Dossier. Le travail en chantier
permanente du travail. J’appartiens à l’Observatoire du stress de France
Telecom. Il y a une réelle volonté de mettre en situation d’insécurité les
salariés pour que ceux-ci soient ensuite plus réceptifs aux injonctions. Le
sentiment de bien-être dans son travail est considéré comme une défense
de pré carré. L’idée en vogue est d’obtenir la meilleure productivité en
déplaçant les gens, pour les empêcher de tomber dans une routine source
de mise à distance du travail. Il s’agit donc de les installer dans une préca-
rité subjective, en ne leur permettant pas de s’appuyer sur leur expérience,
sur des réseaux, suspectés d’être des réseaux de complaisance. Il faut main-
tenir une inquiétude pour que les personnes se mettent toujours en ques-
tion, avec la volonté d’atteindre les objectifs fixés. C’est une des raisons
pour lesquelles la hiérarchie change fréquemment. Elle ne peut donc pas
tisser de liens d’amitié. Les changements continus fragilisent le salarié, le
dépossèdent de ses modalités d’autoprotection.
Le travail est plus interactif, plus intellectuel, plus tertiaire. Avec l’infor-
matique, il devient un échange de données, en interaction avec autrui dans
les hôpitaux comme dans l’industrie. L’organisation taylorienne se
maintient à bien des égards, mais elle devient contre-productive car
elle exclut toute marge de manœuvre ou d’interprétation pour le
salarié. L’organisation devient alors hybride et paradoxale: d’un
côté, nous avons des objectifs quantitatifs, du reporting, de la tra-
çabilité, du taylorisme; de l’autre, c’est l’aptitude du salarié à
s’engager dans son travail lui-même qui est jugée. Cela fait écho
à la phrase de D. Lombard, PDG de France Telecom à propos
d’une réorganisation nécessaire après la vague de suicides dans
ce groupe: « Je peux relâcher la pression pendant deux mois.»
C’est bien la mise en évidence de l’idée que si les gens ne se sen-
tent pas en permanence acculés, ils ne sont pas efficaces.
Cette volonté de déstabiliser le salarié provoque une défiance à son
égard. La sécurisation des parcours suffira-t-elle à corriger ces effets néga-
tifs de l’organisation du travail ? Il faut mettre en question la nature de
l’organisation du travail. Face à l’instabilité du travail, la prise en charge
au niveau des droits sociaux est extrêmement importante. La formation
comme la reconversion sont essentielles.
N’oublions pas que parallèlement à cette précarité subjective que je
viens d’expliquer, il existe une précarité objective avec les contrats pré-
caires et les travailleurs pauvres.
L’autonomie des travailleurs serait-elle un leurre puisqu’ils sont
soumis à des pressions plus fortes de productivité, ou à des orga-
nisations du travail plus stressantes avec les NTIC?
L’autonomie des salariés est un piège pour les salariés car ils n’ont pas
les moyens d’y arriver. Pourtant, ils sont responsables de la qualité de ce
qu’ils font et de la quantité de ce qu’ils produisent. Ils ne peuvent pas
négocier alors que les équipes sont mal formées et les objectifs inattei-
gnables. On les exhorte à réussir en leur demandant de se débrouiller. Et
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Il y a une réelle
volonté de mettre
en situation
d’insécurité les salariés
pour que ceux-ci soient
ensuite plus réceptifs
aux injonctions.
Le sentiment
de bien-être dans son
travail est considéré
comme une défense
de pré carré.