Innovations et controverses dans la chirurgie du cancer du sein

Octobre Rose 2014 Saint-Louis Réseau Sein
OCTOBRE ROSE 2014
Innovations et controverses dans la chirurgie du cancer du sein
Docteur Edwige Bourstyn, chirurgienne, Centre des maladies du sein,
Hôpital Saint Louis AP-HP
Le traitement chirurgical concerne presque toutes les patientes atteintes d’un cancer du sein.
On peut aborder le sujet à partir d’une question « qu’est-ce qui est pour tous et qu’est ce qui
ne l’est pas dans la chirurgie et les traitements du cancer du sein ? ». Le plan que nous allons
observer dans cette conférence est le suivant : on va d’abord faire un résumé de l’histoire de
la chirurgie du cancer du sein et de ses évolutions ; puis nous aborderons 2 sujets qui font
polémique actuellement : les traitements conservateurs qui sont parfois remis en cause par le
choix des patientes et le ganglion sentinelle. Enfin nous parlerons d’une innovation dont nous
sommes très fiers à Saint-Louis, car nous sommes jusqu’à ce jour les seuls à pouvoir la
pratiquer en Ile-de-France parmi seulement 7 centres en France, c’est la radiothérapie per-
opératoire qui ne peut être proposée à toutes les patientes.
Historique
La chirurgie du sein est très ancienne. Des gravures de la fin du XVIIIème siècle montrent
des opérations d’ablation du sein qui se faisait sans anesthésie avec des instruments
sommaires. Mais cette chirurgie est bien plus ancienne puisque le sein est un organe externe
et que la chirurgie a commencé par traiter des organes externes.
Pendant très longtemps, la chirurgie a été le seul et unique traitement du cancer du sein. On
appelait ça des amputations et il y a d’ailleurs encore des institutions, qui dans le libellé des
comptes rendus opératoires, lorsqu’ on fait une mastectomie, l’appellent amputation du sein.
C’est un mot que je trouve très violent mais qui à l’époque - c’était l’époque des amputations
des membres que Dominique Larrey, chirurgien de l’Empereur Napoléon 1er, réalisait sur
les champs de bataille- était justifié ; et Dominique Larrey amputait aussi des seins en dehors
des champs de bataille. Par la suite, la technique est devenue plus précise et en 1884, un
chirurgien américain, Halsted, a réalisé une intervention qui porte son nom. Ce type
d’exérèses, a été faite jusque vers 1960 1970. Ces interventions ont été d’actualité pendant
longtemps, et c’était assez terrifiant : on enlevait toute la peau en regard du sein, le muscle
pectoral et on y associait de larges curages, l’incision pointait dans l’aisselle. Il ne restait
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vraiment plus que la peau sur le thorax et bien souvent les malades étaient irradiées ce qui
donnait un aspect encore plus rétracté.
En 1900 naît la radiothérapie. La radiothérapie de 1900 ce n’était pas la radiothérapie de
maintenant. Beaucoup des radiothérapeutes de ces temps héroïques sont morts des
irradiations collatérales dont ils étaient l’objet quand ils irradiaient les patientes. Tout cela a
bien changé ; les doses sont moindres et on a de meilleurs moyens de calculer les doses
délivrées. Les complications des irradiations ont pu être mieux maîtrisées pour les médecins
et les patientes.
L’hormonothérapie a été décrite un peu avant 1900 sous forme d’une castration. Ce fut le
premier traitement médical du cancer du sein publié dans une revue très connue « The
Lancet ». Il s’agissait d’une femme jeune qui avait un cancer très évolué avec des métastases
à qui ont avait enlevé les ovaires : s’il n’y a pas eu guérison, la survie n’en a pas moins été
durable. Au cours des années 60, on va utiliser la chimiothérapie dans les tumeurs solides
dont le cancer du sein, après qu’elle ait été utilisée dans les traitements des leucémies. En
1966, c’est la découverte du Tamoxifène®, première hormonothérapie médicamenteuse dans
le traitement du cancer du sein. La chirurgie qui était le seul traitement du cancer du sein, et
les chirurgiens qui étaient les seuls acteurs de ce traitement se sont intégrés dans une nouvelle
façon de penser qu’on appelle la pluridisciplinarité.
On a d’abord associé la chirurgie à la radiothérapie, puis à la chimiothérapie vers les années
1970. A partir de ce moment, le fait qu’on puisse faire diminuer les tumeurs par d’autres
traitements que la chirurgie, a permis de faire des mastectomies moins agressives que l’on fait
encore maintenant : c’est la mastectomie de Patey qui enlève la peau et le sein mais qui
n’enlève pas le muscle et qui n’a pas un aspect esthétique aussi difficile qu’était l’intervention
de Halsted. J’aurais pu dire aussi qu’est apparue la reconstruction mammaire mais je me
suis contentée d’en rester au stade purement thérapeutique de la chirurgie du cancer du sein.
Au cours des années 1970, on s’est posé la question de savoir si on ne pourrait-on pas
conserver le sein chez les femmes qui ont un cancer du sein. C’était extrêmement innovant,
révolutionnaireme et pas du tout accepté par tout le monde. Mais c’était une demande des
femmes. Il y a eu de grandes études : il a toujours été très important et ça l’est toujours
d’ailleurs, que les patientes se prêtent à la recherche clinique, c'est-à-dire qui acceptent d’être
incluses dans des études. C’est grâce aux femmes qui ont été incluses dans les premières
études - 1 étude américaine de Fischer et 1 étude italienne dirigée par Veronesi qu’on a pu
progresser. Ces deux études ont été publiées en 1980 et 1985 pour la première fois et re
publiées avec les mêmes cohortes de malades en 2002. C’est grâce à ces femmes qu’on sait
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maintenant avec certitude que la conservation mammaire donne les mêmes résultats en
termes de survie globale que les mastectomies. Bien sûr c’est une connaissance générale et
statistique et ce n’est pas vrai pour toutes les tumeurs. Cette chirurgie est réservée aux
tumeurs qui mesurent moins de 3 cm, uni focales et qui ont certains profils. Plus la chirurgie
se cible plus elle devient sophistiquée moins elle est pour toutes les patientes. Ces deux
grandes études ont montré que la chirurgie de conservation mammaire donne les mêmes
résultats en terme de survie globale que la mastectomie mais que la conservation du sein doit
obligatoirement être associée à la radiothérapie. Donc c’est un ticket : chirurgie
radiothérapie qui doit obligatoirement être envisagé.
On est aujourd’hui dans une période dite de désescalade. La désescalade c’est la descente de
la pente, mais il faut la descendre avec des cordes, il serait dangereux de se laisser tomber
directement. On est arrivé à une chirurgie du sein mini-invasive en reprenant le terme utilisé
pour d’autres chirurgies. Cette évolution est liée, d’abord, au développement de l’imagerie
sénologique qui permet de reconnaître des petites tumeurs, qui permet de faire des biopsies ,
et donc de reconnaître des cancers à un stade précoce mais aussi de voir que certains cancers
ne sont pas accessibles au traitement conservateur. On peut maintenant faire des traitements
conservateurs chez des femmes dont auparavant la tumeur était trop grosse pout les envisager
en leur donnant d’abord de la chimiothérapie ou de l’hormonothérapie qui peuvent faire
diminuer cette tumeur et la rendre accessible à un traitement conservateur.
On est aussi en période de désescalade du traitement des aisselles et on va y revenir tout à
l’heure. Au lieu du curage axillaire qui est source de séquelles, de douleurs et de diminution
de l’activité, éventuellement de lymphœdème est arrivée des Etats-Unis en 1995 et très peu de
temps après chez nous, la biopsie du ganglion sentinelle.
On est en période de désescalade en radiothérapie aussi et ce sera une des innovations dont
nous parlerons plus tard : la radiothérapie per-opératoire. C’est une très grande innovation
mais là encore une innovation pas pour toutes et une innovation dont vous pouvez bénéficier à
l’hôpital Saint-Louis.
Innovation, encore, la possibilité d’un traitement par chimiothérapie en ambulatoire et de
chirurgie ambulatoire pour un certain nombre de cancers du sein. Tout dépend des molécules
utilisées, du type d’ intervention chirurgicale et l’état général des patientes : les traitements
ambulatoires ce n’est pas possible pour toutes les patientes. Je sais que ça fait peur à
beaucoup et au contraire beaucoup également s’en réjouissent.
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La chirurgie ambulatoire doit être adaptée aux patientes et surtout à leurs conditions de vie et
ça n’est vraiment pas la chirurgie du sein pour toutes, contrairement à ce que l’on a pu
entendre ces derniers jours dans les médias.
Comment arriver à cet équilibre difficile qui est d’assurer la survie - le cancer du sein est
quand même encore une maladie qui peut tuer- d’améliorer la qualité de vie, la cosmétique
sans perdre la sécurité ? Tels sont les challenges actuels dans la chirurgie du sein et dans les
traitements du cancer du sein. En France on a la chance d’avoir un accès à la santé, pour tous.
Grâce à une meilleure éducation et à une meilleure information des femmes, grâce au
dépistage organisé ou au dépistage individuel, on sait en France que 2/3 des patientes peuvent
bénéficier sans risques supplémentaires, d’un traitement conservateur.
Les controverses concernant les traitements consevateurs
Actuellement on assiste à une augmentation des demandes de mastectomie c’est à dire de
d’ablation du sein unilatérale voire bilatérale alors que les patientes ont un cancer du sein
unilatéral.
Ce fait a été constaté aux Etats-Unis. Je suis désolée de tout le temps citer des séries
américaines mais ce sont les américains qui publient ces chiffres et qui ont des registres
sont enregistrés toutes les patientes …Il y a aussi beaucoup de séries anglaises et des pays
d’Europe du Nord. La Mayo Clinic est un énorme centre américain situé à Rochester qui
s’est alarmée il y a 3-4 ans de ce que pour des cancers du sein conservables du fait de leur
petite taille on avait une demande de mastectomie de plus en plus importante. Tout le monde
s’est penché sur les raisons de ces « plus de mastectomies » et beaucoup d’éléments ont été
invoqués : ça été l’IRM qui permet de temps en temps de trouver des tumeurs à plusieurs
foyers, tumeurs que l’on n’aurait pas découvertes auparavant, mais cet effet est minime et ne
permet pas de modifier complètement les statistiques; ça a été les conditions socio-
économiques qui étaient plus crédibles car dans certains pays les conditions géographiques ne
permettent pas aux femmes de faire des irradiations comme cela serait souhaitable en cas de
chirurgie conservatrice. Dans cette optique on peut prendre en considération une polémique
concernant les résultats d’un état du Canada, l’Alberta. Il y a eu des statistiques qui ont étonné
car au Québec - qui a un système de santé un peu comme le notre le taux de mastectomie
de 30 % comme dans les pays développés alors que dans l’Alberta il est de plus de 50%.
L’Alberta est un état il neige 9 mois sur 12 et les centres de radiothérapie sont distants
de l’habitat des patientes avec des transports difficiles. Les conditions géographiques sont
aussi une des raisons de cette augmentation de la chirurgie radicale.
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On a vu arriver en France des demandes de mastectomie bilatérale, ces dernières années. Les
patientes demandent qu’on leur enlève le sein malade et le sein controlatéral qui n’est pas
malade ! C’est une demande assez fréquente aux Etats-Unis qui émerge en France. Je ne
parle pas des femmes génétiquement mutées (mutations BRCA1 ou BRCA 2 qui représentent
5% des cancers du sein), mais d’une population tout venant. Des auteurs américains ont
publié, il y a quelques semaines, dans un très grand journal de médecine qui s’appelle le
JAMA, une grande étude à ce sujet qui a été reprise dans la grande presse.
Les articles des grands quotidiens du matin ou du soir ont frappé l’opinion publique en
France. En septembre dernier, cet article s’intéressait au nombre de patientes qui faisaient
pratiquer des mastectomies bilatérales, et se demandait si cela avait un avantage pour elles -
c'est-à-dire si elles mourraient moins de leur cancer ou si elles rechutaient moins de leur
cancer. Pour répondre à ces deux questions, on a utilisé des données qu’en recherche clinique
on appelle une étude observationnelle à partir de registres sur lesquels sont enregistrées
toutes les patientes. De tels registres existent en Californie, en Angleterre ou en Allemagne
mais pas assez chez nous. On a pu comparer conservation mammaire, mastectomies et
mastectomies bilatérales sur une population énorme de 189 734 patientes présentant un
cancer du sein unilatéral : 11 692 mastectomies bilatérales ont été réalisées, ce qui est très
important pour un cancer unilatéral. Ce taux qui était de 2% en 1998 est passé à 12.3% en
2011 soit un taux d’augmentation annuel de 14.3%
Chez les femmes de moins de 40 ans, ce taux est de 33%, donc 1/3 des femmes à qui on peut
conserver le sein qui ont moins de 40 ans dans cette population, ont opté pour une
mastectomie des deux côtés. L’âge est un critère est un critère de choix mais aussi le lieu
d’habitation, le métier et le niveau d’études. Et contrairement à ce que l’on aurait pu penser,
ce choix prédominait chez les femmes blanches non hispaniques, chez les femmes qui ont une
couverture sociale, un haut niveau socioculturel et qui étaient pour les plus nombreuses,
soignées dans les centres référents. Si les femmes choisissent cette chirurgie bilatérale c’est
que les médecins ne vont pas contre ce choix. Il s’agit donc d’une modification culturelle et
sociale dans le cancer du sein.
La survie de ces femmes ayant subi une mastectomie bilatérale a été aussi étudiée. La réponse
est nette : la mastectomie bilatérale ne protège de rien ! C'est-à-dire qu’il n’y a aucun
bénéfice en survie pour la mastectomie bilatérale quand on veut faire enlever le sein de l’autre
côté, qui n’est pas atteint. C’est un des grands sujets de débats et de polémiques actuellement
car la majeure partie des éditorialistes des grandes revues scientifiques n’arrivent pas à
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