Syndrome de la LH invisible et effet Hawthorne : quand l`instrument

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abécédaire
Syndrome de la LH invisible et effet
Hawthorne : quand l’instrument d’analyse
modifie le phénomène observé
L’
hormone lutéinisante (LH), qui
stimule l’ovulation et la synthèse
des androgènes, est une glycoprotéine formée de deux sous-unités,
l’alpha (commune aux autres hormones
hypophysaires) et la bêta, spécifique de
la LH. Les radio-immuno-essais (RIA) utilisés classiquement pour le dosage de la
LH utilisent des anticorps polyclonaux reconnaissant les différentes formes circulantes de LH. Dans les années 90, ont
été développées des techniques utilisant
deux anticorps monoclonaux reconnaissant différents épitopes sur les molécules de LH (technique sandwich). Ces dosages étaient nettement plus spécifiques.
On a eu cependant la surprise d’observer
que chez 25% des patients les molécules de LH étaient, soit non détectables,
soit mesurées à des valeurs trop basses
par rapport aux dosages classiques. Il
s’agissait de formes de LH dont la chaîne
bêta était tronquée. Cela a conduit à des
erreurs diagnostiques et à des examens
inutiles.1 Ce phénomène de la LH invisible
illustre le fait que certains instruments de
mesure trop spécifiques perdent en sensibilité (des molécules biologiquement
actives mais imparfaites ne sont plus reconnues) et parfois même faussent le
résultat des analyses. Il en est de même
pour la macroprolactinémie. Selon les
méthodes de dosage, on peut mesurer
des taux faussement élevés de prolactine par RIA ou par ELISA lorsqu’on est en
présence de big big prolactine, qui a un
poids moléculaire élevé comparativement
à la prolactine usuelle monomérique. Cette
big big prolactine n’a que peu d’activité
biologique et n’est pas due à un adénome
hypophysaire. Des dosages faussement
élevés peuvent conduire inutilement à
des IRM de l’hypophyse.2 C’est un phénomène courant en médecine, comme en
mécanique quantique, que l’instrument
d’analyse modifie le phénomène observé.
Ceci concerne non seulement les méthodes de dosages biologiques mais également les outils statistiques (cf. syndrome
du réverbère (*)), ainsi que les études cliniques.
Par exemple, les études randomisées,
qui constituent le fondement de l’evidence-based medicine (EBM), ont également
*
Autres syndromes traités prochainement dans cette
rubrique.
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leurs limites. En effet, les patients inclus
dans ces études ne ressemblent que de
très loin aux malades suivis par le généraliste. Ces derniers sont en général plus
âgés, polymédiqués et polymorbides.3 Le
patient type de l’EBM est trop idéal pour
que les conclusions tirées des études
soient applicables telles quelles au malade du généraliste, qui est à l’image de
la LH tronquée, trop imparfait pour être
admis dans les études randomisées. Un
exemple typique est l’effet bénéfique de
la spironolactone en cas d’insuffisance
cardiaque qui, appliquée à des malades
tout venant, a donné lieu à des cas d’hyperkaliémie mortels.4 Appliquer le même
traitement à des patients qui ne sont pas
comparables n’est pas sans risque. Lors
de l’étude du rimonabant, utilisé en cas
d’obésité, on a exclu tous les patients présentant des antécédents dépressifs.5 Le
risque est d’inclure ce type de patients
lors de l’utilisation ultérieure de ce médicament.
Le simple fait de se savoir inclus dans
une étude clinique peut modifier le comportement des malades ou le cours de
leur maladie, ce qu’on appelle l’effet
Hawthorne. Il s’agissait d’étudier dans
les années 1920 l’effet des conditions de
travail sur la productivité d’ouvriers travaillant dans l’usine électrique de Hawthorne.
On s’est aperçu que leur rendement augmentait au cours de l’étude, quelles que
soient les améliorations apportées à leur
environnement. En médecine, on a réalisé que le comportement alimentaire des
obèses par exemple, était différent selon
qu’ils sont observés à leur insu ou qu’ils
savent qu’ils participent à une étude.6
L’effet Hawthorne a été démontré de
façon bénéfique pour les malades atteints d’Alzheimer, qui vont mieux quand
ils participent à une étude. Mais l’effet
Hawthorne a été négatif chez des patients devant subir un pontage coronarien
et qui savaient qu’ils étaient soutenus
par un groupe de prière.7 Peut-être ontils été paniqués à l’idée que leur pontage
nécessite le secours de la religion ! De
façon générale, toutes les études impliquant une prise en charge des patients
avec des contrôles réguliers ou une interaction avec les observateurs vont amplifier les résultats du groupe contrôle, participant globalement à l’effet placebo.8
En conclusion, l’instrument et les conditions d’observation vont modifier l’objet
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 24 septembre 2008
ou le sujet étudié et ce dernier, selon ses
caractéristiques propres, va modifier en
retour les conditions et les résultats des
observations.
Rémy C. Martin-Du-Pan
Bibliographie
1 Martin-Du Pan RC, Horak M, Bischof P. Clinical
significance of invisible or partially visible luteinizing hormone. Hum Reprod 1994;9:1987- 90.
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3 Jenicek M. Evidence-based medicine : Fifteen
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8 Martin-Du Pan RC, Martin C. Effet placebo
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Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 janvier 2008
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