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Objectif Coeur 35 décembre 2012
DOSSIER RECHERCHE
chirurgie de la valve
aortique
Dr Pierre Stenier
Journaliste
Les techniques dans le domaine
de la chirurgie cardiaque évo-
luent sans cesse. Avant d’être
appliquées à l’être humain, elles
font lobjet d’études expérimen-
tales. Nous avons rencontré le
Docteur Laurent de Kerchove du
service de chirurgie cardiaque des
Cliniques Universitaires Saint-Luc
de Bruxelles, responsable d’une
recherche soutenue par le Fonds
pour la Chirurgie Cardiaque sur une
nouvelle technique de réparation
de la valve aortique.
Pour bien situer le problème, on rap-
pellera que les valves cardiaques sont
des structures anatomiques séparant
les différentes cavités du coeur. Elles
sont constituées de deux ou trois
feuillets insérés sur une structure de
base fibreuse (anneau), soutenus eux-
mêmes par des cordages, sortes de
haubans, pour deux des quatre valves
cardiaques. Ces valves s’ouvrent et se
ferment de manière passive à chaque
battement du cœur, évitant les reflux
lors des remplissages et vidanges des
cavités cardiaques.
Les quatre valves cardiaques sont: la
valve tricuspide située entre l’oreil-
lette droite et le ventricule droit, la
valve pulmonaire entre le ventricule
droit et l’artère pulmonaire, la valve
mitrale sépare l’oreillette gauche du
ventricule gauche et la valve aortique
le ventricule gauche de l’artère aorte.
Les valves cardiaques peuvent être
le siège de diverses maladies à l’ori-
gine de dysfonctionnements pouvant
conduire à une défaillance grave du
muscle cardiaque, potentiellement
mortelle. En fait, on distingue deux
types de dysfonctionnement valvu-
laire: la valve ne s'ouvre pas correcte-
ment, on parle alors de rétrécissement
ou sténose; à l’inverse elle ne se ferme
pas correctement, on parle alors d'in-
suffisance ou fuite. Ce sont des patho-
logies relativement fréquentes qui
atteignent le plus souvent les valves
aortiques et mitrales.
Objectif Coeur. Docteur de
Kerchove, votre recherche porte
sur l’insuffisance de la valve aor-
tique: pouvez-vous nous donner
quelques explications sur cette
pathologie cardiaque?
Dr Laurent de Kerchove. L’insuffisance
aortique résulte de la fermeture incom-
plète de la valve aortique entraînant un
reflux de sang de l’aorte dans le ventri-
cule gauche au moment de la diastole
(quand le cœur se remplit). Ce retour
dans le ventricule gauche d’une cer-
taine quantité de sang qui devrait nor-
malement être envoyée à la périphérie,
entraîne une surcharge de travail pour
le cœur et provoque une dilatation et
une hypertrophie du ventricule gauche.
Il arrive un moment les facultés
d’adaptation de ce ventricule sont
dépassées. Le débit cardiaque diminue
et des signes cliniques d’insuffisance
cardiaque apparaissent, d’abord à
l’effort et ensuite au repos : essouffle-
ment, palpitations, syncopes… Divers
examens permettent de juger de la
gravité de la situation, parmi lesquels
l’échographie qui s’avère une méthode
de choix et dont les techniques se sont
considérablement améliorées ces der-
nières années.
O.C. Quelles sont les causes de
l’insuffisance aortique ?
Dr LdK. Tout d’abord il faut savoir que
l’insuffisance aortique est beaucoup
moins fréquente que la sténose aor-
tique. On peut schématiser la sténose
aortique comme étant une maladie de
la personne âgée et l’insuffisance aor-
tique comme une maladie de la per-
sonne jeune, même si des exceptions
existent. Parmi les causes les plus
fréquentes d’insuffisance aortique on
retrouve la bicuspidie aortique qui est
une maladie congénitale la valve
aortique a deux feuillets au lieu de
RÉPARATION DE LA VALVE AORTIQUE
une nouvelle technique chirurgicale
1chute d'un organe, d'une partie d'organe ou d'un tissu par suite du relâchement de ses moyens de fixation.
Objectif Coeur 35 décembre 2012
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trois. Une autre cause fréquente est
la dégénérescence des tissus entraî-
nant un prolapsus1 d’un des feuillets
de la valve ou encore un anévrisme
de la partie initiale de l’aorte qui a
pour conséquence un écartement de
ces feuillets. Une dégénérescence
des tissus peut apparaître plus rapi-
dement durant la vie en cas d’anoma-
lie congénitale fragilisant les tissus.
C’est le cas de la maladie anévrismale
de l’aorte dite familiale ou de mala-
dies plus rares comme les maladies
de Marfan et d'Ehlers-Danlos, qui
peuvent provoquer un anévrisme de
l’aorte dès le jeune âge. Les infections
de la valve aortique (endocardites
infectieuses) et les dissections de la
partie initiale de l’aorte sont d’autres
causes d’insuffisance aortique dont le
pronostic est plus sévère vu la gravité
de l’affection.
O.C. Quelle est la place de la
chirurgie cardiaque dans
l’insuffisance aortique ?
Dr LdK. Lorsque la maladie est encore
à un stade asymptomatique ou ne se
manifeste que par des symptômes
légers peu spécifiques, l'insuffisance
aortique peut être détectée lors d’une
simple consultation ou lors d’un
examen effectué dans le cadre de la
médecine du travail. Dans ce cas, on
se contente d’un traitement médi-
cal accompagné d’une surveillance
régulière.
On a cependant tendance actuellement
à intervenir chirurgicalement plus pré-
cocement que par le passé, avant que
n’apparaissent des signes évidents de
mauvais fonctionnement du ventricule
gauche. Certaines équipes cardiolo-
giques préconisent d’intervenir chez
des patients n’ayant aucun symptôme
ou seulement des symptômes débu-
tants, dès les premiers signes d'une
répercussion néfaste de l’insuffisance
aortique sur le ventricule gauche. Ces
signes sont une dilatation marquée
du ventricule ou une diminution de la
force contractile du muscle cardiaque.
O.C. Quels types d’intervention
sont proposés ?
Dr LdK. On peut procéder à deux
types d’intervention: soit un rempla-
cement pur et simple de la valve par
une prothèse, soit une reconstruction
ou une préservation de la valve. A ce
jour, aucune prothèse valvulaire n’est
un substitut idéal et sans risque pour
le patient, surtout s’il est jeune. Une
réparation valvulaire permet au patient
de conserver sa propre valve et évite
ainsi ou retarde l’implantation d’une
prothèse. La réparation valvulaire aor-
tique peut comporter une ou plusieurs
des opérations suivantes :
la réparation des feuillets lésés par
des techniques comme la plicature
centrale qui permet de traiter le pro-
lapsus du feuillet,
le remplacement d’une partie des
feuillets détruits par un patch de
tissu biologique,
le traitement de l’anévrisme de
l’aorte par une prothèse tubulaire
dans laquelle la valve aortique est
réimplantée,
le remodelage et renforcement
de l’anneau aortique par une
annuloplastie.
O.C. L’intitulé de votre recherche,
précise qu’il s’agit d’étudier
une nouvelle méthode d’annu-
loplastie de la valve aortique.
Annuloplastie: pouvez-vous nous
donner quelques explications sur
ce terme ?
Dr LdK. Du fait de la maladie ou de
l’âge, les tissus qui constituent l’ori-
fice de la valve peuvent s’affaiblir et
se déformer. Le terme annuloplas-
tie désigne plus particulièrement les
interventions sur l’anneau de base de
la valve.
artère pulmonaire
valve aortique
oreillette gauche
valve mitrale
valve tricuspide
valve pulmonaire
oreillette droite
ventricule droit
ventricule gauche
ANATOMIE DU COEUR
Cavités et valves cardiaques
Réparation de la valve aortique
CHIRURGIE VALVULAIRE
Dans l’insuffisance aortique, il existe
diverses techniques d’annuloplastie
qui ont certains inconvénients limi-
tant leur efficacité et qui sont donc
perfectibles. Le plus souvent, on place
des dispositifs en forme d’anneau
autour de la base de la valve pour lui
redonner sa forme naturelle et sa fonc-
tionnalité. Ces anneaux fabriqués en
matière synthétique avec ou sans l’ap-
port de métal ou de tissu peuvent être
ouverts (comme un fer à cheval) ou
fermés (forme circulaire pleine), et être
flexibles ou rigides. Les opérations de
remodelage de l’anneau fibreux sont
essentielles dans les procédés chirur-
gicaux visant à réparer les valves et à
les rendre à nouveau compétentes.
O.C. Quel est le but de votre étude ?
Dr LdK. Nos investigations portent sur
l’insuffisance de la valve aortique, celle
qui se trouve à l’issue du ventricule
gauche, assurant la communication
entre le ventricule et l’aorte. Rappelons
que la valve aortique s’ouvre à chaque
contraction cardiaque (systole), lais-
sant passer le sang dans l’aorte, et se
referme pendant la phase de décon-
traction (diastole) empêchant le sang
de refluer et permettant le remplissage
du ventricule gauche pour une nou-
velle contraction.
D’une part, le but de notre recherche
est d’évaluer l’efficacité des diverses
techniques d’annuloplastie utilisées
actuellement et notamment quel
type est le plus efficace à long terme.
D’autre part, nous voulons développer
une nouvelle technique d’annuloplas-
tie, appelée "anneau aortique double"
qui sera réalisée dans certaines indi-
cations pour lesquelles on n’a pas de
bonne solution durable.
O.C. Pouvez-vous nous donner
quelques explications sur le
déroulement de létude ?
Dr LdK. L’étude comportera deux
volets, l’un clinique, l’autre expérimen-
tal. Le volet clinique consiste en une
évaluation rétrospective et une com-
paraison des résultats obtenus depuis
l’année 2.000 dans le service de chirur-
gie cardiaque des Cliniques Saint-Luc,
pour les interventions pratiquées dans
les cas d’insuffisance aortique selon
diverses techniques d’annuloplastie.
Le deuxième volet est une étude expé-
rimentale de la technique d’annulo-
plastie de l’"anneau aortique double"
qui consiste en un remodelage de la
jonction ventriculo-aortique par un
dispositif composé de deux éléments,
l’un interne (un anneau complet en
cercle), l’autre externe (incomplet, en
fer à cheval) fixés l’un à l’autre par
une dizaine de sutures. Nous pensons
que ce dispositif devrait permettre
une réparation plus stable de la jonc-
tion ventriculo-aortique, interférant le
moins possible avec le libre jeu des
feuillets valvulaires.
Cette nouvelle technique, avant d’être
appliquée chez l’homme, requiert des
essais préalables chez l’animal. C’est
en cela que consiste la partie expéri-
mentale de notre recherche. La tech-
nique de l’anneau aortique double a
été expérimentée chez des porcs pour
valider sa faisabilité et son absence
d’interaction néfaste avec les feuillets
de la valve. Pour ce faire, trois mois
après implantation de l’anneau nous
procédons à une réintervention afin de
contrôler échographiquement le dispo-
sitif et le fonctionnement de la valve.
Ensuite l’animal est euthanasié et la
racine aortique prélevée pour une ana-
lyse macroscopique et microscopique
de la valve et de l’anneau aortique
double. Lors de cette analyse, c’est
essentiellement la tolérance tissulaire
aux divers matériaux du dispositif
implanté (Daflon, Goretex, Teflon…) qui
est examinée.
O.C. Vaste programme !
On ne peut que vous souhaiter
de mener à bien votre recherche
et d’apporter votre contribution
aux incessants progrès de la
chirurgie cardiaque.
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Objectif Coeur 35 décembre 2012
Remplacement valvulaire par une prothèse mécanique
Objectif Coeur 35 décembre 2012
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Après vous avoir présenté les objec-
tifs que visent les travaux du doc-
teur Laurent de Kerchove sur la
réparation de la valve aortique, Objectif 
Coeur vous propose le portrait d'un jeune
chercheur belge, passionné de chirurgie
cardiaque.
Objectif Cœur: qu’est-ce qui est à l’origine
de votre attrait pour la médecine et la
recherche ?
Dr LdK. L’envie de faire la médecine m’est venue
très tôt, je devais être adolescent. Pour ce qui est
de la chirurgie, c’est pendant mes études de méde-
cine qu’il m’est apparu que c’était la pratique qui
me convenait le mieux. J’ai été convaincu de faire la
chirurgie cardiaque le jour je suis entré dans la
salle d’opération où le professeur R. Dion faisait une
opération de pontage aorto-coronaire. Le professeur
Dion fut par ailleurs un de mes maîtres en chirurgie.
Quant à la recherche, je pense que c’est le souci
de mieux comprendre et améliorer les traitements
chirurgicaux qui m’ont orienté dans cette voie. En
tant que chirurgien cardiaque, nous pratiquons des
actes importants et parfois dangereux. La recherche
tant fondamentale que clinique est une façon
de remettre en question ce que l’on fait, prendre
conscience des limites, révéler les erreurs, ou se
conforter lorsque les résultats sont positifs.
O.C. Qu’est-ce qui vous a attiré dans le
domaine de la chirurgie valvulaire ?
Dr LdK. Comme étudiant en médecine, il nous est
demandé dans le cadre de nos études de réaliser
au moins une publication pendant notre formation.
J’avais donc déjà fait de la recherche avant ce projet.
Depuis que je travaille comme résident puis comme
permanent dans le service de chirurgie cardiaque à
l’UCL, j’ai été attiré par les travaux de recherche en
chirurgie valvulaire. Les réparations des valves mi-
trale et aortique sont une spécialité de notre service
et donc beaucoup d’opportunités de recherche se
présentent. Avant ce projet, j’avais déjà fait plusieurs
études cliniques en réparation valvulaire aortique.
O. C. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans
votre activité médicale ?
Dr LdK. Cela peut paraître un peu bizarre, mais je
pense que c’est l’intervention chirurgicale en elle-
même, ce qui est vraisemblablement ce que préfère
tout chirurgien cardiaque. Un de mes plus beaux
souvenirs est ma première transplantation car-
diaque lors d’une nuit de garde. La joie et les remer-
ciements du patient m’ont vraiment rendu fier de ce
que j’avais réalisé.
O.C. N’est-il pas difficile de concilier vos
activités de chirurgien et de chercheur ?
La recherche
répond à mon
souci de mieux
comprendre et
améliorer
les traitements
chirurgicaux
PORTRAIT
Profession, chercheur :
docteur Laurent de Kerchove Dr Pierre Stenier
Journaliste
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Objectif Coeur 35 décembre 2012
L'ouverture
sur le monde
est une qualité
nécessaire pour
faire un bon
chercheur
Dr LdK. Le revers de la médaille est que l’association
de la recherche et de la clinique, aboutit souvent à
plus qu’un temps plein. L’analyse des résultats des
études, la rédaction des publications (et même les
interviews…) doivent souvent se faire le soir ou le
week-end. Il faut une bonne dose de tolérance de
la part de mon épouse qui, elle aussi, est médecin
(néphrologue). C’est elle qui a réduit son temps de
travail et qui s’occupe des enfants car je ne suis pas
souvent disponible. Souvent elle me dit que c’est
elle qui les éduque et que moi j’en profite. Je dois
avouer que c’est un peu vrai et que j’admire tout ce
qu’elle fait pour eux.
O.C. Dans quelles conditions financières,
académiques ou autres, évolue la recherche
en Belgique ?
Dr LdK. En Belgique, heureusement, des fonds pour
la recherche sont disponibles et je remercie le Fonds
pour la Chirurgie Cardiaque d’avoir accepté de sou-
tenir mon projet. Néanmoins, il n’y a certainement
pas assez d’argent pour tous les projets qui en valent
la peine et, je doute que dans les années à venir il y
ait plus d’argent pour la recherche.
O.C. Quelles qualités font, selon vous,
un bon chercheur ?
Dr LdK. Ce qui fait d’après moi un bon chercheur,
c’est l’ouverture sur le monde car beaucoup de
choses intéressantes se font aussi ailleurs, à quoi il
faut ajouter une curiosité, une envie de comprendre
et une certaine forme d’originalité ou d’imagination
d’où viennent les idées qui alimentent la recherche.
O.C. Quelle est la place de la recherche
dans l’enseignement ?
Dr LdK. Ce rôle est très important. Je regrette qu’au
cours de mes études on ne m’ait pas fait prendre plus
conscience de l’importance de la recherche. Actuel-
lement, la situation s’est améliorée et les étudiants
sont plus sensibilisés à la recherche et ont plus d’op-
portunités d’en faire, en clinique ou en laboratoire.
O.C. Quelle place prend le travail d’équipe
et les collaborations interuniversitaires
dans les recherches ?
Dr LdK. Sans équipe on ne peut rien faire et des col-
laborations sont nécessaires car les moyens ne se
trouvent pas partout.
O.C. Si vous n’aviez pas fait la médecine,
quelle profession auriez-vous aimé exercer ?
Quels sont vos hobbys si vous en avez le
temps ?
Dr LdK. Si je n’avais pas fait la médecine, j’aurais
aimé construire des bateaux. Quel est le lien, je ne
sais pas. Mes hobbys, c’est ma famille et, s’il me
reste du temps, faire du sport.
photo:
(de gauche à droite)
Gwen Beaurin
(technicien animalier),
Laurent de Kerchove,
Martial Vergauwen
(technologue de
laboratoire),
Jean Jacques
Hogendoorn
(perfusioniste),
Pierre Florent Petit
(étudiant
en médecine).
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