Au début des années 1890, Oscar Wilde entreprend de se faire un nom à Paris. En trois ans
il y acquiert une certaine notoriété en tant que personnalité recherchée par les esthètes et les
Salons, et aussi en tant qu’écrivain, à travers la publication anglaise du Portrait de Dorian Gray,
en particulier. Il y écrit Salomé, pièce d’inspiration symboliste.
Le mythe connaît, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, une incroyable fortune. Salomé
d’Oscar Wilde pourrait donc n’être qu’un épiphénomène de cette activité créatrice intense.
Fin 1891 commence la première réception – par anticipation – de Salomé. Quelques
quotidiens se font brièvement l’écho d’une lecture de Salomé que Wilde a donnée devant un
public d’invités au Théâtre-d’Art de Paul Fort. Mais ce théâtre ne créera pas la pièce et Wilde
envisage alors de créer sa pièce à Londres. Les répétitions commencent à la mi-juin 1892. La
pièce, son auteur et le fait que Sarah Bernhardt, l’icône-actrice, s’apprête à en incarner le rôle-titre,
intéressent à tel point que plusieurs personnalités françaises se rendent à Londres pour assister aux
répétitions. Une semaine plus tard, Salomé est censurée, interdite de représentation par le Grand
Chambellan de la Maison royale. Ces événements créent les conditions d’une première réception
critique parisienne d’un spectacle qui n’aura pourtant pas lieu.
Le texte de la pièce est publié un an plus tard par un petit éditeur, La Librairie de l’Art
indépendant. Si on le compare aux articles nombreux et bruyants de 1892, l’accueil critique de la
publication de Salomé en 1893 est, en revanche, très discret.
S’il n’est pas certain que Salomé soit alors parvenue à acquérir une existence propre, hors
de l’ombre portée par son créateur, ne constitue-t-elle pas, symboliquement, l’œuvre point
d’orgue, l’acmé d’Oscar Wilde, et le point de rupture d’un équilibre précaire, l’amorce – malgré
de nouveaux succès de théâtre à venir – de la chute de l’écrivain et de l’homme ?
Oscar Wilde semble refermer sa parenthèse symboliste en 1894, après la traduction
anglaise de Salomé illustrée par Aubrey Beardsley, et conforte sa position d’auteur de comédies à
succès en Angleterre, avant qu’en 1895, des procès puis une terrible condamnation ne ruinent sa
vie et son œuvre.
Tout porte alors à croire que Salomé, sa pièce « française » incréée, va disparaître, oubliée,
comme son auteur dans les profondeurs des prisons où il purge sa lourde peine.
Il n’en sera rien. Si le poète franco-américain Stuart Merrill échoue à créer, de la part de la
communauté littéraire et artistique française, un vaste courant de solidarité envers le poète, les
initiateurs du mouvement conviennent que, puisque les hommes ne parlent pas pour lui, l’une de
ses œuvres doit parler pour Oscar Wilde. Et, justement, « il existait de lui une pièce de prose
française que Sarah Bernhardt répéta et que la censure interdit à Londres. Nous parlâmes du projet