vais essayer ce produit », pensée qu’elle a exprimée ensuite à haute voix par la phrase : « Je prends ce produit. » Il faut faire la distinction entre le fait de penser tout haut, le processus de pensée qui nous y conduit, et les pensées que nous exprimons ensuite à haute voix, trois éléments que nous avons tendance à confondre. Nous sommes parfois conscients qu’un souvenir ou une nouvelle idée affleure notre esprit, mais nous sommes rarement conscients des processus internes qui produisent cela. Les pensées énoncées à haute voix surviennent donc après coup et sont certainement incomplètes. Pensée consciente : pensée que nous pouvons articuler en ayant pleinement conscience de notre existence, de nos sensations et de notre activité cognitive. Appelée aussi conscient cognitif. Dans le même exemple, la décision d’essayer le produit est une pensée consciente dont la participante a parlé avec son amie. Cette pensée émerge d’une multitude de pensées, dont certaines sont conscientes et d’autres, beaucoup plus nombreuses, inconscientes (comme son opinion favorable de l’entreprise, sa recherche d’aliments plus attrayants pour ses enfants et sa disposition à prendre des risques). Pensée inconsciente : produits de la pensée cognitive dont nous n’avons pas ou presque pas conscience et qu’il nous est difficile d’articuler ; activité mentale qui se déroule à l’extérieur du conscient. Appelée aussi inconscient cognitif. Le recours à l’esprit conscient pour effectuer des activités routinières, comme lacer nos souliers ou mastiquer des aliments, nous prendrait beaucoup trop de temps. Nous laissons agir pour cela notre esprit inconscient. Celui-ci a donc aidé notre espèce à survivre et à évoluer. © Éditions d’Organisation 18 © Éditions d’Organisation INTRODUCTION 19 Concept : représentation mentale claire, précise et souvent abstraite par laquelle nous catégorisons des objets vivants et non vivants, des événements, des expériences et des pensées. À partir d’objets ou de pensées, nous dégageons des concepts : « nouveau produit », « famille », « préférences alimentaires des enfants », « fabricant de produits nutritifs », « arbre », « chien », etc., sont des concepts. Ils nous aident à interpréter les nouvelles informations et expériences et à prendre les décisions qui s’y rapportent. Construit : appellation ou étiquette que les praticiens du marketing ou les chercheurs donnent à une pensée consciente ou inconsciente qu’ils ont identifiée chez les consommateurs. Les praticiens peuvent se servir de construits pour circonscrire le processus de pensée du consommateur, faciliter leurs discussions et communiquer à leurs clients des informations condensées sur les produits. Exemple : dans une étude de General Mills, l’équipe de recherche et les managers ont observé que les participantes donnaient des interprétations très différentes de la pensée « Ce sont des aimants qui attirent la malbouffe » quand elles évoquaient les habitudes alimentaires de leurs enfants. Cette pensée réunissait trois concepts : enfants, malbouffe (junk food) et attraction. L’équipe de General Mills a donné à cet ensemble de trois concepts l’appellation « nutrition négative », construit qu’elle a défini de manière très précise et illustré de nombreux exemples de citations et de métaphores fournies par les participantes. L’équipe a constaté par la suite que ce construit déclenchait de nombreux autres construits dans l’esprit des clients. Neurones : cellules du cerveau actives durant le processus de pensée (et d’autres fonctions). Les neurones reçoivent des signaux d’autres neurones ou d’organes des sens, et les transmettent souvent à d’autres neurones, à des muscles ou à des organes. Les pensées et les sentiments émanent de l’activation et de l’interconnexion de ces cellules nerveuses. DANS LA TÊTE DU CLIENT Groupes neuraux : groupes de neurones qui s’activent et se stimulent durant l’acte de penser. Appelés aussi faisceaux neuraux, ces groupes sont solidaires. Ils produisent les pensées que nous étiquetons sous forme de construits. Réseau neural : trajet suivi par un neurone ou un groupe de neurones qui en modifie d’autres ; ensemble formé par les connexions entre groupes neuraux. Chaque pensée a un groupe neural correspondant, comme une résidence a son adresse ou une ville, ses coordonnées géographiques. La pensée de la participante qui déclare « Ce sont des aimants qui attirent la malbouffe », par exemple, naît de l’activation d’un groupe neural bien précis. Comme différents groupes neuraux se stimulent les uns les autres au sein des réseaux neuraux, les diverses pensées de la participante peuvent activer plusieurs groupes neuraux. Cerveau : siège des neurones activés durant l’acte de penser. Le cerveau est également le siège de multiples autres fonctions. Cortex cérébral : substance du cerveau formée de sillons et de circonvolutions où prennent naissance nombre de nos processus mentaux. Esprit : produit de la pensée consciente et inconsciente dans le cerveau. Il est créé par les interactions entre différents groupes neuraux et fait intervenir les pensées et les sentiments. Modèle mental : ensemble de pensées interconnectées produit par l’activation mutuelle de groupes neuraux ; sert à traiter l’information tirée d’un événement abstrait et à y répondre. Un modèle mental est comparable à une carte géographique indiquant les agglomérations et les routes qui les relient. Les consommateurs ont recours à cette « carte » chaque fois qu’ils font face à un nouvel événement ou qu’ils doivent prendre une décision. Dans une étude sur l’alimentation des enfants effectuée auprès de mères italiennes, les chercheurs ont détecté des connexions entre les pensées suivantes des participantes : inculcation de principes d’éducation aux enfants, perception que d’autres mères ont d’elles, gratification des enfants, fierté, © Éditions d’Organisation 20 © Éditions d’Organisation INTRODUCTION 21 souvenirs d’enfance reliés à la table et estime de soi. Ces associations peuvent avoir des aspects aussi bien positifs que négatifs. Schéma consensuel : modèle mental que des personnes utilisent de manière similaire ou qui est commun à un groupe de personnes. Le schéma consensuel est le point de convergence des processus de pensées propres à un modèle mental des consommateurs. Dans l’étude sur l’alimentation des enfants citée précédemment, les participantes ont exprimé plus de 20 pensées communes qui ont donné lieu à autant de construits. De plus, chaque construit était associé exactement de la même manière à au moins un autre construit chez la plupart des participantes. Comme des personnes peuvent avoir des modèles mentaux remarquablement similaires, les entreprises peuvent segmenter leur marché en fonction des schémas consensuels. Universels humains : catégories de pensées et d’actions communes à toutes les cultures, aussi différentes qu’elles soient, comme les notions de justice, de châtiment, de protection des enfants, de soins aux malades. Les universels humains s’expriment par plusieurs métaphores de fond, comme le voyage, l’équilibre, la transformation et de nombreux autres archétypes fondamentaux. Les schémas consensuels reproduisent les universels humains d’un groupe ou d’un segment donné, indépendamment de sa taille. Plus nous approfondissons notre connaissance des consommateurs qui doivent surmonter un même problème, plus nous constatons de points communs entre eux. Ces points communs changent peu avec le temps et constituent par conséquent une base plus solide que les différences superficielles pour élaborer une stratégie de marketing. Métaphore : représentation d’une pensée dans les termes utilisés pour en exprimer une autre. Cet ouvrage traite de la métaphore au sens large, ce qui englobe les comparaisons, les analogies et d’autres formes d’expression non littérale utilisées pour communiquer l’information. La participante qui qualifie ses enfants d’« aimants » ne veut pas dire que ses enfants sont vraiment des aimants ; elle se sert de l’idée d’aimant pour décrire 22 DANS LA TÊTE DU CLIENT © Éditions d’Organisation l’attraction de ses enfants pour la malbouffe. Les métaphores permettent de ramener les pensées inconscientes au niveau conscient, où elles peuvent être analysées. Quand la même participante a été invitée par l’intervieweur à commenter l’expression « chat à neuf queues » (suscitée par l’image d’une famille de chats qu’elle avait choisie en préparation à l’entrevue), elle a évoqué les notions de résistance, de concentration, de détermination, de patience, d’obligations parentales, de rôle pédagogique et de soutien affectif. Tous ces construits étaient reliés à l’alimentation de la famille. D’autres participantes ont évoqué des métaphores différentes pour exprimer les mêmes idées. Langage figuré : utilisation de métaphores pour communiquer des pensées et pour mieux interpréter les pensées et les émotions enfouies des consommateurs. Langage littéral : utilisation du sens exact des mots ou des images pour exprimer ses pensées. Ces expressions peuvent prendre diverses formes, comme un énoncé verbal indiquant que le client a utilisé le produit pour la première fois chez un ami, ou une réponse écrite à une question de sondage sur l’intérêt du produit pour le client. Les professionnels du marketing ne se contentent pas d’identifier les informations que fournissent ces énoncés. Ils examinent les bases communes et profondes des pensées et des sentiments que sous-tendent les énoncés, puis ils les explicitent et les interprètent avant de revenir à l’information « telle quelle ».