de Molière mise en scène Marc Paquien

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de Molière
mise en scène
Marc Paquien
avec Anne Caillère, François De Brauer, Eric Frey,
Jany Gastaldi, Nathalie Kousnetzoff, Matthieu Marie
Daniel Martin, Pierre-Henri Puente
Alix Riemer, Agathe Rouillier
scénographie : Gérard Didier
lumières : Dominique Bruguière
son : Anita Praz
costumes : Claire Risterucci
maquillages et coiffures : Cécile Kretschmar
collaboration artistique : Daisy Amias.
24 janvier >>> 19 février
mardi, mercredi, vendredi, samedi 20 h 30,
Jeudi 19 h 30 dimanche 16 h
réservation 01 43 28 36 36
www.la-tempete.fr
Coproduction : Compagnie L’Intervention ; Scène nationale de Sète et du Bassin de Thau ; Théâtre des Célestins – Lyon.
Avec le soutien de la DRAC Île-de-France, du ministère de la Culture et de la Communication
et la participation artistique du Jeune Théâtre national, en coréalisation avec le Théâtre de la Tempête.
le jeune théâtre national
L’auteur et son œuvre
Introduction …………………………………………………………
L’auteur : Molière …………………………………………………..
Résumé de l’intrigue ………………………………………………..
Préciosité et salons mondains ………………………………………
Qu’est-ce qu’une « femme savante » ? ……………………………..
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Le spectacle
Le metteur en scène : Marc Paquien ……………………………….
Parti pris de mise en scène …………………………….....................
Les comédiens ……………………………….. …………………….
L’équipe technique ………………………………………………….
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Activités pédagogiques
La pièce jugée par un contemporain ………………………………..
Vocabulaire amoureux du XVIIème siècle …………………………
Quelques généralités ………………………………………………..
Les personnages …………………………………………………….
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Pistes de lecture
- Acte I - Scène 1 ………………………………………………...
- Acte II - Scène 6 ……………………………………………….
- Acte II - Scène 7 ……………………………………………….
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Pour aller plus loin ………………………………………………….
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"Molière, ce grand peintre de l'homme tel qu'il est." Stendhal
Parce qu'il était comédien, Molière n'a pas été élu à l'académie française. Parce qu'il
n'a pas abjuré cette profession, il n'a pu, à l'issue de la quatrième représentation du Malade
imaginaire, alors qu'il était en train de mourir d'une hémorragie, et malgré son souhait,
recevoir les derniers sacrements. Il a échappé de peu à la fosse commune et n'a pu être inhumé
que grâce à l'intervention de Louis XIV auprès de l'évêque de Paris. Il a été enterré de nuit,
sans aucune cérémonie.
Pourtant aujourd'hui, spontanément, lorsque l'on veut évoquer la langue française, on
parle de la langue de Molière. Et s'il ne fallait citer qu'un seul auteur pour incarner la comédie
à la française, nul doute que ce serait lui.
Molière n'a vécu que pour le théâtre. Il a incarné le théâtre, y jouant tous les rôles :
comédien, metteur en scène, directeur de troupe et auteur. Et même s'il connut des difficultés
comme directeur de troupe ou comme auteur, il bénéficia d'une immense notoriété, aussi bien
auprès du public, que de la cour ou de ses pairs. Ce succès, il le dut à ses talents d'acteur
comique, à sa qualité d'animateur de troupe mais aussi, bien sûr, à son génie d'auteur.
En tant qu'auteur, Molière parvient à hisser la comédie, alors considérée comme un art
mineur, au rang de la tragédie. Il réussit à réaliser la synthèse de plusieurs genres tels que la
farce, la comédie italienne ou la comédie d’intrigues. Observateur attentif des mœurs de son
temps, il sait en dégager une image tantôt ironique tantôt attendrie.
Et Molière n'hésite pas à s'engager, ce qui lui vaut des tas de détracteurs. Tour à tour il
s'attaque aux précieuses ridicules ou aux bourgeois vaniteux, aux faux dévots et aux vrais
avares, aux médecins ignorants et aux femmes savantes. Il se plaît à condamner le ridicule des
conduites excessives, à dénoncer l'erreur, et à rendre hommage à la spontanéité.
Comme Shakespeare ou Goethe, Molière incarne la langue et la culture de son pays, ce
qui fait dire à Jean d'Ormesson : "Au même titre que Hugo, que la baguette de pain, que le
coup de vin rouge, que la 2CV Citroën et que le béret basque, Molière est un des mythes
fondateurs de notre identité nationale".
Thibault DOULAN
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1622
Naissance à Paris de Jean-Baptiste POQUELIN, fils d'un marchand tapissier,
fournisseur officiel de la Cour
1632
Mort de sa mère.
1635
Jean-Baptiste entre au collège de Clermont (actuel lycée Louis le Grand). Il a pour
condisciple le prince de Conti, qui deviendra l'un de ses protecteurs
1640
Il suit des études de droit pour devenir avocat, titre qui permet alors l’achat d’une
charge dans la justice ou l’administration.
1641
Jean-Baptiste est reçu avocat
1643
Il renonce à la possibilité de promotion sociale que lui offre ce diplôme. Il décide,
contre l’avis de son père, de devenir comédien. Avec sa maîtresse Madeleine Béjart,
une comédienne déjà connue, la famille de celle-ci et quelques autres comédiens, il
fonde la compagnie théâtrale l’Illustre-Théâtre. Il prend le nom de Molière.
1645
Au printemps, la troupe l’Illustre-Théâtre fait faillite
Emprisonné pour dettes en Août, Molière est libéré deux jours plus tard, grâce à
l'intervention de son père. La même année, il quitte Paris, avec la troupe de Charles
Dufresne. Ils vont parcourir l'ouest et le sud de la France pendant plus de treize ans
1650
Molière devient le directeur de la troupe de Charles Dufresne
1653
Le Prince de Conti parraine la troupe de Molière. Il la prendra sous sa protection
jusqu'en 1657.
1658
Molière a trente six ans. Il rentre à Paris fort d'une double expérience d'acteur
comique et d'auteur dramatique. Il reçoit la protection de Monsieur, le frère du roi. Il
joue devant le jeune Louis XIV, au Louvre, le Docteur Amoureux. Cette pièce plaît
au roi qui accorde à la troupe de Molière le droit de partager avec les ComédiensItaliens, la salle du Petit Bourbon.
1659
Molière connaît un grand succès avec les Précieuses Ridicules. Cette pièce est créée
lors de la même représentation que Cinna de Corneille et fait un triomphe
1660
Sganarelle ou le Cocu imaginaire. Nouveau grand succès pour Molière qui trouve
dans Sganarelle l'un de ses rôles fétiches
1661
La troupe de Molière s'installe définitivement au Palais-Royal
1662
Il épouse Armande Béjart, la fille de Madeleine Béjart. Ce mariage avec la fille de sa
maîtresse, lui vaut d'être accusé de relations incestueuses avec cette personne qui
pourrait être sa fille.
Il réussit son coup de maître en écrivant l'Ecole des femmes, la première des
comédies de la maturité, en cinq actes et en vers. Cette pièce, qui soulève des
questions importantes (l’institution du mariage et l’éducation des filles), tranche
nettement avec les thèmes habituels de la farce ou de la comédie à l’italienne.
Innovation littéraire en même temps que critique originale de la société du temps,
elle irrite certains auteurs concurrents autant qu’elle choque les tenants de la morale
traditionnelle.
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L'Ecole des femmes connaît un énorme succès, et vaudra à Molière une longue
polémique. Cette querelle occupera toute l’actualité littéraire de l’année 1663, avec
ses pamphlets, ses textes satiriques et ses quolibets.
1663
Molière répond à ses adversaires en écrivant la Critique de l’École des femmes et
l’Impromptu de Versailles, pièces dans lesquelles il tourne en dérision ses
détracteurs (petits marquis, faux vertueux, troupe rivale de l'hôtel de Bourgogne…)
1664
Tartuffe, joué à Versailles, provoque un tollé chez les catholiques. La pièce est
interdite à la demande de l’archevêque de Paris.
La bataille de Tartuffe durera près de cinq ans. Remaniée, la pièce sera à nouveau
interdite en août 1667. Elle sera cependant jouée, en présence du frère du roi, chez le
Grand Condé.
1665
Louis XIV décide de prendre officiellement Molière sous sa protection. Il décerne à
ses comédiens le titre de troupe du roi
Dom Juan, pièce dont le personnage principal se sent " un cœur à aimer toute la
terre" connaît un succès de cinq semaines. Puis elle est étouffée avant même que les
adversaires de Molière puissent faire paraître leurs pamphlets contre cette pièce, qui
selon eux, prône l'athéisme.
1666
Le Misanthrope. Cette pièce connaît un succès mitigé, mais sa dimension morale lui
assurera un prestige qui ne fera que croître les siècles suivants
Le Médecin malgré lui, qui est aujourd'hui l'une des plus connues et des plus jouées
des pièces de Molière.
1668
Amphitryon
Georges Dandin
L'Avare
1669
Tartuffe enfin autorisé connaît un triomphe
1670
Le Bourgeois gentilhomme, comédie-ballet dont Lully compose la musique
1671
Les Fourberies de Scapin, comédie d'intrigue qui s'inscrit dans la tradition italienne
que Molière avait exploitée au début de sa carrière. Molière jouera, lui-même, le rôle
de Scapin, le valet meneur de jeu
1672
Les Femmes savantes, une sévère condamnation du pédantisme
Cette année-là, Molière est supplanté par Lully, promoteur de l’opéra en France, qui
obtient le privilège royal lui accordant l’exclusivité de la représentation des œuvres
chantées et dansées.
Par faveur spéciale, le roi autorise toutefois Molière à intégrer des scènes musicales
et chorégraphiques dans le Malade imaginaire
1673
Création du Malade imaginaire, au Palais-Royal, le 10 février
Molière tient le rôle d'Argan. Il est pris d'un malaise lors de la quatrième
représentation. Il est transporté chez lui, rue de Richelieu. Il meurt d'une hémorragie.
N'ayant pas abjuré sa profession de comédien, il ne pourra, malgré son désir,
recevoir les derniers sacrements.
Molière échappe de peu à la fosse commune. Il ne put être inhumé que grâce à
l’intercession d’Armande Béjart auprès de Louis XIV. Il fut enterré de nuit, suivi
dans la brume, par de nombreux amis, sans aucune cérémonie.
1680
La troupe de Molière, qui avait fusionné avec celles de l'Hôtel de Bourgogne et du
Marais, donne naissance à la Comédie- Française.
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Chrysale, bon bourgeois matérialiste, réprouve les éclats de son épouse, Philaminte,
une maîtresse femme, ainsi que la pédanterie de Bélise, sa sœur, une vieille fille sentimentale,
et de sa fille Armande, à l’esprit quelque peu calculateur.
Ces trois beaux-esprits épris de poésie et de science, qui n'ont que dédain pour les
choses domestiques, entendent renvoyer Martine, une servante qui commet le crime
d'estropier la grammaire. Alors qu'Armande, dépitée par l'abandon de Clitandre qui s'est lassé
de ses froideurs, affecte de mépriser le mariage, sa jeune sœur Henriette entend au contraire
épouser ce même Clitandre, devenu amoureux d'elle. Mais Philaminte compte marier
Henriette contre sa volonté à Trissotin, un poète pédant et intéressé qui profite du travers de
ces femmes prétentieuses et qui se couvre de ridicule au cours d'un affrontement verbal avec
l’helléniste Vadius.
Henriette, soutenue par son père, son oncle Ariste et la servante Martine, résiste à ce
mariage, alors qu'au contraire Armande veut bien respecter la volonté de sa mère en épousant
Clitandre, alors même que celui-ci n'a plus du tout de penchant pour elle.
Deux clans vont alors s'opposer devant le notaire mandé pour les noces et l'on craint
que le faible Chrysale ne cède devant la volonté de sa femme, quand on apprend que la
famille est ruinée. Aussitôt, Trissotin se retire sans vergogne, alors que Clitandre redouble de
zèle et d'amour pour Henriette; en fait, il ne s'agissait que d'une ruse d'Ariste destinée à
démasquer le caractère intéressé de Trissotin et tout peut rentrer dans l'ordre : Henriette
épouse Clitandre et Armande, fort dépitée, est invitée à se consoler avec la philosophie.
© B. Enguerand
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La préciosité : phénomène social
Il y a eu en France non seulement une poésie précieuse comme à l’étranger, mais une société
précieuse qui s’est épanouie dans le cadre des salons. La vie de cour, brillante sous les
derniers Valois, était devenue si grossière sous Henri IV que, vers 1600, les courtisans épris
de politesse, de conversations galantes et raffinées, prirent l’habitude de se réunir dans
quelques hôtels aristocratiques.
C’est à partir de 1607 que commence à paraître, avec un grand succès, l’Astrée d’Honoré
d’Urfé. Mais en 1610 l’assassinat du roi et les troubles de la Régence ralentissent la vie
mondaine, et il faudra le rétablissement de l’ordre par Richelieu pour que les salons
retrouvent leur activité.
L’Hôtel de Rambouillet
Catherine de Vivonne, Italienne naturalisée, avait épousée en 1600 Charles d’Angennes, futur
marquis de Rambouillet, et lui donna sept enfants. De santé précaire, ne pouvant supporter les
fatigues de la cour, elle attire chez elle une société choisie et s’efforce de retrouver la vie
brillante qu’elle a connue en Italie. Vers 1604, elle a fait construire, rue Saint Thomas du
Louvre, l’Hôtel de Rambouillet dont elle a fourni les plans et dont les vastes pièces en
enfilade émerveillent ses hôtes. Elle reçoit ses intimes dans la célèbre « Chambre bleue »,
bientôt assistée de ses deux filles, Julie d’Angennes, puis Angélique. Belle, vertueuse sans
être prude, cultivée sans être pédante, « l’incomparable Arthénice » (l’anagramme est de
Malherbe) sut faire de son salon le centre du bon goût et de la bienséance.
Il faut se garder d’imaginer la vie à l’Hôtel de Rambouillet à travers les Précieuses Ridicules
et les Femmes Savantes. L’Hôtel de Rambouillet est un lieu où l’on s’amuse : on y fait des
plaisanteries, on s’adonne à des jeux de société, on écoute chanter, on donne des bals
masqués.
Les habitués du salon lisent beaucoup et, en souvenir de l’Astrée, adoptent des noms
romanesques qui ne sont pas sans rappeler les noms des personnages des Femmes Savantes
(voir fiche pédagogique sur les personnages). Ils écrivent eux-mêmes et pratiquent tous les
genres à la mode.
La conversation, occupation précieuse par excellence, est portée à la hauteur d’un art délicat
et raffiné. Le grand animateur de cette société est Voiture ; c’est lui qui organise les jeux,
invente des divertissements, lance des modes littéraires nouvelles : il est vraiment « l’âme du
rond ».
Les autres salons
Après la Fronde, d’autres salons connaissent la notoriété, mais le plus important, qui
prétendait succéder à l’Hôtel de Rambouillet, fut celui de Mademoiselle de Scudéry.
Ancienne habituée de la « Chambre bleue », Mademoiselle de Scudéry était alors une vieille
fille romanesque d’une quarantaine d’années. Vers 1652, tous les samedis, dans son salon du
Marais, elle réunit des bourgeoises entichées de romans et des gens de lettres. Moins
aristocratique, moins mondain que l’Hôtel de Rambouillet, ce salon a des activités surtout
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littéraires. Tous les ans, Mademoiselle de Scudéry publie un ou plusieurs tomes des ses
romans-fleuves : Le Grand Cyrus (10 volumes, 1649-1653), puis Clélie (10 volumes, 16541661). Les habitués du salon se reconnaissent dans les héros de ces romans, y retrouvent leurs
histoires, leurs conversations sur des sujets galants. On chante les « chansons » que l’on vient
d’écrire ; on s’exerce aux genres à la mode ; on organise des tournois poétiques. On
commente les petits potins littéraires. Ce salon a donné le ton de la préciosité littéraire et
morale pendant de longues années.
Le « mystère des ruelles ». C’est vers 1650, en effet, que les salons se multiplient et
qu’apparaît la préciosité proprement dite. A ce moment, le mot n’a rien de péjoratif, et les
intéressés revendiquent ce titre pour se distinguer du vulgaire.
La préciosité ridicule. Tous ces précieux font assaut d'esprit galant et cherchent à briller par
leur talent littéraire. Voulant se distinguer même par le costume, ils suivent la mode en
l'exagérant. On fait grand usage de fards, de mouches et de parfums.
L'affection gagne les belles manières. Molière exagérait à peine lorsqu'il raillait la coquetterie
des Précieuses Ridicules, l'extravagance des costumes, les manifestations de politesse
excessives. S'il a choisi ce sujet pour ses débuts à Paris, c'est qu'en 1659 le mal était
d'actualité. Malgré ses protestations, il visait probablement Mademoiselle de Scudéry, ou tout
au moins les salons bourgeois de Paris et de province qui, pour singer la société élégante,
tombaient dans le mauvais goût et l'extravagance. Quand il revient à la charge avec les
Femmes Savantes en 1672, c'est un aspect nouveau de la préciosité qu'il attaque :
l'engouement pour la science.
A la fin du siècle, les attaques de La Bruyère contre les cercles où règnent « l'inintelligible et
le subtil », celles de Boileau contre « la secte façonnière » dans sa Satire sur les Femmes en
1694, montrent que les précieuses n'ont pas totalement désarmé.
L'esprit précieux
La préciosité est essentiellement le désir de donner « du prix » à sa personne, à ses
sentiments, à ses actes, à son langage. Certains s'élèvent d'instinct au-dessus du vulgaire ; au
contraire, la préciosité implique un effort conscient, un acte de volonté pour « se tirer du prix
commun des autres » (abbé de Pure). Elle peut être délicate et pleine de charme si elle est
limitée par le bon goût et se concilie avec le naturel ; elle devient ridicule lorsqu'elle dérive
vers l'affectation et la recherche excessive.
L'Hôtel de Rambouillet reste habituellement dans le cadre du goût et de la bienséance. La
littérature y est un divertissement d'amateurs parmi beaucoup d'autres. Mademoiselle de
Scudéry se défend aussi de « faire la savante », mais son salon est plus porté vers la littérature
et la science.
C'est la prétention de se distinguer dans les « choses de l'esprit » qui a déterminé, du point de
vue littéraire, la préciosité ridicule. Il y a toujours eu des précieux ridicules par manque de
goût : il y en avait déjà avant 1610. S'ils sont plus nombreux à partir de 1650, c'est que la
préciosité s'étend à des milieux plus bourgeois, que le bel esprit est chose rare et qu'il est
dangereux de forcer la nature.
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Ou plutôt, comment se fait-il que des femmes, par le fait qu’elles sont savantes,
puissent faire la matière d’une comédie ? En quoi le savoir féminin peut-il être ridicule, plutôt
que le savoir masculin ?
Ces questions sont celles d’un lecteur de l’extrême fin du XXème siècle, évoluant dans
une société égalitaire sur le plan des sexes. Elles ne se posaient pas du tout dans les mêmes
termes pour le public de 1672, destinataire originel de la comédie des Femmes Savantes. Le
titre de la pièce, premier point de contact avec l’œuvre (mais qui en conditionne déjà la
perception), était parfaitement explicite et largement informatif.
Le terme s’entendait par référence à une typologie qui comprenait également la
« coquette », la « prude », l’ « atrabilaire », le « jaloux », la « précieuse ». Un catalogue
d’ »extravagants », coupables de diverses entorses à la sociabilité, valeur cardinale de cette
frange de la société de l’époque qu’on désigne par « milieu mondain ». C’est au sein de cette
élite, composée de la cour du roi et de la grande bourgeoisie cultivée (celle qui fréquente les
« salons »), qu’est née la notion de « femme savante ». Et c’est dans la littérature prisée par
cette société oisive, en particulier dans les romans « galants » de Melle de Scudéry, que le
terme fait son apparition.
Milieu misogyne donc, antiféministe, pour trouver dans le savoir féminin un sujet de
ridicule ? Bien au contraire. Le milieu mondain est le creuset d’idées progressistes sur le
mariage, l’éducation des femmes, l’égalité des sexes, qui en font un ancêtre reconnu des
mouvements féministes du XXème siècle.
En fait, s’il met la « femme savante » au rang des déséquilibrés, c’est qu’il entend, par
ce terme, non une femme instruite, mais une femme qui étale ses connaissances et qui s’en
fait un étendard, perdant ainsi la mesure et contrevenant à ce que l’on appelle alors
« l’honnêteté ». Car, pour un mondain, ce n’est pas le principe même du savoir qui est
condamnable chez une femme. Comme le dit l’oracle des salons de l’époque, le chevalier de
Méré : « L’esprit est toujours de bon commerce et même les femmes n’en sauraient trop
avoir ; mais la plupart du monde n’approuve pas qu’elles soient si savantes, ou du moins que
cela paraisse ». C’est la pédanterie qui est en cause, c’est-à-dire le savoir hors de propos (car,
à un certain degré, dans l’éthique mondaine, le savoir peut être malséant), le savoir qui
s’exhibe et se brandit, et l’individu masculin n’encourt pas moins le ridicule pour la même
tare. La « femme savante » a simplement la particularité d’être plus rare et plus incongrue.
De fait, rien ne prépare moins la femme à détenir un savoir, ostentatoire ou non, que la
piètre instruction qu’on lui accorde dans la société du XVIIème siècle. Il ne faut pas perdre de
vue, en effet, qu’à l’époque de la création des Femmes Savantes le niveau de connaissances
des femmes, même dans les couches les plus élevées de la société, est rudimentaire : la
formation intellectuelle se limite, pour les plus favorisées, à l’apprentissage de la lecture
(l’écriture n’est pas nécessaire, toute la communication du ménage devant passer, comme le
rappelle l’Arnolphe de l’Ecole des Femmes, par le mari) et à la culture religieuse ; aucun
besoin de savoir livresque : les femmes n’ont de toute façon pas accès à l’université, ni à
aucune profession qui requière des compétences intellectuelles.
Or, c’est sur ce public féminin, avide de rattraper son retard, que les promoteurs de la
« nouvelle philosophie » (c’est-à-dire la science moderne, avec en fer de lance, le
cartésianisme) avaient fondé leur stratégie de conquête des milieux mondains, stratégie
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destinée à faire contrepoids aux résistances de l’université traditionnaliste. La publication
d’ouvrages écrits en français (et non en latin), dans un souci de vulgarisation, la mise sur pied
de conférences savantes à caractère mondain avaient rapidement porté leurs fruits : parmi les
femmes du monde, il était devenu de bon ton d’avoir un « goût » et des « clartés » des
sciences. Au risque, bien sûr, de l’excès : pour une société préoccupée de l’équilibre humain
comme celles des élites du XVIIème siècle, la « science des dames » se devait de ne pas
outrepasser certaines limites. Une trop grande application au savoir, l’ostentation des
connaissances outrepassaient les bornes et faisaient basculer l’individu dans le ridicule. Le
type de la « femme savante » était là pour marquer les limites.
Claude BOURQUI
Les Femmes Savantes
Gravure de Moreau le Jeune
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© B. Enguerand
Né en 1968 et comédien de formation, Marc Paquien a suivi le travail de grands artistes, en
étant par exemple l'assistant de Jeanne Moreau pour Un trait de l'esprit de Margaret Edson,
d'Yves Beaunesne pour La Fausse Suivante de Marivaux, Yvonne Princesse de Bourgogne de
Gombrowicz et Il ne faut jurer de rien d'Alfred de Musset, de Claudia Stavisky, d'Elfriede
Jelinek et de Philippe Duclos pour Un fil à la patte de Feydeau.
Stagiaire de l'Institut Nomade de la mise en scène, il a suivi également l'enseignement de
Krystian Lupa lors d'une session à Cracovie, sur Le Maître et Marguerite de Boulgakov.
Inspiré par la musique classique, le metteur en scène collabore régulièrement avec l'Atelier
lyrique de l'Opéra National de Paris avec notamment Les Aveugles de Xavier Dayer d'après
Maeterlinck et Le Mariage secret de Cimarosa en 2009.
Fraîchement connu en tant que metteur en scène depuis les années 2000, Marc Paquien accède
à la notoriété internationale grâce à des spectacles exigeants.
Dès 2002, il met en scène l'Intervention de Victor Hugo pour le festival « Les Nuits de
Fourvières » à Lyon, et la Trahison orale de Maurizio Kagel, en collaboration avec
l'Orchestre National de Lyon au Théâtre des Célestins.
Fidèle à un univers qui le transporte, Marc Paquien a monté de nombreux textes de Martin
Crimp. En 2004, il met en scène Face au mur et Cas d'urgences plus rares au Théâtre
National de Chaillot. Puis au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, il monte la Mère de
Witkiewicz dans le cadre de la saison polonaise en France, « Nova Polska ». Il reçoit pour ces
deux spectacles le prix de la révélation théâtrale de la mise en scène, décerné par le Syndicat
de la critique théâtre, musique et danse en juin 2004 et Hélène Alexandridis, celui de la
meilleure actrice pour son interprétation du rôle de la mère.
En juin 2006, il met en scène Le baladin du monde occidental de John Millington Synge au
Théâtre National de Chaillot, au Théâtre Vidy-Lausanne, puis en tournée en France et en
Suisse. Le spectacle est nommé aux « Molières » 2006, et Dominique Raymond reçoit le prix
de la meilleure actrice, décerné par le Syndicat de la critique, pour son interprétation du rôle
de la veuve Quinn.
On lui doit également l'enregistrement de trois pièces de Crimp pour France Culture.
En 2009, il revient à l'univers onirique de l'auteur britannique en montant La Ville avec
Hélène Alexandridis, Marianne Denicourt et André Marcon.
En 2011, il prépare la mise en scène des Femmes savantes de Molière, la reprise des Affaires
sont les affaires d'Octave Mirbeau et la mise en scène de l'opéra L'Heure Espagnole de
Maurice Ravel.
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SUR LE TOIT D’UNE MAISON QUI DEVIENT FOLLE…
Une maison qui devient folle… L’ordre bourgeois mis sans dessus dessous… L’amour
de deux jeunes gens contrarié… La grammaire élevée au rang de principe vital par
Philaminte, Armande et Bélise, trois femmes dupées par un faux penseur, comme d’autres
l’ont été par un faux dévot. Assoiffées de connaissances, elles prennent un pouvoir absolu sur
leur maison et perdent, par là même, la raison.
On pourrait relire chaque pièce de Molière à la lumière d’un conte de Perrault - son
contemporain - loin de tout réalisme ou naturalisme, mais dans un monde des apparences et
des passions, au plus près de l’humain.
Comme dans les contes, il y a toujours une force destructrice qui cherche à nuire, à
étouffer l’amour naissant, à briser l’unité d’une famille… ; mais la force du théâtre vient à
point nommé défendre la Vérité. Et le langage de l’amour aura finalement raison de l’amour
du langage.
Il y a dans ces comédies une incroyable puissance de la satire, de la moquerie, qui fait
toujours triompher le rire, nous ramène vers la farce.
Molière écrivait toutes ses pièces pour la même troupe, les acteurs vieillissaient,
cachés derrière cette multitude de personnages. On ne peut s’empêcher de penser à l’aspect
biographique, au monde de la scène qui s’évanouit avec les rires…
C’est aussi cela qu’il faut recréer aujourd’hui : la troupe qui se glisse dans les
costumes, les visages des grands acteurs qui s’éclairent soudain, pas de décor mais la maison,
un lieu qui fait surgir l’action, élance les corps vers la rampe.
Ces femmes savantes nous émerveillent et nous émeuvent, en même temps qu’elles
nous font rire. Car elles se donnent tout entières à leur passion, jusqu’à chuter et devenir des
ridicules. Mais une fois lancées sur le chemin des Lumières, elles n’arrêteront pas le cours de
leur pensée. Les Femmes savantes sont des modernes, c’est-à-dire d’aujourd’hui.
Cette pièce de Molière est une comédie virulente, acerbe, contemporaine. Elle fustige
bien sûr le mensonge et la pédanterie, mais nous parle aussi du désir absolu de savoir qui peut
mener jusqu’à la folie.
Peu de pièces suscitent un tel engouement accompagné d’une telle méfiance. Pièce
féministe ? Pièce réactionnaire ? Les hommes savants peuvent ennuyer, les femmes savantes
prêter à rire.
Le XVIIe siècle fait apparaître la question de l’émancipation de la femme et la figure
de l’intellectuelle. La femme philosophe, la femme astronome, la femme chimiste provoquent
l’incompréhension, le soupçon, excitent la moquerie. Leurs lointaines descendantes, au
XXIème siècle, ont souvent encore bien du mal à faire valoir toutes leurs qualités.
Qui donc a le droit d’exercer le pouvoir ? Et pour quelles raisons un pouvoir - s’il ne
s’inscrit pas dans l’ordre établi - devient-il autoritaire, risible, en un mot illégitime ?
Jamais ces questions ne furent plus brûlantes qu’aujourd’hui : l’accès au savoir et à la
liberté - liberté de dire, de choisir, de s’inventer en tant qu’être pensant. Aujourd’hui encore, il
nous faut défendre la figure de l’intellectuel-le, croire en cette « substance réactive » qu’est
l’esprit.
Marc Paquien, avril 2010.
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Gérard DIDIER
Peintre et scénographe, il signe régulièrement des scénographies pour le théâtre et l'opéra :
2010 : Ecrire de M. Duras, mise en scène de Jeanne Champagne à l'Equinoxe de
Châteauroux, Mary Barnes, mise en scène de Véronique Widodk au Théâtre du Hublot à
Colombes, Cyrano de Bergerac d'E. Rostang, mise en scène de Jean-Claude Fall au Théâtre
"TUB" de Saratov/ Russie
2009 : Le Mariage secret de D. Cimarosa, mise en scène de Marc Paquien à la MC 93 de
Bobigny, La Ville de M. Crimp, mise en scène de Marc Paquien au Théâtre des Abbesses à
Paris, Minetti de T. Bernhard au Théâtre de l'Etoile du Nord à Paris, Oedipe de Sophocle,
mise en scène de Philippe Adrien au Théâtre de la Tempête à Paris, Les Affaires sont les
affaires d'O. Mirbeau, mise en scène de Marc Paquien au Théâtre du Vieux Colombier à Paris
2008 : Gengis chez les Pygmées de G. Motton, mise en scène de Véronique Widock au
Théâtre du Hublot à Colombes, Debout dans la mer, d'aprés A. Conti, mise en scène de
Jeanne Champagne au Théâtre du Chaudron à Paris, Le Roi Lear de W. Shakespeare, mise en
scène de Jean-Claude Fall au Théâtre des Treize Vents à Montpellier, Richard III de W.
Shakespeare, mise en scène de Jean-Claude Fall au Théâtre des Treize Vents à Montpellier,
Les Aveugles de M. Maeterlinck, mise en scène de Marc Paquien à l’Opéra de Paris, Sade / Le
Théâtre des Fous, mise en scène de Marie-Claude Pietragalla et Jullien Derouault à l’Espace
Cardin à Paris.
Par ailleurs, Gérard Didier expose régulièrement ses recherches personnelles :
2010 : Gérard Didier peintre et scénographe à la médiathèque d'Issy les Moulineaux
2009 : à la Galerie Vivienne à Paris.
2008 : à la Galerie le Passage à Fécamp et au Salon des réalités à Paris.
Il est également chargé de cours de Scénographie à l'Université Paris III Sorbonne.
Dominique BRUGUIERE
Elle crée des lumières pour le théâtre, la danse et l'opéra. Ses rencontres artistiques avec
Antoine Vitez et Claude Régy ont fondé son amour de la scène.
Elle a accompagné Claude Régy pendant de nombreuses années ainsi que Jérôme Deschamps
et Macha Makeïeff. Elle poursuit une riche collaboration avec Luc Bondy et
travaille régulièrement avec Patrice Chéreau. Elle a croisé les chemins de Werner Schroeter,
Deborah Warner, Peter Zadek, Jorge Lavelli, Youssef Chahine et ceux d’une nouvelle
génération comme Marc Paquien, Jean-René Lemoine ou Emma Dante pour qui elle a réalisé
la lumière de Carmen à la Scala de Milan.
Son amour de la danse lui a permis de travailler avec des artistes aux univers différents
comme Catherine Diverrès, Karole Armitage, Jean-Claude Gallotta, Nicolas Le Riche et
dernièrement Angelin Preljocaj. Bon nombre de ces créations se sont réalisées avec le Ballet
de l’Opéra de Paris.
Elle a reçu le Prix de la critique par deux fois et le Molière du « meilleur créateur » lumière
pour Phèdre, mise en scène de Patrice Chéreau.
Elle vient de réaliser la lumière de Rêve d'automne de Jon Fosse, mise en scène de Patrice
Chéreau au Musée du Louvre et au Théâtre de la Ville.
Claire RISTERUCCI
Elle opte très tôt pour la couture, d’abord dans un atelier de coupe industrielle généralement
réservé aux “gros bras”, puis à Montélimar dans un atelier de styliste. Elle y rencontre le
metteur en scène Yves Faure qui lui propose en 1985 de créer les costumes pour La Double
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Inconstance de Marivaux. Cela déterminera son parcours au théâtre, marqué souvent par des
collaborations au long cours : Emilie Valantin (Si Peu De Mal tant de plaisir d’après La
Fontaine), Alain Ollivier (6 spectacles depuis Valse n°6 de N. Rodrigues en 1995 jusqu’à Le
Marin de F. Pessoa en 2006), Jean-Michel Martial (Liens de sang de A. Fugard), Claudia
Stavisky (Electre de Sophocle, Minetti de T. Bernardt, Le Songe d’une nuit d’été de W.
Shakespeare, Cairn de E. Corman, West Side Story d’après le livret de L. Bernstein), Claude
Yersin (Electre de Sophocle et Bamako de E. Duez), Hamou Graïa (La Force d’aimer).
Aujourd’hui, la création de Claire Risterucci est surtout marquée par son compagnonnage
avec deux metteurs en scène :
- Marc Paquien pour qui elle crée les costumes depuis L’Intervention de V. Hugo en 2002 : La
Mère de S. Witkiewicz, Face au mur de M. Crimp, La Dispute de Marivaux, Le Baladin du
monde occidental de J.M. Synge, La Ville de M. Crimp, Les Affaires sont les affaires d’O.
Mirbeau
- Jacques Vincey : Le Belvédère de O. von Horvath, Mademoiselle Julie de A. Strinberg,
Madame de Sade de Y. Mishima, La Nuit des rois de W. Shakespeare.
Elle participe à plusieurs opéras : avec Marc Paquien pour Les Aveugles de M. Maeterlinck et
Le Mariage secret de D. Cimarosa, avec Richard Brunel pour Albert Henning de B. Britten.
Elle réalise aussi les costumes pour des films : Border Line (1992) de Danièle Ducroux, La
Légende de Jérôme Diamant-Berger (1993), Le Cri de la soie d’Ivon Marciano 1996), Vive la
mariée ou la libération du Kurdistan de Iner Salem (1997), Ainsi Soit-Il de Gérard Blain
(2000), Bandit d’Amour de Pierre Lebret (2001), Mission sacrée de Daniel Vigne (2010).
Elle a obtenu en 2009 le Molière du créateur de costumes pour Madame de Sade.
Anita PRAZ
Elle a suivi des études de musicologie à l’Université Paris IV et une formation à l'Institut
Supérieur des Techniques du Spectacle (ISTS). Son parcours autour de la musique, du son et
de la danse oriente principalement son trajet professionnel vers la création sonore et la danse.
Elle crée des univers sonores pour le théâtre et la danse en collaborant avec des metteurs en
scène et des chorégraphes tels que Guy Delamotte, Alain Ollivier, Madeleine Marion, GuyPierre Couleau, Marc Paquien, Patrick Sueur et Paule Groleau, Catherine Berbessou, Philippe
Chevalier, Claire Jenny.
Elle danse aussi avec les compagnies de Nathalie Clouet, de Judith Elbaz, de Nathalie
Collantès.
Cécile KRETSCHMAR
Elle travaille au théâtre pour les maquillages, les perruques et les masques ou prothèses avec
de nombreux metteurs en scène, notamment Jacques Lassalle, Jorge Lavelli, Dominique
Pitoiset, Charles Tordjman, Jacques Nichet, Jean-Louis Benoit, Didier Bezace, Philippe
Adrien, Claude Yersin, Luc Bondy, Omar Porras, Marc Paquien, Jean-Claude Berutti, Bruno
Boeglin, Jean-François Sivadier, Jacques Vincey.
Ses dernières collaborations en 2009/2010 :
Yvonne Princesse de Bourgogne pour les perruques et maquillages, mise en scène de Luc
Bondy à l’Opéra Garnier
L’Ordinaire pour les coiffures et maquillages, mise en scène de Michel Vinaver à la Comédie
Française
Lulu pour les perruques et maquillages, mise en scène de Peter Stein à l’Opéra de Lyon
La Traviata pour les perruques et maquillages, reprise de Klaus Michael Gruber à l’Opéra de
Lyon
Tosca pour les coiffures et maquillages, mise en scène de Luc Bondy au Metropolitan Opera
de New-York
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La Nuit des Rois pour les perruques et maquillages, mise en scène de Jacques Vincey au
Théâtre de Carouge Genève
La Paranoïa pour les perruques et maquillages, mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo et
Elise Vigier au Théâtre National de Chaillot
L’Etoile pour les masques, mise en scène de Jérôme Savary au Grand Théâtre de Genève
Les Affaires sont les affaires pour les perruques et maquillages, mise en scène de Marc
Paquien au Théâtre du Vieux Colombier
La Nuit des Rois pour les perruques et maquillages, mise en scène de Jean-Louis Benoît au
Théâtre La Criée de Marseille
Les Joyeuses Commères de Windsor pour les perruques et maquillages, mise en scène de
Andres Lima à la Comédie Française
Eugène Onéguine pour les perruques et maquillages, mise en scène de Jean-Yves Ruf à
l’Opéra de Lille
Les Fausses Confidences pour les perruques et maquillages, mise en scène de Didier Bezace
au Théâtre de la Commune Aubervilliers
La Mort d’un commis voyageur pour les perruques et maquillages, mise en scène de
Dominique Pitoiset
Carmen pour les perruques et maquillages, mise en scène de Jean-François Sivadier à l’Opéra
de Lille
Madame Butterfly pour les perruques et maquillages, mise en scène de Jean-François Sivadier
à l’Opéra de Dijon
Les Chaises pour les perruques prothèses et maquillages, mise en scène de Luc Bondy au
Théâtre des Amandiers de Nanterre
Orlando pour les masques, mise en scène de David McVicar à l’Opéra de Lille
Un Pied dans le crime pour les perruques et maquillages, mise en scène de Jean-Louis Benoît
au CDN de Bordeaux.
© B. Enguerand
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« Je hais les cœurs pusillanimes qui, pour trop prévoir, n’osent rien entreprendre ».
Jamais en une seule année l'on ne vit tant de belles pièces de théâtre, et le fameux Molière ne
nous a point trompés dans l'espérance qu'il nous avait donnée il y a tantôt quatre ans, de faire
représenter au Palais-Royal, une pièce comique de sa façon, qui fut tout à fait achevée. On y
est bien diverti, tantôt par ces précieuses ou femmes savantes, tantôt par les agréables
railleries d'une certaine Henriette, et puis par les ridicules imaginations d'une visionnaire, qui
se veut persuader, que tout le monde est amoureux d'elle. Je ne parle point du caractère d'un
père, qui veut faire croire à un chacun, qu'il est le maître de sa maison, qui se fait fort de tout
quand il est seul, et qui cède tout dès que sa femme paraît. Je ne dis rien aussi du personnage
de M. Trissotin, qui tout rempli de son savoir, et tout gonflé de la gloire, qu'il croit avoir
méritée, paraît si plein de confiance de lui-même, qu'il voit tout le genre humain fort audessous de lui. Le ridicule entêtement qu'une mère, que la lecture a gâtée, fait voir pour ce M.
Trissotin, n'est pas moins plaisant; et cet entêtement, aussi fort que celui du père dans
Tartuffe, durerait toujours, si par un artifice ingénieux de la fausse nouvelle d'un procès perdu,
et d'une banqueroute, (qui n'est pas d'une moins belle invention que l'exempt dans
l'Imposteur) un frère, qui, quoique bien jeune, paraît l'homme du monde du meilleur sens, ne
le venait faire cesser, en faisant le dénouement de la pièce. Il y a au troisième acte une
querelle entre ce M. Trissotin, et un autre savant, qui divertit beaucoup ; et il y a au dernier,
un retour d'une certaine Martine, servante de cuisine, qui avait été chassée au premier, qui fait
extrêmement rire l'assemblée par un nombre infini de jolies choses qu'elle dit en son patois,
pour prouver que les hommes doivent avoir la préférence sur les femmes. Voilà confusément
ce qu'il y a de plus considérable dans cette comédie, qui attire tout Paris. Il y a partout mille
traits d'esprit, beaucoup d'expressions hardies, et beaucoup de manières de parler nouvelles et
hardies, dont l'invention ne peut être assez louée, et qui ne peuvent être imitées. Bien des gens
font des applications de cette comédie, et une querelle de l'auteur, il y a environ huit ans, avec
un homme de lettre, qu'on prétend être représenté par M. Trissotin, a donné lieu à ce qui s'en
est publié ; mais M. Molière s'est suffisamment justifié de cela par une harangue qu'il fit au
public, deux jours avant la première représentation de sa pièce : et puis ce prétendu original de
cette agréable comédie ne doit pas s'en mettre en peine, s'il est aussi sage et aussi habile
homme que l'on dit, et cela ne servira qu'à faire éclater davantage son mérite, en faisant naître
l'envie de le connaître, de lire ses écrits, et d'aller à ses sermons. Aristophane ne détruisit point
la réputation de Socrate en le jouant dans une de ses farces, et ce grand philosophe n'en fut
pas moins estimé de toute la Grèce. Mais pour bien juger du mérite de la comédie dont je
parle, je conseillerais à tout le monde de la voir, et de s'y divertir, sans examiner autre chose,
et sans s'arrêter à la critique de la plupart des gens qui croient qu'il est d'un bel esprit de
trouver à redire.
DONNEAU de VISE, le Mercure galant, lettre du 12 mars 1672
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Même si l’on loue la « langue de Molière », elle est difficile pour nos esprits du XXIème
siècle. Voici donc une liste de mots puisés dans la pièce. A vous de les associer à leur
définition en vous aidant d’un dictionnaire, pour créer votre lexique de référence :
agrément - amant (e) - appas – ardeur (s) - attachement (s) - attrait (s) - courroux - dessein dot - fille - flamme - fréquenter - feu (x) - gager - hymen ou hyménée - licence - lien (s) mystère - nœud - souffrir - soupirer - suffrage – transport (s) – visée.
Personne non mariée
Projet
Affection
Lien, attachement très étroit entre des personnes
Les charmes d’une femme
Mariage (mot d’origine grecque)
Permettre, tolérer
Direction de l’esprit vers un but, un objectif qu’il se propose
Etre amoureux
Passion amoureuse
Personne qui aime d’amour et qui est aimée (mot d’origine
latine)
Ce qui unit entre elles deux ou plusieurs personnes
Colère
Qualité d’un être ou d’une chose qui les rend agréables
Opinion, avis favorable
Parier
Chose cachée, secrète
Aller souvent, habituellement
Liberté (mot d’origine latine)
Ardeur des sentiments, des passions / passion amoureuse
Vive émotion, sentiment passionné
Energie pleine de vivacité dans les sentiments
Bien qu’une femme apporte en se mariant
Beautés qui attirent chez une femme
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Encore une fois - il l'a déjà fait avec Les Fourberies de Scapin -, Molière prend d'une certaine
façon le contre-pied des goûts de son public, alors sous le charme de la comédie-ballet et du
divertissement de cour. A-t-il été de nouveau poussé par le souci de limiter les frais
occasionnés par les comédies-ballets à la ville, ou est-ce par gageure qu'il s'essaie à cette
comédie de salon de facture plus classique, en cinq actes et en vers, respectueuse des règles
des unités, et agrémentée d’une satire des mœurs - notre dramaturge y reprend le thème de la
préciosité avec une variante nouvelle, le goût de la science et de la philosophie, mis à la mode
par nombre d'ouvrages de vulgarisation ? Comme dans Les Précieuses ridicules, Molière se
montre assez dur avec ces femmes, qui, après tout, sont animées d'une aspiration
sympathique, quoique maladroite, au savoir, et Philaminte est admirable quand elle apprend
sans s'émouvoir que sa fortune est perdue (acte V, scène 4). Peut-être Molière a-t-il voulu, à
travers elles, stigmatiser l'espèce d'arrogance et de dogmatisme dont font preuve à l'époque
dans les salons certains tenants de la philosophie cartésienne ?
Toujours est-il qu'il raille le snobisme - effet de l'amour-propre - dont procède leur pseudo
science : « J'aime ses tourbillons », s'écrie Armande, « Moi, ses mondes tombants », répond
Philaminte, ajoutant qu'« avec du grec on ne peut gâter rien » (acte III, scène 2 et 3). Il
stigmatise également le ridicule dû à leur confusion mentale, elles qui picorent dans le
cartésianisme, l'épicurisme, le stoïcisme, le platonisme, sans souci de la cohérence organique
de chaque système ; et l'on voit Bélise admettre la théorie épicurienne de l'atome, mais rejeter
celle du vide, qui lui est indissociable. Ce défaut d'intelligence les entraîne à toutes sortes
d'attitudes ridicules : d'abord, à des fautes de goût frappantes et à des erreurs de jugement
graves sur les œuvres et les auteurs ; en témoignent l'admiration sans borne qu'elles portent à
Trissotin et leur extase devant son « Quoi qu'on die ». Ensuite, du moins pour Armande et
Bélise, à une pruderie ridicule, reposant sur une conception tronquée de l'amour. Enfin, et
c'est plus grave, fortes d'un savoir qui échappe au vulgaire, elles font preuve de dogmatisme et
d'autoritarisme, comme la plupart des soi-disant détenteurs d'une vérité qu'ils veulent imposer
aux autres :
Nous serons par nos lois les juges des ouvrages ;
Par nos lois, prose et vers, tout nous sera soumis ;
Nul n'aura de l'esprit hors nous et nos amis ;
Nous chercherons partout à trouver à redire,
Et ne verrons que nous qui sache bien écrire. (acte III, scène 2)
Le comique est dans cette œuvre d'un ton nouveau : à côté des quelques effets, issus de la
farce, liés aux interventions de la servante, quelle maîtrise dans l’exploitation de certains
procédés d'écriture révélateurs d’une attitude ! Quand Chrysale emploie malencontreusement
devant sa sœur le mot de chimères, c'est tout l'univers mental de la vieille demoiselle qu'il
remet en cause, et la personnalisation de son propos en dit long sur son émotion :
Ah, chimères ! Ce sont des chimères, dit-on !
Chimères, moi ! Vraiment chimères est fort bon !
Je me réjouis fort de chimères, mes frères,
Et je ne savais pas que j'eusse des chimères. (acte II, scène 3)
Quel doigté dans la conduite du ballet de paroles stylisé que le poète ménage entre Trissotin et
ses admiratrices ! Dans un premier temps, celles-ci, sous le charme, font écho au pédant en
répétant en chœur des membres de phrases.
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Puis, il arrive un moment où la tension est trop forte, et le paroxysme de leur bonheur ne peut
plus s'exprimer que par une exclamation qui les unit dans la pâmoison (acte III, scène 2).
Molière exploite ici une dynamique du délire comique, auquel la stylisation de l'écriture
confère une grande efficacité dramatique.
La maturité et l’expérience exceptionnelles du poète se révèlent également dans la façon dont
il « lance » une tirade, autre exemple entre mille. Il serait en effet naïf de penser que le
dramaturge peut placer ici ou là, arbitrairement, une tirade de nature émotive, sans aucune
préparation ; celle-ci paraîtrait rapportée, et le texte manquerait de liant. Il lui faut au contraire
créer une tension justifiant le fait que le personnage, hors de ses gonds, s’exprime
longuement. Pour cela Molière ménage un effet de crescendo : après que Philaminte a décidé
de chasser la servante Martine, Chrysale, esprit matérialiste, s’oppose à sa femme et à sa sœur
en disant l’importance qu’il attache aux choses de l’intendance (« Je vis de bonne soupe, et
non de beau langage »), et il a l’art, dès le début, de citer des noms susceptibles de provoquer
l’indignation et le mépris de ses interlocutrices :
Vaugelas n'apprend point à bien faire un potage,
Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots,
En cuisine peut-être auraient été des sots. (acte II, scène 7)
Puis le fossé se creuse entre eux, au sujet du corps « cette guenille », ce qui accroît l’irritation
de Chrysale : « Guenille si l'on veut, ma guenille m'est chère ». Enfin, quand lui-même
emploie le mot « sollicitude », les deux femmes savantes réagissent en grammairiennes. C’est
l’étincelle qui met le feu aux poudres. La tension est alors suffisante pour justifier la tirade de
Chrysale :
Voulez-vous que je dise ? Il faut qu'enfin j'éclate,
Que je lève le masque, et décharge ma rate.
De folles on vous traite, et j'ai fort sur le cœur ...
Et même s’il recule un instant devant la forte femme qu’est Philaminte, et s’il change de cible
(« C'est à vous que je parle, ma sœur »), le faible Chrysale est animé d’une sainte fureur et ne
peut plus renoncer à s’exprimer. Le mouvement est donné et la tirade se développe ensuite, à
l’adresse cette fois, de Philaminte. Ainsi, le liant du texte est impeccable, et le spectateur,
séduit par cet illusionnisme parfait, oublie qu’il n’a devant lui que des êtres de papier.
Pourquoi une pièce si mûrie n'a-t-elle pas connu un succès égal aux autres comédies de notre
poète ? Ce n'est pas, selon nous, parce que le comique en est trop raffiné pour le rire du
parterre, comme on l’a dit ; nous croirions volontiers, en revanche, que cette œuvre est
quelque peu statique sur le plan dramatique. Elle n'a ni le rythme soutenu du Bourgeois
gentilhomme ou des Fourberies de Scapin, ni la verve folle du Malade imaginaire. Chacun
des personnages s'y exprime au moyen de tirades moyennes ou longues et dit ce qu'il a à dire.
Son écriture est bien « sage » : on y trouve très peu d'interruptions, d'éclats de voix,
d'accidents du langage, en comparaison des autres comédies. Alors qu’à nos yeux elle
présente une sorte de perfection dans son genre, elle a pu détonner à l’époque et dérouter le
public du Palais-Royal, en raison de l'atmosphère quelque peu confinée qui y règne et du
manque de folie et de dynamisme de ses personnages, par rapport à la fantaisie débridée des
dernières œuvres du poète.
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Philaminte, la mère.
Etymologie grecque : phil, racine d’aimer ; minte évoque l’esprit, mens en latin.
C'est elle qui dirige la petite « académie » et qui a découvert Trissotin. Parce que celui-ci
flatte son orgueil, elle le considère comme un grand savant au point qu'elle pense réellement
qu'il peut faire un bon parti pour sa fille. Elle milite également pour la « libération » des
femmes et s’attache à diriger la maisonnée, même si c’est en dépit du bon sens.
Bélise, la tante.
Sœur de Chrysale, c'est une vieille fille qui ne s'est jamais mariée, et on devine que c'est en
partie par dépit qu'elle a rejoint les « femmes savantes ». Elle se croit cependant irrésistible et
s'invente des soupirants ; elle s'imagine en particulier que Clitandre est amoureux d'elle et
qu’Henriette n’est qu’un prétexte.
Armande, la fille aînée.
Autrefois courtisée par Clitandre, elle l'a rejeté et celui-ci est alors tombé amoureux de sa
sœur Henriette. Elle prétend que cela la laisse indifférente, mais en fait, elle est jalouse de sa
sœur et n'a qu'un but : empêcher les deux amoureux de se marier.
Trissotin, bel esprit.
Bien qu'il se vante d'être un grand connaisseur en lettres et en sciences, il n'est qu'un pédant
tout juste bon à faire des vers ridicules que seules Philaminte, Bélise et Armande apprécient.
En manque d'argent, il ne s'est attaché aux « femmes savantes » que dans le but de profiter des
largesses de Philaminte, et éventuellement d'empocher la dot d'Henriette. Ce personnage est
inspiré de l'abbé Cotin.
Vadius, savant.
La terminaison latine en « us » de son nom était fréquemment employée parmi les savants à
vocation internationale, la langue de communication étant alors le latin.
Un pédant comme Trissotin, tour à tour son camarade et son rival. Sa querelle avec Trissotin
sur leurs poèmes respectifs met en relief la petitesse d'esprit de ce dernier. Ce personnage est
inspiré de Gilles Ménage. Une telle dispute est d'ailleurs réellement arrivée entre Cotin et
Ménage à l'époque de l'écriture de la pièce.
Chrysale, le père.
Etymologie grecque : chrusos, l’or.
C’est un bon bourgeois. Le terme signifie « bourgeois fortuné, à ses aises » et désigne donc la
position sociale. Molière, qui emploie le terme « bourgeois » en contexte dépréciatif, joue de
la connotation dévalorisante que peut posséder le terme « bon » comme dans « bon homme »
ou « bonne femme ». « Bon bourgeois » en vient donc à signifier « bourgeois tout ce qu’il y a
de plus bourgeois ».
Il se prétend le maître de la maison et affirme que les femmes doivent s'occuper du ménage et
de rien d'autre. Cependant, il a du mal à contredire sa femme quand celle-ci prend ses
décisions, notamment sur le renvoi de Martine.
Henriette, la fille cadette.
C'est la seule femme de la famille qui ne fasse pas partie des « femmes savantes » : à leur
galimatias pédant, elle préfère les sentiments qui la lient à Clitandre.
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Clitandre, le fiancé d’Henriette.
Etymologie grecque : kleïtos, illustre, et andr, racine du mot signifiant « homme ».
Il a failli être celui d'Armande, mais il a été éconduit par celle-ci avant de tomber amoureux
d'Henriette.
Ariste, l'oncle.
Etymologie grecque : aristos, très bon.
Frère de Chrysale, il ne supporte pas de voir celui-ci se laisser mener par le bout du nez par sa
femme, et apporte son soutien à Clitandre et Henriette.
Martine, la servante.
Au début de la pièce, elle est renvoyée par Philaminte pour avoir parlé en dépit des règles de
la grammaire. Elle revient à la fin pour défendre les arguments de Clitandre et d'Henriette.
Des personnages en opposition
Le mariage compromis de Clitandre et d’Henriette constitue le nœud de l’intrigue. Ils sont les
seuls à communiquer réellement, leur échange étant marqué par la stricte correspondance de
la parole et du sentiment.
En revanche, ils sont la cause d’affrontements d’un bout à l’autre de la pièce. Ces
affrontements (auxquels ils participent parfois l’un ou l’autre) s’avèrent être des affrontements
par couples, ce qui donne à la pièce une architecture très solide.
Henriette – Armande
Ce sont en fait deux conceptions de l’éducation féminine qui s’opposent à travers elles.
Henriette représente la femme traditionnelle, naturelle et intuitive, soumise à l’autorité
masculine dès lors qu’elle n’est pas tyrannique, tandis qu’Armande évoque la femme rebelle à
cette autorité, revendiquant un rôle équivalent à celui de l’homme.
Molière condamne moins son goût des lettres que son refus de l’amour et du mariage. Son
intellectualisme paraît artificiel, et sous sa pruderie se cachent en fait orgueil et jalousie : elle
entreprend de compromettre le bonheur d’Henriette (dénonciation de la « désobéissance »
d’Henriette et dénigrement de Clitandre auprès de Philaminte, acte IV, scène 2). Sa
méchanceté n’est que le fruit de ses frustrations, malheureusement volontaires !
Chrysale – Philaminte
C’est un couple hors des normes. L’homme n’a aucune autorité, la femme y joue l’homme.
L’ordre bourgeois est menacé. Philaminte est le personnage le plus négatif de la pièce : elle
cause par sa « manie » la déchéance d’une famille qu’elle plonge dans les conflits.
Là encore, c’est moins l’intelligence qui est en cause que les nuisances qu’elle crée,
lorsqu’elle n’est pas soumise à la mesure : régenter son monde par la grammaire, idolâtrer les
plumitifs et s’ériger en arbitre des intelligences d’un pays relèvent de la psychiatrie.
Face à cette volonté en déséquilibre, un homme uniquement soucieux de son repos, fuyant les
problèmes, lâche parfois.
Clitandre – Trissotin
Clitandre est « l’honnête homme » rêvé par Molière. Ses bonnes manières, son dégoût des
excès (amour platonique préconisé par Armande, pédantisme de Trissotin), son bon sens (il
passe d’une sœur à l’autre !) le désignent comme l’amant parfait, contrairement à l’hypocrite
et vulgaire Trissotin (orgueilleux, intéressé, au physique peu attrayant).
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Ariste – Bélise
Respectivement oncle et tante d’Henriette, ils sont la personnification de la raison et de la
folie.
Bélise, quoique âgée, s’imagine que tous les jeunes gens (dont Clitandre) sont amoureux
d’elle. Ariste correspond à un Clitandre vieilli, supérieur au jeune premier par sa sagesse et sa
présence d’esprit (ingéniosité du stratagème qui cause le renversement final).
Bélise complète le trio des « savantes » : en plus de la mère dénaturée, de la sœur prude et
malfaisante, nous avons, avec elle, la tante « chimérique ». Elle préfigure ce que pourrait
devenir Armande si cette dernière persistait dans son refus du mariage.
Cotin et Ménage, modèles de Trissotin et Vadius
Il ne fait aucun doute que les deux personnages de Trissotin et Vadius sont des caricatures de
deux « beaux esprits » célébrissimes de l’époque, Charles Cotin et Gilles Ménage.
Charles Cotin avait soixante-huit ans au moment des Femmes Savantes. Membre de
l’Académie Française, il était une des personnalités les plus en vue du monde des salons,
après une longue carrière littéraire. Aumônier de Louis XIII, prédicateur de chaire mondain,
c’était incontestablement un auteur arrivé. Malgré ses succès d’époque, Cotin est considéré de
nos jours comme un auteur mineur, néanmoins pas complètement négligeable. Sa réputation a
très longtemps souffert de l’acharnement de Boileau dont il était l’un des souffre-douleur
favori.
Gilles Ménage, également assez âgé (cinquante-neuf ans) au moment des Femmes Savantes,
avait la réputation d’être un des plus grands érudits de son époque. Sa renommée
intellectuelle dépassait de loin les frontières de la France, en particulier comme connaisseur
du grec ancien et ses travaux comptent dans l’histoire de la linguistique. A ce titre, il avait
latinisé son prénom en Aegidius, selon un usage répandu parmi les savants européen de la
vieille génération, pour lesquels la langue de contact restait le latin. C’était l’exemple assez
rare d’un homme de cabinet qui avait été admis dans les salons. Il s’était dès lors adonné avec
avidité à la littérature de circonstance : le savant s’était fait auteur de madrigaux, ballades et
autres sonnets.
Au demeurant, le prestige de Ménage en avait fait le professeur de Madame de Lafayette et de
Madame de Sévigné et un intime de Mademoiselle de Scudéry.
Sur le plan humain, les contemporains ont laissé de lui une image extrêmement négative :
vaniteux au possible, teigneux dans la controverse, vindicatif. Il cultivait la manie, qui passait
déjà pour ridicule à son époque, d’écrire des poèmes tours de force en toutes les langues qu’il
maîtrisait. Ses contemporains lui faisaient souvent le grief d’une inanité créatrice qu’il
compensait, disait-on, par un penchant pour l’utilisation immodérée de l’œuvre d’autrui. Il
représentait le modèle de l’érudit qui répète, glose, ressasse et ne crée rien. Ce qui ne
l’empêchait nullement, en retour, d’accuser ses homologues de pillage. Ce tempérament
ombrageux et pugnace lui valait de fréquentes et retentissantes querelles avec ses pairs, au
premier rang desquels Boileau.
Cotin et Ménage étaient reconnaissables dans les Femmes Savantes par plusieurs éléments :
- l’onomastique évocatrice : Trissotin évoque bien sûr Cotin ; Vadius possède la même
terminaison en « us » qu’Aegidius ;
- les deux poèmes tirés des Œuvres de Cotin, reproduits à l’acte III, scène 2 ;
- la métaphore filée du festin poétique (vers 746-754), correspondant à une pièce de cotin sur
le même motif ;
- les vers 1267-1270 à propos de la comète : Cotin était l’auteur de « Galanteries sur la
comète apparue en décembre 1664 et janvier 1665 » ;
- la qualité de spécialiste du grec attribuée à Vadius (vers 942) ;
25
- la dispute à laquelle se livrent les deux savants dans le salon, évocatrice de la querelle entre
Ménage et Cotin ;
- l’allusion à la disparition de Ménage et Cotin de la liste des pensions (vers 1349-1352).
Depuis 1663 avaient été instituées des gratifications royales aux gens de lettres, c’est-à-dire
des sommes annuelles allouées par le roi en reconnaissance d’un mérite particulier. Ménage et
Cotin avaient bénéficié dans un premier temps de montants importants, avant de disparaître de
la liste en 1667 : le royaume ne leur devait plus rien pour l’apport qu’il fournissait aux lettres
et à la science.
Quelles raisons Molière avait-il de s’attaquer à ces deux figures de premier plan du monde
littéraire et intellectuel de l’époque ? L’auteur des Femmes Savantes pouvait avoir plusieurs
motifs d’en vouloir à Cotin :
- En 1662, après la représentation de l’Ecole des Femmes, il aurait attaqué la pièce, la
qualifiant d’immorale et d’irreligieuse. L’immoralité résiderait dans le fait que Molière incite
à « cocufier » les barbons, et donc à désorganiser la société, fondée il est vrai, à cette époque,
sur les mariages d’intérêt plus que d’inclination ;
- En 1666, on lui doit les propos suivants sur les comédiens, proférés par un de ses
personnages : « Je leur abandonne ma réputation, pourvu qu’ils ne m’obligent point à voir
leur farce. Que peut-on répondre à des gens qui sont déclarés infâmes par les lois, même des
païens ?, que peut-on dire contre ceux à qui l’on ne peut rien dire de pire que leur nom … ? ».
En pleine querelle du Tartuffe, au moment des pires difficultés de Molière, ces mots
frappaient dur : il réclamait la sévérité de l’Eglise et du roi !
- En 1668, il s’en prend aussi à Boileau, ami de Molière. Or, c’est justement cette année-là
que Molière annonce qu’il met en chantier une grande pièce.
Pour Ménage, en revanche, aucun motif d’inimitié personnelle n’est venu à notre
connaissance. La réputation universelle de pédant teigneux que l’érudit s’était créée suffisait
sans doute à en faire un bon « partenaire » pour Cotin.
Le personnage de Trissotin
Un pédant ridicule par sa prétention
Deux jours avant la création, Molière, dans une harangue au public, avait recommandé qu’on
ne recherchât pas de clefs aux personnages de la pièce. En d’autres termes, l’auteur des
Femmes Savantes entendait affirmer qu’il ne s’était inspiré d’aucun de ses contemporains,
qu’il ne prétendait attaquer et ridiculiser aucun de ses ennemis. Pourtant tout le monde voulut
voir en Trissotin l’abbé Cotin avec qui Molière entretenait un contentieux.
Comme très souvent chez Molière, le personnage nous est présenté par les propos d’autrui
avant qu’il n’apparaisse. Très vite il est l’objet de la discussion qui oppose les deux
amoureux, Clitandre et Henriette. Alors que la fille de Philaminte demande à son amant de
composer pour séduire sa future belle-famille en flattant quelque peu les travers par où elle
pèche, elle se voit répondre tout net par le jeune homme (acte I, scène 4) qu’il ne saurait
consentir à complimenter la prétention aussi sotte que ridicule que les femmes ont d’être
savantes et qui très vite se cristallise sur un nom : Trissotin. Ce personnage lasse jusqu’à
l’agacement un auditoire moins naïf qui le considère comme "Un benêt dont partout on siffle
les écrits". Même Chrysale s’est aperçu (acte II, scène 7) du rôle essentiel que joue ce pédant
et lui reproche son emphase, son verbiage et sa sottise.
Trissotin est d’abord un poète de piètre mérite qui abonde en préciosités ridicules. Il file des
images outrées : son poème est un enfant nouveau-né dont l’auteur a "accouché’’. Philaminte
sera sa marraine ; c’est aussi une nourriture qui doit mal apaiser une fringale ; l’image
culinaire se poursuit avec les mots "ragoût" et "sel attique" (acte III, scène 2). Ses vers
regorgent d’adverbes de manière. Son sonnet reflète le goût très conventionnel du temps, il
26
cherche uniquement à flatter sur un sujet futile. Enfin la lecture poétique se termine sur un jeu
de mots d’un goût douteux, celui du carrosse amarante qui devient de ma rente.
Le personnage est donc bien nommé, Trissotin est un triple sot et tout son art consiste à jeter
de la poudre aux yeux, à éblouir les benêts et les snobs d’une érudition pédante. Enfin il
apparaît très imbu de sa propre personne.
Pourtant le poète mondain sait manier le goût de la flatterie : il demande à Philaminte de lire
ses œuvres pour pouvoir non critiquer mais admirer. Lorsqu’il apprend la constitution d’une
académie, avec une certaine servilité, il se reconnaît du parti des femmes et honore leurs
"lumières" en attendant leurs découvertes. Somme toute, ce personnage ridicule pourrait se
révéler bien inquiétant.
Un personnage odieux par son hypocrisie
Trissotin est assez fin pour avoir compris tout le parti qu’il pourrait tirer de la famille qui
l’abrite en sachant flatter adroitement l’amour-propre de ses protectrices jusqu’à posséder sur
Philaminte "une grande puissance". Très vite le pédant est au cœur de toutes les discussions et
va devenir celui qui divise la famille, le révélateur des faiblesses de chacun : la pusillanimité
de Chrysale, l’autoritarisme de Philaminte et la sotte futilité des précieuses.
Cet inquiétant personnage utilise des arguments spécieux : pour défendre son sonnet contre
les attaques de Vadius il use d’une formule péremptoire (Acte III, scène 3).
Je soutiens qu’on ne peut en faire de meilleur ;
Et ma grande raison, c’est que j’en suis l’auteur.
Son sens hypertrophié de sa propre valeur ne lui permet pas de supporter la moindre critique.
Tant que Vadius le flatte, il est tout miel pour le faire-valoir ; mais à la moindre attaque, il
déloge l’adversaire qui a osé mettre en péril son image de marque devant le cercle de ses
admiratrices. Ce revirement brutal, la violente et blessante diatribe qui succède aux longs
compliments d’introduction sont révélateurs de l’amour-propre comme de la duplicité du
personnage.
Ailleurs il sait faire montre d’habileté. Pour faire pardonner son emportement, il suggère (acte
II, scène 3) qu’il a défendu le jugement de ses admiratrices, ainsi il lie leur sort sauf en les
obligeant à se déjuger.
En fait Trissotin est surtout un intrigant, défaut redoutable que Molière avait dénoncé en 1664
dans Tartuffe. On est entiché de lui comme Orgon l’était de son faux dévot. Philaminte s’est
en effet mis en tête (fin de l’acte III) de donner au poète mondain sa fille Henriette et d’en
faire son gendre. Ainsi dans la place, Trissotin défend ses positions et apparaît comme un
redoutable contradicteur qui ne se laisse pas déborder par Clitandre (acte IV, scène 3) non
plus que par Henriette (Acte V, scène 2). Clitandre est obligé de reconnaître la valeur de son
adversaire : « Et si je m’en défends, ce n’est qu’en reculant ».
Le spectateur aura encore le loisir de découvrir un envieux qui reproche à la cour de ne pas
l’avoir pensionné et qui, de ce fait, dénigre l’ignorance incapable du pouvoir. Le portrait sera
complété par les traits d’un plagiaire dénoncé par son rival Vadius (acte IV, scène 4).
Le stratagème final d’Ariste démasque l’hypocrite : le bel esprit n’était qu’un coureur de dot.
En fin de compte Trissotin est condamné par Molière pour avoir encouragé le terrorisme
intellectuel que la terrible Philaminte entend faire régner dans la maison du bonhomme
Chrysale. De plus le poète mondain a voulu en profiter par ses intrigues. La leçon est évidente
et toujours actuelle : les Trissotin ne sont jamais que ce que nous les faisons lorsque, sans
esprit critique, nous devenons les propagandistes trop zélés de la mode et du snobisme.
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ACTE I – SCENE 1 – ARMANDE, HENRIETTE
ARMANDE
Quoi ? Le beau nom de fille est un titre, ma sœur,
Dont vous voulez quitter la charmante douceur,
Et de vous marier vous osez faire fête ?
Ce vulgaire dessein vous peut monter en tête ?
HENRIETTE
Oui, ma sœur.
ARMANDE
Ah ! ce "oui" se peut-il supporter,
Et sans un mal de cœur saurait-on l'écouter ?
HENRIETTE
Qu'a donc le mariage en soi qui vous oblige,
Ma sœur ?
ARMANDE
Ah, mon Dieu ! Fi !
HENRIETTE
Comment ?
ARMANDE
Ah, fi ! vous dis-je.
Ne concevez-vous point ce que, dès qu'on l'entend,
Un tel mot à l'esprit offre de dégoûtant ?
De quelle étrange image on est par lui blessée ?
Sur quelle sale vue il traîne la pensée ?
N'en frissonnez-vous point? et pouvez-vous, ma sœur,
Aux suites de ce mot résoudre votre cœur ?
HENRIETTE
Les suites de ce mot, quand je les envisage,
Me font voir un mari, des enfants, un ménage ;
Et je ne vois rien là, si j'en puis raisonner,
Qui blesse la pensée et fasse frissonner.
ARMANDE
De tels attachements, Ô Ciel! sont pour vous plaire ?
HENRIETTE
Et qu'est-ce qu'à mon âge on a de mieux à faire,
Que d'attacher à soi, par le titre d'époux,
Un homme qui vous aime et soit aimé de vous,
Et de cette union, de tendresse suivie,
Se faire les douceurs d'une innocente vie ?
Ce nœud, bien assorti, n'a-t-il pas des appas ?
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ARMANDE
Mon Dieu, que votre esprit est d'un étage bas !
Que vous jouez au monde un petit personnage,
De vous claquemurer aux choses du ménage,
Et de n'entrevoir point de plaisirs plus touchants
Qu'un idole d'époux et des marmots d'enfants !
Laissez aux gens grossiers, aux personnes vulgaires,
Les bas amusements de ces sortes d'affaires ;
À de plus hauts objets élevez vos désirs,
Songez à prendre un goût des plus nobles plaisirs,
Et traitant de mépris les sens et la matière,
À l'esprit comme nous donnez-vous toute entière.
Vous avez notre mère en exemple à vos yeux,
Que du nom de savante on honore en tous lieux:
Tâchez ainsi que moi de vous montrer sa fille,
Aspirez aux clartés qui sont dans la famille,
Et vous rendez sensible aux charmantes douceurs
Que l'amour de l'étude épanche dans les cours ;
Loin d'être aux lois d'un homme en esclave asservie,
Mariez-vous, ma sœur, à la philosophie,
Qui nous monte au-dessus de tout le genre humain,
Et donne à la raison l'empire souverain,
Soumettant à ses lois la partie animale,
Dont l'appétit grossier aux bêtes nous ravale.
Ce sont là les beaux feux, les doux attachements,
Qui doivent de la vie occuper les moments ;
Et les soins où je vois tant de femmes sensibles
Me paraissent aux yeux des pauvretés horribles.
HENRIETTE
Le Ciel, dont nous voyons que l'ordre est tout-puissant,
Pour différents emplois nous fabrique en naissant ;
Et tout esprit n'est pas composé d'une étoffe
Qui se trouve taillée à faire un philosophe.
Si le vôtre est né propre aux élévations
Où montent des savants les spéculations,
Le mien est fait, ma sœur, pour aller terre à terre,
Et dans les petits soins son faible se resserre.
Ne troublons point du Ciel les justes règlements,
Et de nos deux instincts suivons les mouvements:
Habitez, par l'essor d'un grand et beau génie,
Les hautes régions de la philosophie,
Tandis que mon esprit, se tenant ici-bas,
Goûtera de l'hymen les terrestres appas.
Ainsi, dans nos desseins l'une à l'autre contraire,
Nous saurons toutes deux imiter notre mère:
Vous, du côté de l'âme et des nobles désirs,
Moi, du côté des sens et des grossiers plaisirs;
Vous, aux productions d'esprit et de lumière,
Moi, dans celles, ma sœur, qui sont de la matière.
ARMANDE
Quand sur une personne on prétend se régler,
C'est par les beaux côtés qu'il lui faut ressembler ;
Et ce n'est point du tout la prendre pour modèle,
Ma sœur, que de tousser et de cracher comme elle.
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HENRIETTE
Mais vous ne seriez pas ce dont vous vous vantez,
Si ma mère n'eût eu que de ces beaux côtés ;
Et bien vous prend, ma sœur, que son noble génie
N'ait pas vaqué toujours à la philosophie.
De grâce, souffrez-moi, par un peu de bonté,
Des bassesses à qui vous devez la clarté ;
Et ne supprimez point, voulant qu'on vous seconde,
Quelque petit savant qui veut venir au monde.
ARMANDE
Je vois que votre esprit ne peut être guéri
Du fol entêtement de vous faire un mari ;
Mais sachons, s'il vous plaît, qui vous songez à prendre:
Votre visée au moins n'est pas mise à Clitandre ?
HENRIETTE
Et par quelle raison n'y serait-elle pas?
Manque-t-il de mérite? Est-ce un choix qui soit bas?
ARMANDE
Non; mais c'est un dessein qui serait malhonnête,
Que de vouloir d'un autre enlever la conquête ;
Et ce n'est pas un fait dans le monde ignoré
Que Clitandre ait pour moi hautement soupiré.
HENRIETTE
Oui ; mais tous ces soupirs chez vous sont choses vaines,
Et vous ne tombez point aux bassesses humaines ;
Votre esprit à l'hymen renonce pour toujours,
Et la philosophie a toutes vos amours :
Ainsi, n'ayant au cœur nul dessein pour Clitandre,
Que vous importe-t-il qu'on y puisse prétendre ?
ARMANDE
Cet empire que tient la raison sur les sens
Ne fait pas renoncer aux douceurs des encens,
Et l'on peut pour époux refuser un mérite
Que pour adorateur on veut bien à sa suite.
HENRIETTE
Je n'ai pas empêché qu'à vos perfections
Il n'ait continué ses adorations ;
Et je n'ai fait que prendre, au refus de votre âme,
Ce qu'est venu m'offrir l'hommage de sa flamme.
ARMANDE
Mais à l'offre des vœux d'un amant dépité
Trouvez-vous, je vous prie, entière sûreté ?
Croyez-vous pour vos yeux sa passion bien forte,
Et qu'en son cœur pour moi toute flamme soit morte ?
HENRIETTE
Il me le dit, ma sœur, et, pour moi, je le croi.
ARMANDE
Ne soyez pas, ma sœur, d'une si bonne foi,
Et croyez, quand il dit qu'il me quitte et vous aime,
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Qu’il n’y songe pas bien et se trompe lui-même.
HENRIETTE
Je ne sais ; mais enfin, si c'est votre plaisir,
Il nous est bien aisé de nous en éclaircir :
Je l'aperçois qui vient, et sur cette matière
Il pourra nous donner une pleine lumière.
Il s’agit d’une scène d’exposition « in medias res », mais aussi d’une scène
d’affrontement : deux sœurs se disputent entre philosophie et amour.
I) Le rapport de force entre les deux sœurs
Il va évoluer au fil de la scène. Dans un premier temps, il est favorable à Armande. Elle
attaque par des exclamations, puis par des questions. Elle ne laisse pas le temps à sa sœur de
se défendre. Henriette est dans ses retranchements. Elle est calme, se montre plus tolérante et
répond par des questions : elle raisonne. Elle finit par prendre définitivement le dessus sur sa
sœur.
Les paroles entre les deux sœurs sont blessantes. Armande parle mal à sa sœur, se montre
méprisante voire insultante, lui reprochant un manque d’intelligence et de raffinement.
Henriette répond aux questions par d’autres questions, aux insultes par des justifications
(montrer qu’Henriette reprend l’opposition de vocabulaire mariage / intellectualité très
ironiquement). Quand Armande prend leur mère comme exemple de femme savante,
Henriette réplique en disant qu’elles sont une part de leur mère et qu’elles ne seraient pas là,
si leur mère n’avait été que savante. Elle va plus loin en rendant sa sœur responsable du
départ de Clitandre.
La jalousie intervient ainsi dans le débat entre les deux sœurs. Armande fait de Clitandre sa
conquête et ne veut pas s’en séparer. Elle veut être aimée, mais pas jusqu’à se marier. Elle
préfère se faire désirer. Elle minimise l’amour de Clitandre pour Henriette, car elle est
persuadée qu’il l’aime toujours. En revanche, Henriette est sûre d’elle et n’a peur de rien.
II) Deux conceptions de la vie
En ce qui concerne le mariage, Armande est contre. Elle éprouve du dégoût et n’approuve pas
l’union des corps (relever les termes dépréciatifs qu’elle utilise pour désigner le mariage et la
vie matrimoniale). Henriette, au contraire, voit sa famille dans le futur.
Sur l’individu et la destinée de la femme. Si Henriette envisage de fonder une famille, d’être
mariée avec une personne aimée et d’avoir des enfants, pour Armande, la femme est faite
pour être instruite (relever le vocabulaire utilisé pour désigner l’activité intellectuelle).
Henriette conclut en disant que chaque personne naît avec quelque chose à accomplir.
A propos de l’amour, Henriette estime que c’est une chose que l’on ne refuse pas, qu’il doit
être sincère et spontané. Elle ne rejette pas l’union des corps. Armande, en bonne précieuse, le
conçoit de façon abstraite et égoïste, et accepte qu’on lui fasse la cour.
Quelles sont les attentes du spectateur à l’issue de cette scène ? Clitandre va devoir
dire qui il aime. Quel parti la mère d’Armande et Henriette va-t-elle prendre ? Acceptera-telle l’union de Clitandre et Henriette ? Le mariage se réalisera-t-il ? Tous les enjeux de la
pièce sont posés.
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ACTE II – SCENE 6 – PHILAMINTE, BELISE, CHRYSALE, MARTINE
PHILAMINTE
Quoi ? je vous vois, maraude ?
Vite, sortez, friponne; allons, quittez ces lieux,
Et ne vous présentez jamais devant mes yeux.
CHRYSALE
Tout doux.
PHILAMINTE
Non, c'en est fait.
CHRYSALE
Eh!
PHILAMINTE
Je veux qu'elle sorte.
CHRYSALE
Mais qu'a-t-elle commis, pour vouloir de la sorte.
PHILAMINTE
Quoi ? vous la soutenez ?
CHRYSALE
En aucune façon.
PHILAMINTE
Prenez-vous son parti contre moi ?
CHRYSALE
Mon Dieu! Non ;
Je ne fais seulement que demander son crime.
PHILAMINTE
Suis-je pour la chasser sans cause légitime ?
CHRYSALE
Je ne dis pas cela ; mais il faut de nos gens.
PHILAMINTE
Non ; elle sortira, vous dis-je, de céans.
CHRYSALE
Hé bien ! oui : vous dit-on quelque chose là contre ?
PHILAMINTE
Je ne veux point d'obstacle aux désirs que je montre.
CHRYSALE
D'accord.
32
PHILAMINTE
Et vous devez, en raisonnable époux,
Être pour moi contre elle, et prendre mon courroux.
CHRYSALE
Aussi fais-je. Oui, ma femme avec raison vous chasse,
Coquine, et votre crime est indigne de grâce.
MARTINE
Qu'est-ce donc que j'ai fait ?
CHRYSALE
Ma foi ! Je ne sais pas.
PHILAMINTE
Elle est d'humeur encore à n'en faire aucun cas.
CHRYSALE
A-t-elle, pour donner matière à votre haine,
Cassé quelque miroir ou quelque porcelaine ?
PHILAMINTE
Voudrais-je la chasser, et vous figurez-vous
Que pour si peu de chose on se mette en courroux ?
CHRYSALE
Qu'est-ce à dire ? L'affaire est donc considérable ?
PHILAMINTE
Sans doute. Me voit-on femme déraisonnable ?
CHRYSALE
Est-ce qu'elle a laissé, d'un esprit négligent,
Dérober quelque aiguière ou quelque plat d'argent ?
PHILAMINTE
Cela ne serait rien.
CHRYSALE
Oh, oh ! peste, la belle !
Quoi ? l'avez-vous surprise à n'être pas fidèle ?
PHILAMINTE
C'est pis que tout cela.
CHRYSALE
Pis que tout cela ?
PHILAMINTE
Pis.
CHRYSALE
Comment diantre, friponne ! Euh ? a-t-elle commis.
PHILAMINTE
Elle a, d'une insolence à nulle autre pareille,
Après trente leçons, insulté mon oreille
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Par l'impropriété d'un mot sauvage et bas,
Qu'en termes décisifs condamne Vaugelas.
CHRYSALE
Est-ce là.
PHILAMINTE
Quoi ? toujours, malgré nos remontrances,
Heurter le fondement de toutes les sciences,
La grammaire, qui sait régenter jusqu'aux rois,
Et les fait la main haute obéir à ses lois ?
CHRYSALE
Du plus grand des forfaits je la croyais coupable.
PHILAMINTE
Quoi ? vous ne trouvez pas ce crime impardonnable ?
CHRYSALE
Si fait.
PHILAMINTE
Je voudrais bien que vous l'excusassiez !
CHRYSALE
Je n'ai garde.
BÉLISE
Il est vrai que ce sont des pitiés :
Toute construction est par elle détruite,
Et des lois du langage on l'a cent fois instruite.
MARTINE
Tout ce que vous prêchez est, je crois, bel et bon ;
Mais je ne saurais, moi, parler votre jargon.
PHILAMINTE
L'impudente ! appeler un jargon le langage
Fondé sur la raison et sur le bel usage !
MARTINE
Quand on se fait entendre, on parle toujours bien,
Et tous vos beaux dictons ne servent pas de rien.
PHILAMINTE
Hé bien ! ne voilà pas encore de son style ?
Ne servent-pas de rien !
BÉLISE
Ô cervelle indocile !
Faut-il qu'avec les soins qu'on prend incessamment,
On ne te puisse apprendre à parler congrûment ?
De pas mis avec rien tu fais la récidive,
Et c'est, comme on t'a dit, trop d'une négative.
MARTINE
Mon Dieu ! je n'avons pas étugué comme vous,
Et je parlons tout droit comme on parle cheux nous.
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PHILAMINTE
Ah ! peut-on y tenir ?
BÉLISE
Quel solécisme horrible !
PHILAMINTE
En voilà pour tuer une oreille sensible.
BÉLISE
Ton esprit, je l'avoue, est bien matériel.
Je n'est qu'un singulier, avons est pluriel.
Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ?
MARTINE
Qui parle d'offenser grand'mère ni grand-père ?
PHILAMINTE
Ô Ciel !
BÉLISE
Grammaire est prise à contre-sens par toi,
Et je t'ai dit déjà d'où vient ce mot.
MARTINE
Ma foi !
Qu'il vienne de Chaillot, d'Auteuil, ou de Pontoise,
Cela ne me fait rien.
BÉLISE
Quelle âme villageoise !
La grammaire, du verbe et du nominatif,
Comme de l'adjectif avec le substantif,
Nous enseigne les lois.
MARTINE
J'ai, Madame, à vous dire
Que je ne connais point ces gens-là.
PHILAMINTE
Quel martyre !
BÉLISE
Ce sont les noms des mots, et l'on doit regarder
En quoi c'est qu'il les faut faire ensemble accorder.
MARTINE
Qu'ils s'accordent entr'eux, ou se gourment, qu'importe ?
PHILAMINTE, à sa sœur.
Eh, mon Dieu! Finissez un discours de la sorte.
(à son mari.)
Vous ne voulez pas, vous, me la faire sortir ?
CHRYSALE
Si fait. A son caprice il me faut consentir.
Va, ne l'irrite point: retire-toi, Martine.
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PHILAMINTE
Comment ? vous avez peur d'offenser la coquine ?
Vous lui parlez d'un ton tout à fait obligeant ?
CHRYSALE, bas.
Moi ? Point. Allons, sortez. Va-t'en, ma pauvre enfant.
I) Un langage affecté, maniéré
Cette scène présente une critique du « snobisme » des femmes savantes que sont Philaminte et
Bélise. L’emploi d’un vocabulaire emprunté à la grammaire (« nominatif », « substantif »,
« singulier », « solécisme », etc.), d’expressions appartenant à la langue soutenue, souvent
abstraites (« le fondement des sciences », « les lois du langage », « l’impropriété d’un mot »),
de tournures complexes (inversion dans la syntaxe) sont des signes d’un esprit compliqué qui
recherche la difficulté. De nombreuses hyperboles sont utilisées.
II) La satire des caractères (personnages)
Les femmes savantes sont Philaminte et Bélise. Ce sont deux pédantes sûres d’elles qui
pensent détenir le bon goût. À l’égard de Martine, elles n’hésitent pas à être moralisatrices :
elles parlent du renvoi de Martine à cause d’un solécisme. Elles ont le souci de la langue pure,
et recherchent la subtilité dans leurs propos, emploient des tournures sophistiquées. Bref, il
s’agit de deux caractères négatifs, des personnages artificiels qui manquent de simplicité.
Philaminte est autoritaire avec Martine mais surtout avec son mari qu’elle domine.
La servante est Martine : elle est le type même de la paysanne, fille de la campagne. Elle est
appelée « cervelle indocile » (synecdoque). Elle a toutefois des qualités : elle fait preuve de
bon sens et de franchise. Elle est par ailleurs soutenue par Chrysale. Elle est l’archétype de la
servante chez Molière : pour ce dernier, le langage est le reflet de la catégorie sociale.
Chrysale est le père de famille. Faible, dominé par sa femme, manquant d’autorité, ayant du
mal à s’imposer, il a quand même des qualités : il est brave, défend sa servante et est un bon
père de famille.
III) Le comique de la scène
Le comique de caractère : avec le portrait des personnages, la scène ne manque pas d’humour.
Le comique de situation : il tient au décalage entre le langage de Bélise, Philaminte et
Martine.
Le comique des mots : la servante déforme (grossièrement) les mots qu’elle entend.
Molière se moque du pédantisme et le critique par l’intermédiaire des femmes
savantes. On notera qu’à chaque fois Molière met en évidence les qualités et les défauts des
personnages.
36
ACTE II – SCENE 7 – PHILAMINTE, CHRYSALE, BELISE.
CHRYSALE
Vous êtes satisfaite, et la voilà partie ;
Mais je n'approuve point une telle sortie :
C'est une fille propre aux choses qu'elle fait,
Et vous me la chassez pour un maigre sujet.
PHILAMINTE
Vous voulez que toujours je l'aye à mon service
Pour mettre incessamment mon oreille au supplice ?
Pour rompre toute loi d'usage et de raison,
Par un barbare amas de vices d'oraison,
De mots estropiés, cousus par intervalles,
De proverbes traînés dans les ruisseaux des Halles ?
BÉLISE
Il est vrai que l'on sue à souffrir ses discours :
Elle y met Vaugelas en pièces tous les jours ;
Et les moindres défauts de ce grossier génie
Sont ou le pléonasme, ou la cacophonie.
CHRYSALE
Qu'importe qu'elle manque aux lois de Vaugelas,
Pourvu qu'à la cuisine elle ne manque pas ?
J'aime bien mieux, pour moi, qu'en épluchant ses herbes,
Elle accommode mal les noms avec les verbes,
Et redise cent fois un bas ou méchant mot,
Que de brûler ma viande, ou saler trop mon pot.
Je vis de bonne soupe, et non de beau langage.
Vaugelas n'apprend point à bien faire un potage ;
Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots,
En cuisine peut-être auraient été des sots.
PHILAMINTE
Que ce discours grossier terriblement assomme !
Et quelle indignité pour ce qui s'appelle homme
D'être baissé sans cesse aux soins matériels,
Au lieu de se hausser vers les spirituels !
Le corps, cette guenille, est-il d'une importance,
D'un prix à mériter seulement qu'on y pense,
Et ne devons-nous pas laisser cela bien loin ?
CHRYSALE
Oui, mon corps est moi-même, et j'en veux prendre soin :
Guenille si l'on veut, ma guenille m'est chère.
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BÉLISE
Le corps avec l'esprit fait figure, mon frère ;
Mais si vous en croyez tout le monde savant,
L'esprit doit sur le corps prendre le pas devant;
Et notre plus grand soin, notre première instance,
Doit être à le nourrir du suc de la science.
CHRYSALE
Ma foi ! si vous songez à nourrir votre esprit,
C'est de viande bien creuse, à ce que chacun dit,
Et vous n'avez nul soin, nulle sollicitude
Pour...
PHILAMINTE
Ah ! sollicitude à mon oreille est rude :
Il put étrangement son ancienneté.
BÉLISE
Il est vrai que le mot est bien collet monté.
CHRYSALE
Voulez-vous que je dise ? Il faut qu'enfin j'éclate,
Que je lève le masque, et décharge ma rate :
De folles on vous traite, et j'ai fort sur le cœur.
PHILAMINTE
Comment donc
CHRYSALE, à Bélise.
C'est à vous que je parle, ma sœur.
Le moindre solécisme en parlant vous irrite ;
Mais vous en faites, vous, d'étranges en conduite.
(à Philaminte.)
Vos livres éternels ne me contentent pas,
Et hors un gros Plutarque à mettre mes rabats,
Vous devriez brûler tout ce meuble inutile,
Et laisser la science aux docteurs de la ville ;
M'ôter, pour faire bien, du grenier de céans
Cette longue lunette à faire peur aux gens,
Et cent brimborions dont l'aspect importune ;
Ne point aller chercher ce qu'on fait dans la lune,
Et vous mêler un peu de ce qu'on fait chez vous,
Où nous voyons aller tout sens dessus dessous.
Il n'est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,
Qu'une femme étudie et sache tant de choses.
Former aux bonnes mœurs l'esprit de ses enfants,
Faire aller son ménage, avoir l'œil sur ses gens,
Et régler la dépense avec économie,
Doit être son étude et sa philosophie.
Nos pères sur ce point étaient gens bien sensés,
Qui disaient qu'une femme en sait toujours assez
Quand la capacité de son esprit se hausse
À connaître un pourpoint d'avec un haut de chausse.
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Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien ;
Leurs ménages étaient tout leur docte entretien,
Et leurs livres un dé, du fil et des aiguilles,
Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles.
Les femmes d'à présent sont bien loin de ces mœurs:
Elles veulent écrire, et devenir auteurs.
Nulle science n'est pour elles trop profonde,
Et céans beaucoup plus qu'en aucun lieu du monde :
Les secrets les plus hauts s'y laissent concevoir,
Et l'on sait tout chez moi, hors ce qu'il faut savoir ;
On y sait comme vont lune, étoile polaire,
Vénus, Saturne et Mars, dont je n'ai point affaire ;
Et, dans ce vain savoir, qu'on va chercher si loin,
On ne sait comme va mon pot, dont j'ai besoin.
Mes gens à la science aspirent pour vous plaire,
Et tous ne font rien moins que ce qu'ils ont à faire ;
Raisonner est l'emploi de toute ma maison,
Et le raisonnement en bannit la raison :
L'un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire ;
L'autre rêve à des vers quand je demande à boire ;
Enfin je vois par eux votre exemple suivi,
Et j'ai des serviteurs, et ne suis point servi.
Une pauvre servante au moins m'était restée,
Qui de ce mauvais air n'était point infectée,
Et voilà qu'on la chasse avec un grand fracas,
À cause qu'elle manque à parler Vaugelas.
Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse
(Car c'est, comme j'ai dit, à vous que je m'adresse).
Je n'aime point céans tous vos gens à latin,
Et principalement ce Monsieur Trissotin :
C'est lui qui dans des vers vous a tympanisées ;
Tous les propos qu'il tient sont des billevesées ;
On cherche ce qu'il dit après qu'il a parlé,
Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé.
PHILAMINTE
Quelle bassesse, Ô Ciel, et d'âme, et de langage !
BÉLISE
Est-il de petits corps un plus lourd assemblage !
Un esprit composé d'atomes plus bourgeois !
Et de ce même sang se peut-il que je sois !
Je me veux mal de mort d'être de votre race,
Et de confusion j'abandonne la place.
Distinguez les éléments de cette longue tirade.
On peut considérer quatre grands "moments" dans la longue tirade de Chrysale - qui
commence, en fait, au vers 555, l’interruption de Philaminte produisant l’effet, d’un
automatisme comique, de "tourner" Chrysale vers Bélise…
555 - 570 : Chrysale "décharge sa rate" et "lève le masque" : tout ce qu’il a sur le cœur, sans
oser jusqu’alors en parler, va être jeté pêle-mêle : les livres, la lunette astronomique (un grand
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luxe à l’époque ! et les instruments de physique !) Au passage : les moqueries des voisins et
l’absence de service des domestiques …
570 - 587 : c’est le programme d’éducation des filles, vu par Chrysale !
585 - 602 : les occupations des Femmes savantes et de leurs serviteurs bien loin des "tâches
inférieures" du ménage et de la cuisine.
602 - 614 : une doléance particulière, mais que Chrysale tient à exhaler : on chasse Martine,
autrement dit tout espoir de "pot-au-feu" - Chrysale est touché au point sensible ! Cette
doléance est suivie d’une attaque finale contre Trissotin, pour faire bonne mesure… Chrysale
a "vidé son sac" de façon un peu désordonnée, mais on comprendra qu’il est ému. C’est sans
doute la première fois qu’il "éclate" !
Dites ce qu’elle nous apprend sur le "ménage" Chrysale – Philaminte.
À travers ces plaintes et revendications, on aperçoit ce qu’est l’étrange ménage ChrysalePhilaminte.
On était déjà au courant pour ce qui touche Philaminte et son caractère tyrannique. Nous en
avons une confirmation "éclair" dans le "Comment donc ?" du vers 558 ! Chrysale n’ose pas
regarder sa femme en face ! Ce pauvre homme non seulement n’est plus le maître de sa
maison, il y vit comme un étranger, ignoré et dédaigné des domestiques : "… et j’ai des
serviteurs et ne suis point servi". On l’imagine plaçant lui-même ses rabats entre les feuilles
du gros "Plutarque" parce que personne dans la maison ne sait ou ne veut les lui repasser ! Il
"campe" chez lui, en célibataire ! Son seul point d’attache, de salut : la « pauvre servante »,
Martine, la cuisinière, grâce à laquelle il n’est pas encore mort de faim !
Évidemment il y a une longue histoire derrière tout cela, la "montée" dominatrice de
Philaminte qui, pour échapper au sort des épouses bourgeoises de son époque, a gagné les
"hauts lieux de la philosophie" où son malheureux mari était incapable de la suivre…
Sur le caractère même de Chrysale.
Chrysale n’est pourtant pas un méchant homme - et nous avons ailleurs des preuves d’une
certaine largeur d’esprit de sa part : par exemple il accepte sans discuter que sa fille épouse
Clitandre dont la fortune est des plus minces …
Mais Chrysale est certainement un "faible" : il a "reçu certaine bonté d’âme" - "qui le soumet
d’abord à ce que veut sa femme" ! Il s’est laissé dominer, une bonne fois et, par horreur des
criailleries et des querelles, n’a jamais tenté de renverser la situation. D’autant plus que
Philaminte a des alliés dans la place : Armande, Bélise, Trissotin … Et ne disons rien du goût
de Chrysale pour les plaisirs de la table !
Ce morceau vous semble-t-il inspiré par la misogynie ?
… Ce qui le rend définitivement méprisable aux yeux de Philaminte. Ajoutons-y, justement,
ses idées sur les femmes et l’éducation des filles.
Pour lui, une épouse est essentiellement une maîtresse de maison, intendante et éducatrice.
Intendante, elle "règle la dépense avec économie", elle a "l’œil sur ses gens"…
Éducatrice, elle “forme aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants” et prépare pour d’autres
Chrysales des épouses sur son propre modèle ! Cela ne va pas loin, au point de vue
intellectuel. Le proverbe sur le pourpoint et le haut-de-chausse est révélateur ! Là se révèle ce
qui, à nos yeux de gens du XXIe siècle, peut apparaître comme un trait de misogynie. Dans la
grande tradition bourgeoise (et pas seulement bourgeoise), Chrysale se méfie des femmes qu’il faut toujours surveiller et "occuper" - on ne sait jamais ce qui peut sortir de leur tête !
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Le "programme" d’éducation des filles de Chrysale ne vous semble-t-il pas un
peu court ?
On leur donnera donc : un dé, du fil et des aiguilles. Ce sont là les trois instruments de
formation des jeunes filles ! Instruments d’asservissement plutôt. Pas de livres ! II faut laisser
la Science aux docteurs de la ville.
Donc, ne pas appliquer son esprit à la littérature ni à la philosophie. Ni à l’astronomie, bien
entendu. Tout naïvement, ce brave homme de Chrysale décrit un "programme"
d’abrutissement de celles qu’on considère comme d’éternelles mineures.
En conclusion, certes, on peut dire que Chrysale nous fait comiquement pitié. Il n’a
pas eu de chance avec Philaminte ! Mais ne mérite-t-il pas, en toute justice, son triste sort,
quand on l’entend formuler (dans la colère, tout de même !) de pénibles énormités ?
© B. Enguerand
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Molière au cinéma
Il existe deux versions cinématographiques de la vie de Molière : celle d’Ariane
Mnouchkine avec Philippe Caubère (1978) et celle de Laurent Tirard avec Romain Duris et
Fabrice Luchini (2007), toutes deux disponibles en DVD.
Il pourrait être intéressant d’en visionner tout ou partie (le film d’Ariane Mnouchkine dure
plus de 4h), parallèlement à un travail de recherches sur la vie de Molière ou le contexte
historique, avant de se confronter au texte.
Autour des femmes
Commentaire des dix « commandements » de l’Ecole des Femmes (à mettre en parallèle avec
la tirade de Chrysale dans la scène 7 de l’acte II).
Débat autour de la conception actuelle de la vie des femmes : études, carrière, mariage, vie de
famille … (à mettre en parallèle avec la scène 1 de l’acte I).
Travail interdisciplinaire avec l’Histoire :
- L’image de la femme avant et après Molière : dans l’Antiquité, au Moyen Age, de la
Révolution au XXème siècle ;
- Quelques figures féminines emblématiques : Louise Michel, Marie Curie, Marguerite
Yourcenar, Simone Veil, mère Teresa, Aung San Suu Kyi, … ;
- Visite jusqu’au 29 avril 2011 de l’exposition « Pas d’Histoire sans elles. Femmes de l’Oise,
1789 – 1945 » présentée aux Archives Départementales de l’Oise.
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