LA LETTRE DE VOTRE APOTHICAIRE N ° 6 8 ∼ J U I N 2 0 0 9 ∼

Pharmacie
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HYPERPROLACTINEMIE et
NEUROLEPTIQUES
I. Besnard, Interne en Pharmacie
C. Gabriel-Bordenave, V. Auclair, C. Roberge, Pharmaciens
CENTRE HOSPITALIER SPÉCIALISÉ
DE CAEN
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15 ter rue Saint Ouen - B.P. 223 - 14012 CAEN Cedex 1 - Tel 02 31 30 50 59 / Fax 02 31 30 50 10
Courriel : christoph[email protected]
L’hyperprolactinémie se définit comme une augmentation de la concentration de prolactine
au-delà des valeurs normales variant suivant la technique de dosage utilisée26 (valeurs
seuils maximales : 15 à 25µg/L chez la femme, 15 à 20µg/L chez l’homme).
1. Sécrétion et rôles physiologiques de la prolactine21
La prolactine est synthétisée par les cellules lactotropes de l’antéhypophyse. Elle est libérée
de façon pulsatile et des variations des concentrations sanguines sont observées au cours
de la journée9.
Rôles physiologiques :
Sur la lactation : Effet lactotrope : initiation et maintien de la lactation et effet trophique sur
le sein
Sur la fonction reproductive : Indispensable pour la maturation folliculaire et ovocytaire
Sur le métabolisme phospho-calcique
Sur le système immunitaire : Stimulation, présence de récepteurs sur les lymphocytes5
Sur la glycorégulation : Pas de rôle physiologique mais les adénomes à prolactine
entraînent des hyperglycémies27
2. Physiopathologie
La dopamine libérée par les neurones hypothalamiques tubéro-infundibulaires, exerce un
contrôle négatif sur la synthèse et sécrétion de prolactine en se fixant sur les récepteurs à la
dopamine D2 des cellules lactotropes. Les neuroleptiques agissent par blocage de ces
mêmes récepteurs D2.
Le mécanisme de l’hyperprolactinémie sous neuroleptique n’est alors pas direct mais relève
d’une levée de l’inhibition faite par la dopamine qui ne peut plus se fixer à son récepteur
hypophysaire7.
Plus précisément, il semble que plus la demi-vie du neuroleptique est courte et plus il se
dissocie rapidement des récepteurs D2, moindre est son effet hyperprolactinémiant, la
liaison restant suffisante pour induire un effet thérapeutique7,14.
La capacité à franchir la barrière hémato-encéphalique aurait aussi une influence : comme
l’hypophyse se situe en deça, il se pourrait que les antipsychotiques qui la franchissent le
moins et se concentrent dans le sérum aient un effet hyperprolactinémiant supérieur. C’est
notamment le cas de l’amisulpride7.
On peut classer les neuroleptiques en deux catégories :
Neuroleptiques les plus
hyperprolactinémiants2,3,10,15,16,17,25 Neuroleptiques les moins
hyperprolactinémiants2,15,38
Amisulpride SOLIAN® et générique
Rispéridone RISPERDAL® et génériques ; CONSTA®
Neuroleptiques classiques
Clozapine LEPONEX® et génériques
Aripiprazole ABILIFY®
Olanzapine ZYPREXA®
Il apparaît que l’hyperprolactinémie augmente parallèlement à la dose d’antipsychotique
utilisée, du moins pour les neuroleptiques conventionnels6,30.
3. Epidémiologie
L’hyperprolactinémie sous neuroleptique est très vraisemblablement sous-estimée car
insuffisamment recherchée26. Elle est pratiquement toujours symptomatique mais les signes
cliniques ne sont pas toujours mis en avant par les patients. En effet, les troubles sexuels,
les troubles du cycle menstruel, ou les galactorrhées ne sont pas évoqués spontanément. Il
faut savoir interroger37 les patients.
Une étude anglaise4 chez 178 patients sous neuroleptiques montre une prévalence globale
de 33%, 17.6% chez les hommes et 47.3% chez les femmes. D’autres études16 confirment
que l’hyperprolactinémie est plus fréquente chez la femme que chez l’homme. Il apparaît
aussi que les femmes en période de préménopause développent plus d’hyperprolactinémie
que les femmes ménopausées.16. La fréquence rejoint alors celle des hommes.
Il convient de prêter une attention particulière aux patients de moins de 25 ans car ils n’ont
pas atteint leur pic de masse osseuse, la prolactine ayant un effet ostéopéniant risquant de
minimiser ce pic13. Les antipsychotiques hyperprolactinémiants sont aussi à éviter chez les
femmes désirant avoir des enfants et les patients souffrant d’ostéoporose. Un autre groupe à
risque est constitué par les sujets avec un antécédent de cancer du sein ou de la prostate en
raison d’une implication probable de la prolactine dans la cancérogénèse32,33,34,35. Il en est de
même en cas d’antécédent de prolactinome.
4. Signes cliniques
L’hyperprolactinémie entraîne un arrêt de la pulsatilité de la sécrétion de GnRH et une
diminution de la sensibilité de l’hypophyse. Il s’en suit un arrêt de la pulsatilité de la FSH et
de la LH d’où une baisse de concentration d’estradiol, de progestérone et de testostérone
libre à l’origine des diverses manifestations cliniques24. Ces manifestations sont peu
spécifiques mais plus les concentrations de prolactine sont élevées, plus les signes cliniques
sont fréquents. Dans certains cas, l’hyperprolactinémie reste asymptomatique.
Manifestations sexuelles
8 Troubles du cycle menstruel : dysménorrhée, aménorrhée, oligoménorrhée,
spanioménorrhée
8 Hypogonadisme, troubles sexuels : baisse de la libido, dysfonction érectile, infertilité
8 Gynécomastie, effet trophique sur les glandes mammaires chez la femme,
galactorrhée
Ces troubles altèrent la qualité de vie des patients ce qui peut nuire à l’observance du
traitement.
Conséquences osseuses
L’hyperprolactinémie induit une baisse de la masse osseuse.
Klibanski19 a montré que cette perte est significative chez les femmes avec une
hyperprolactinémie associée à une aménorrhée alors qu’elle ne l’est pas chez les patientes
hyperprolactinémiques avec des cycles menstruels normaux. Ceci va dans le sens d’un rôle
primordial joué par les œstrogènes et non d’une action directe de la prolactine. D’autres
anomalies hormonales survenant chez les patients avec une hyperprolactinémie semblent
intervenir19,28 : la baisse de la testostérone libre, de la progestérone et du sulfate de DHEA.
Hommes et femmes sont ainsi touchés par cet effet indirect de l’hyperprolactinémie.
Cette baisse de la densité minérale osseuse augmente le risque de fracture1 et la morbi-
mortalité des patients sous neuroleptiques. Notons que l’ostéopénie est réversible lorsque la
concentration de prolactine se normalise1 (arrêt du traitement ou switch vers un
neuroleptique moins hyperprolactinémiant).
Pour finir, il existe d’autres facteurs de risque d’ostéoporose, en particulier chez le patient
psychotique : le tabac, l’alcool, la mauvaise alimentation avec une diminution des apports en
calcium et en protéines, la polydipsie (hausse des pertes rénales en calcium), l’activité
physique insuffisante23.
Carcinogénèse
Une étude de cohorte rétrospective36 sur 118000 femmes a mis en évidence une
augmentation de 16% du risque de développement de cancer du sein chez les femmes
traitées par un antipsychotique par rapport au groupe témoin de femmes de même âge sans
traitement. Ce risque est faible mais significatif. D’autres études prospectives ont confirmé ce
risque, quel que soit l’âge des patientes, en pré et post-ménopause11,34. In vitro, la prolactine
a montré un effet mitogène sur les cellules cancéreuses mammaires35. Davantage de
preuves sont nécessaires pour évaluer son influence dans le développement du cancer de la
prostate. Néanmoins, en biologie moléculaire, il a été mis en évidence une inhibition de
l’apoptose et une augmentation de la prolifération cellulaire pour les deux localisations11.
Autres symptômes
Acné, hirsutisme (excès d’androgènes par rapport à la concentration d’œstrogènes)
5. Diagnostic différentiel
Devant des signes évoquant une hyperprolactinémie, un dosage de la prolactine doit être
réalisé. Même si le patient est traité par un antipsychotique, il est important d’éliminer toute
autre étiologie.
On impute, en effet, les hyperprolactinémies à 3 types de causes12,22 :
Physiologiques : la grossesse et l’allaitement sont les causes les plus fréquentes. Le
stress, le sommeil, l’alimentation riche en protéines, l’exercice physique… sont aussi
responsables d’une hausse de la prolactine. En dehors de la grossesse où la
concentration peut atteindre 200 à 500ng/mL, les hyperprolactinémies physiologiques
sont habituellement modérées (<100ng/mL).
Pathologiques : Les lésions hypothalamo-hypophysaires tumorales ou infiltratives
(prolactinome) sont fréquemment associées à une hyperprolactinémie. L’hypothyroïdie
primaire, les ovaires polykystiques, certaines tumeurs ovariennes, l’acromégalie,
l’insuffisance rénale chronique ou l’insuffisance hépatique sont d’autres causes
d’hyperprolactinémie. Les concentrations de prolactine circulante peuvent dépasser
200ng/mL en cas de prolactinome.
Iatrogènes : Les psychotropes, particulièrement les antipsychotiques, les
antidépresseurs (ISRS, IMAO, antidépresseurs tricycliques), les autres antagonistes
dopaminergiques (antiémétiques), les œstrogènes, les opiacés, les antihypertenseurs
centraux, les antihistaminiques H2… peuvent induire des hyperprolactinémies.
6. Proposition de bilan préthérapeutique et surveillance en cours de traitement
Interrogatoire sur les antécédents de traitement antipsychotique ; auquel cas sur
l’éventuel présence de troubles sexuels, menstruels ou de galactorrhée
Recherche d’antécédents oncologiques, fracturaires ou d’une ostéoporose
Dépistage de grossesse ou recherche d’un désir de grossesse
Réaliser un dosage de la prolactine. S’il est élevé, confirmer par un 2ème dosage dans des
conditions définies (prélèvement rapide, précautionneux, 1 heure après le lever)
Le suivi thérapeutique et la prise en charge de l’hyperprolactinémie ont fait l’objet de
nouvelles propositions par un groupe international d’experts en psychiatrie, médecine,
toxicologie et pharmacologie en 200826 :
Recherche de troubles sexuels, de la libido, des cycles menstruels
Dosage de la prolactine :
après 3 mois de traitement à dose stable
3 mois après chaque augmentation de dose
en cas de changement de traitement, 3 mois après posologie stable
en cas de diagnostic d’ostéoporose, d’apparition de troubles sexuels ou menstruels
¨ Si le dosage est normal, surveillance non nécessaire sauf si apparition de symptômes
ou modification de traitement.
7. Conduite à tenir en cas d’hyperprolactinémie
Prolactinémie
< 50ng/mL Prolactinémie
> 50ng/mL Prolactinémie
> 150ng/mL
< 3 mois > 3 mois
Surveillance
Proposer :
y Diminution des doses
ou
y Switch vers un
antipsychotique moins
hyperprolactinémiant
y Switch vers un antipsychotique moins
hyperprolactinémiant
y Traitement contraceptif (en l'absence de CI)
- Pour les femmes dont l’antipsychotique
a été modifié (car retour fertilité)
- Pour les femmes dont le traitement ne peut
pas être modifié : pour diminuer les risques
d’ostéoporose
Eliminer un diagnostic de
prolactinome
Les taux de prolactine se normalisent environ 3 semaines après l’arrêt du neuroleptique
hyperprolactinémiant et ce délai augmente jusqu’à 6 mois pour les antipsychotiques
retard31,39.
Notons, pour terminer, que le traitement des hyperprolactinémies par un agoniste
dopaminergique doit être réservé à des cas très exceptionnels en raison d’un risque
d’aggravation de la pathologie psychotique.
Bibliographie : sur demande à la pharmacie
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