Altération neurocognitive chez les patients séropositifs pour le VIH

Neurologie.com 2010 ; 2(9-10) : 252-4
252 neurologie.com | vol. 2 n°9-10 | novembre-décembre 2010 DOI : 10.1684/nro.2010.0230
Revue flash
Altération neurocognitive
chez les patients séropositifs
pour le VIH
Neurocognitive impairment related to Human immunodeficiency virus infection
Pour la pratique on retiendra
L’infection par le VIH peut induire des troubles cognitifs en dépit de traitements efficaces. Depuis l’avènement des trithérapies,
l’incidence des démences sévères liées au VIH a considérablement chuté mais cette chute est contrebalancée par une augmen-
tation de la prévalence des troubles cognitifs moins sévères. Ces atteintes s’expriment souvent par un dysfonctionnement sous-
corticofrontal et parfois par une atteinte mixte (corticale et sous-corticale). L’altération cognitive est un risque indépendant
de mortalité, d’évolution vers une démence avérée et est une cause de mauvaise observance thérapeutique. Un effort récent de
classification des troubles cognitifs nous permet de poser un diagnostic précis. Ceci requiert une certaine connaissance à la
fois de la pathologie cognitive et infectieuse. Les explorations complémentaires à proposer ne sont pas encore tout à fait codi-
fiées, de me que la prise en charge thérapeutique. Des études en cours devraient nous orienter vers une attitude thérapeutique
précise. Dans cette revue, nous présenterons les récentes données permettant de mieux comprendre, identifier et explorer cette
entité encore récente.
Abstract
HIV-1 Infection still can induce dementia despite successful administration of highly active antiretroviral therapy (HAART).
The advent of HAART has reduced dramatically the incidence of HIV associated dementia but concurrently associated with increas-
ing prevalence of mild cognitive decline. The most frequent neuropsychological alteration is dysexecutive syndrome. Cognitive
decline is an independent risk of death, evolution to dementia or a cause of inadequate therapeutic observance. With the new
classification infectious and neurological competences are needed to diagnose the type of cognitive dysfunction. So far, there are
no clear guidelines for fully appropriate explorations or treatment. We focus here on recent findings giving us the possibility to
better understand this still new and evolving pathology.
Mots clé
troubles cognitifs VIH
Key words
Cognitive Decline HIV
ALTÉRATION NEUROCOGNITIVE
CHEZ LES PATIENTS SÉROPOSITIFS POUR LE VIH
Avant l’utilisation systématique des multithérapies,
jusqu’à 30 % des personnes au
stade sida développaient des
troubles intellectuels sévères.
Le système nerveux central (SNC) est
la deuxième cible du VIH qui peut
y être détectée dès la primo-
infection. Les VIH est la source de
diverses complications dont l’alté-
ration cognitive identifiée dès le
début de la pandémie. Avant l’apparition des
antirétroviraux, le VIH était alors la première
cause de démence du sujet jeune.
L’introduction des trithérapies antirétrovirales
en 1996 fut une avancée majeure qui permit une
diminution significative et durable de la
réplication virale dans le plasma, une restaura-
tion des fonctions immunitaires et un prolonge-
ment de la survie de patients. Elles ont également
permis une mission des mences liées au VIH
dans la majorité des cas. Cependant, après plus
de 10 ans de trithérapie, on constate une aug-
mentation de la prévalence des atteintes cogni-
tives légères, ce qui témoigne du fait que les
traitements ne protègent pas des troubles cogni-
tifs et que l’effet des trithérapies sur le SNC est
encore mal connu.
Compte tenu de l’intérêt récent pour ces symp-
mes dans la pratique quotidienne, la littérature
est abondante, riche et variée mais surtout cen-
trée sur des aspects épidémiologiques, des don-
es de recherche clinique ou physiopathologique.
Les données de pratique clinique restent très
exploratoires. Il n’existe pas encore de consensus
ou de guidelines sur la prise en charge thérapeu-
tique et diagnostique. Toutefois, le bouleverse-
ment de cette enti et l’alternative thérapeutique
qu’elle offre nous invite à être vigilants quant à
l’apparition d’un symptôme neurocognitif chez
un patient séropositif.
Claire Paquet
Centre Mémoire de Ressources
et de Recherche (CMRR) Paris Nord
Ile-de-France, Groupe Hospitalier
Laribosière Fernand Widal
Saint-Louis, 200 rue du Faubourg
Saint-Denis 75010 Paris
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Revue flash
Cette revue sera centrée sur les aspects pratiques de la
pathologie afin de guider au mieux la prise en charge de
ces atteintes lorsque nous les rencontrons.
FACTEUR DE RISQUE ET PRÉSENTATION CLINIQUE
Les facteurs de risque connus de développer une atteinte
cognitive au cours du VIH sont l’âge élevé (> 50 ans), un
Nadir CD4 < 200 ou un taux de CD4 bas, une charge virale
plasmatique positive, un taux bas d’hémoglobine, la
dénutrition (BMI bas), la toxicomanie et/ou l’éthylisme,
une co-infection par le virus de l’hépatite C, la préexis-
tence de trouble cognitifs et probablement une prédis-
position génétique [1], le diabète et l’insulino-résistance
[2] et plus globalement le risque vasculaire [3]. La pro-
portion de patients avec une altération cognitive (toutes
sévérités confondues) est estimée à 27 % au stade A, 44 %
au stade B et 52 % au stade C de la maladie [3].
D’après Robertson et al. [5], la majorité des études neuro-
psychologiques retrouvent de façon caractéristique une
atteinte sous-corticale comme il avait été décrit avant les
trithérapies. Les anomalies retrouvées sont essentiellement
un ralentissement de la vitesse de traitement de l’informa-
tion, des troubles de l’attention (en particulier de l’attention
partagée), de la concentration avec parfois des altérations
de l’apprentissage, et de la mémoire de travail. On note
également des perturbations des fonctions de planification
et d’exécution des comportements complexes. Depuis l’a-
nement des trithérapies, certains travaux rapportent des
atteintes plus corticales telles que des déficits de la mémoire
verbale, une apraxie ou une agnosie visuelle. L’évaluation
neuropsychologique « idéale » n’existe pas mais ces résultats
montrent que l’on doit rechercher tout aussi bien une
atteinte corticale qu’une atteinte sous-corticale [5].
Ces données épidémiologiques (augmentation de la préva-
lence), clinique (atteintes corticales) corroborent les études
neuropathologiques montrant une modification de la
topographie et de l’intensité de l’inflammation. Au début
de l’épidémie, on retrouvait les lésions essentiellement
dans les régions corticales (notamment frontales) et les
structures sous-corticales. Depuis l’administration des tri-
thérapies, en plus des lésions initiales, on note une accen-
tuation de la réaction inflammatoire qui est maximale au
niveau de l’hippocampe [6].
CRITÈRES DIAGNOSTIQUES
En 2007, l’HNRC (HIV Neurobehavioral Research Center) propose
une révision des critères diagnostiques de l’AAN (1991) [4].
Ils définissent trois grandes catégories de troubles cognitifs
associés au VIH. Pour respecter ces critères, il est nécessaire
d’éliminer les autres causes de syndromes démentiels
(carence vitaminique, dysthyroïdies, syphilis…). Par ailleurs,
pour classer l’intensité de l’atteinte, il faut avoir exploré
au moins 5 fonctions cognitives à la fois sous-corticales et
corticales (attention, planification, langage, abstraction,
fonction exécutive, habilité motrice complexe, mémoire
(incluant apprentissage et rappel, habilité motrice ou sen-
sorielle)). Enfin, la classification en elle-même est basée,
d’une part, sur l’intensité de l’atteinte et, d’autre part, sur
le retentissement dans la vie quotidienne ce qui permet de
définir les catégories suivantes :
1) Troubles cognitifs légers ou asymptomatique neurocognitive
impairment (ANI) défini par une diminution de plus de une
déviation standard dans au moins deux champs cognitifs
mais sans retentissement sur la vie quotidienne.
2) Troubles cognitifs modérés ou mild neucognitive symptomes
(MCS) qui répondent aux mêmes critères neuropsycho-
logiques mais associés à un retentissement sur la vie quoti-
dienne sans pour autant remplir les critères de démence.
3) Démence associée au VIH ou HIV associated dementia (HAD)
constituant un véritable syndrome démentiel avec dimi-
nution de deux déviations standard ou plus dans au moins
deux champs cognitifs avec retentissement marqué sur la
vie quotidienne.
Ces nouveaux critères ont l’avantage d’offrir une meilleure
finesse clinique et une probabilité de diagnostic beaucoup
plus fiable que ceux de 1991 [7]. Bien que le seuil proposé
d’une déviation standard soit différent de celui utilisé
habituellement dans les autres pathologies neurocogniti-
ves, la confrontation neuropathologique faite par Cherner
et al. confirme qu’il paraît justifié d’utiliser un tel seuil dans
cette population [7].
Toutefois, ces critères ont des limites dans la pratique
quotidienne. La nécessité de faire un bilan neuropsycholo-
gique approfondi interprété avec des normes adaptées en
termes d’âge et d’origine ethnique demande une expertise
de la part de l’équipe en charge de cet aspect, ce qui pour
de multiples raisons est difficile à mettre en place dans
toutes les consultations d’infectiologie. D’autre part, les
échelles de retentissement sur le quotidien actuellement
validées concernent surtout des sujets âgés et déjà au stade
démentiel. Il n’y a pas à notre connaissance d’échelle de
retentissement bien codifiée chez des sujets jeunes. Il est
donc difficile de mesurer objectivement le retentissement
sur le quotidien, et ce d’autant que les patients (souvent
jeunes) viennent seuls en consultation.
QUI ENVOYER EN CONSULTATION NEUROLOGIQUE
OU CONSULTATION MÉMOIRE ?
Il apparaît clairement dans la littérature et dans la pratique
le besoin de cibler les patients nécessitant un bilan neuro-
cognitif plus approfondi. Le MMS n’étant pas un bon exa-
men de dépistage, plusieurs batteries de dépistage ont été
mises eu point dont la HIV dementia scale [8]. Elle a l’avantage
d’être particulièrement simple et rapide d’utilisation y
compris pour des cliniciens ne pratiquant pas d’exploration
cognitive. Elle a été testée dans plusieurs populations des
pays du nord et du sud (Indiens, Africains…), elle est un
bon outil de dépistage et un résultat pathologique à cette
échelle est un argument pour orienter le patient vers une
consultation mémoire [9]. Par ailleurs, comme dans la
population générale et afin de répondre à la demande du
patient, la plainte mnésique est souvent un motif de consul-
tation mémoire. L’évaluation de la valeur prédictive de
cette plainte n’est pas très claire dans la littérature.
QUELLES CONSÉQUENCES THÉRAPEUTIQUES?
Si les troubles cognitifs apparaissent chez des patients non
traités, compte tenu de l’efficacité des trithérapies sur les
troubles cognitifs, il semble licite d'instaurer d’une trithé-
rapie. Il en est de même pour les patients mal contrôlés
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sur le plan immunitaire ou virologique. Il est souhaitable
d’optimiser le traitement antirétroviral car, dans ces
populations, l’imputabilité de la réplication virale peut,
au moins en partie, être retenue [10].
Le principal problème est celui des patients déjà traités et
bien contrôlés sur le plan virologique et immunologique.
Dans ces cas, il paraît nécessaire de rechercher par une
ponction lombaire une réplication du virus autonomisée
dans le SNC. Dans cette démarche, l’imputabilité de la
réplication virale est encore retenue et une des hypothèses
est celle d’une pénétration variable de ces molécules anti-
rétrovirales dans le SNC. Ceci est à l’origine du premier
score de pénétration dans le CNS appelé Charter [11].
Plus le score est élevé et plus le traitement a une bonne
pénétration dans le CNS. Plusieurs travaux ont montré des
corrélations entre l’atteinte cognitive et des scores Charter
bas ou une amélioration des fonctions cognitives lorsqu’on
augmentait le Charter. Toutefois ces résultats sont contess
par une étude démontrant l’inverse [12]. Ceci suggère qu’il
faut considérer non seulement la réplication virale mais
également le potentiel toxique du traitement. Pour confir-
mer ou infirmer ces données, des études randomisées à
dans de larges cohortes sont nécessaires.
De plus, à la lumière des travaux de recherche fondamen-
tale, il apparaît clairement que considérer la réplication
virale seule semble réducteur. De multiples autres facteurs
sont incriminés [4] : la neuro-inflammation chronique, le
vieillissement précoce de ces patients et la survenue de
lésions neuropathologiques similaires à celles retrouvées
dans la maladie d’Alzheimer [13].
Dans l’état actuel des connaissances, il semble difficile de
donner une conduite à tenir thérapeutique quand le patient
est bien contrôlé sur le plan virologique (plasma et LCR) et
immunitaire. Des études de confirmation sur de plus
grandes cohortes ou randomisées devraient répondent à
ces questions et nous permettre d’établir des guidelines.
CONCLUSION
Les troubles cognitifs liés au VIH ne sont pas rares.
Compte tenu de leur potentiel évolutif et de leur reten-
tissement sur l’observance thérapeutique, il est
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13. Esiri MM, Biddolph SC, Morris CS.
Prevalence of Alzheimer plaques in
AIDS. JNNP 1998 ; 65 : 29-33.
nécessaire de les reconnaître et de les explorer afin
d’offrir, dans la mesure du possible, une prise en charge
adaptée au patient.
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