Note sur le comportement en l’infini d’une fonction intégrable Emmanuel Lesigne To cite this version: Emmanuel Lesigne. Note sur le comportement en l’infini d’une fonction intégrable. 2008. <hal-00276738v1> HAL Id: hal-00276738 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00276738v1 Submitted on 1 May 2008 (v1), last revised 11 Jan 2009 (v3) HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. NOTE SUR LE COMPORTEMENT EN L’INFINI D’UNE FONCTION INTÉGRABLE EMMANUEL LESIGNE Résumé. Nous démontrons qu’en un sens faible toute fonction intégrable sur la droite réelle tend vers zéro en l’infini ; en utilisant le théorème métrique d’approximation diophantienne de Khinchine, nous établissons que cette convergence vers zéro peut être arbitrairement lente. On note x la variable réelle et n la variable entière. La mesure de référence sur la droite réelle R est la mesure de Lebesgue. Il est bien connu que la convergence d’une fonction vers zéro en l’infini n’est une condition ni nécessaire, ni suffisante pour son intégrabilité. On a toutefois le résultat suivant. Proposition 1. Soit f une fonction intégrable sur R. Pour presque tout x ∈ R, on a (1) lim f (nx) = 0 . n→∞ Dans l’énoncé précédent, qui concerne les fonctions intégrables, cela n’a aucun sens de remplacer le presque tout x par tout x. Mais même si l’on ne considère que des fonctions continues, le résultat reste du type “presque partout”. En effet un résultat classique, utilisant un argument de Baire, nous dit que si f est une fonction continue sur R telle que pour tout x non nul, lim f (nx) = 0 , n→∞ alors lim f (x) = 0. x→±∞ Ainsi, pour une fonction continue intégrable qui ne tend pas vers zéro en l’infini, la propriété (1) est vraie pour presque tout x et non pour tout x. La proposition suivante établit une forme d’optimalité de la proposition précédente. 1 2 EMMANUEL LESIGNE Proposition 2. Soit (an ) une suite réelle qui tend vers +∞. Il existe une fonction f continue et intégrable sur R telle que, pour presque tout nombre réel x, lim sup an f (nx) = +∞ . n→∞ Il existe une fonction f intégrable sur R telle que, pour tout nombre réel x, lim sup an f (nx) = +∞ . n→∞ Remarques X 1 < +∞, alors il nan n existe une fonction f continue et intégrable sur R telle que, pour tout nombre réel x, (R1) Si la suite (an ) est croissante et vérifie lim sup an f (nx) = +∞ . n→∞ (R2) On ne peut pas remplacer dans la proposition 2 l’hypothèse limn an = +∞ par lim supn an = +∞. On a par exemple, pour toute fonction f intégrable sur R, et pour tout ε > 0, lim n1−ε f (n2 x) = 0 n→∞ pour presque tout x. Ainsi la conclusion de la proposition 2 est fausse pour la suite (an ) définie par ( 1 n 2 −ε si n est un carré d’entier an = . 0 sinon Dans la suite de cette note, nous donnons des démonstrations des deux propositions, suivies par des justifications des remarques précédentes. Démonstration de la proposition 1. Fixons ε > 0 et notons E l’ensemble des points x ≥ 1 tels que |f (x)| ≥ ε. Nous savons que E est de mesure finie. Nous allons montrer que, pour presque tout x ∈ [0, 1], l’ensemble des nombres entiers n tels que nx ∈ E est fini. (On note |A| la mesure de Lebesgue d’un ensemble A ⊂ R.) P Pour chaque n ≥ 2, on note En := E ∩ [n − 1, n]. On a n |En | < +∞. Fixons a ∈]0, 1[, et notons \ [ 1 En [a, 1[ . Fn := m m≥1 Pour m < n, on a donc 1 m En ⊂ [1, +∞[ ; pour m > n/a on a [n/a] Fn ⊂ [ 1 En . m m=n 1 m En ⊂ [0, a[. On a COMPORTEMENT EN L’INFINI D’UNE FONCTION INTÉGRABLE 3 D’où [n/a] X 1 |En | ≤ |En | (ln(n/a) − ln(n − 1)) ≤ |En |(1 + | ln a|) . m m=n P On en déduit que n |Fn | < +∞. Cela entraı̂ne que presque tout x n’appartient qu’à un nombre fini des Fn . (C’est le Lemme de Borel-Cantelli, qui se démontre d’une ligne : P ✶Fn < +∞ presque partout puisque Z X XZ ✶Fn (x) dx = ✶Fn (x) < +∞ .) |Fn | ≤ Ainsi, pour presque tout x ∈ [a, 1], il existe n0 = n0 (x) > 0 tel que si n ≥ n0 alors x ∈ / Fn . Dire que x n’est pas dans Fn , c’est dire que, pour tout m ≥ 1, mx ∈ / En . 0 En . De plus, pour tout n > n0 /x, on a nx ∈ / ∪nn=2 On peut conclure que, pour tout m > n0 /x, mx ∈ / E. Ce fait s’applique à presque tout x ∈ [a, 1], donc en fait à presque tout x ∈ [0, 1]. Nous avons démontré que, pour tout ε > 0, pour presque tout x ∈ [0, 1], pour tout n assez grand, |f (nx)| ≤ ε. Puisqu’il suffit de considérer une famille dénombrable de ε, on peut intervertir pour tout ε > 0 et pour presque tout x ∈ [0, 1], ce qui donne la conclusion attendue. Démonstration de la proposition 2. Nous utiliserons le théorème suivant, résultat fondamental de la théorie métrique de l’approximation diophantienne dû à Khinchine1. Théorème. Soit (bn ) une suite de Pnombres réels positifs telle que la suite (nbn ) soit décroissante et la série n bn diverge. Pour presque tout nombre réel x, il existe une infinité de nombres entiers n tels que dist(nx, Z) ≤ bn . Nous utiliserons également le lemme suivant (dont une démonstration est donnée dans la suite). Lemme 1. Soit (cn ) une suite de nombres réels qui tend vers zéro. Il existe une suite de nombres réels positifs (bn ) telle que X X la suite (nbn ) est décroissante, bn = +∞ et bn cn < +∞ . n n Venons en à la démonstration de la proposition 2. Quitte à remplacer an par inf k≥n ak , on peut supposer que la suite (an ) √ est croissante. En appliquant le lemme précédent à la suite cn = 1/ an , 1Théorème 32 dans le livre : A.Ya. Khinichine, Continued Fractions, édition originale russe 1935, traduction anglaise publiée par University of Chicago Press en 1961, réédité par Dover en 1997. 4 EMMANUEL LESIGNE P on obtient une suite P (bn ) telle que la suite (nbn ) décroisse, la série n bn √ diverge mais la série n bn / an converge. On considère la fonction f1 définie sur R par ( √ 1/ an si |x − n| ≤ min(bn , 21 ), pour un entier n ≥ 1 f1 (x) = 0 sinon Cette fonction est intégrable. D’après le théorème précédent, pour presque tout nombre réel positif x, il existe des couples d’entiers positifs (n, k(n)), avec n arbitrairement grand, tels que |nx − k(n)| ≤ bn . Fixons un tel nombre x dans l’intervalle ]0, 1[. On a limn→∞ k(n) = +∞ et, pour tout n assez grand, k(n) ≤ n. Pour un tel n, on a 1 |nx − k(n)| ≤ bk(n) et donc f1 (nx) = √ . ak(n) (On a utilisé la décroissance de la suite (bn ).) Ainsi, pour des entiers n arbitrairement grands, on a an p ≥ ak(n) . an f1 (nx) = √ ak(n) (On a utilisé la croissance de la suite (an ).) Et on a bien lim supn→∞ an f1 (nx) = +∞. Ce raisonnement s’applique à presque tout nombre x entre 0 et 1. Avec une construction similaire, pour chaque entier m > 0, on peut construire une fonction fm intégrable (positive ou nulle, et localement en escalier) sur R telle que, pour presque tout x entre 0 et m, on ait lim sup an fm (nx) = +∞ . n→∞ Il n’est pas difficile alors de construire une fonction f intégrable et continue sur R telle que, pour tout m > 0, il existe Am > 0 tel que f ≥ fm sur [Am , +∞[. (On peut par exemple choisir une suite croissante (Am ) telle que X Z +∞ f1 (x) + f2 (x) + . . . + fm (x) dx < ∞ , m Am puis poser g = f1 + f2 + . . . + fm sur l’intervalle [Am , Am+1 [. Cette fonction intégrable g est localement en escalier ; elle est dominée par une fonction f intégrable et continue.) On a alors, pour presque tout x ≥ 0, lim sup an f (nx) = +∞ . n→∞ Un procédé de symétrisation évident étend la propriété à presque tout nombre réel. La première partie de la proposition 2 est démontrée. La seconde partie en est une conséquence directe : on considère la fonction f construite cidessus, et on note F l’ensemble des x tels que la suite (an f (nx)) soit majorée. COMPORTEMENT EN L’INFINI D’UNE FONCTION INTÉGRABLE 5 L’ensemble {nx | x ∈ F, n ∈ N} est de mesure nulle, et on peut modifier la fonction f sur cet ensemble (en imposant par exemple la valeur 1) sans modifier l’intégrabilité. On a alors, pour tout x, lim sup an f (nx) = +∞ . n→∞ Démonstration du lemme 1. La suite (cn ) est donnée, et elle tend vers zéro. Nous allons construire par récurrence une suite croissante d’entiers (nk ) et dk une suite décroissante de nombres positifs (dk ) et nous poserons bn = n pour nk−1 ≤ n < nk . nX k −1 bi = 1 ; on pose donc Le nombres dk sont choisis tels que i=nk−1 dk := nX k −1 i=nk−1 −1 1 i . Partons de n0 = 1. Choisissons n1 > n0 tel que, pour tout n ≥ n1 , |cn | ≤ 21 . Choisissons n2 > n1 tel que pour tout n ≥ n2 , |cn | ≤ 14 et tel que d2 ≤ d1 . Plus généralement, si n1 , n2 , . . . , nk−1 sont construits, on choisit nk > nk−1 tel que pour tout n ≥ nk , |cn | ≤ 2−k et tel que dk ≤ dk−1 . P −1 n 1 (Cela est bien sr possible parce que limn→+∞ = 0.) i=nk−1 i La suite (bn ) ainsi définie “par blocs” est telle que la suite (nbn ) décroı̂t et elle vérifie, pour tout k ≥ 1, nX k −1 i=nk−1 bi = 1 et nX k −1 i=nk−1 bi ci ≤ 21−k . Cela garantit le fait que bn est le terme général d’une série divergente, tandis que bn cn est le terme général d’une série convergente. Justification de la remarque (R1). Le lemme de Dirichlet en approximation diophantienne concerne le cas particulier bn = 1/n dans le théorème de Khinchine et il donne un résultat valable pour tout x et non seulement pour presque tout x. Lemme 2 (Lemme de Dirichlet). Pour tout nombre réel x, il existe des nombres entiers n arbitrairement grands tels que dist(nx, Z) ≤ n1 . Nous utiliserons aussi le lemme suivant (dont une démonstration est donnée dans la suite). P Lemme 3. Si (un ) est une suite de nombres positifs telle que P n un < +∞, alors il existe une suite (tn ) tendant vers l’infini et telle que n tn un < +∞. 6 EMMANUEL LESIGNE Justifions la remarque (R1). On considère une suite croissante (an ) de nombres réels positifs telle que X 1 < +∞ . na n n D’après le lemme 3, il existe une suite (bn ) de nombres réels positifs telle que X bn bn an → +∞ et < +∞ . n On considère la fonction f définie sur R par ( bk si |x − k| ≤ 1/k, k entier ≥ 2 f (x) = 0 sinon Cette fonction est intégrable. D’autre part, en utilisant le lemme de Dirichlet, on obtient, pour chaque x fixé dans ]0, 1[ : il existe des couples d’entiers positifs (n, k(n)), avec n arbitrairement grand, tels que 1 |nx − k(n)| ≤ . n On a limn→∞ k(n) = +∞ et, pour tout n assez grand, k(n) ≤ n. Pour un tel n, on a |nx − k(n)| ≤ 1 k(n) et donc f (nx) = bk(n) . Ainsi, pour des entiers n arbitrairement grands, on a an f (nx) = an bk(n) ≥ ak(n) bk(n) . (On a utilisé ici la croissance de la suite (an ).) Cela prouve bien que lim supn→∞ an f (nx) = +∞. Ce résultat obtenu pour tous les nombres x entre 0 et 1 s’étend à tous les nombres réels de la même façon que dans la démonstration de la proposition 2. On peut enfin remplacer la fonction localement en escalier par une fonction continue comme nous l’avons déjà fait précédemment. Démonstration du lemme 3. Pour tout k ≥ 1, il existe n(k) tel que X 1 un ≤ 2 . k n≥n(k) On a X n card{k | n(k) ≤ n}un = X X un < +∞ , k≥1 n≥n(k) et il suffit de poser tn = card{k | n(k) ≤ n}. COMPORTEMENT EN L’INFINI D’UNE FONCTION INTÉGRABLE 7 Justification de la remarque (R2). Soit f est une fonction positive intégrable sur R. On a Z Z 2 −2 f (n x) dx = n f (x) dx , d’où R R XZ n1−ε f (n2 x) dx , n≥1 R et le théorème de convergence monotone nous assure alors que la fonction X x 7→ n1−ε f (n2 x) n≥1 est intégrable, donc presque partout finie. La proposition 1 répond à une question posée par Aris Danilidis. L’auteur remercie Christian Mauduit qui lui a rafraı̂chi la mémoire à propos du théorème de Khinchine. Emmanuel Lesigne Laboratoire de Mathématiques et Physique Théorique Université François-Rabelais Tours Fédération Denis Poisson - CNRS Parc de Grandmont, 37200 Tours. France [email protected]