Forum Médical de Rangueil
19 Octobre 2006
Auto-immunité et Hémostase
Modérateur : Dr M BINIASZ
1. Conduite à tenir devant une phlébite inopinée :
Pr Daniel ADOUE, Service de Médecine Interne, Hôpital Purpan
2. Conduite à tenir devant une hémorragie spontanée sans cause évidente
Pr Pierre SIE, Laboratoire d’Hématologie, Hôpital Purpan
Hémophilies acquises
¾ Circonstances de diagnostic
¾ Facteurs favorisant et maladies associées
¾ Diagnostic biologique
¾ Que faire devant une hémorragie d’hémophilie acquise ?
Syndromes de Willebrand acquis
3. Prise en charge et suivi thérapeutique
Pr Jacques POURRAT, Service de Néphrologie et d’Immunopathologie, Hôpital Rangueil
Résumé
Les troubles acquis de l’hémostase responsables de pathologies thrombotiques ou hémorragiques sont
relativement fréquents et, lorsqu’ils ne surviennent pas dans le contexte évident d’une maladie associée ou
d’un traitement médicamenteux, ils peuvent rester longtemps non reconnus et non traités. Certains d’entre
eux sont graves et peuvent conduire rapidement au décès du patient par embolie pulmonaire, accident
vasculaire cérébral, ou hémorragie massive.
Leur origine est le plus souvent de nature auto-immune (tableau). Le patient développe spontanément un
anticorps dirigé contre un facteur de l’hémostase, les plaquettes sanguines, ou les cellules endothéliales
des vaisseaux. Suivant la spécificité de l’anticorps, une activation pathologique de la coagulation conduit
à la survenue de thromboses veineuses ou artérielles, ou, à l’inverse, un déficit de l’hémostase s’installe,
conduisant à un syndrome hémorragique comparable à un déficit constitutionnel (hémophilie ou maladie
de Willebrand « acquise »). Le tableau ci-dessous
Parmi les circonstances les plus communes pouvant révéler cette pathologie en pratique de ville, la
survenue d’une phlébite inopinée, ou d’une tendance hémorragique spontanée sans lésion organique
associée, seront développées dans le symposium.
Ces désordres auto-immuns posent au médecin praticien plusieurs problèmes :
9 Leur reconnaissance à partir des résultats du bilan d’hémostase, qui doit être orienté vers cette
recherche : présence d’anticorps anti-phospholipides ou déficit d’un facteur de la coagulation ;
9 Le traitement des symptômes thrombotiques ou hémorragiques. Dans le premier cas, il sera fait
appel aux anticoagulants suivant des modalités propres à ces pathologies, notamment pour ce qui
concerne la durée du traitement. Dans le cas d’hémorragies, le traitement sera compliqué par
l’effet inhibiteur de l’anticorps, qui rend inefficace l’apport du facteur déficitaire et oblige à
utiliser des fractions coagulantes particulières ;
9 La recherche d’une pathologie auto-immune curable sous-jacente : hémopathie lymphoïde,
maladie auto-immune de type lupique, mais aussi cancer occulte ;
9 Le traitement de fonds de l’auto-anticorps responsable, s’il ne se confond pas avec celui d’une
pathologie associée, qui fera suivant les cas appel aux immunomodulateurs et/ou
immunosuppresseurs.
Tableau : Maladies de l’hémostase à auto anticorps :
Ce tableau reprend la liste des maladies de l’hémostase qui peuvent survenir en association à un auto anticorps dont
le rôle pathogène est reconnu. La présence de l’auto anticorps va aboutir à la réduction de l’activité de la cible
antigénique. Dans le cas des anti-phospholipides et des thrombopénies immuno-allergiques à l’héparine, c’est la
fixation des complexes antigène -anticorps à la surface des cellules cibles qui est pathogène.
Cible antigénique Pathologie Phénotype clinique
Plaquettes Thrombopénies autoimmunes Hémorragie
Facteurs de coagulation (VIII, IX,
XI, V, …) Hémophilies acquises Hémorragie
Facteur de Willebrand Maladie de Willebrand acquise Hémorragie
Anticoagulants physiologiques
(AT, PC, PS) Thrombophilie acquise Thrombose veineuse
beta 2-glycoprotéine I Syndrome des antiphospholipides Thrombose veineuse ou
artérielle
Protéase du facteur de Willebrand Purpura Thrombotique
Thrombocytopénique
Microangiopathie
thrombotique
Facteur 4 plaquettaire- héparine Thrombopénie immuno-allergique Thrombose
Conduite à tenir devant une hémorragie spontanée sans cause évidente
Un saignement spontané ou provoqué par un traumatisme minime, impose une enquête clinique et
éventuellement biologique. Seront recherchées en premier lieu une lésion d’organe, suivant le siège de
l’hémorragie, une pathologie susceptible de perturber l’hémostase, telle une insuffisance hépato-cellulaire,
et la notion d’antécédents semblables personnels ou familiaux. C’est en l’absence de ces éléments, ou
lorsque ceux-ci sont sans proportion avec la symptomatologie, que l’on parlera d’hémorragie sans cause
évidente. Souvent, les antécédents sont suffisants pour éliminer formellement une pathologie
constitutionnelle, si le patient ne se souvient pas d’avoir saigné dans des circonstances à risque
antérieures : chirurgie, spécialement ORL et dentaire, trauma…etc.
L’hémogramme, demandé pour apprécier le retentissement éventuel d’un saignement chronique,
permettra de reconnaître ou d’éliminer une thrombopénie acquise, qui peut reconnaître de nombreuses
étiologies, centrales ou périphériques. Le Purpura Thrombopénique Idiopathique (PTI) est la pathologie
auto-immune de l’hémostase la plus fréquente et celle responsable de thrombopénies/thrombopathies les
plus sévères, qui expliquent sans ambiguïté la survenue des hémorragies. Le PTI ne sera pas considéré
dans cette revue, car il est bien connu, par comparaison aux affections secondaires à des auto-anticorps
dirigés contre des protéines de l’hémostase.
Lorsque la cible de ces autoanticorps est un facteur de coagulation, on parlera d’hémophilie
acquise : tous les facteurs peuvent être concernés mais les anti-facteur VIII (FVIII) sont, de loin, les plus
fréquents. La symptomatologie et la prise en charge des inhibiteurs des autres facteurs éventuellement
concernés (FIX, FXI, FV essentiellement) sont voisine de celles des anti-FVIII.
Lorsque la cible est le facteur de Willebrand, facteur de l’hémostase primaire indispensable à
l’adhésion des plaquettes à une brèche vasculaire, on parlera de maladie de Willebrand acquise.
Hémophilies acquises
Contrairement à la forme classique, connue depuis l’antiquité, l’hémophilie acquise a été décrite plus
récemment (1) et atteint des sujets dont les caractéristiques démographiques sont différentes (tableau).
Caractéristiques des patients atteints d’hémophilie constitutionnelle et acquise.
Constitutionnelle Acquise
Origine Génétique Auto-immune
Age moyen de découverte Avant 2 ans si forme majeure 60 ans
Antécédents familiaux 2/3 des cas Non
Sexe ratio (M : F) M 1 : 2
Incidence par million d’habitants 4 1 – 4 (estimation)
Circonstances du diagnostic
Il s’agit généralement d’une pathologie de l’adulte qui se manifeste par une hémorragie qui surprend par
le contexte de survenue ou par son intensité. Les saignements surviennent spontanément ou sont hors de
proportion avec un traumatisme minime. Le tableau se caractérise par la survenue fréquente de
saignements cutanéo-muqueux extensifs alors que, dans l’hémophilie constitutionnelle, les hémarthroses
sont plus fréquentes. Les autres localisations sont les hématomes musculaires, les hémorragies post-
opératoires et les saignements viscéraux et rétro péritonéaux. Le pronostic vital peut être menacé par
l’intensité des saignements (épistaxis, hématuries et saignements gastro-intestinaux) ou par leur
localisation (hémorragie intracrânienne) (2, 3).
Facteurs favorisants et maladies associées
Dans la moitié des cas, aucun facteur favorisant ou maladie associée n’est retrouvé.
Dans les autres cas, l’hémophilie acquise survient dans un contexte obstétrical, ou est associée à une
pathologie sous-jacente ou à certains traitements.
9 Chez la femme jeune, l’hémophilie acquise est observée habituellement dans les mois qui suivent
l’accouchement (1 à 4 mois mais jusqu’à 1 an) ou plus rarement pendant la grossesse. Les anticorps
disparaissent de façon spontanée, en 30 mois en moyenne, et le pronostic est habituellement
favorable. Toutefois, une hémorragie intarissable de la délivrance nécessitant l’hystérectomie
d’hémostase peut compliquer le tableau dans de rares cas. Trois décès par hémorragie, toujours à
distance de l’accouchement (1, 5 et 36 mois), ont été rapportés dans une revue de la littérature portant
sur 51 patientes entre 1937 et 1993. Une autre revue, portant sur la période 1981-95, retrouve 14
patientes et aucun décès, ce qui témoigne probablement de la meilleure prise en charge de ces
situations dans la période plus récente. Bien que l’association entre hémophilie acquise et grossesse
soit classique, il est indispensable de dépister la survenue d’une maladie auto immune de type lupus
ou arthrite rhumatoïde, qui implique une prise en charge adaptée.
9 En dehors de la grossesse, chez des patients beaucoup plus âgés, les pathologies associées sont
des néoplasies (hémopathies lymphoïdes ou tumeurs solides) et des maladies auto-immunes
systémiques (lupus érythémateux disséminé, arthrite rhumatoïde, dermato-polymyosite, syndrome de
Sjögren, réaction du greffon contre l’hôte après transplantation allogénique de moelle) ou plus
rarement d’organe (myasthénie, Basedow, anémie hémolytique, SEP …). Contrairement aux anticorps
associés à la grossesse, les patients atteints d’une maladie auto-immune ont généralement un titre
élevé en inhibiteur et il n’y a pas de rémission spontanée. L’évolution parallèle de l’hémophilie
acquise et de la maladie auto-immune ou de l’hémopathie maligne est habituelle. L’évolution dans le
cas d’association aux tumeurs solides est plus controversée.
9 L’hémophilie acquise peut constituer une complication d’un traitement médicamenteux par
antibiotiques (pénicillines, sulphonamides, chloramphénicol), par anticonvulsivants (diphenyl
hydantoïne) et par interféron α et fludarabine. L’inhibiteur apparaît généralement après une réaction
d’hypersensibilité et disparaît de façon spontanée à l’arrêt du médicament.
Diagnostic biologique.
Le déficit en facteur est dépisté par l’allongement du temps de céphaline avec activateur (TCA), le temps
de Quick (TP) restant normal. Cet allongement conduit à la découverte d’un déficit isolé en facteur de
coagulation, généralement sévère (taux de facteur < 2 %), non corrigé par le mélange avec un plasma
témoin, évocateur de la présence d’un inhibiteur. Après élimination des diagnostics différentiels, le
biologiste procédera au titrage de l’inhibiteur, indispensable pour décider des modalités thérapeutiques et
suivre la réponse au traitement. Le résultat est exprimé en Unités Bethesda (UB), 1 UB étant, par
définition la quantité d’inhibiteur capable de neutraliser 50 % de l’activité du facteur de coagulation
considéré, présente dans 1 ml de plasma normal.
Que faire devant une hémorragie d’hémophilie acquise ?
La prise en charge thérapeutique comprend deux volets : le contrôle immédiat d’une saignement et
l’obtention rapide de la disparition de l’inhibiteur. Le principal facteur pronostic de décès par hémorragie
est en effet, avec l’âge, la durée pendant laquelle l’inhibiteur est présent et l’importance du titre. La
disparition spontanée de l’inhibiteur est possible, mais elle est difficile à prédire et tant que l’inhibiteur est
présent, un risque hémorragique et vital persiste. Le second volet sera traité par J Pourrat dans le chapitre
« Prise en charge thérapeutique et traitement de fonds ».
9 Devant un saignement ne menaçant pas le pronostic vital ou fonctionnel, par exemple des
ecchymoses extensives, un traitement hémostatique n’est pas nécessaire. Le risque de saignement grave
inopiné est toutefois important et le patient doit être hospitalisé pour le bilan diagnostic et la mise en
œuvre rapide du traitement de fonds. Il est également important, lorsque le diagnostic n’est pas encore
établi, d’éviter, comme chez l’hémophile constitutionnel, tout traitement pouvant favoriser un
saignement : AINS, voie intra-musculaire…
9 Devant un saignement grave, il convient de rétablir immédiatement l’hémostase. Le pronostic lié
au saignement est à pondérer par le pronostic lié à la pathologie sous-jacente qui contribue environ à la
moitié des décès observés. Bien que la mortalité liée au saignement semble avoir diminué au cours du
temps, elle reste supérieure à 5 % dans les dernières séries.
La gravité potentielle des complications, la difficulté et le coût élevé de la prise en charge justifient
l’hospitalisation en urgence, de préférence dans un centre ayant l’expérience de ces pathologies.
On peut classer les stratégies thérapeutiques selon 2 modalités, suivant l’intensité de l’inhibiteur titré en
UB:
Si l’inhibiteur est « faible » (en pratique, titre < 5 UB/mL), on tentera d’élever le taux de facteur
déficient par l’administration de facteur exogène. Le traitement nécessitera des doses du facteur
concerné très supérieures à celles nécessaire à la simple substitution telle qu’elle est réalisée chez un
hémophile constitutionnel non compliqué. Le taux de récupération du facteur transfusé et sa demi-vie
plasmatique sont imprédictibles. Ceci implique une surveillance étroite afin d’ajuster la posologie en
fonction de l’évolution clinique et des résultats biologiques. Dans le cas des anti-FVIII, si le titre est
très faible, la desmopressine (Minirin®) en administration intraveineuse (0,3 µg/kg) peut induire une
augmentation des taux en FVIII suffisante pour arrêter une hémorragie. Ceci est proposé dans des
situations où le saignement est peu inquiétant, mais l’utilisation de ce médicament ne doit pas retarder
l’instauration de traitements plus efficaces.
En cas d’échec ou d’emblée si le titre est 5 UB/mL, l’utilisation de concentrés en facteurs
« activés » s’impose : FVIIa recombinant (Novoseven®) ou complexe prothrombinique activé
(FEIBA®). Ces facteurs de coagulation activés, administrés à des doses élevée la thrombine par des
voies de coagulation non physiologiques, insensibles au facteur dont le déficit ne peut être compensé
(4). En cas de chirurgie programmée ou si les saignements ne répondent pas au traitement de première
intention, l’extraction rapide des auto-anticorps (plasmaphérèse et immunoabsorption) peut être
proposée de façon à ramener temporairement le titre à un taux inférieur à 5 UB et permettre un
traitement substitutif .
EN CONCLUSION, l’hémophilie acquise est une pathologie rare mais qui peut mettre en cause le
pronostic vital. Le diagnostic biologique est facile dans un laboratoire qui dispose des tests appropriés. La
prise en charge est multidisciplinaire et doit se faire en milieu spécialisé. Le traitement hémostatique est
assuré par l‘équipe spécialisée en Hémostase et le traitement de fond par l’équipe d’Immunopathologie.
La maladie reste néanmoins mal connue. Pour cette raison, une étude internationale de cohorte (étude
EACH : www.eachregistry.org) a été initiée. Tous les patients diagnostiqués d’hémophilie acquise sont
éligibles et il est important de rassembler les observations de ces pathologies rares mais graves pour
améliorer leur prise en charge thérapeutique.
Syndromes de Willebrand acquis
Les syndromes de Willebrand acquis sont rares (186 patients recensés dans un registre international
jusqu’en 2000), mais surtout non reconnu (5). Il est recommandé de continuer à enregistrer les cas de
syndrome de Willebrand acquis dans le registre international de l’ISTH : www.intreavws.com pour
contribuer à une meilleure connaissance de cette affection. L’incidence en Midi-Pyrénées, sur la base des
hospitalisations au CHU de Toulouse (6), est voisine de 1/an/million d’habitants.
La présentation clinique est celle d’une maladie de Willebrand constitutionnelle, survenant tardivement, à
un age moyen de 62 ans, chez un sujet jusque là sans antécédents de saignements. Il s’agit essentiellement
d’hémorragies cutaneo-muqueuses. La symptomatologie est assez souvent modérée, mais la maladie peut
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