Re v u e f la sh N e urol og i e . com 20 1 0 ; 2(9-10) : 252- 4 Altération neurocognitive chez les patients séropositifs pour le VIH Neurocognitive impairment related to Human immunodeficiency virus infection Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Claire Paquet Centre Mémoire de Ressources et de Recherche (CMRR) Paris Nord Ile-de-France, Groupe Hospitalier Laribosière Fernand Widal Saint-Louis, 200 rue du Faubourg Saint-Denis 75010 Paris <[email protected]> Pour la pratique on retiendra L’infection par le VIH peut induire des troubles cognitifs en dépit de traitements efficaces. Depuis l’avènement des trithérapies, l’incidence des démences sévères liées au VIH a considérablement chuté mais cette chute est contrebalancée par une augmentation de la prévalence des troubles cognitifs moins sévères. Ces atteintes s’expriment souvent par un dysfonctionnement souscorticofrontal et parfois par une atteinte mixte (corticale et sous-corticale). L’altération cognitive est un risque indépendant de mortalité, d’évolution vers une démence avérée et est une cause de mauvaise observance thérapeutique. Un effort récent de classification des troubles cognitifs nous permet de poser un diagnostic précis. Ceci requiert une certaine connaissance à la fois de la pathologie cognitive et infectieuse. Les explorations complémentaires à proposer ne sont pas encore tout à fait codifiées, de même que la prise en charge thérapeutique. Des études en cours devraient nous orienter vers une attitude thérapeutique précise. Dans cette revue, nous présenterons les récentes données permettant de mieux comprendre, identifier et explorer cette entité encore récente. Abstract Mo ts c l é troubles cognitifs VIH Ke y w o r d s Cognitive Decline HIV HIV-1 Infection still can induce dementia despite successful administration of highly active antiretroviral therapy (HAART). The advent of HAART has reduced dramatically the incidence of HIV associated dementia but concurrently associated with increasing prevalence of mild cognitive decline. The most frequent neuropsychological alteration is dysexecutive syndrome. Cognitive decline is an independent risk of death, evolution to dementia or a cause of inadequate therapeutic observance. With the new classification infectious and neurological competences are needed to diagnose the type of cognitive dysfunction. So far, there are no clear guidelines for fully appropriate explorations or treatment. We focus here on recent findings giving us the possibility to better understand this still new and evolving pathology. L e système nerveux central (SNC) est la deuxième cible du VIH qui peut y être détectée dès la primoinfection. Les VIH est la source de diverses complications dont l’altération cognitive identifiée dès le début de la pandémie. Avant l’apparition des antirétroviraux, le VIH était alors la première cause de démence du sujet jeune. L’introduction des trithérapies antirétrovirales en 1996 fut une avancée majeure qui permit une diminution significative et durable de la Altération neurocognitive chez les patients séropositifs pour le VIH Avant l’utilisation systématique des multithérapies, jusqu’à 30 % des personnes au stade sida développaient des troubles intellectuels sévères. 252 neurologie.com | vol. 2 n°9-10 | novembre-décembre 2010 réplication virale dans le plasma, une restauration des fonctions immunitaires et un prolongement de la survie de patients. Elles ont également permis une rémission des démences liées au VIH dans la majorité des cas. Cependant, après plus de 10 ans de trithérapie, on constate une augmentation de la prévalence des atteintes cognitives légères, ce qui témoigne du fait que les traitements ne protègent pas des troubles cognitifs et que l’effet des trithérapies sur le SNC est encore mal connu. Compte tenu de l’intérêt récent pour ces symptômes dans la pratique quotidienne, la littérature est abondante, riche et variée mais surtout centrée sur des aspects épidémiologiques, des données de recherche clinique ou physiopathologique. Les données de pratique clinique restent très exploratoires. Il n’existe pas encore de consensus ou de guidelines sur la prise en charge thérapeutique et diagnostique. Toutefois, le bouleversement de cette entité et l’alternative thérapeutique qu’elle offre nous invite à être vigilants quant à l’apparition d’un symptôme neurocognitif chez un patient séropositif. DOI : 10.1684/nro.2010.0230 Cette revue sera centrée sur les aspects pratiques de la pathologie afin de guider au mieux la prise en charge de ces atteintes lorsque nous les rencontrons. Facteur de risque et présentation clinique Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Les facteurs de risque connus de développer une atteinte cognitive au cours du VIH sont l’âge élevé (> 50 ans), un Nadir CD4 < 200 ou un taux de CD4 bas, une charge virale plasmatique positive, un taux bas d’hémoglobine, la dénutrition (BMI bas), la toxicomanie et/ou l’éthylisme, une co-infection par le virus de l’hépatite C, la préexistence de trouble cognitifs et probablement une prédisposition génétique [1], le diabète et l’insulino-résistance [2] et plus globalement le risque vasculaire [3]. La proportion de patients avec une altération cognitive (toutes sévérités confondues) est estimée à 27 % au stade A, 44 % au stade B et 52 % au stade C de la maladie [3]. D’après Robertson et al. [5], la majorité des études neuro­ psychologiques retrouvent de façon caractéristique une atteinte sous-corticale comme il avait été décrit avant les trithérapies. Les anomalies retrouvées sont essentiellement un ralentissement de la vitesse de traitement de l’information, des troubles de l’attention (en particulier de l’attention partagée), de la concentration avec parfois des altérations de l’apprentissage, et de la mémoire de travail. On note également des perturbations des fonctions de planification et d’exécution des comportements complexes. Depuis l’avènement des trithérapies, certains travaux rapportent des atteintes plus corticales telles que des déficits de la mémoire verbale, une apraxie ou une agnosie visuelle. L’évaluation neuropsychologique « idéale » n’existe pas mais ces résultats montrent que l’on doit rechercher tout aussi bien une atteinte corticale qu’une atteinte sous-corticale [5]. Ces données épidémiologiques (augmentation de la prévalence), clinique (atteintes corticales) corroborent les études neuropathologiques montrant une modification de la topographie et de l’intensité de l’inflammation. Au début de l’épidémie, on retrouvait les lésions essentiellement dans les régions corticales (notamment frontales) et les structures sous-corticales. Depuis l’administration des trithérapies, en plus des lésions initiales, on note une accentuation de la réaction inflammatoire qui est maximale au niveau de l’hippocampe [6]. Critères diagnostiques En 2007, l’HNRC (HIV Neurobehavioral Research Center) propose une révision des critères diagnostiques de l’AAN (1991) [4]. Ils définissent trois grandes catégories de troubles cognitifs associés au VIH. Pour respecter ces critères, il est nécessaire d’éliminer les autres causes de syndromes démentiels (carence vitaminique, dysthyroïdies, syphilis…). Par ailleurs, pour classer l’intensité de l’atteinte, il faut avoir exploré au moins 5 fonctions cognitives à la fois sous-corticales et corticales (attention, planification, langage, abstraction, fonction exécutive, habilité motrice complexe, mémoire (incluant apprentissage et rappel, habilité motrice ou sensorielle)). Enfin, la classification en elle-même est basée, d’une part, sur l’intensité de l’atteinte et, d’autre part, sur le retentissement dans la vie quotidienne ce qui permet de définir les catégories suivantes : 1) Troubles cognitifs légers ou asymptomatique neurocognitive impairment (ANI) défini par une diminution de plus de une déviation standard dans au moins deux champs cognitifs mais sans retentissement sur la vie quotidienne. 2) Troubles cognitifs modérés ou mild neucognitive symptomes (MCS) qui répondent aux mêmes critères neuropsycho­ logiques mais associés à un retentissement sur la vie quotidienne sans pour autant remplir les critères de démence. 3) Démence associée au VIH ou HIV associated dementia (HAD) constituant un véritable syndrome démentiel avec diminution de deux déviations standard ou plus dans au moins deux champs cognitifs avec retentissement marqué sur la vie quotidienne. Ces nouveaux critères ont l’avantage d’offrir une meilleure finesse clinique et une probabilité de diagnostic beaucoup plus fiable que ceux de 1991 [7]. Bien que le seuil proposé d’une déviation standard soit différent de celui utilisé habituellement dans les autres pathologies neurocognitives, la confrontation neuropathologique faite par Cherner et al. confirme qu’il paraît justifié d’utiliser un tel seuil dans cette population [7]. Toutefois, ces critères ont des limites dans la pratique quotidienne. La nécessité de faire un bilan neuropsychologique approfondi interprété avec des normes adaptées en termes d’âge et d’origine ethnique demande une expertise de la part de l’équipe en charge de cet aspect, ce qui pour de multiples raisons est difficile à mettre en place dans toutes les consultations d’infectiologie. D’autre part, les échelles de retentissement sur le quotidien actuellement validées concernent surtout des sujets âgés et déjà au stade démentiel. Il n’y a pas à notre connaissance d’échelle de retentissement bien codifiée chez des sujets jeunes. Il est donc difficile de mesurer objectivement le retentissement sur le quotidien, et ce d’autant que les patients (souvent jeunes) viennent seuls en consultation. Qui envoyer en consultation neurologique ou consultation mémoire ? Il apparaît clairement dans la littérature et dans la pratique le besoin de cibler les patients nécessitant un bilan neurocognitif plus approfondi. Le MMS n’étant pas un bon examen de dépistage, plusieurs batteries de dépistage ont été mises eu point dont la HIV dementia scale [8]. Elle a l’avantage d’être particulièrement simple et rapide d’utilisation y compris pour des cliniciens ne pratiquant pas d’exploration cognitive. Elle a été testée dans plusieurs populations des pays du nord et du sud (Indiens, Africains…), elle est un bon outil de dépistage et un résultat pathologique à cette échelle est un argument pour orienter le patient vers une consultation mémoire [9]. Par ailleurs, comme dans la population générale et afin de répondre à la demande du patient, la plainte mnésique est souvent un motif de consultation mémoire. L’évaluation de la valeur prédictive de cette plainte n’est pas très claire dans la littérature. Quelles conséquences thérapeutiques? Si les troubles cognitifs apparaissent chez des patients non traités, compte tenu de l’efficacité des trithérapies sur les troubles cognitifs, il semble licite d'instaurer d’une trithérapie. Il en est de même pour les patients mal contrôlés neurologie.com | vol. 2 n°9-10 | novembre-décembre 2010 253 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. sur le plan immunitaire ou virologique. Il est souhaitable d’optimiser le traitement antirétroviral car, dans ces populations, l’imputabilité de la réplication virale peut, au moins en partie, être retenue [10]. Le principal problème est celui des patients déjà traités et bien contrôlés sur le plan virologique et immunologique. Dans ces cas, il paraît nécessaire de rechercher par une ponction lombaire une réplication du virus autonomisée dans le SNC. Dans cette démarche, l’imputabilité de la réplication virale est encore retenue et une des hypothèses est celle d’une pénétration variable de ces molécules antirétrovirales dans le SNC. Ceci est à l’origine du premier score de pénétration dans le CNS appelé Charter [11]. Plus le score est élevé et plus le traitement a une bonne pénétration dans le CNS. Plusieurs travaux ont montré des corrélations entre l’atteinte cognitive et des scores Charter bas ou une amélioration des fonctions cognitives lorsqu’on augmentait le Charter. Toutefois ces résultats sont contestés par une étude démontrant l’inverse [12]. Ceci suggère qu’il faut considérer non seulement la réplication virale mais également le potentiel toxique du traitement. Pour confirmer ou infirmer ces données, des études randomisées à dans de larges cohortes sont nécessaires. De plus, à la lumière des travaux de recherche fondamentale, il apparaît clairement que considérer la réplication virale seule semble réducteur. De multiples autres facteurs sont incriminés [4] : la neuro-inflammation chronique, le vieillissement précoce de ces patients et la survenue de lésions neuropathologiques similaires à celles retrouvées dans la maladie d’Alzheimer [13]. Dans l’état actuel des connaissances, il semble difficile de donner une conduite à tenir thérapeutique quand le patient est bien contrôlé sur le plan virologique (plasma et LCR) et immunitaire. Des études de confirmation sur de plus grandes cohortes ou randomisées devraient répondent à ces questions et nous permettre d’établir des guidelines. ConClusIon Les troubles cognitifs liés au VIH ne sont pas rares. Compte tenu de leur potentiel évolutif et de leur retentissement sur l’observance thérapeutique, il est 254 neurologie.com | vol. 2 n°9-10 | novembre-décembre 2010 nécessaire de les reconnaître et de les explorer afin d’offrir, dans la mesure du possible, une prise en charge adaptée au patient. Références 1. Bhaskaran K, Mussini C, Anitnori A, et al. CASCADE collaboration. Changes in the incidence and predictors of human immunodificency virus-associated dementia in the era of highly active antiretroviral therapy. Ann Neurol 2008 ; 6352 : 213-21. 2. Valcour VG, Sacktor NC, Paul RH, et al. Insulin resistance is associated with cognition among HIV-1-infected patients: the Hawaii Aging With HIV cohort. J Acquir Immune Defic Syndr 2006 ; 43 : 405-10. 3. Becker JT, Kingsley L, Mullen J, et al. Multicenter AIDS Cohort Study. Vascular risk factors, HIV serostatus, and cognitive dysfunction in gay and bisexual men. Neurology 2009 ; 73 : 1292-9. 4. Antinori A, Arendt, Becker JT, et al. Updated research nosology for HIVassociated neurocognitive disorders. Neurology 2007 ; 69 : 1789-99. 5. Robertson K, Liner J, Heaton R. Neuropsychological Assessment of HIV-infected Populiation in International Settings. Neuropsychol Rev 2009 ; 19 : 232-49. 6. Anthony IC, Ramage SN, Carnie FW, Simmonds P, Bell JE. Influence of HAART on HIV-related CNS disease and neuroinflammation. JNEN 2005; (6456) : 529-36. 7. Cherner M, Cysique L, Heaton RK, Marcotte TD, Ellis RJ, Masliah E, Grant I ; HNRC Group. Neuropathological confirmation of definitional criteria for human immunodeficiency virus associated neurocognitive disorders. J Neurovirol 2007 ; 13 : 23-8. 8. Sacktor NC, Wong M, Nakasujja N, et al. The International HIV Dementia Scale: a new rapid screening test for HIV dementia. AIDS 2005 ; 19 : 1367-74. 9. Skinner S, Adewale AJ, DeBlock L, Gill MJ, Power C. Neurocognitive screening tools in HIV/AIDS : comparative performance among patients exposed to antiretroviral therapy. HIV Med 2009 ; 10 : 246-52 10. Cysique LA, Vaida F, Letendre S, et al. Dynamics of cognitive change in impaires HIV-positive patients initiating antiretroviral therapy. Neurology 2009 ; 73 : 342-8. 11. Letendre S, Marquie-Beck J, Capparelli E, et al., for the CHARTER Group Validation of the CNS PenetrationEffectiveness Rank for Quantifying Antiretroviral Penetration Into the Central Nervous System. Arch Neurol 2008 ; 65 : 65-70. 12. Marra CM, Zhaob Y, Clifford DB, et al., for the AIDS Clinical Trials Group 736 Study Team. Impact of combination antiretroviral therapy on cerebrospinal fluid HIV RNA and neurocognitive performance. AIDS 2009 ; 23 : 1359-66. 13. Esiri MM, Biddolph SC, Morris CS. 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