HEMU, novembre 2016 Mathilde Reichler, cours de synthèse NOTE sur l’ORCHESTRE de Salomé : Celui-ci a manifestement un rôle de tout premier plan. Strauss inscrit d’emblée sa partition dans la lignée de ses poèmes symphoniques – chatoyants, magistraux au niveau du traitement de l’orchestre. Extrêmement mobile, l’orchestre suit chaque phrase du texte en changeant continuellement de timbre, de couleur. On observe ainsi de nombreux figuralismes, et ce dès la première page de la partition (les pieds de la colombe > animation ; la lune qui est comme une femme qui sort de son tombeau > lente et grave montée, la danse > tambourin etc.) On peut parler de la mobilité « kaléïdoscopique » de la musique (« nevrosée, à l’image de l’âme de l’héroïne », écrit Piotr Kaminski dans Mille et uns Opéras). Ainsi l’orchestre est au cœur du discours. Et il n’est pas seulement un accompagnateur : on a l’impression que c’est lui, pratiquement, qui véhicule l’action. Outre les figuralismes, la partition orchestrale recèle de nombreux « secrets » qui renforcent le symbolisme du texte, à travers les retours de leitmotivs et les constantes modulations harmoniques. Autre moyen de symboliser l’action: les personnages ont tous un timbre particulier qui leur est associé. Ainsi les bois représenteront Salomé, dans toutes les variations de timbres et d’humeur de ce personnage très versatile. Les cuivres seront associés à Iokanaan. Salomé, composition de l’orchestre : 3 Flûtes Piccolo 2 Hautbois Cor anglais Heckelphon (sorte de hautbois basse) Clarinette en Mib 2 Clarinettes en La 2 Clarinettes en Si Clarinette basse 3 Bassons Contrebasson 6 Cors 4 Trompettes 4 Trombones Tuba basse Percussions: Timbales (2 musiciens) Gong, Cymbales, Grosse caisse, Caisse claire, Tambourin, Castagnettes, Triangle, Xylophone, Glockenspiel (6-7 musiciens) Célesta 2 Harpes 16 Violons I 16 Violons II 10-12 Alti 10 Violoncelles 8 Contrebasses (soit 60 cordes) Derrière la scène : Orgue et Harmonium Ainsi, l’effectif de Salomé est l’un des plus gros possibles pour une fosse d’orchestre, avec plus de 100 musiciens. Strauss inscrit son orchestre dans la tradition wagnérienne, mahlérienne, post-romantique, affichant un penchant pour des effectifs orchestraux immenses. Cela lui permettra un véritable déchaînement, un déferlement orchestral notamment lors des 3 interludes orchestraux qui rythme le déroulement de l’opéra (Iokanaan qui monte puis redescend dans sa citerne; la danse de Salomé). Tous les pupitres sont ainsi renforcés. Les percussions et les cuivres sont toutefois les plus impressionnants au niveau de l’effectif demandé (6 cors, et au moins 8 percussionnistes!). Et en même temps… Le début donne une impression de douceur, de clarté et de transparence. Ce sont les bois qui dominent, avec les 3 flûtes et la clarinette qui énonce le premier motif de l’opéra, qui sera aussi le plus fréquemment utilisé. Strauss ménage ses effets ; il n’exploite pas le tutti orchestral tout le temps, mais il change continuellement de timbre. Entre parenthèses, le compositeur tenait à préciser : Richard Strauss: « J’ai sans doute plus appris que vous ne le pensez de la musique française, de la délicatesse et de la clarté cristalline d’une partition de Bizet ou de Berlioz : si vous suivez attentivement mon style orchestral, cette étude ne peut vous rester cachée ». In: Richard Strauss et Romain Rolland, Correspondance. Fragments de journal, Cahiers Romain Rolland, no 3, Paris, Albin Michel, 1951, p. 48. A propos de la présence d’instruments derrière la scène, on peut faire deux remarques : - Cet opéra ne contient pas – comme cela arrive souvent – de «musique de scène», soit un orchestre de scène, dans la tradition de ce qu’on nomme la « banda » (lorsque l’action de l’opéra sous-entend de la musique). Pourtant il y a, dans le texte même, l’évocation d’une musique de scène – et pas n’importe laquelle, puisqu’il s’agit de la fameuse danse de Salomé, qui est au cœur du mythe. Le choix de Strauss, de ce point de vue, est très intéressant: il décide justement de ne pas faire de ce moment dansé une scène de genre, intégrant de ce fait la danse à la narration de l’orchestre. Celui-ci va en effet continuer, tout au long de la danse, à travailler les leitmotivs principaux de l’opéra, comme si Salomé, en dansant, faisait un geste d’anamnèse et de retour dans son passé. - Le compositeur place l’orgue et l’harmonium derrière la scène visiblement pour créer un effet de l’ordre de la spatialisation des timbres. - L’orgue et l’harmonium sont deux instruments a priori associés à la sphère religieuse. Mais on voit d’emblée que leur rôle ne s’y réduit pas – voire s’y oppose…: l’harmonium est utilisé dans la première scène en relation à la beauté de la Princesse (et Strauss le fait revenir dans la première scène chaque fois que Narraboth répète cette exclamation : « Wie schön ist die Prinzessin Salome ! »). L’orgue quant à lui n’apparaît qu’à la toute fin de l’opéra, au moment précis où Salomé embrasse la bouche de Iokanaan. C’est donc l’instrument du baiser (voir page suivante), ce qui est pour le moins inattendu, renversant complètement nos attentes à ce niveau. «Ah, ich hab’ deinen Mund geküsst…» Utilisation de l’orgue derrière la scène On aurait pu s’attendre à l’utilisation de l’orgue pour appuyer les prophéties de Iokanaan… Mais c’est pour le moment du baiser que Strauss réserve son apparition. Cet usage est pour le moins détourné… On pourrait même dire qu’il est très subversif!