Dossier recherche chirurgie de la valve aortique Réparation de la valve aortique une nouvelle technique chirurgicale Dr Pierre Stenier Journaliste L es techniques dans le domaine de la chirurgie cardiaque évoluent sans cesse. Avant d’être appliquées à l’être humain, elles font l’objet d’études expérimentales. Nous avons rencontré le Docteur Laurent de Kerchove du service de chirurgie cardiaque des Cliniques Universitaires Saint-Luc de Bruxelles, responsable d’une recherche soutenue par le Fonds pour la Chirurgie Cardiaque sur une nouvelle technique de réparation de la valve aortique. Pour bien situer le problème, on rappellera que les valves cardiaques sont des structures anatomiques séparant les différentes cavités du coeur. Elles sont constituées de deux ou trois feuillets insérés sur une structure de base fibreuse (anneau), soutenus euxmêmes par des cordages, sortes de haubans, pour deux des quatre valves cardiaques. Ces valves s’ouvrent et se ferment de manière passive à chaque battement du cœur, évitant les reflux lors des remplissages et vidanges des cavités cardiaques. Les quatre valves cardiaques sont: la valve tricuspide située entre l’oreillette droite et le ventricule droit, la valve pulmonaire entre le ventricule droit et l’artère pulmonaire, la valve mitrale sépare l’oreillette gauche du ventricule gauche et la valve aortique le ventricule gauche de l’artère aorte. Les valves cardiaques peuvent être le siège de diverses maladies à l’origine de dysfonctionnements pouvant conduire à une défaillance grave du muscle cardiaque, potentiellement mortelle. En fait, on distingue deux types de dysfonctionnement valvulaire: la valve ne s'ouvre pas correctement, on parle alors de rétrécissement ou sténose; à l’inverse elle ne se ferme pas correctement, on parle alors d'insuffisance ou fuite. Ce sont des pathologies relativement fréquentes qui atteignent le plus souvent les valves aortiques et mitrales. Objectif Coeur. Docteur de Kerchove, votre recherche porte sur l’insuffisance de la valve aortique: pouvez-vous nous donner quelques explications sur cette pathologie cardiaque? Dr Laurent de Kerchove. L’insuffisance aortique résulte de la fermeture incomplète de la valve aortique entraînant un reflux de sang de l’aorte dans le ventricule gauche au moment de la diastole (quand le cœur se remplit). Ce retour dans le ventricule gauche d’une cer- taine quantité de sang qui devrait normalement être envoyée à la périphérie, entraîne une surcharge de travail pour le cœur et provoque une dilatation et une hypertrophie du ventricule gauche. Il arrive un moment où les facultés d’adaptation de ce ventricule sont dépassées. Le débit cardiaque diminue et des signes cliniques d’insuffisance cardiaque apparaissent, d’abord à l’effort et ensuite au repos : essoufflement, palpitations, syncopes… Divers examens permettent de juger de la gravité de la situation, parmi lesquels l’échographie qui s’avère une méthode de choix et dont les techniques se sont considérablement améliorées ces dernières années. O.C. Quelles sont les causes de l’insuffisance aortique ? Dr LdK. Tout d’abord il faut savoir que l’insuffisance aortique est beaucoup moins fréquente que la sténose aortique. On peut schématiser la sténose aortique comme étant une maladie de la personne âgée et l’insuffisance aortique comme une maladie de la personne jeune, même si des exceptions existent. Parmi les causes les plus fréquentes d’insuffisance aortique on retrouve la bicuspidie aortique qui est une maladie congénitale où la valve aortique a deux feuillets au lieu de 3 Objectif Coeur 35 • décembre 2012 • chirurgie valvulaire anatomie du coeur Cavités et valves cardiaques artère pulmonaire valve pulmonaire oreillette gauche valve aortique oreillette droite valve mitrale ventricule gauche valve tricuspide ventricule droit Réparation de la valve aortique trois. Une autre cause fréquente est la dégénérescence des tissus entraînant un prolapsus1 d’un des feuillets de la valve ou encore un anévrisme de la partie initiale de l’aorte qui a pour conséquence un écartement de ces feuillets. Une dégénérescence des tissus peut apparaître plus rapidement durant la vie en cas d’anomalie congénitale fragilisant les tissus. C’est le cas de la maladie anévrismale de l’aorte dite familiale ou de maladies plus rares comme les maladies de Marfan et d'Ehlers-Danlos, qui peuvent provoquer un anévrisme de l’aorte dès le jeune âge. Les infections de la valve aortique (endocardites infectieuses) et les dissections de la partie initiale de l’aorte sont d’autres causes d’insuffisance aortique dont le pronostic est plus sévère vu la gravité de l’affection. O.C. Quelle est la place de la chirurgie cardiaque dans l’insuffisance aortique ? Dr LdK. Lorsque la maladie est encore à un stade asymptomatique ou ne se manifeste que par des symptômes légers peu spécifiques, l'insuffisance aortique peut être détectée lors d’une simple consultation ou lors d’un examen effectué dans le cadre de la 1 médecine du travail. Dans ce cas, on se contente d’un traitement médical accompagné d’une surveillance régulière. On a cependant tendance actuellement à intervenir chirurgicalement plus précocement que par le passé, avant que n’apparaissent des signes évidents de mauvais fonctionnement du ventricule gauche. Certaines équipes cardiologiques préconisent d’intervenir chez des patients n’ayant aucun symptôme ou seulement des symptômes débutants, dès les premiers signes d'une répercussion néfaste de l’insuffisance aortique sur le ventricule gauche. Ces signes sont une dilatation marquée du ventricule ou une diminution de la force contractile du muscle cardiaque. O.C. Quels types d’intervention sont proposés ? Dr LdK. On peut procéder à deux types d’intervention: soit un remplacement pur et simple de la valve par une prothèse, soit une reconstruction ou une préservation de la valve. A ce jour, aucune prothèse valvulaire n’est un substitut idéal et sans risque pour le patient, surtout s’il est jeune. Une réparation valvulaire permet au patient de conserver sa propre valve et évite ainsi ou retarde l’implantation d’une prothèse. La réparation valvulaire aortique peut comporter une ou plusieurs des opérations suivantes : • la réparation des feuillets lésés par des techniques comme la plicature centrale qui permet de traiter le prolapsus du feuillet, • le remplacement d’une partie des feuillets détruits par un patch de tissu biologique, • le traitement de l’anévrisme de l’aorte par une prothèse tubulaire dans laquelle la valve aortique est réimplantée, • l e remodelage et renforcement de l’anneau aortique par une annuloplastie. O.C. L’intitulé de votre recherche, précise qu’il s’agit d’étudier une nouvelle méthode d’annuloplastie de la valve aortique. Annuloplastie: pouvez-vous nous donner quelques explications sur ce terme ? Dr LdK. Du fait de la maladie ou de l’âge, les tissus qui constituent l’orifice de la valve peuvent s’affaiblir et se déformer. Le terme annuloplastie désigne plus particulièrement les interventions sur l’anneau de base de la valve. chute d'un organe, d'une partie d'organe ou d'un tissu par suite du relâchement de ses moyens de fixation. 4 • Objectif Coeur 35 • décembre 2012 Remplacement valvulaire par une prothèse mécanique Dans l’insuffisance aortique, il existe diverses techniques d’annuloplastie qui ont certains inconvénients limitant leur efficacité et qui sont donc perfectibles. Le plus souvent, on place des dispositifs en forme d’anneau autour de la base de la valve pour lui redonner sa forme naturelle et sa fonctionnalité. Ces anneaux fabriqués en matière synthétique avec ou sans l’apport de métal ou de tissu peuvent être ouverts (comme un fer à cheval) ou fermés (forme circulaire pleine), et être flexibles ou rigides. Les opérations de remodelage de l’anneau fibreux sont essentielles dans les procédés chirurgicaux visant à réparer les valves et à les rendre à nouveau compétentes. O.C. Quel est le but de votre étude ? Dr LdK. Nos investigations portent sur l’insuffisance de la valve aortique, celle qui se trouve à l’issue du ventricule gauche, assurant la communication entre le ventricule et l’aorte. Rappelons que la valve aortique s’ouvre à chaque contraction cardiaque (systole), laissant passer le sang dans l’aorte, et se referme pendant la phase de décontraction (diastole) empêchant le sang de refluer et permettant le remplissage du ventricule gauche pour une nouvelle contraction. D’une part, le but de notre recherche est d’évaluer l’efficacité des diverses techniques d’annuloplastie utilisées actuellement et notamment quel type est le plus efficace à long terme. D’autre part, nous voulons développer une nouvelle technique d’annuloplastie, appelée "anneau aortique double" qui sera réalisée dans certaines indications pour lesquelles on n’a pas de bonne solution durable. O.C. Pouvez-vous nous donner quelques explications sur le déroulement de l’étude ? Dr LdK. L’étude comportera deux volets, l’un clinique, l’autre expérimental. Le volet clinique consiste en une évaluation rétrospective et une comparaison des résultats obtenus depuis l’année 2.000 dans le service de chirurgie cardiaque des Cliniques Saint-Luc, pour les interventions pratiquées dans les cas d’insuffisance aortique selon diverses techniques d’annuloplastie. Le deuxième volet est une étude expérimentale de la technique d’annuloplastie de l’"anneau aortique double" qui consiste en un remodelage de la jonction ventriculo-aortique par un dispositif composé de deux éléments, l’un interne (un anneau complet en cercle), l’autre externe (incomplet, en fer à cheval) fixés l’un à l’autre par une dizaine de sutures. Nous pensons que ce dispositif devrait permettre une réparation plus stable de la jonction ventriculo-aortique, interférant le moins possible avec le libre jeu des feuillets valvulaires. Cette nouvelle technique, avant d’être appliquée chez l’homme, requiert des essais préalables chez l’animal. C’est en cela que consiste la partie expérimentale de notre recherche. La technique de l’anneau aortique double a été expérimentée chez des porcs pour valider sa faisabilité et son absence d’interaction néfaste avec les feuillets de la valve. Pour ce faire, trois mois après implantation de l’anneau nous procédons à une réintervention afin de contrôler échographiquement le dispositif et le fonctionnement de la valve. Ensuite l’animal est euthanasié et la racine aortique prélevée pour une analyse macroscopique et microscopique de la valve et de l’anneau aortique double. Lors de cette analyse, c’est essentiellement la tolérance tissulaire aux divers matériaux du dispositif implanté (Daflon, Goretex, Teflon…) qui est examinée. O.C. Vaste programme ! On ne peut que vous souhaiter de mener à bien votre recherche et d’apporter votre contribution aux incessants progrès de la chirurgie cardiaque. 5 Objectif Coeur 35 • décembre 2012 • po r t r a i t Profession, chercheur : docteur Laurent de Kerchove A près vous avoir présenté les objectifs que visent les travaux du docteur Laurent de Kerchove sur la réparation de la valve aortique, Objectif Coeur vous propose le portrait d'un jeune chercheur belge, passionné de chirurgie cardiaque. ♥ Objectif Cœur: qu’est-ce qui est à l’origine de votre attrait pour la médecine et la recherche ? La recherche répond à mon souci de mieux comprendre et améliorer les traitements chirurgicaux Dr LdK. L’envie de faire la médecine m’est venue très tôt, je devais être adolescent. Pour ce qui est de la chirurgie, c’est pendant mes études de médecine qu’il m’est apparu que c’était la pratique qui me convenait le mieux. J’ai été convaincu de faire la chirurgie cardiaque le jour où je suis entré dans la salle d’opération où le professeur R. Dion faisait une opération de pontage aorto-coronaire. Le professeur Dion fut par ailleurs un de mes maîtres en chirurgie. Quant à la recherche, je pense que c’est le souci de mieux comprendre et améliorer les traitements chirurgicaux qui m’ont orienté dans cette voie. En tant que chirurgien cardiaque, nous pratiquons des actes importants et parfois dangereux. La recherche tant fondamentale que clinique est une façon de remettre en question ce que l’on fait, prendre conscience des limites, révéler les erreurs, ou se 6 • Objectif Coeur 35 • décembre 2012 Dr Pierre Stenier Journaliste conforter lorsque les résultats sont positifs. O.C. Qu’est-ce qui vous a attiré dans le domaine de la chirurgie valvulaire ? Dr LdK. Comme étudiant en médecine, il nous est demandé dans le cadre de nos études de réaliser au moins une publication pendant notre formation. J’avais donc déjà fait de la recherche avant ce projet. Depuis que je travaille comme résident puis comme permanent dans le service de chirurgie cardiaque à l’UCL, j’ai été attiré par les travaux de recherche en chirurgie valvulaire. Les réparations des valves mitrale et aortique sont une spécialité de notre service et donc beaucoup d’opportunités de recherche se présentent. Avant ce projet, j’avais déjà fait plusieurs études cliniques en réparation valvulaire aortique. O. C. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre activité médicale ? Dr LdK. Cela peut paraître un peu bizarre, mais je pense que c’est l’intervention chirurgicale en ellemême, ce qui est vraisemblablement ce que préfère tout chirurgien cardiaque. Un de mes plus beaux souvenirs est ma première transplantation cardiaque lors d’une nuit de garde. La joie et les remerciements du patient m’ont vraiment rendu fier de ce que j’avais réalisé. O.C. N’est-il pas difficile de concilier vos activités de chirurgien et de chercheur ? photo: (de gauche à droite) Gwen Beaurin (technicien animalier), Laurent de Kerchove, Martial Vergauwen (technologue de laboratoire), Jean Jacques Hogendoorn (perfusioniste), Pierre Florent Petit (étudiant en médecine). ♥ L'ouverture sur le monde est une qualité nécessaire pour faire un bon chercheur Dr LdK. Le revers de la médaille est que l’association de la recherche et de la clinique, aboutit souvent à plus qu’un temps plein. L’analyse des résultats des études, la rédaction des publications (et même les interviews…) doivent souvent se faire le soir ou le week-end. Il faut une bonne dose de tolérance de la part de mon épouse qui, elle aussi, est médecin (néphrologue). C’est elle qui a réduit son temps de travail et qui s’occupe des enfants car je ne suis pas souvent disponible. Souvent elle me dit que c’est elle qui les éduque et que moi j’en profite. Je dois avouer que c’est un peu vrai et que j’admire tout ce qu’elle fait pour eux. choses intéressantes se font aussi ailleurs, à quoi il faut ajouter une curiosité, une envie de comprendre et une certaine forme d’originalité ou d’imagination d’où viennent les idées qui alimentent la recherche. O.C. Dans quelles conditions financières, académiques ou autres, évolue la recherche en Belgique ? O.C. Quelle place prend le travail d’équipe et les collaborations interuniversitaires dans les recherches ? Dr LdK. En Belgique, heureusement, des fonds pour la recherche sont disponibles et je remercie le Fonds pour la Chirurgie Cardiaque d’avoir accepté de soutenir mon projet. Néanmoins, il n’y a certainement pas assez d’argent pour tous les projets qui en valent la peine et, je doute que dans les années à venir il y ait plus d’argent pour la recherche. Dr LdK. Sans équipe on ne peut rien faire et des collaborations sont nécessaires car les moyens ne se trouvent pas partout. O.C. Quelles qualités font, selon vous, un bon chercheur ? Dr LdK. Ce qui fait d’après moi un bon chercheur, c’est l’ouverture sur le monde car beaucoup de O.C. Quelle est la place de la recherche dans l’enseignement ? Dr LdK. Ce rôle est très important. Je regrette qu’au cours de mes études on ne m’ait pas fait prendre plus conscience de l’importance de la recherche. Actuellement, la situation s’est améliorée et les étudiants sont plus sensibilisés à la recherche et ont plus d’opportunités d’en faire, en clinique ou en laboratoire. O.C. Si vous n’aviez pas fait la médecine, quelle profession auriez-vous aimé exercer ? Quels sont vos hobbys si vous en avez le temps ? Dr LdK. Si je n’avais pas fait la médecine, j’aurais aimé construire des bateaux. Quel est le lien, je ne sais pas. Mes hobbys, c’est ma famille et, s’il me reste du temps, faire du sport. 7 Objectif Coeur 35 • décembre 2012 •