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La Lettre du Gynécologue - n° 264 - septembre 2001
Mots-clés : Antigène HBs - Allaitement maternel -
Infection - Hépatite B - Transmission - Nouveau-né.
infection par le virus de l’hépatite B (VHB) est
un état fréquent au cours de la grossesse. Son
dépistage permet de prévenir sa transmission au
nouveau-né dans 95 % des cas environ, à la condition expresse
que le traitement préventif (injection d’immunoglobuline spé-
cifique, suivie d’une première injection vaccinale) soit entre-
pris dans les 12 premières heures de la vie. L’efficacité de
cette prévention sérovaccinale chez le nouveau-né a été prou-
vée dès 1983 à Taïwan (1). En France, cette méthode a été
mise en œuvre dès 1984, confirmant son efficacité (2) ; elle est
recommandée depuis 1991 et a justifié, en 1992, le dépistage
de l’antigène de surface du virus (AgHBs) au cours de la
grossesse, au titre des examens prénataux obligatoires.
La présence de l’AgHBs est en effet la signature nécessaire et
suffisante au diagnostic d’infection par le VHB. Pendant la
grossesse, la seule présence de ce marqueur infectieux suffit à
décider d’entreprendre la sérovaccination du nouveau-né.
FRÉQUENCE DE LA TRANSMISSION VERTICALE DE L’INFEC-
TION À VHB
L’enquête conduite en 1992-1993 par Denis et al. (3) auprès
des maternités de douze CHU en métropole a montré de
grandes disparités de prévalence du portage de l’AgHBs, de
0,13 % à Limoges à 3 % à Montpellier. Ces différences ren-
dent compte de la composition ethnique des populations exa-
minées, reflétant les prévalences dans les pays d’origine, géné-
ralement comprises entre 10 et 20 % en Afrique subsaharienne
et en Asie. En France métropolitaine, chez les patientes accou-
chées, elle a été estimée globalement à 1 % (4).
Le risque de transmission de l’infection à VHB au nouveau-né
dépend de la contagiosité de la mère au moment de l’accou-
chement. La présence associée dans le sérum de l’AgHBe ou
de séquences génomiques de l’ADN du virus détectées par
polymerase chain reaction (PCR), indique une réplication
virale significative, une infectiosité élevée du sang maternel et,
par conséquent, un risque important d’infection du nouveau-
né. Ce risque est de 20 % environ lorsque la recherche de
l’AgHBe est négative, mais il atteint 90 % en cas de positivité.
CONSÉQUENCES DE L’INFECTION NÉONATALE À VHB
L’infection du nouveau-né est rarement symptomatique, évo-
luant alors le plus souvent vers la guérison. Plus exceptionnel-
lement encore que chez l’adulte, la maladie revêt une forme
grave ou fulminante (5).
En l’absence de prévention efficace, la conséquence la plus
fréquente de l’infection du nouveau-né est la transmission de
l’état de porteur chronique de l’AgHBs. Elle est quasi
constante lorsque le sang maternel est très infectieux
(AgHBe/PCR positifs), tandis qu’elle n’a lieu que chez 10 %
des enfants infectés en l’absence de ces marqueurs de forte
infectiosité (figure 1).
L’histoire naturelle de cette transmission qui, sur le plan épidé-
miologique, renouvellerait pour moitié environ le “réservoir de
virus” (porteurs chroniques) dans les régions de forte endémie, a
rarement été précisée de manière prospective sur le plan clinique.
Chez 40 enfants, Tong (6) a observé que 95 % des nourrissons
infectés par leurs mères (en majorité AgHBe positif) à la nais-
sance ne manifestaient jamais d’ictère et devenaient porteurs
chroniques. Au cours des trois premières années, tous présen-
taient une hypertransaminasémie. Lorsqu’il était pratiqué, l’exa-
men histologique du foie révélait constamment une hépatite
chronique persistante. Entre 5 et 13 ans, la cytolyse persistait
* Centre d’hémobiologie périnatale, 53, bd Diderot, 75570 Paris Cedex 12.
Hépatite B et grossesse
J.C. Soulié*
Figure 1. Évaluation numérique de la transmission de l’état de porteur
chronique de l’AgHBs de la mère au nouveau-né en France.
800 000 naissances par an
Prévalence chez les femmes enceintes : 1 %
de mères AgHBe +
(10-15 %) 800-1 200 de mères AgHBe –
7000
NN de mères AgHBs +
8000
Risque d’infection
Nouveau-nés infectés
Risque de transmission
de l’état de porteur
chronique de l’AgHBs
à 1 000 nouveau-nés
environ
# 90 %
900
# 95 %
20 %
# 1 400
< 10 %
L’
chez 4 enfants sur 17, et 11 avaient des signes cliniques d’atteinte
hépatique (angiomes stellaires, hépato-splénomégalie). En Italie,
Zancan et al. (7), chez 36 enfants infectés précocement et présen-
tant au début de l’étude une hépatite chronique avec signes biolo-
giques de réplication virale (AgHBe positif), ont constaté après
10 à 16 années de suivi la pérennisation asymptomatique de
l’état de porteur de l’AgHBs, avec une élévation modérée du
taux de transaminases, et la constitution d’une fibrose hépatique
dans 50 % des cas, ou d’une cirrhose dans 22 % des cas.
Environ 5 % des cas de cirrhose post-hépatitique évoluent
chaque année vers le carcinome hépatocellulaire, complication
majeure de l’infection chronique par le VHB. C’est un cher-
cheur français, Bernard Larouzé, qui a le premier signalé la
filiation entre cette tumeur, fréquente en Afrique subsaha-
rienne, et la transmission verticale de l’infection (8). Ce risque
évolutif est indépendant de l’origine géographique du porteur
chronique ; il est une des premières causes de mortalité en
Asie. Sa prévention vaccinale est un exemple unique en patho-
logie cancéreuse : à la suite de la vaccination systématique des
nouveau-nés, l’incidence de cette tumeur chez l’enfant a été
divisée par quatre à Taïwan entre 1984 et 1990 (9).
DÉPISTAGE DE L’AgHBs PENDANT LA GROSSESSE
La recherche de l’AgHBs est habituellement exécutée à l’occa-
sion du 4eexamen prénatal (6emois de la grossesse). La sérovac-
cination du nouveau-né, dont la bonne préparation (voir plus loin)
et la précocité sont les facteurs essentiels d’efficacité de la préven-
tion, pourra alors être entreprise dans les meilleures conditions.
Un dépistage positif plus tardif pourrait exposer, en cas d’accou-
chement prématuré, à une application retardée de la prévention
néonatale. Cependant, la connaissance de facteurs de risque parti-
culiers (toxicomanie, partenaire à risque) peut conduire soit à
modifier cette chronologie habituelle, en ne prescrivant l’examen
de dépistage qu’au 8emois (10), soit à répéter le dépistage en fin
de grossesse en cas de négativité initiale au 6emois.
CONSÉQUENCES PRATIQUES D’UN DÉPISTAGE POSITIF DE
L’AgHBs
Conséquences diagnostiques : chez la femme enceinte
(tableau I)
La positivité du dépistage doit conduire à préciser le statut
infectieux de la patiente par des examens sérologiques
complémentaires et à en surveiller l’évolution (11). Environ
500 cas de primo-infection par le VHB seraient diagnostiqués
chaque année au cours de la deuxième moitié de la grossesse,
représentant moins de 5 % des cas de positivité de l’AgHBs au
dépistage, et un risque majeur de transmission périnatale. La
présence ou l’apparition d’anticorps anti-HBc de la classe IgM
permet le diagnostic, alors que le taux de transaminase ALT
est augmenté ou s’élève rapidement. Les symptômes d’hépa-
tite aiguë, très peu spécifiques chez la femme enceinte (nau-
sées, vomissements, douleur abdominale), tandis que l’ictère
est le plus souvent absent, ne sont pas aisément rapportés à
leur cause sans l’aide du diagnostic sérologique. L’évolution
clinique n’est pas modifiée par la grossesse mais le risque
d’accouchement prématuré serait augmenté. La guérison a lieu
dans 90 % des cas ; elle est affirmée par la disparition de
l’AgHBs (en moyenne après 3 mois), puis l’apparition d’anti-
corps anti-HBs protecteurs. Le passage à la chronicité se pro-
duit dans 10 % des cas à l’âge adulte. Une hépatite fulminante
fatale complique 1 % des cas d’hépatite B.
La situation la plus fréquente est donc celle d’une infection
chronique par le VHB. L’AgHBs est présent (sa persistance
plus de 6 mois après la primo-infection définit l’état de porteur
chronique), les anticorps anti-HBc de la classe IgM sont
absents. Chez la femme enceinte, il s’agit dans 98 % des cas
de l’état de porteur chronique asymptomatique de l’AgHBs ;
le taux des transaminases est normal.
Conséquences préventives : chez le nouveau-né et au
foyer
Sans délai, il revient au médecin de famille de faire préciser le
statut sérologique des sujets contacts au foyer (tableau I) afin
de limiter, par la sérovaccination des sujets AgHBs négatif non
immuns, les risques d’infection “horizontale”. La vaccination
du nouveau-né exposé doit être entreprise à la maternité.
L’injection initiale unique de 1 ml d’immunoglobuline spéci-
fique anti-HBs (2 ml en cas d’hépatite aiguë de la mère) est
impérative avant 12 heures de vie, idéalement au moment des
premiers soins à la naissance, un bain ou une toilette antisep-
tique soigneuse de la peau contaminée par le sang maternel
devant précéder tout geste invasif non urgent. La précocité de
la prévention conditionne de manière essentielle son efficacité,
et justifie une organisation sans faille du dépistage au cours de
la grossesse, de la fourniture pharmaceutique, ainsi que l’infor-
mation soigneuse des parents et des différents acteurs de la vac-
DOSSIER
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La Lettre du Gynécologue - n° 264 - septembre 2001
Statut infectieux AgHBs AgHBe Anti-HBc totaux Anti-HBc IgM Anti-HBs Infectiosité
Sujet “vierge” - - - - - -
Sujet vacciné - - - - + -
Infection récente* + - - - - +
Période d’état + + + + - +
Fenêtre sérologique** - - + + - -
Sujet guéri - - + - + -
Infection chronique + + / - + - - +
* 3 à 6 semaines après l’inoculation, présence isolée de l’AgHBs précédant la réponse immune.
** 6 à 8 mois après l’inoculation, disparition de l’AgHBs, persistance d’anti-HBc IgM.
Tableau I. Hépatite B : statuts infectieux, profils et évolutions sérologiques.
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La Lettre du Gynécologue - n° 264 - septembre 2001
cination (qui devra être complétée chez le nourrisson par une
2eet une 3einjection ainsi qu’un rappel à 1 mois, 2 mois et 1 an,
respectivement) (12). Dans ces conditions, et dans le cas habi-
tuel de portage chronique maternel asymptomatique de
l’AgHBs, l’allaitement au sein n’est pas contre-indiqué (13).
Une immunité durable est obtenue chez 95 % des nouveau-nés
vaccinés, un examen sérologique (recherche de l’AgHBs et
dosage des anticorps anti-HBs) étant recommandé vers l’âge de
15 mois.
CAS PARTICULIERS
La non-connaissance du statut infectieux de la mère à l’accou-
chement (absence de dépistage préalable), doit conduire à pres-
crire en urgence la recherche de l’AgHBs. En présence d’un fac-
teur de risque (patiente originaire d’une région de forte endémie,
antécédent de toxicomanie), ou lorsque le résultat du dépistage
ne peut être obtenu avant le délai de 24 heures, il semble pru-
dent d’injecter au nouveau-né 1 ml d’immunoglobuline anti-
HBs, et dans le premier cas, d’entreprendre la vaccination.
Deux études (14, 15), aux Pays-Bas (16 patientes AgHBs posi-
tif, dont 2 avec AgHBe positif), et à Taïwan (67 patientes
AgHBs positif, dont 19 avec AgHBe positif), ont montré
l’absence d’aggravation du risque de transmission de l’infec-
tion in utero par la pratique de l’amniocentèse au 2etrimestre.
Une ponction “sanglante” doit cependant être particulièrement
évitée.
En cas de projet de procréation médicalement assistée, la posi-
tivité de la recherche de l’AgHBs doit faire rechercher une
éventuelle atteinte hépatique (aiguë ou chronique), qui pourrait
constituer une contre-indication temporaire, voire définitive.
Les candidats au don de gamètes porteurs de l’AgHBs sont
exclus a priori, bien qu’aucun cas de transmission “paterno-
fœtale” n’ait été décrit ; les risques de contamination acciden-
telle (milieu de culture, instruments) sont connus et en principe
prévenus.
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