L`urgence d`une réforme est manifeste

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Finances
William Le Bellec
L’urgence d’une réforme
est manifeste
La Constitution française est claire ! L’État doit assumer l’égalité des
citoyens quel que soit le point du territoire où ils vivent et quelles que
soient leurs ressources. Le rôle des pouvoirs publics est donc déterminant.
C
’est le choix qui a été fait
en 1946 avec la création des
services publics locaux, des
grandes entreprises publiques
et l’instauration de la sécurité sociale.
Or, dans les communes accueillant les
familles les plus fragiles, l’aggravation
des situations pèse lourd sur les
budgets : 60 % des salariés, tous
secteurs confondus, gagnent moins
de 1 600 euros nets par mois, 47 % des
familles monoparentales ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté.
En effet, les charges liées au logement
- augmentation des loyers, mais aussi
coût de l’énergie - absorbent bien
au-delà des 30 % des ressources des
foyers. Les communes et les conseils
généraux sont donc de plus en plus
sollicités pour aider, au titre de l’aide
sociale, à passer les caps difficiles.
Parallèlement, les prix des services
Les moyens ont fondu
petit à petit
Propositions
■ Réhabiliter l’impôt sur le revenu :
■ Changer la logique des aides
le seul qui tienne compte des
avec un contrôle public et social.
ressources réelles en rejetant les
déclarations laissant croire que
■ Contrôler les exonérations.
■ Supprimer l’allégement transitoire
l’allégement de l’impôt sur le revenu
de 16 % des bases qui n’a plus de
dégagerait des ressources pour
raison d’être, les charges sociales
l’investissement économique et
n’étant plus dans l’assiette de
la création d’emploi.
l’imposition.
■ Moderniser la taxe professionnelle
■ Supprimer le plafonnement
en intégrant dans son assiette
de la taxe professionnelle.
les actifs immatériels et les actifs
■ Rendre juste l’impôt local car il
financiers. Eu égard aux sommes qui
n’intègre pas la situation financière
peuvent être taxées, en appliquant un
de ceux qui doivent le payer. Pendant
taux plus que modeste de 0,5 %, ce
la période du gouvernement Jospin,
sont entre 15 et 18 milliards d’euros
certaines mesures ont été prises pour
de recettes supplémentaires qui
la taxe d’habitation, intégrant des
pourraient être disponibles pour les
exonérations ou des plafonnements
collectivités territoriales (soit 175
de l’impôt en fonction des ressources
à 300 euros par habitant). Ce produit
du foyer fiscal concerné.
pourrait être reversé intégralement
■ Améliorer également ce dispositif
aux communes, selon des critères
pour l’étendre au foncier.
de péréquation comme le nombre
■ Augmenter la dotation globale
d’habitants et les besoins sociaux.
en la modulant sur le PIB.
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mis à leur disposition doivent tenir
compte de leurs capacités contributives.
Ainsi, les collectivités locales souffrent directement de cette aggravation
des conditions de vie qui touche la
grande majorité de la population. Et
quand elles ont des quartiers en Zus,
(zone urbaine sensible) ou en Z FU ,
(zone franche urbaine), les choses
s’aggravent.
Quant aux moyens permettant aux
collectivités ou aux associations de
mener des actions sur le terrain pour
accompagner toutes ces familles et les
aider à retrouver un emploi, à être
capables de se mobiliser pour accompagner leurs enfants dans leur développement, ils ont peu à peu fondu ! Les
transferts opérés depuis la loi relative
aux libertés et responsabilités locales
pèsent lourdement sur leur budget.
Les villes sont face à des dépenses
obligatoires pour lesquelles elles n’ont
qu’à appliquer des choix décidés par le
gouvernement. En clair, elles deviennent de plus en plus les sous-traitantes
de l’État !
Dans le même temps, le gouvernement exige qu’elles contribuent à la
réduction du déficit public. Elles le font
puisque, chaque année, elles votent
leur budget en équilibre ; de plus, la
fiscalité locale est restée relativement
stable : elle pesait 5,5 % en 1997 dans
les prélèvements obligatoires, elle est
de 5,7 % aujourd’hui.
Elles représentent un poids économique non négligeable puisqu’elles
réalisent plus de 70 % des investisse-
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ments publics, soit quatre fois plus que
l’État : 48,6 milliards d’euros environ
pour 2006. Mais si elles sont obligées
aujourd’hui d’augmenter les impôts
acquittés par les ménages, c’est la
conséquence des choix qu’on leur
impose ! Le leitmotiv de l’État s’inscrit
dans un seul but : celui de réduire la
dépense publique. Or, cette dernière n’a
rien de répréhensible dès lors qu’elle
répond aux attentes légitimes de
la population, qu’elle contribue au
développement économique de nos
territoires et qu’elle participe à l’aménagement du territoire, et cela dans
l’intérêt général.
Un poids économique
non négligeable
L’urgence d’une réforme de la fiscalité locale est manifeste ! Il faut dès à
présent prendre d’autres mesures pour
des priorités majeures : moderniser la
taxe professionnelle et alléger les
impôts des ménages, qui deviennent
insupportables. « La prochaine asphyxie des finances communales a pour
principale raison le fait que lorsque
l’économie était agricole, la richesse et
la fiscalité étaient basées sur le foncier ;
lorsque l’économie est devenue industrielle, la richesse était fondée sur le
travail et le capital, et la fiscalité aussi.
L’économie est devenue principalement
aujourd’hui une économie de services
et financière. Or, cette sphère est notoirement sous-fiscalisée. » (Jean-Pierre
Delevoye, alors président de l’AMF, en
1995 lors du congrès des maires de
France). Il y a aujourd’hui huit fois
plus d’argent dans la sphère financière
que dans la sphère productive. Les
actifs financiers représentent cinq fois
le budget de la nation, soit 5 000
milliards d’euros. La réforme fiscale
serait une façon de réduire le poids de
la pression fiscale sur les ménages en
les intégrant dans la base de la taxe
professionnelle. Une taxation modeste
ne ferait que diminuer un peu l’inégalité des entreprises face à l’impôt,
notamment à la taxe professionnelle.
Cette recette nouvelle pourrait servir
uniquement à la péréquation (mécanisme de redistribution qui vise à réduire les écarts de richesse, et donc les
inégalités entre les différentes collectivités territoriales). ■
À propos de la dette!
L
e spectre de la dette publique est
régulièrement agité, et son montant important est sans cesse mis
en exergue, à hauteur de 17 000 euros
par habitant de notre pays. Il conviendrait pourtant de rapprocher ce montant du revenu fiscal annuel moyen des
ménages - 16 827 euros pour 2005 - ou
du fait que l’endettement privé des
ménages, tout aussi préoccupant, si ce
n’est plus, est passé depuis 2002 d’un
peu plus de quatre années de revenu
disponible à quatre années et demie.
Reste que cette dette publique a
permis, au fil du temps, de constituer
un patrimoine public important, allant
de notre réseau routier ou ferré à nos
grandes infrastructures publiques, en
passant par nos écoles primaires, nos
stades ou encore nos grands équipements culturels.
La France connaît un déficit
budgétaire depuis 1974 !
Ce déficit s’est largement accru à
compter du milieu des années quatrevingts et a connu une expansion
spectaculaire dès lors que les choix
fiscaux opérés au plus haut niveau ont
été des choix d’allégement de la contribution des entreprises au financement
de la dépense publique et de la solidarité nationale.
Ainsi, depuis 1985, l’impôt sur les
sociétés a été peu à peu ramené de
50 % à 33,33 % pour le taux normal
tandis que de nombreuses dispositions
dérogatoires ont été progressivement
ajoutées au cadre législatif de cet
impôt. Dans le même ordre d’idée, la
taxe professionnelle a connu deux
réformes essentielles, l’une consistant
à réduire de 16 % la base d’imposition,
l’autre, à compter de 1999, visant à
faire disparaître la part taxable des
salaires de cette même base d’imposition. À l’arrivée, la seule baisse du taux
de l’impôt sur les sociétés représente,
depuis 1985, 230 milliards d’euros de
moins-values fiscales pour l’État, soit le
quart de la dette publique négociable
actuelle, et correspond pratiquement à
cinq années de déficit budgétaire.
L’allégement de la taxe professionnelle
représente près de 120 milliards d’euros pour l’État, ce coût intégrant les
apports respectifs de l’allégement initial, de la suppression de la part taxable
des salaires et, surtout, les effets du plafonnement à la valeur ajoutée. Au cœur
du débat sur la dépense publique, on
notera que les dépenses liées aux
exonérations sont passées de 6 milliards de francs en 1992 à près de
26 milliards d’euros en 2005.
Les dépenses de l’État
ont explosé en quinze ans
En d’autres termes, l’État dépense
aujourd’hui vingt-cinq fois plus qu’il y
a quinze ans. Et tout cela pour un résultat qui laisse perplexe ! La croissance
économique est molle : elle dépasse de
plus en plus rarement les 2 %. Nous
assistons à des dénationalisations et
des délocalisations industrielles.
Le niveau de l’emploi est pour le
moins incertain : l’économie française
n’a créé que deux millions d’emplois
dans le secteur marchand depuis vingt
ans et l’industrie compte aujourd’hui
moins de salariés qu’en 1970, ce qui se
traduit par la persistance d’un niveau
de chômage élevé. La seule certitude,
en revanche, c’est que les capacités
financières des entreprises se sont
améliorées.
En effet, si le niveau des salaires et
des cotisations sociales n’a pas varié au
sein de la valeur ajoutée depuis une
quinzaine d’années - il se fixe d’ailleurs
à un niveau inférieur à celui de 1970 -,
l’excédent brut d’exploitation n’a pas
cessé de croître. Il dépasse depuis
longtemps les 30 % de la valeur ajoutée
et les sommes sont en grande partie utilisées pour alimenter la rémunération
du capital.
Ainsi, les déficits publics trouvent
donc essentiellement leur origine
dans les moins-values de recettes et
les dépenses « obligées » que l’État a
décidé de supporter. Quand on favorise
la création d’emplois sous-rémunérés,
aux qualifications non reconnues, on
se prive des ressources découlant
naturellement d’un plus haut niveau de
validation du travail salarié.
En réalité, les politiques de déflation
salariale n’ont pas permis, loin de là, à
la France d’éviter la progression de la
dette, ni celle des déficits. Elles ont sans
doute même contribué à les encourager, ce qui est le contraire des objectifs
fixés ! ■
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Le point sur… la TVA sociale
C
e projet consiste à transférer sur
la TVA une partie du financement
de la sécurité sociale. Pour ce
faire, les cotisations sociales patronales
seraient allégées et la TVA relevée. Plusieurs scénarios peuvent être envisagés
selon le principe des vases communicants : plus la baisse des cotisations est
forte et plus le relèvement de la TVA est
important ! Il existe deux taux principaux en matière de TVA : le taux réduit
(5,5 %) et le taux normal (19,6 %).
Le rendement de la T VA est élevé :
51 % des recettes fiscales de l’État en
2007 (soit près de 133 milliards
d’euros). Au demeurant « indolore »,
la TVA pèse plus lourdement dans le
budget des ménages modestes que
dans celui des ménages les plus riches.
Et les faits sont là : les 10 % des
ménages les moins riches consacrent
8,1 % de leur revenu à la TVA contre
3,4 % pour les 10 % les plus riches.
Deux raisons principales sont
avancées pour justifier un tel transfert.
L’une consiste à mettre en avant le
caractère universel de la sécurité
sociale (notamment des branches
« famille » et « maladie ») et donc à
promouvoir une participation de
l’ensemble des richesses (et pas
seulement des revenus du travail) à
leur financement. C’est la logique qui a
prévalu à la mise en place de la Contribution sociale généralisée (CSG) même
si la majeure partie de la CSG provient
en réalité des revenus du travail.
L’autre consiste à défendre la compétitivité de l’économie. Les promoteurs de
cette réforme mettent en avant les
effets qui découleraient, selon eux,
d’une TVA sociale : l’allégement du coût
du travail favoriserait la création
d’emplois et la compétitivité des entreprises, la taxation supplémentaire à
l’importation devant ériger une forme
de barrière protectionniste.
Or, le scénario attendu par les
tenants d’une TVA sociale est particulièrement « vertueux » ! : toutes les entreprises répercuteraient la baisse du coût
du travail, la diminution des prix hors
taxe ainsi obtenue compensant la
hausse des taux de sorte que le prix de
vente n’augmenterait pas. Par la suite,
cette diminution des prix hors taxes
rendrait les produits français plus
compétitifs à l’importation, surtout au
regard des produits importés soumis,
eux, à la TVA.
Vers une augmentation
des prix de vente
Mais les incertitudes qui pèsent sur
les implications réelles d’une hausse de
la TVA sont d’une autre nature ! Une
répercussion partielle, voire nulle, de
la diminution des prix hors taxes
provoquerait une hausse des prix à la
consommation correspondant peu ou
prou à celle de la TVA. Cette absence de
répercussion peut avoir des causes
En savoir plus
■ Qu’est-ce que la taxe
s’est considérablement élargi tandis
professionnelle ?
que, dans le même temps, celui de
Elle fait partie des impôts directs
l’État rétrécissait. La TP représente
locaux qui ont succédé aux
la principale source fiscale des
contributions directes mises en place
collectivités locales (près de
au lendemain de la Révolution
25 milliards d’euros de recettes).
de 1789 (« les quatre vieilles »).
Pourtant, actuellement, elle ne
Le paysage est certes différent
frappe que 2,7 millions de redevables
aujourd’hui et la vague
sur un champ d’application théorique
décentralisatrice donne une
de 3,6 millions. Un tiers des
dimension tout à fait particulière au
redevables potentiels sont, en effet,
financement des collectivités locales
exonérés de taxe professionnelle
dont le champ de compétences
ou relèvent de règles dérogatoires.
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diverses : hausse du taux de marge des
entreprises correspondant à tout ou
partie de la baisse du coût du travail et,
dans certains cas, rémunération du
travail déjà allégée du fait des exonérations existantes rendant impossible
une répercussion de la baisse des
cotisations patronales.
Du reste, les bénéficiaires des allégements de cotisations ne pourraient plus
bénéficier de cet avantage comparatif
par rapport à leurs concurrents. C’est
notamment le cas de certaines industries pour qui l’instauration d’une TVA
sociale se traduirait par une augmentation des prix de vente et donc par une
perte de compétitivité. On remarquera
également que, les importations étant
soumises à TVA, les prix des produits
importés seraient augmentés.
Enfin, en théorie, une telle hausse ne
doit pas entraîner d’effets inflationnistes qui, s’ils se produisaient,
annuleraient les effets recherchés
et encourageraient une substitution
capital/travail au détriment de l’emploi. Signalons enfin que la concurrence fiscale européenne conduirait les
autres pays à suivre le mouvement, ce
qui annulerait les bénéfices attendus et
aggraverait un peu plus le déséquilibre
des systèmes fiscaux et sociaux.
L’imposition supplémentaire
de la consommation
On assisterait dans les faits à une
imposition supplémentaire de la
consommation, donc à une baisse du
pouvoir d’achat des ménages. Une
hausse de la TVA revient en fait à imposer davantage le travail puisque la
consommation procède, pour l’essentiel, de l’utilisation des revenus du
travail.
L’élargissement du financement de la
sécurité sociale est légitime dans son
principe : l’universalité doit en effet
reposer sur une participation de
l’ensemble des richesses. Mais il n’existe
pas d’assiette miracle.
Reste qu’une TVA sociale déséquilibrerait davantage le système fiscal et se
retournerait contre les ménages.
A contrario de ce choix politique,
d’autres pistes pour l’évolution légitime et lisible du financement de la
sécurité sociale pourraient être mises
en place : c’est le cas d’un élargissement des cotisations sociales à la valeur
ajoutée et d’une CSG plus juste, donc
progressive ! ■
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Pour une autre réforme
de la taxe professionnelle!
P
roposition de loi des parlementaires communistes « tendant à
l’imposition des actifs financiers
au titre de la taxe professionnelle ».
Les lois de décentralisation ont marqué, à partir de 1982, une profonde
évolution du rôle des collectivités qui
s’exprime à travers la montée en
puissance de la fiscalité directe et
indirecte locale dont le produit est
essentiel dans le système fiscal et social
et mobilise l’intervention citoyenne. On
ne peut donc en rester à une réforme à
moyens constants au moment où des
exigences nouvelles se font jour pour
de nombreuses collectivités. Ce prélèvement sur les actifs financiers des
entreprises pourrait alimenter en
ressources l’ensemble des collectivités.
Celles-ci sont aujourd’hui confrontées à un triple défi : le tout premier,
celui de « réparation sociale » avec l’explosion des dépenses d’action sociale et
d’insertion ; un défi d’impulsion économique dans la mesure où les dépenses
de fonctionnement et d’investissement
des collectivités ont un incontestable
effet d’entraînement sur l’activité économique. L’argent des communes ne
dort pas. Il est remis la plupart du
temps à 100 % en circulation au moyen
de l’investissement direct ou de la
distribution de pouvoir d’achat ; enfin,
en stimulant l’emploi. À l’évidence, les
collectivités n’administrent pas l’économie et encore moins les entreprises,
mais le droit - constitutionnel - à l’emploi leur confère une responsabilité
particulière. Les collectivités locales
n’administrent-elles pas les dégâts
sociaux résultant des gestions des
groupes, ceux causés par les plans dits
sociaux de licenciement par exemple ?
Comment pourrait-on
relever ces défis ?
À de multiples reprises, les rapports
entre État et collectivités locales ont été
marqués par des tensions, notamment
à propos des dotations budgétaires ou
encore de l’application des règles de la
fiscalité locale. Ce dialogue difficile
entre État et collectivités a fini
d’ailleurs par occulter deux débats
essentiels : les moyens des collectivités
locales ne sont pas uniquement mal
répartis, ils sont avant tout globalement
insuffisants ; l’impôt local ne constitue
pas exclusivement une source de financement des besoins, il est également un
outil d’efficacité économique.
Avec l’élargissement que proposent
les parlementaires communistes, la
taxe professionnelle peut constituer un
impôt incitant à l’efficacité et à la
productivité du capital. Le développement des alliances industrielles et
capitalistes, la valorisation boursière
continue de la plupart des grandes
entreprises, l’intégration renforcée de
nombre de petites et moyennes entreprises, les exportations de capitaux se
sont faites au prix de gains de productivité du travail considérables, d’une
réduction de la part des salaires dans la
valeur ajoutée, mais aussi d’un gonflement sans précédent de la masse de
capitaux proprement financiers placés
et détenus par les entreprises. L’Insee
évalue le montant de capitaux financiers à quelque 26 000 milliards, soit
deux fois et demi le montant des capitaux matériels qu’elles détiennent sous
forme de machines et d’équipement.
Mais quelle est la productivité
de ce capital ?
Il faut donc prendre la mesure de
cette réalité économique en incluant
cette masse d’actifs financiers (multipliée par cent depuis 1970) dans
l’assiette de la taxe professionnelle.
L’Association des maires de France ne
dénonce-t-elle pas « la sous-fiscalisation de la richesse financière » ? Il s’agit
En savoir plus
■ Si l’on taxe les actifs financiers
(liquidités, créances clients, prêts…)
à hauteur de 0,3 %, le produit
capitaux dits « immatériels »
escompté est d’environ 10,7 milliards
ou « incorporels » (brevets, fonds
d’euros ; à 0,5 %, le produit escompté
de commerce…).
est d’environ 17,8 milliards d’euros.
On dispose de deux types
Ce qui donne par habitant, en
d’estimation du total des actifs
moyenne, entre 178 et 297 euros.
financiers des entreprises situées
Donc, pour une ville de 50 000
en France : l’une est établie par la
habitants, une recette fiscale
comptabilité dite nationale et figure
supplémentaire de 58,5 à
dans les Comptes de la Nation, à la
97,5 millions d’euros. La modulation
partie comptes de patrimoine1. Elle
de la répartition du produit en
est le résultat d’estimations diverses,
fonction de critères sociaux ferait
parfois indirectes, mais basées sur
que les villes qui ont plus de
un certain nombre d’hypothèses
chômeurs et de besoins sociaux
qui peuvent être mises en cause,
toucheraient un produit plus élevé.
notamment concernant l’évolution
■ Définition : les actifs financiers
du prix des actions non cotées en
d’une entreprise représentent
bourse. L’autre se base sur la
la partie de son stock de capitaux
compilation directe des comptabilités
investie en placements financiers,
d’entreprise et est publiée dans
figurant à l’actif de son bilan
l’annuaire Statistique de la France2.
comptable. Le reste du capital
Son principal intérêt est qu’elle
est investi en capitaux matériels
correspond aux chiffres disponibles
fixes (immeubles machines…)
entreprise par entreprise. Mais elle
et capitaux circulants : matériels
utilise les montants dépensés à la
(stock de marchandises, de produits
date d’achat, donc non actualisés.
intermédiaires, de matières
1/ Comptes de la Nation, 2003,
Insee Résultats, série économie, n° 14.
2/Édition 2004, Insee, cf. p. 437.
premières…) et non matériels
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En savoir plus
■ La taxe d’habitation est perçue
affectés à l’agriculture (terres,
au profit des collectivités territoriales.
pâtures, bois…) et aux terrains à
Sa base d’imposition est calculée
bâtir. La taxe foncière est calculée
d’après l’évaluation cadastrale des
en multipliant le revenu cadastral
locaux considérés. S’il s’agit de la
par les taux fixés par les collectivités.
résidence principale du contribuable,
Le revenu cadastral sert donc
cette base d’imposition est diminuée
de base d’imposition. Il est obtenu
d’un abattement obligatoire pour
en appliquant à la valeur locative
charges de familles (10 % pour les
cadastrale un abattement de 50 %
deux premières personnes à charge
pour un bien bâti et de 80 % pour
pouvant être portés à 15 % ou 20 %
une propriété non bâtie. Ce montant
par les collectivités, 15 % pour
sert à couvrir les frais d’entretien,
les personnes suivantes pouvant
d’assurance, d’amortissement
être portés à 20 % ou 25 % par les
et de gestion du bien considéré.
collectivités) ; d’un abattement
■ La taxe d’enlèvement des ordures
général facultatif dont le taux varie
ménagères est un impôt direct
selon les communes (5,10 ou 15 %) ;
prélevé pour financer la collecte des
d’un abattement facultatif pour les
déchets. Elle est réclamée sur le
personnes de condition modeste
même avis d’imposition que les taxes
dont le revenu n’excède pas une
foncières. Dans le cas d’institution de
certaine somme. Son taux est de
la TEOM, il est obligatoire de mettre en
5,10 ou 15 % selon les communes.
place une redevance spéciale article
■ La taxe foncière est un impôt local
L.2333-78 du Code général des
dû tous les ans par le propriétaire
collectivités territoriales, applicable
d’un bien immobilier. Il existe trois
aux activités (industries, artisans,
impôts différents : la taxe foncière sur
commerçants et autres). C’est une
les propriétés bâties (TFPB), la taxe
taxe facultative, c’est-à-dire que
foncière sur les propriétés non bâties
la commune n’est pas obligée de
(TFPNB) et la taxe d’enlèvement des
l’instituer. Les collectivités votent
ordures ménagères (TEOM). Ces taxes
le taux applicable sur leur territoire
contribuent à la composition des
pour l’année. Il est possible de
ressources fiscales des communes,
définir des zones sur lesquelles
départements, régions ou
s’appliqueront des taux différents
groupements de communes (EPCI).
pour tenir compte des différences
Elle est fixée par les collectivités
dans le service rendu (par exemple,
territoriales dont dépend la
un ramassage hebdomadaire au lieu
construction imposable. Le taux
d’un ramassage quotidien donnera
d’imposition n’est donc pas le même
lieu à application d’un taux inférieur).
selon que vous vivez en Bretagne
Si les locaux non desservis par le
ou en Alsace. Sont imposées les
service d’enlèvement sont exonérés
propriétés bâties situées en France,
de la taxe, les collectivités
c’est-à-dire les constructions qui
territoriales concernées peuvent
reposent sur des fondations, fixées
prendre une délibération contraire.
au sol à perpétuelle demeure et qui
La taxe est réclamée au redevable
présentent le caractère de véritables
de la taxe foncière, en général le
bâtiments (maison, hangar, atelier…),
propriétaire. C’est un impôt que les
et leurs dépendances (parking,
propriétaires ont la possibilité de
cour…) ; les terrains non construits
reporter dans les charges locatives
(TFPNB). Elle s’applique aux terrains
réclamées aux locataires.
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de faire participer ces capitaux au
financement normal des dépenses
publiques. Cela revient à rendre légèrement coûteuse leur détention en leur
appliquant un taux de 0,3 % prélevé au
niveau national et redistribué à toutes
les collectivités locales via un fonds
de péréquation et de répartition sur
critères. Cela rendrait la taxe professionnelle plus sélective en incitant les
entreprises à rechercher une croissance
réelle et non financière : une entreprise
diminuant ses placements financiers
verrait sa taxe professionnelle diminuer
(sans compter la baisse due à la réforme de la partie « salaire ») alors qu’une
entreprise faisant plus de placements
financiers y regarderait à deux fois car
elle supporterait un surcoût. Encore
faut-il remarquer qu’un surcoût ne
serait sensible pour la valeur ajoutée
des entreprises que pour celles, très
grandes, qui, en accroissant leurs placements financiers, n’augmentent pas
suffisamment leur valeur ajoutée.
Faire participer les capitaux
aux dépenses publiques
Cette réforme pousserait les entreprises à se sortir du piège des marchés
financiers, à se désintoxiquer. Elle ne
pèserait pas sur la masse considérable
des 1,5 à 2 millions de petites entreprises n’ayant pas, ou extrêmement
peu, de placements financiers. On
peut même supposer que les collectivités seraient incitées à alléger leur
imposition. Après une taxe professionnelle à deux leviers, prélèvement national sur les actifs financiers et prélèvement sur les actifs matériels, les
communes retrouveraient des marges
d’action pour baisser le taux local
permettant éventuellement de renforcer le basculement de l’investissement
financier vers l’investissement productif et immatériel (recherche et développement, dépenses et développement
humain, de formation et de rémunération). Il s’agit, en accroissant les
recettes des collectivités territoriales
à travers le fonds de péréquation et de
répartition du prélèvement sur les
actifs financiers (de 50 à 70 milliards
de francs à comparer avec l’existant)
de réduire considérablement les problèmes d’inégalité de richesse des communes et de contributivité des différents secteurs d’activité, en rétablissant
par là même l’égalité des entreprises
devant l’impôt. ■
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QUESTIONS
A
s’agisse de l’enseignant de nos enfants, de l’îlotier de la
police nationale ou du cantonnier de l’Équipement dont
les postes sont peu à peu supprimés au nom de cette
priorité érigée en dogme par l’actuel gouvernement.
F
ace à ces choix, y a-t-il
d’autres possibilités d’action ?
Marie-France Beaufils
sénatrice-maire de Saint-Pierre-des-Corps (37)
C
omment jugez-vous
les différentes lois de finances durant
les dernières législatures ?
S’il fallait retenir quelques décisions marquantes, nul
doute que ressortirait entre toutes la décentralisation
qui, de fait, n’est que l’abandon de missions d’État et
leur transfert vers les collectivités territoriales.
De même, l’ensemble des mesures qui, au motif de
réduire les impôts, n’ont fait que conforter le poids de
la fiscalité indirecte au détriment de l’impôt progressif.
Ainsi, les politiques publiques sont devenues, pour
l’essentiel, de simples politiques d’accompagnement
des choix de gestion des entreprises, et plus précisément des plus grandes d’entre elles, parfois et même
assez souvent en concurrence directe avec les choix
opérés par les plus petites.
Ces politiques d’accompagnement ont des traductions diverses, privilégiant en de nombreux domaines
une incitation fiscale moins transparente à la dépense
publique directe. Les choix opérés depuis 2002 sont
significatifs ou, plus prosaïquement, la suppression de
la dépense publique elle-même en décidant, d’une
certaine manière, que ce n’est pas ou plus à l’État de
prendre en charge tel ou tel champ de l’action
publique. Tout a consisté, depuis 2002, à assujettir la
politique budgétaire de la nation aux seuls impératifs
de rentabilité des capitaux, aux seuls intérêts des
détenteurs de patrimoines constitués sur le dos des
salariés. Ce sont tout de même plus ou moins 40
milliards d’euros que nous devons verser chaque
année à ces créanciers et il suffit d’un nouveau
relèvement des taux par la banque centrale européenne pour ajouter encore à la facture !
Cela se fait toujours au détriment de la dépense
publique, des services publics, traduction concrète de
la présence de l’État dans la vie quotidienne, qu’il
Soit l’on opte pour une politique publique faisant
naturellement confiance aux acteurs de la vie
économique et sociale, et le plus souvent au
« marché » considéré comme « régulateur », soit
l’on opte pour une intervention publique multiforme
susceptible de corriger les distorsions existantes au
principe fondamental d’égalité entre les citoyens et
les territoires où ils vivent.
L
es élus communistes et républicains
proposent une autre réforme fiscale
et une refonte de l’action et de la dépense
publiques !
L’impôt sur le revenu doit être réformé, oui, pour être
plus efficace et éviter notamment, comme nous le
voyons aujourd’hui, que le traitement de faveur accordé aux revenus du capital et du patrimoine
devienne un obstacle à l’égalité de tous devant
l’impôt. Celui sur les sociétés doit être réformé, oui,
pour que les plus petites entreprises soient enfin
traitées à l’égal des plus grandes, passées maîtres
dans l’art de tirer parti de l’ensemble des dispositifs
d’incitation et d’optimisation dont est truffée, sans
véritable évaluation, notre législation ! L’impôt sur le
patrimoine, quelle que soit sa forme (ISF, droits de
mutation, de succession, plus-values de cession) doit
être réformé pour devenir plus juste et plus respectueux de la réalité de la fortune accumulée par
quelques-uns au détriment du plus grand nombre. La
valeur d’un patrimoine mobilier, ne l’oublions jamais,
est toujours la résultante de l’accumulation du travail
salarié dans les mains du détenteur de ce patrimoine.
Que, d’une manière ou d’une autre, ce patrimoine
revienne à la collectivité n’est finalement que l’expression de la plus élémentaire justice. La fiscalité indirecte doit être réformée, oui, que ce soit la TVA comme la
taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) parce
qu’elles pèsent lourdement sur les foyers les plus
modestes.
La fiscalité locale doit être réformée, oui, et cela
passe notamment par une taxe professionnelle
rénovée prenant en compte la réalité de la situation
économique depuis sa création, ce qui offrirait de
nouveaux moyens d’intervention pour les collectivités
territoriales.
330 L’ÉLU D’AUJOURD’HUI • 15
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