pharmaJournal 25 | 12.2010
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Pharmazie und Medizin · Pharmacie et médecine
A l’approche des Fêtes
Alcool et médicaments sont-ils compatibles?
Muriel Schütz, Jérôme Berger, Olivier Bugnon
A l’approche des fêtes de fin d’année,
la question se pose fréquemment de
savoir si certains médicaments peu-
vent interagir avec les boissons al-
coolisées.
Selon la teneur en éthanol de la boisson,
des interactions sont possibles. Elles peu-
vent être de type pharmacocinétique ou
pharmacodynamique [1].
Interactions pharmacocinétiques
De manière générale, il est déconseillé
d’avaler des médicaments avec une bois-
son alcoolisée, car il peut en résulter une
modification de l’absorption et de la mé-
tabolisation du médicament et/ou de l’al-
cool.
Concernant l’absorption, la consom-
mation de boisson à forte teneur en étha-
nol entraîne un ralentissement de la vi-
dange gastrique et une augmentation de la
production d’acide gastrique. De ce fait, la
résorption médicamenteuse est augmentée,
notamment pour les principes actifs lipo-
philes. De plus, la consommation excessive
d’alcool lèse les muqueuses gastrique et
duodénale et augmente ainsi la perméabi-
lité des membranes [2]. A l’inverse, certains
médicaments comme le métoclopramide,
le dompéridone ou l’érythromycine aug-
mentent la motilité gastrique [1,3]. L’alcool
est ainsi plus rapidement absorbé et ses
effets augmentés [4].
Au niveau de la métabolisation, des
interactions peuvent engendrer une mo-
dification de la cinétique du médicament
et de l’alcool, ce dernier étant métabolisé
en majeure partie dans le foie par divers
enzymes, en premier lieu l’alcool déshy-
drogénase (qui oxyde l’alcool en aldéhyde,
substance toxique transformée ensuite en
acétate par l’aldéhyde déshydrogénase) [5].
Le disulfirame (Antabus®) est em-
ployé dans le sevrage alcoolique: il inhibe
l’aldéhyde déshydrogénase et entraîne
une accumulation d’aldéhyde, provo-
quant flushes et troubles de la régulation
circulatoire [3]. D’autres substances mé-
dicamenteuses peuvent provoquer ce
type de réaction, en fonction de la sensi-
bilité individuelle de chaque patient. Leur
administration devrait être accompagnée
de conseils concernant la consommation
d’alcool (voir tableau 1).
L’alcool est également substrat de
certains cytochromes (CYP): CYP2E1
(lors de consommation chronique, l’alcool
est métabolisé principalement par ce CYP
plutôt que par l’alcool déshydrogénase
[1]) et dans une moindre mesure CYP1A2
et CYP3A4. Cependant, aucun médica-
ment ne peut provoquer d’effet clinique-
ment significatif sur la métabolisation de
l’alcool par simple inhibition de CYP
[5,6,9].
L’alcool s’avère être également inhi-
biteur du CYP2E1 lors de consommation
occasionnelle et inducteur lors de
consommation chronique [9,10]. Une in-
teraction cliniquement significative n’est
décrite que pour le paracétamol [9]. Une
consommation chronique d’alcool en-
gendre une accumulation du métabolite
toxique NAPIQ (N-acétyl p-benzoqui-
nine-imine) par inhibition du CYP2E1,
ainsi qu’une déplétion en glutathion hé-
patique, nécessaire à la détoxification du
NAPIQ [11]. L’accumulation de ce dernier
provoquant une hépatotoxicité [10], il est
ainsi recommandé aux consommateurs
chroniques d’alcool de ne pas excéder la
dose de 2 g/jour de paracétamol [11].
L’alcool a également ces mêmes activités
inhibitrices et inductrices selon le type de
consommation au niveau du cytochrome
CYP2C9. Il peut donc influencer l’effet
Tableau 1: Principaux médicaments à effet type Antabus® et
recommandations à donner lors de leur administration
Médicament Recommandation
Ketoconazole [1,6,7] Réduire la consommation d’alcool [1]
Metronidazole [6,7] Ne pas consommer d’alcool pendant la durée du traitement et le jour
suivant [1]
Sulfonylurées: gliben-
clamide, gliclazide [7]
Limiter la consommation d’alcool [1]
Vérapamil [7,8] Prévenir le patient du risque potentiel [1]
Tableau 2: Principaux médicaments subissant une majoration d’effets
indésirables lors de consommation d’alcool et recommandations associées
Médicament Effet indésirable majoré par la
consommation d’alcool
Recommandations
AINS
(dont l’aspirine) [1]
Hémorragies digestives et lésions des
muqueuses gastro-intestinales
Intervalle de 8 à 10 heures entre
la prise de ces médicaments et la
consommation d’alcool
Antidiabétiques
(surtout insuline et
sulfonylurées)
[1,13,14]
Hypoglycémie, diminution des signes
d’hypoglycémie et inhibition des
réactions de compensation (augmen-
tation possible du risque de coma
hypoglycémique)
Informer le patient: contrôle de sa
glycémie selon sa consommation
d’alcool
A noter qu’une consommation de 2 à
3 unités d’alcool* ne provoque pas
d’hypoglycémie.
Isoniazide [6] Hépatoxicité Suivi du patient
Méthotrexate [6]
Nitroglycérine [1] Effets vasodilatateurs (flush p.ex.) et
hypotension (lors de consommation
excessive d’alcool)
Informer le patient: limiter sa
consommation d’alcool selon les
effets indésirables perçus
*10 ml d’alcool pur: 1 unité ≈ 300 ml de bière ≈ 90 ml de vin