Christine Farenc a une vision toute personnelle de l’œuvre – et après tout, n’est-ce pas là la mission du
metteur en scène ? – qu’elle expose dans une lettre d’intention retranscrite dans le programme. Hérodias
y est présentée comme « la femme tranchante qui a appris le pouvoir et qui est passée maître
dans l’art du sexe politique ». Son Hérodias (Lucile Komités) reste plantée sur la scène comme un rocher
monolithique. Elle parvient presque sans bouger à transmettre la force de la femme qui domine son époux
Hérode de toute son impressionnante stature. Hérode, au contraire, nous dit Christine Farenc est « le
lâche, le pleutre, le régressif ». Renaud Garnier campe avec brio un tyran velléitaire et faible, emporté par
le tourbillon de sa peur et de sa folie. Avec son habit noir à fraise, il est le reflet inversé d’un Hamlet qui
aurait pris le visage assassin de son oncle Claudius. À la fois terrifiant et pitoyable, il est un homme rongé
de doutes et d’incestueuse concupiscence, un homme qui vacille au bord de l’irréparable. L’irréparable,
c’est sa séduisante belle-fille qui le pousse à le commettre « la petite princesse, trop gâtée par papa, ingrate
à l’envie, succédané des aînées du roi Lear, et prête au meurtre pour obtenir ce qu’elle veut ». Car Christine
Farenc fait de Salomé une sorte d’enfant gâtée, à la fois enfantine et capricieuse, qui s’entête à demander
la mort de Iokanaan en tapant du pied comme elle exigerait une nouvelle robe de bal, avec une cruauté
innocente et perverse qui n’est pas sans rappeler celle de la jeune infante d’Espagne dans le conte de
Wilde, L’anniversaire de l’infante.
Kelly Rivière fait de son mieux pour nous offrir ce double visage, alternant des attitudes obscènes et de
brefs retours à l’enfance, comme lors de cette curieuse danse des sept voiles où elle se transforme en
ballerine mécanique de boite à musique, tandis que la Cour entière s’écroule derrière elle à intervalles
réguliers (« la danse des sept chutes » nous expliquera Christine Farenc, lors de la rencontre que la troupe
nous a aimablement ménagée après le spectacle). On pense ici à Olympia, l’automate de Spalanzani dans
Les Contes d’Hoffmann, sans bien saisir le sens de cette danse de poupée, ni celle des chutes répétées d’une
Cour de comédie en perpétuel déséquilibre. Christine Farenc a-t-elle voulu suggérer l’effondrement
prévisible d’une tyrannie dévorée par le vice et le crime, et la faillibilité d’un amour mécanique ? Se
pourrait-il que la naissance du Christianisme (car c’est bien de cela qu’il s’agit) ait été déclenchée par
l’exécution naïve d’une danse de marionnette totalement ratée ? L’originalité audacieuse d’une telle
conception mériterait d’être défendue si on ne la soupçonnait d’être, tout simplement, vide de sens.
Tout ceci se déroule sous le regard de la Lune, omniprésente dans la pièce de Wilde comme un symbole
de froideur, de beauté, de chasteté, alors qu’elle se trouve ici littéralement incarnée, matérialisée en