tyre, en dehors de la dimension guerrière. Ainsi, une narration attribuée à al-Hasan al-Basri, savant de
la fin du VIIe siècle (mort en 728), recueillie par ‘Abd al-Razzaq (mort en 827) dans son ancien re-
cueil de hadiths intitulé al-Musannaf, cite al-Hasan : « Rien n’est plus difficile et exigeant (ajhad)
pour un homme que de dépenser son argent honnêtement ou pour une juste cause, et de dire la prière
en plein milieu de la nuit. »3 L’usage qu’al-Hasan fait du superlatif ajhad, étymologiquement lié au
mot jihad, souligne la très grande excellence morale des actes de piété personnels, fondamentaux et
non agressifs. Le plaidoyer en faveur de la supériorité du combat spirituel se reflète dans une autre
déclaration prophétique qu’on trouve dans des ouvrages anciens de hadiths et qui font autorité, ceux
de Ahmad ibn Hanbal (mort en 855) et al-Tirmidhi (mort en 892), selon laqueelle : « Celui qui combat
contre son propre ego est un mujahid, c’est-à-dire qu’il mène le jihad. »4 Un récit recueilli dans la
compilation classique et réputée de hadiths de Muslim b. Hajjaj (mort en 875) insiste de la même fa-
çon sur l’aspect intérieur et spirituel de l’effort pour Dieu. Il affirme : « Quiconque combat avec son
cœur est un croyant. »5 De tels récits mettent en lumière la signification générale du jihad, à savoir un
effort pour s’améliorer moralement et spirituellement. L’accent porte donc sur les actes spirituels de
purification de soi, sur la charité et la prière.
Parallèlement aux multiples acceptions du mot jihad, les recueils de hadiths ont également recensé des
significations variées pour le terme shahid. Ainsi l’ouvrage ancien du VIIIe siècle intitulé al-
Muwatta’, de Malik b. Anas (mort en 795), fondateur éponyme de l’école juridique sunnite malékite,
recense que le Prophète avait identifié sept sortes de martyrs, outre ceux qui sont morts en combattants
sur le champ de bataille. Ainsi, « celui qui meurt victime d’une épidémie est un martyr, celui qui
meurt noyé est un martyr, celui qui meurt de pleurésie est un martyr, celui qui meurt de diarrhée est un
martyr, celui qui meurt par le feu est un martyr, celui qui meurt frappé par l’effondrement d’un mur en
mauvais état est un martyr, et la femme qui meurt en couches meurt en martyr. »6 Ce récit, comme
celui cité auparavant, accorde le martyre au croyant qui meurt dans la souffrance et affaibli, à cause de
différentes maladies, d’un accouchement difficile dans le cas d’une femme, ou qui est victime d’un
accident malheureux, comme d’être écrasé par un mur qui s’effondre, sans parler de celui qui tombe
sur le champ de bataille.
D’autres narrations prétendent que ceux qui pratiquent les vertus de véridicité et d’endurance, et qui
font montre de compassion envers les déshérités ont un statut moral équivalent au statut de ceux qui se
lancent dans le jihad guerrier. Trois des plus hautes autorités sunnites en matière de compilation de
hadiths – al-Bukhari (mort en 870), Muslim (mort en 875) et al-Tirmidhi (mort en 892) – rapportent
que le Prophète a déclaré que « celui qui aide la veuve et le pauvre est comme celui qui combat dans le
chemin de Dieu »7. Selon un récit rapporté par le savant pieux et ascète Ibn Abi l-Dunya (mort en
894), « une affirmation de la vérité (al-qawl bi'l-haqq) et la patience pour s’y conformer sont équiva-
lentes aux actions des martyrs »8. De tels actes de courage non guerriers – par exemple dire la vérité au
péril de sa vie ou au risque d’affronter d’autres conséquences négatives – comme de simples actes de
charité sont des manifestations importantes de l’effort dans le chemin de Dieu. Toutes ces significa-
tions sont en cohérence avec le hadith prophétique très connu qui décrit les différentes manières de
pratiquer le jihad : par la main, par la langue et par l’intention (c’est-à-dire silencieusement dans le
cœur)9. Un autre hadith, peut-être aussi connu, cite le Prophète disant, au retour d’une campagne mili-
taire : « Nous sommes rentrés du petit jihad (c’est-à-dire du combat physique, extérieur) pour mener le
grand jihad (c’est-à-dire le combat spirituel intérieur). »10 Ce dernier hadith souligne les deux princi-
pales manières de pratiquer le jihad, avec la hiérarchie de leurs mérites respectifs, le combat intérieur
et spirituel ayant plus de valeur que le combat extérieur, physique.
S’efforcer d’acquérir la connaissance est une autre forme extrêmement louable de jihad. Al-Turmidhi
(mort en 892) a dans son recueil de hadiths faisant autorité recensé la narration suivante : « Quiconque
part en quête de la connaissance est sur le chemin de Dieu (fi sabil Allah) jusqu’à son retour. »11 Il en
résulte que celui qui meurt en cherchant ou en diffusant la connaissance est considéré comme martyr.
Ainsi, un récit émanant de deux Compagnons, Abu Hurayra et Abu Dharr, cite le Prophète disant :
« Quand la mort saisit celui qui cherche la connaissance pendant sa quête, il meurt en martyr. »12 Ce
hadith affirme sans ambigüité la haute valeur morale accordée à la connaissance dans le Coran, qui
constitue le critère décisif pour distinguer le croyant de l’incroyant13. Mais, plus important, parmi les
discours antagonistes concernant le champ du jihad et du martyre, il constitue une preuve textuelle de